Intervention de Gilles Lurton

Séance en hémicycle du 3 juillet 2014 à 9h30
Économie sociale et solidaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Lurton :

Loin de manifester un a priori défavorable à ce projet de loi, j’en partage, comme j’ai eu l’occasion de l’exprimer lors du vote en première lecture, un grand nombre d’objectifs. Le premier est de soutenir un secteur qui représente aujourd’hui un renouveau de l’économie, fondé sur des principes de solidarité et de proximité.

Forte de ses principes et de ses valeurs, ainsi que du poids économique et social qu’elle représente, l’économie sociale et solidaire se révèle très porteuse. Elle permet d’abord de redonner du sens dans les relations de travail entre individus et de la vie à nos territoires, notamment les plus ruraux, grâce à la création d’emplois non délocalisables.

J’ai pu mesurer combien grandes étaient les attentes des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Ils ont besoin de mesures susceptibles de remédier aux rigidités ou aux insuffisances statutaires qu’ils connaissent. Ils se sont investis et ont fait des propositions concrètes. Votre projet répond, en partie, à un certain nombre de leurs demandes.

C’est donc avec un sentiment partagé que j’aborde aujourd’hui cette deuxième lecture. Si je suis enthousiaste à l’idée de légiférer pour promouvoir et encadrer au mieux ces activités essentielles pour notre tissu économique, je suis en revanche inquiet de certaines mesures qui me paraissent aller dans le mauvais sens.

Il s’agit tout d’abord des articles 1er et 7, relatifs à la détermination du champ de l’économie sociale et solidaire et aux modalités d’obtention de l’agrément « entreprise solidaire ». Après l’avoir dit en première lecture, je répète aujourd’hui que ces articles, particulièrement restrictifs, constituent une formidable occasion manquée de donner un nouvel élan au secteur des services à la personne.

Les dispositions de l’article 1er, qui permettent à une entreprise ou à une association d’intégrer l’économie sociale et solidaire, sont primordiales : elles rendent éligibles aux prêts de la Banque publique d’investissement et détermineront ultérieurement l’obtention de l’agrément prévu à l’article 7, celui qui rend éligible aux dispositifs de soutien fiscal dits « ISF-PME » et « Madelin ».

Aussi, en sus du risque d’exclusion des entrepreneurs, il existe un risque de distorsion de concurrence au détriment des sociétés commerciales évoluant dans le secteur des services à la personne : elles seront privées du soutien fiscal dont leurs principaux concurrents, associations ou organismes d’insertion, pourront bénéficier.

Si le dispositif de soutien fiscal rendu accessible par l’agrément retient toute mon attention, je ne peux que m’opposer une nouvelle fois aux conditions d’obtention de cet agrément ainsi qu’aux conditions d’intégration dans l’économie sociale et solidaire. Celles-ci ne laisseront que de minces espoirs aux entrepreneurs qui se sont pourtant engagés dans une démarche sociale.

Comme vient de le faire Isabelle Le Callennec, je souhaite également revenir sur les articles 11 et 12, qui prévoient un droit d’information des salariés en cas de transmission d’une entreprise. Nous ne pourrons hélas en discuter, puisque ces articles ont été votés conformes. Néanmoins, je tiens à rappeler que la transmission d’une entreprise est une opération délicate, dans laquelle la confidentialité est un facteur clé du succès.

L’information selon laquelle le chef d’entreprise quitte la tête de son entreprise peut être un facteur de réelle déstabilisation au sein de l’établissement et le fragiliser dans ses relations, non seulement avec ses partenaires commerciaux et financiers, mais aussi avec ses concurrents.

Je partage entièrement, je dois le dire, les propos de Mme Fourneyron en première lecture, qui motivait son texte par la nécessité de resserrer le lien qui doit unir le salarié à son entreprise. J’en profite d’ailleurs pour rendre hommage au travail qu’elle a accompli. Mais de tels articles risquent encore de compliquer la vie des entreprises, d’entraver la relance de l’emploi dont nous avons tant besoin. Je crains, madame la ministre, qu’une fois encore le Gouvernement ne soit contraint in fine de reporter ces mesures, ainsi qu’il vient de le faire pour le compte pénibilité. Il serait pourtant si simple de nous écouter dès le début, au lieu de devoir tout le temps revenir en arrière !

Une autre mesure m’inquiète, celle contenue dans les articles 12 bis et 12 ter, qui visent à réintégrer une version allégée de la proposition de loi « Florange » sur la reprise des sites rentables. Cette loi, je le rappelle, a été partiellement censurée en mars par le Conseil constitutionnel, au motif qu’elle portait atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprise. Là encore, le territoire français se montre incertain juridiquement pour l’installation d’entreprises. Comment cette mesure s’articulera-t-elle avec le pacte de responsabilité que vous tardez à nous présenter ? Je regrette, madame la ministre, que ces mesures si peu consensuelles aient été insérées à la dernière minute dans le texte, en première lecture.

Enfin, je ne peux passer sous silence votre volonté de complexifier les choses et de multiplier les instances représentatives : Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, chambre française de l’économie sociale et solidaire, chambre régionale de l’économie sociale et solidaire, conférence régionale de l’économie sociale et solidaire, pôles territoriaux de coopération économique, conseil supérieur de la coopération, Haut conseil à la vie associative : n’en jetez plus, la coupe est pleine !

Nous avions insisté sur l’inutilité de toutes ces instances en première lecture. Le Sénat n’a pas souhaité revenir dessus. À elles seules, elles justifieraient que nous nous opposions au texte. Mais, madame la ministre, je veux marquer mon soutien à l’égard des millions de bénévoles qui concourent largement au développement de l’économie sociale et solidaire par leur engagement associatif, mutualiste ou coopératif et qui attendent beaucoup de cette loi. C’est la raison pour laquelle je m’abstiendrai sur ce texte, comme je l’ai fait en première lecture.

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