Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 2 juillet 2014 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur de la mission d'information :

Je vous remercie pour ces interventions riches et convergentes sur le constat et la nécessité de faire bouger les lignes dans le domaine de l'architecture. Nous voulons toutes et tous que la France soit plus belle et l'enjeu est d'offrir à nos concitoyens un cadre de vie plus agréable. Nous avons analysé tout ce qui freine la création architecturale et cherché les moyens de faire en sorte que nos concitoyens aient spontanément envie de faire appel aux architectes. Ce rapport traite de l'exercice de la profession architecturale en France et à l'étranger. Nous formulons des propositions pour que les architectes se prennent eux-mêmes en main, afin d'améliorer l'exercice de leur profession. Nous considérons que le recours à un architecte pour n'importe quelle construction, loin d'être un coût supplémentaire, est un atout majeur, qui peut paradoxalement, et notamment sur le moyen terme, faire gagner de l'argent. L'architecte est celui qui conçoit en prenant en compte les usages, qui vous propose un projet qui vous corresponde, qui casse le cadre de l'uniformisation et de la standardisation, qui suit les travaux, évitant ainsi que leur calendrier ne dérive et qui écarte les mauvaises surprises, pendant et après les travaux.

Pour créer un lien de confiance entre nos concitoyens et les architectes, la vérité des prix, chère à M. Pierre Léautey, est indispensable. Si nous défendons que le recours à un architecte est un investissement plus qu'un coût supplémentaire, encore faut-il qu'il y ait de la transparence sur les prix, d'où la proposition d'inciter la profession à mettre en avant le coût global des projets.

Parmi les freins évoqués à juste raison par plusieurs d'entre vous, il y a bien sûr les normes. Nous avons abordé cette question de manière ouverte et responsable, en ne remettant en cause aucune d'entre elles, qu'il s'agisse des normes sociales, d'accessibilité des bâtiments aux personnes à mobilité réduite, ou bien des normes environnementales, en faveur du développement durable. J'insiste sur ce point pour que les choses soient bien claires. En revanche, nous nous sommes penchés sur leur application et sur la tendance, dans notre pays, à les empiler au détriment de leur cohérence. Cumuler les obligations de moyens nuit à la création et à l'expérimentation, en rendant la conception de certains projets impossibles, même si certaines normes posent des défis que les architectes relèvent le plus souvent avec grand talent. Nous sommes revenus à des principes assez simples qui, souvent, ne sont pas inscrits dans les règlements. Ainsi, M. Jean-Michel Wilmotte a souligné, lors de son audition, les avantages pour l'isolation thermique qui peuvent être tirés de la ventilation et de l'orientation des appartements pour y faire entrer la lumière, alors que la tendance incline à fermer les ouvertures pour mieux isoler.

Nous attendons beaucoup du choc de simplification évoqué par certains d'entre vous. Au lieu de remettre en cause des normes, nous avons le souci de les voir appliquer avec intelligence et cohérence. Nous avons consulté les obligations comparables imposées à l'architecture à l'étranger, dans des pays si semblables au nôtre. Nous avons eu le sentiment qu'il y avait des opportunités à saisir dans la manière dont les Pays-Bas, par exemple, comme l'a remarqué avec pertinence M. Pierre Léautey, établissent les normes de sécurité contre les incendies sur le temps d'évacuation des bâtiments et non pas sur l'installation obligatoire d'issues de secours d'une largeur déterminée et à des endroits qui peuvent brider la création architecturale.

Mme Dominique Nachury a relevé le pragmatisme de notre rapport, qui ne remet en cause aucun des fondements du cadre d'exercice de l'architecture, qu'il s'agisse des normes, du concours ou du seuil imposant le recours à un architecte. Parce que les membres de cette mission sont des élus de terrain, notre rapport a pour but de libérer la création architecturale en rendant le cadre de son exercice clair et compréhensible et non pas en posant une doctrine officielle de l'art de bâtir. Nous nous sommes ainsi intéressés à la réhabilitation patrimoniale des bâtiments désaffectés ou en mauvais état, qui est un enjeu majeur. Je déplore que des bâtiments du XXe siècle soient désaffectés ou en mauvais état et que des bâtiments construits à l'étranger par des architectes français aient été vendus dans un état dégradé, au détriment de l'exportation de notre architecture.

M. Rudy Salles a posé des questions précises. Nous soutenons les zones franches architecturales, parce qu'elles permettent d'appliquer des dérogations, contrôlées par l'État et les élus, qui favorisent la qualité de la création, encouragent l'innovation et les expérimentations. M. Benoist Apparu a, à ce propos, salué notre proposition n° 33 qui appelle à relancer les réalisations expérimentales (REX). Le rapport n'entre pas dans le détail du régime des zones franches architecturales mais souhaite que ces réalisations soient expérimentales et réservées à des zones bien délimitées pour qu'elles servent de référence.

À l'issue de nos débats, nous n'avons pas remis en cause les partenariats public-privé (PPP), mais nous avons souhaité revenir à l'esprit de l'ordonnance de 2004 qui les prévoit. Je rappelle que cette ordonnance exigeait que la réalisation de ces opérations présente un caractère exceptionnel ou d'urgence. L'appréciation de ce caractère a donné lieu à des dérives, constatées par tous, accentuées par la modification législative intervenue il y a cinq ans. Nous souhaitons revenir sur cette modification et rendre à l'architecte un rôle central dans ces partenariats, qui n'a pas toujours été le sien. Le rapport propose d'imposer le recours à deux architectes, l'un exerçant ses fonctions auprès du constructeur privé, l'autre exerçant celle d'architecte-conseil aux côtés des pouvoirs publics à l'initiative du partenariat, pour leur permettre de suivre l'opération après la signature du contrat de partenariat. Trop souvent, une fois le contrat signé, le promoteur privé s'en occupe seul et les pouvoirs publics disparaissent.

Nous ne sommes pas opposés au recours au « crowdfunding », qui présente un intérêt si la levée de fonds privés atteint un niveau suffisant.

Nous avons souhaité réserver une partie de la commande publique à des projets ambitieux qui ont fait sa force. Il ne s'agit pas seulement de la construction de bâtiments iconiques, mais aussi de celle de logements ambitieux par une architecture du quotidien. Cette commande doit retrouver sa force et sa pertinence parce qu'elle est la locomotive de la création architecturale. En résumé, nous souhaitons revitaliser l'esprit de la loi de 1985 sur la commande publique.

J'ai répondu par anticipation à Mme Barbara Pompili sur les normes. Je lui redis que nous ne demandons pas l'assouplissement des normes environnementales, que ce soit celles des 50 kwh, de la haute qualité environnementale ou des bâtiments à énergie positive, que nous avons tant de plaisir à inaugurer dans nos fonctions municipales – ce qui nous placerait à contre-courant –, mais nous recommandons leur application cohérente, intelligente et simplifiée. Par ailleurs, nous partageons votre regard critique sur les PPP.

Nous appelons de nos voeux le regroupement des architectes en petites agences, afin qu'ils se prennent en charge et structurent leur profession, comme le font les plus jeunes, en collectifs réunissant des architectes, des urbanistes, des paysagistes et des techniciens en énergie très pointus, de manière à occuper l'ensemble du champ du projet architectural.

L'architecture n'en reste pas moins un acte politique que nous assumons, non pas seulement par la construction de bâtiments iconiques, que nos concitoyens retiennent dans l'architecture contemporaine parce qu'ils sont médiatisés, mais par une architecture du quotidien, qui réponde à l'enjeu majeur de la construction de 500 000 logements, en conciliant quantité et qualité, en répondant aux normes environnementales et en évitant des dérives observées dans les années 1950 et 1960.

Mme Sophie Dessus a parlé avec passion du désir de libérer l'architecture en le comparant à la libération des femmes. Il ne faut cependant pas stigmatiser ceux qu'elle a qualifiés de « normaliens » – qui n'ont rien de commun avec les anciens élèves de l'École normale supérieure ! Nous avons encouragé, dans ce rapport, la création architecturale contemporaine à laisser une trace, en posant le patrimoine de demain.

M. Patrick Hetzel a salué le consensus de la mission. Nous n'avons pas cherché un accord à tous prix, Mme Dominique Nachury et M. Michel Herbillon peuvent en témoigner. Ce sont les auditions qui nous ont conduits aux mêmes constats et aux mêmes solutions. À propos de notre proposition n° 8 de rééquilibrer la présence des écoles d'architecture sur le territoire, M. Hetzel a estimé qu'il y en avait un peu partout : ce n'est pas tout à fait le cas, comme le montre la carte figurant dans le rapport, alors que ces écoles contribuent au rayonnement de l'architecture sur leur territoire. Nous pourrions peut-être parvenir à ce rééquilibrage à l'occasion de la réforme territoriale en cours, mais je ne voudrais pas évoquer un sujet aussi polémique à propos d'un rapport si consensuel.

Nous appelons, comme M. Hetzel, au développement du volet économique et managérial de la formation dispensée dans ces écoles. Nous recommandons l'allongement de la durée d'habilitation et de la présence des élèves architectes dans les écoles, où ils doivent aussi pouvoir suivre des cours de langues afin d'être performants et concurrentiels sur les marchés étrangers. Cette proposition peut paraître surprenante mais la maîtrise des langues est, avouons-le, souvent un handicap pour nos architectes à l'étranger.

Sur le conflit entre les projets souvent innovants de construction neuve et la vision qu'ont les architectes des bâtiments de France de la conservation du patrimoine et de l'application des règles architecturales à la création contemporaine, nous renouvelons notre confiance à ces architectes qui ont un rôle essentiel à jouer, en dépit des tentatives de le remettre en cause qui resurgissent à chaque examen d'un projet de loi sur l'urbanisme ou le logement.

M. Pascal Deguilhem a évoqué la question des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Il ne s'agit pas de les substituer aux élus. Nous considérons simplement que les élus des petites communes et les agents publics qui instruisent les documents d'urbanisme (PLU) et les permis de construire doivent pouvoir bénéficier de leurs conseils et de ceux des maisons de l'architecture. La loi du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux a prévu que des crédits de formation soient alloués dans chaque collectivité à la formation des élus chargés de l'urbanisme et du logement. Cette formation nous paraît indispensable. Nos propositions n°s 22 et 23 préconisent de la développer. Comme vous l'avez compris dans mon propos, nous considérons que la création architecturale concerne tous les territoires, qu'ils soient urbains ou ruraux.

Nous avons abordé, sans dogmatisme, la question du seuil légal imposant le recours à un architecte. Sans le remettre en cause, nous avons souhaité le simplifier pour qu'il s'applique, comme auparavant, à partir de 150 mètres carrés de surface de plancher. J'ai bien entendu ce qu'a dit M. Benoist Apparu à ce sujet. Nous n'avons pas souhaité abaisser ce seuil afin de ne pas imposer le recours à un architecte dans tous les projets de construction, par une démarche coercitive qui irait à l'encontre de notre désir de susciter une envie d'architecture. Nous n'avons pas considéré que ce seuil était un frein essentiel à la création architecturale ni au recours à l'architecte.

S'agissant de la tutelle ministérielle de l'architecture, nous n'entrons pas dans le débat de la réforme de l'État, dont nous laissons le soin à ceux qui en sont chargés. Constatant néanmoins que la nouvelle organisation du ministère de la culture a placé la direction de l'architecture dans l'une de ses 3 directions générales, la direction générale des patrimoines et que trois ministères, celui de la culture, historiquement, celui de l'urbanisme et du logement et celui de l'environnement, de plus en plus fortement, sont concernés par les enjeux architecturaux, nous proposons, pour traduire cette transversalité – après un long développement sur la problématique de la tutelle ministérielle dans les pages 30 et 31 du rapport –, la création d'une délégation interministérielle à l'architecture, placée auprès du Premier ministre.²

M. Benoist Apparu a également évoqué les risques de contentieux si l'on allège les contraintes de moyens : nous pensons au contraire que des normes architecturales simples, faciles à appliquer et cohérentes permettront de limiter les contentieux et de porter une création architecturale ambitieuse.

Nous nous sommes, en effet, inspiré de l'exemple de Rotterdam pour notre réflexion sur les règles en matière de gabarit, la réalisation des projets par volume et non par alignement, hauteur ou retrait, afin de créer des marges de manoeuvre pour la création.

Madame Marie-Odile Bouillé vous avez évoqué les coûts globaux des honoraires, c'est pourquoi la mission a fait le choix de recommander la transparence.

Je suis ravi, Madame Martine Faure, que vous ayez vu de la poésie dans ce rapport ! Vous avez pointé ce qu'un article de Télérama qualifiait de « France moche », à savoir les entrées de ville, les zones pavillonnaires, les zones d'activité qui enlaidissent le paysage. La nécessité pour nos concitoyens de se loger et leur appétence à posséder une maison individuelle, synonyme d'un projet de vie, comme le besoin quantitatif de logements doivent pouvoir s'inscrire dans une démarche de qualité et de beauté architecturale.

Mme Martine Faure a également évoqué, comme Mme Sandrine Doucet, l'enjeu éducatif. La mission a fait sienne les dix propositions du rapport de M. Vincent Feltesse sur l'enseignement supérieur et la recherche en matière d'architecture, remis le 8 avril 2013 à la ministre de la culture, dont la nécessité de donner un statut d'enseignant-chercheur aux enseignants des écoles d'architecture et de renforcer la formation continue des architectes, nécessaire en raison de l'évolution rapide de la réglementation et des techniques.

L'éducation nationale a un rôle essentiel à jouer, à la fois lors du temps périscolaire – l'architecture pouvant s'appréhender au même titre que la musique, la danse ou le théâtre, qui sont autant d'éléments de notre culture partagée –, mais aussi durant les cours. Il est paradoxal que les élèves soient sensibilisés aux architectures du passé, égyptienne ou gréco-romaine, en sachant distinguer les ordres des colonnes antiques, sans qu'un lien soit établi avec la création contemporaine. Il s'agit donc de les familiariser à l'architecture. Le premier dessin d'un enfant n'est-il pas celui d'une maison avec une cheminée qui fume, un arbre symbolisant le paysage et un soleil traduisant l'orientation, propice à la prise en compte des questions d'énergie ? Mme Sandrine Doucet a d'ailleurs indiqué que le Conseil supérieur des programmes travaille sur ce sujet.

Je remercie M. Yves Daniel d'avoir évoqué la restauration de sa chapelle qui est symptomatique des enjeux de la réhabilitation. Comment appréhender un patrimoine ancien et le réhabiliter, le préserver voire, par un dialogue, lui conférer un autre usage, plus contemporain ? Dans les petites communes, cela suscite de vrais débats, la population étant attachée à son patrimoine, religieux ou autre, synonyme de son identité sur un territoire.

Pour conclure, j'ai déjà évoqué la question du paysage soulignée par Mme Sandrine Doucet et l'exemple de Bordeaux, à l'initiative sur ce sujet dès 1991 ; en effet le paysage est un élément important car l'architecture ne peut se concevoir sans son environnement. Faisons en sorte de rendre la France plus belle et que l'architecture y soit libérée et désirable !

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