Intervention de Thierry Robert

Séance en hémicycle du 3 juillet 2014 à 9h30
Économie sociale et solidaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Robert :

Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire nous réunit aujourd’hui dans cet hémicycle pour une ultime étape de son parcours parlementaire, un parcours peu banal puisqu’il a été déposé le 24 juillet 2013, il y a presque un an, et qu’il a été défendu par non moins de cinq ministres différents.

À ce sujet, au nom du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je voudrais tout d’abord témoigner d’une pensée affectueuse pour Mme Valérie Fourneyron, qui était au banc des ministres, dans cet hémicycle, pour présenter avec brio ce projet de loi en première lecture. Nous lui adressons nos voeux les plus chaleureux de rétablissement et espérons la retrouver prochainement en pleine forme parmi nous. Je voudrais également remercier tous les ministres qui se sont succédé pour travailler sur ce projet de loi.

Les députés du groupe RRDP sont particulièrement attachés à la méthode retenue par le Gouvernement pour l’élaboration de ce projet de loi et seraient heureux qu’elle puisse être généralisée. Tous les acteurs socio-professionnels de la grande famille de l’économie sociale et solidaire sont unanimes : en dépit de leurs désaccords parfois profonds, ils se réjouissent de la concertation permanente qui a abouti au texte que nous allons examiner. C’est une des raisons fortes de la satisfaction qui domine sur nos bancs, et parmi les parties prenantes, à l’égard de ce texte globalement cohérent et consensuel.

Je voudrais aussi saluer Thierry Jeantet pour sa participation active aux débats. Sans son apport, il est probable que le projet de loi ne serait pas aussi raffiné, même si, nous le verrons, nous pouvons encore parfaire le texte par l’adoption d’un amendement élaboré à son initiative à l’article 14 bis.

Ce projet de loi a pour objectif principal de conférer une plus grande reconnaissance et une meilleure gouvernance à un secteur d’activité bien spécifique. C’est un secteur certes hétérogène et divers, mais qui trouve son unité dans le respect de grandes valeurs humanistes de solidarité, de démocratie, de redistribution équitable des richesses et de justice sociale, sans rien concéder à l’efficacité, à l’innovation et au professionnalisme.

Aujourd’hui, notre pays, comme beaucoup d’autres pays européens, fait face à une crise financière, une crise économique et sociale, mais aussi une crise morale. Oui, depuis trente ans, nous avons accumulé les déficits, que ce soit sous une majorité ou une autre, et sommes à présent contraints à réduire ces déficits et donc à accomplir un effort très important de réduction de la dépense publique. Cet effort est nécessaire, puisque la dette finit par asphyxier littéralement le fonctionnement de notre économie.

Il faut d’un côté réduire les dépenses publiques et, de l’autre côté, investir plus qu’on ne l’a fait dans le passé dans les secteurs économiques porteurs d’espoirs et d’emplois comme l’économie sociale et solidaire. En effet, toutes les statistiques le démontrent, les résultats économiques de l’ESS sont globalement très bons. Ce secteur témoigne d’une capacité de résistance et de résilience face à la crise, avec la création de nouvelles activités localisées sur notre territoire dans la santé, l’éducation, l’insertion, la prévoyance, l’assurance ou encore l’agriculture.

Ces réponses apportées aux besoins fondamentaux du pays confirment que l’ESS est une force motrice complémentaire pour accompagner l’évolution des sociétés occidentales contemporaines, parfois gagnées par l’individualisme et le repli sur la sphère privée.

Il ne s’agit en aucun cas ici d’opposer une économie « saine » à une économie prétendument « malsaine ». Nous ne sommes pas naïfs : loin de nous l’idée que l’économie sociale et solidaire serait préservée de toutes les intempérances alors que l’activité économique dite classique serait la porte ouverte à tous les maux. Pourtant, l’économie sociale et solidaire a longtemps été considérée sans doute de façon trop marginale par les pouvoirs publics. Nous avons souvent oublié son rôle et son originalité, alors qu’elle est en mesure de faire cohabiter de façon harmonieuse performance économique, utilité sociale et développement durable.

Aujourd’hui, au terme de deux lectures au Sénat et d’une deuxième lecture en commission à l’Assemblée, c’est un texte enrichi qui propose de faire de l’ESS un modèle robuste et ambitieux. Il renforce sa place au sein de notre économie en levant les obstacles à son essor et en prévoyant des mesures visant à conforter son développement sur tous nos territoires.

Concernant la reconnaissance publique du secteur, le projet de loi propose, dans son article 1er, article fondateur, à défaut d’une définition légale englobante, de caractériser les acteurs par les déterminants d’une définition politique. À cet égard, la création et le maintien d’un portefeuille ministériel mentionnant l’économie sociale et solidaire est une confirmation importante pour l’organisation administrative du secteur comme pour sa visibilité.

À l’article 1er, ce sont donc les caractéristiques économiques des entreprises et des organismes concernés qui serviront à définir l’identité et l’utilité sociale, même si elles ne les épuisent pas. Ainsi, l’ESS se définit d’abord par l’intégration de principes communs forts dans les statuts : un but différent du seul partage des bénéfices, une gouvernance démocratique ou participative définie par statut et incluant les parties prenantes, et enfin une gestion incluant une lucrativité limitée ou encadrée. L’inscription de ces grands principes humanistes dans la loi correspond à une définition volontairement inclusive. Elle va donner les moyens aux entreprises de l’économie sociale et solidaire de croître tout en replaçant l’homme au centre de son modèle productif. L’homme au centre : voilà une bien belle idée !

Pour ce qui est des principes contenus dans l’article 1er, nous approuvons la version actuelle du texte, qui permettra de répondre à des remarques légitimes sur la spécificité de l’ESS par rapport au domaine privé lucratif. Je pense notamment au secteur médico-social, où l’ESS représente les deux tiers de l’activité.

Ensuite, le texte propose une nouvelle structuration de l’ESS, afin d’institutionnaliser son dialogue avec l’État, les collectivités territoriales et la société civile. Par la création d’une représentation politique nationale, avec la Chambre française de l’économie sociale et solidaire, et la reconnaissance de l’utilité publique des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, les CRESS, le texte améliore la gouvernance au niveau national et confie aux représentants de l’État dans les territoires la mission de contractualiser avec elles pour assurer les différentes missions publiques.

Les CRESS disposent déjà, globalement, d’une expertise fine des entreprises de l’ESS sur leurs territoires. Le texte leur permettra d’assurer la promotion de l’ESS, d’aider à la formation des dirigeants et des salariés, tout en continuant, sur le plan local, à collecter des données. Grâce à la possibilité inscrite lors de l’examen au Sénat d’ester en justice pour faire respecter les conditions imposées par l’article 1er aux entreprises commerciales, les CRESS voient leur légitimité renforcée.

Avec un ancrage territorial amélioré, coordonné avec les pouvoirs publics, l’ESS pourra poursuivre son développement en répondant aux besoins locaux de nos concitoyens.

En ce qui concerne les mesures très médiatisées et polémiques sur la facilitation de la reprise d’entreprises par les salariés, je pense que nous devons d’abord revenir à la raison. Nous devons faire preuve de lucidité et éviter les débats inutilement polémiques. Au cours des deux siècles derniers, le législateur français a inscrit dans la loi des progrès sociaux incontestables en faveur des salariés : nous avons le devoir de continuer cette oeuvre.

Prenons garde cependant que nos bonnes intentions ne se révèlent pas, au final, des freins pour la performance économique et, surtout, pour l’emploi. Nous connaissons les chiffres : chaque année, au moins 50 000 emplois disparaissent dans des entreprises en bonne santé économique. C’est souvent une mauvaise transmission ou un arbitrage économique et financier irresponsable qui aboutissent à cette situation absurde. Tous les députés de terrain que nous sommes dans cet hémicycle connaissent de près ou de loin cette réalité choquante, à laquelle nous ne pouvons pas nous résigner.

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