Intervention de Huguette Bello

Séance en hémicycle du 3 juillet 2014 à 9h30
Économie sociale et solidaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello :

Nos territoires souffrent de toutes les crises : de la crise économique et financière, de la réduction des moyens budgétaires, du chômage massif, de la précarité grandissante, du manque de logements, de la désertification rurale. La jeunesse est en proie à d’immenses difficultés tandis que les personnes âgées ou dépendantes sont confrontées au manque cruel de solutions d’accueil.

Face à cette situation et à des menaces nouvelles, les habitants des territoires organisent des îlots de résistance et de solidarité. Avec les coopératives, les mutuelles, les associations, l’économie sociale et solidaire, même si elle n’est pas sans défauts ni dérives, offre des solutions innovantes, construit des entreprises pérennes, organise la solidarité avec les plus fragiles.

En présentant, en juillet 2013, le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, le ministre délégué d’alors, Benoît Hamon, dans le prolongement des engagements de François Hollande, a voulu signer une véritable reconnaissance de ce secteur essentiel.

L’économie sociale et solidaire représente aujourd’hui 200 000 établissements et près de 2 400 000 salariés, soit un emploi privé sur huit. Dans certaines régions, comme la Bretagne, le Limousin ou l’Auvergne, ce secteur représente plus de 16 % de l’emploi privé. À La Réunion, où il comptabilise près de 23 000 emplois salariés, il crée chaque année plus d’un millier d’emplois.

L’attrait exercé par ce secteur s’explique par la philosophie qui le sous-tend, par une gestion différente des activités et des moyens, par une approche fondée sur la confiance et le respect des personnes. Les structures, souvent plus petites que des entreprises classiques, favorisent un fonctionnement plus démocratique, un meilleur partage des fruits du travail et la mobilité sociale des salariés. L’économie sociale et solidaire est sans doute l’un des rares secteurs où l’on peut encore voir des personnes commencer leur carrière tout en bas de l’échelle et finir directeur.

Par leurs réalisations et par leurs succès, les structures de l’économie sociale et solidaire démontrent que d’autres modèles sont possibles, que démocratiser l’économie n’est pas une vue de l’esprit. Les coopératives, les mutuelles, les fondations, les associations ont fait la preuve qu’elles sont des entités viables et pérennes. Elles sont particulièrement adaptées aux petites économies insulaires des outre-mer et il est désormais acquis qu’une partie non négligeable de notre développement se fera dans le cadre de ces structures. À cet égard, les acteurs attendent beaucoup de la création d’un fonds spécifique à l’économie sociale et solidaire pour les outre-mer.

Le présent texte poursuit l’objectif de développer, d’élargir et de sécuriser juridiquement ce vaste ensemble de structures et d’organismes. Notre attachement aux principes fondateurs de démocratie, de solidarité et d’égalité, qui demeurent au coeur de l’économie sociale et solidaire, nous conduit à soutenir ce texte mais également à nous montrer vigilants sur l’approche privilégiée par le Gouvernement. Cette approche présente en effet des risques de dévoiement des principes fondateurs du secteur, de normalisation de ce qui fait son originalité, de dilution de ses financements, puisque des entreprises commerciales pourront être désormais qualifiées d’entreprises de l’économie sociale et solidaire.

Pour que les sociétés commerciales puissent bénéficier du label « économie sociale et solidaire », le texte prévoit un nouvel agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » qui permettra aux entreprises de prétendre aux fonds d’épargne solidaire et à des dispositifs fiscaux. Cet agrément repose sur une définition largement inclusive de l’utilité sociale. Le texte évoque aussi « un impact significatif sur le compte de résultat ou la rentabilité financière de l’entreprise ». Il pose également des conditions d’égalité salariale au sein des entreprises, plafonnant les salaires à sept à dix fois le SMIC ou le salaire minimum de branche. Enfin, les titres de capital de l’entreprise, lorsqu’ils existent, ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé.

Ces garde-fous sont utiles mais, comme le demandent les acteurs historiques de l’économie sociale et solidaire, il est essentiel que tous les candidats à cet agrément remplissent les conditions posées par la loi, ce qui suppose de remettre en cause l’agrément de plein droit.

D’autres dispositions du texte appellent des réserves, en particulier les articles sur les fondations, ou encore l’article 35, relatif aux mutuelles et institutions de prévoyance.

La disparition des pouvoirs des sociétaires pour fixer le montant ou le taux des cotisations et la nature des prestations ne nous semble pas justifiée. La voix du président pourra désormais être égale à toutes les autres, ce qui contrevient à l’esprit mutualiste. En outre, les certificats mutualistes et paritaires ne sauraient faire oublier la nécessité de sortir les mutuelles du champ de la réglementation européenne en matière d’assurances et de complémentaires santé. Il est urgent de prendre des mesures afin de limiter les obligations en termes de réserves prudentielles, dans l’attente du remboursement à 100 % par la Sécurité sociale. C’est pourquoi nous ne soutenons pas ce dispositif.

S’agissant des articles 11 et 12, adoptés conformes, nous n’avons pas pu déposer d’amendements. Ils n’accordent pas aux salariés un droit de rachat prioritaire pour reprendre leur entreprise sous forme de coopérative, alors que le Président de la République s’y était engagé. Après les combats des SeaFrance ou encore des Atelières pour reprendre leur entreprise en tant que salariés, après le combat victorieux des Fralib, qui ont gagné le bras de fer qui les opposait à la multinationale Unilever depuis plus de trois ans, la volonté de faciliter les transmissions sous forme de SCOP aux employés fait son chemin. Nous pensons que le Parlement aurait pu mieux accompagner ce mouvement.

Nombreux sont en effet ceux qui, parmi les salariés, débordent de motivation et d’inventivité pour poursuivre l’aventure, sauver des emplois, innover, partager. À cet égard, il est possible d’imaginer qu’une telle disposition aurait permis d’aboutir, à La Réunion, à une issue moins radicale que la fermeture de la SIB, la Société industrielle de Bourbon, et le licenciement de trente-deux salariés.

La loi demande dorénavant aux dirigeants d’entreprises de moins de 250 employés qui souhaitent vendre ou partir à la retraite d’en informer les salariés au minimum deux mois à l’avance. L’objectif est de permettre aux salariés de disposer d’un délai suffisant pour déposer un projet de reprise informé et étayé. Nous craignons cependant que ce délai ne soit trop court.

Si le texte précise que les salariés pourront, à leur demande, se faire assister par un représentant de la chambre de commerce et de l’industrie régionale, de la chambre régionale d’agriculture, de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat territorialement compétente, en lien avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, nous sommes loin de la reconnaissance d’un droit de préemption. Les mesures prévues sont insuffisantes pour accompagner les salariés qui souhaitent reprendre une entreprise rentable. Nous le regrettons vivement.

Les articles 12 bis et 12 ter subordonnent l’homologation, par l’administration, d’un plan de sauvegarde de l’emploi au respect par l’entreprise de son obligation d’information et de recherche d’un repreneur et prévoient que, en cas de fermeture d’un établissement, l’autorité administrative pourra demander le remboursement des aides pécuniaires accordées. Ces dispositions sont évidemment bienvenues, mais nous aurions souhaité, là encore, que le remboursement des aides publiques soit la règle. En revanche, nous approuvons totalement l’adoption d’un guide de bonnes pratiques et l’introduction des objectifs de parité, que nous avons tous portés en première lecture.

Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiennent la volonté affichée par le Gouvernement de promouvoir l’économie sociale et solidaire et veulent voir dans ce texte une première étape décisive.

Conforter les acteurs historiques dans le respect des valeurs de solidarité, de démocratie et de non-lucrativité passe par une consolidation, à tous les échelons, de ce secteur économique, par une véritable reconnaissance du droit des salariés à rependre leur entreprise, mais aussi par la relocalisation des activités économiques à travers, notamment, la priorité donnée aux circuits courts. C’est parce qu’ils considèrent que l’économie sociale et solidaire constitue l’un des meilleurs outils dont notre société peut se saisir pour combattre les conséquences d’une économie de marché de plus en plus dérégulée que les députés du groupe GDR voteront ce texte de loi.

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