COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 2 juillet 2014
La séance est ouverte à neuf heures trente.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)
La commission procède à l'examen, ouvert à la presse, du rapport d'information de M. Patrick Bloche en conclusion des travaux de la mission d'information sur la création architecturale.
Mes chers collègues, je me fais le porte-parole des membres de la mission en associant, plus particulièrement, s'ils me le permettent, les deux vice-présidents de la mission ici présents, Mme Dominique Nachury et M. Pierre Léautey, très investis dans les travaux de la mission, comme notre collègue Mme Sophie Dessus, qui nous a apporté également son vécu corrézien. Ce rapport et ses propositions nous sont communs.
La mission dont nous avons ensemble décidé la création, en décembre dernier, a commencé ses travaux au mois de janvier, il y a six mois, et a procédé à plus de 50 heures d'auditions et de tables rondes ; elle a aussi effectué 3 déplacements, tout aussi passionnants les uns que les autres, en Loire-Atlantique – à Nantes et Saint-Nazaire – où nous avons eu la joie d'être accompagnés par notre collègue Mme Marie-Odile Bouillé, à Lyon, sur le site de Confluence et à Rotterdam, aux Pays-Bas. Ces travaux nous ont permis de rencontrer l'ensemble des acteurs de l'architecture : des architectes, bien sûr – nous avons rencontré et auditionné 61 architectes : 55 Français et 6 d'autres nationalités – mais aussi des représentants de leur ordre, de leurs syndicats, de leurs associations ; des juristes également, des représentants des différentes administrations compétentes, des maîtres d'ouvrage, des ingénieurs, des constructeurs. Cette mission s'est révélée particulièrement riche d'enseignements et aussi passionnante que l'ont été nos interlocuteurs. Je crois traduire là notre sentiment collectif. D'ailleurs, le rapport que je vous présente et qui a été adopté hier, à l'unanimité, par notre mission, rend largement compte des échanges que nous avons eus avec eux. Nous avons voulu restituer dans ce document beaucoup de ce qui nous a été dit, y compris des apports pouvant être contradictoires, mais il nous appartient, comme représentants de la Nation, d'arrêter notre position et d'en tirer des propositions.
Aussi, à l'issue de ces six mois de travaux, je souhaiterais vous présenter maintenant les principales conclusions du rapport, dont, je l'espère, vous accepterez la publication.
Nous tirons de nos travaux plusieurs constats :
D'abord, il semble nécessaire de faire naître, au sein de la population, chez nos concitoyennes et concitoyens, un véritable désir d'architecture.
L'intervention des architectes sur le cadre bâti est aujourd'hui très limitée, et la majorité des constructions – 66 %, chiffre conséquent – sont réalisées sans leur concours. De fait, la création architecturale semble aujourd'hui centrée sur la commande publique des grandes villes, les grands équipements culturels et le logement social ; les constructions privées, en particulier individuelles, échappent très largement aux architectes ou ne leur permettent pas d'exercer leur art dans des conditions propices à la création. Et cette situation a des conséquences, que nous pouvons tous constater dans nos circonscriptions, sur la qualité globale du bâti français, comme en témoignent les zones pavillonnaires, les entrées de villes, les zones d'activités, etc.
Une première série de propositions vise donc à susciter un désir d'architecture au sein du grand public. En effet, il est apparu que le véritable problème résidait, non pas dans l'existence d'un seuil au-delà duquel le recours à l'architecte est obligatoire, mais bien plus dans le manque d'appétence du public pour l'architecture. De ce fait, nous avons souhaité faire un certain nombre de propositions visant à développer la culture architecturale du grand public, afin de l'inciter à recourir plus souvent à un architecte.
Il faut, tout d'abord, commencer par susciter un désir d'architecture dès l'enfance, préoccupation en accord avec les compétences de notre commission des affaires culturelles et de l'éducation, en développant les activités périscolaires sur ce thème et l'intervention des professionnels de l'architecture au sein des écoles. Il convient également de sensibiliser le grand public, en confortant l'action des maisons de l'architecture – par exemple en développant les résidences d'architecte, comme il existe des résidences d'artistes – et des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Enfin, il faut faciliter les démarches des particuliers qui recourent à un architecte par la mise en place d'un permis simplifié et de prêts bonifiés. De telles mesures, incitatives, permettraient d'encourager le recours à l'architecte en-dessous du seuil réglementaire, dont nous souhaitons simplifier le calcul en le ramenant à 150 mètres carrés de surface de plancher.
Nous nous sommes également aperçus que la formation des architectes, bien qu'elle se soit largement améliorée ces dernières années, comporte encore quelques lacunes auxquelles il conviendra de remédier. Notamment, pour faciliter l'exercice professionnel du métier, y compris à l'étranger, il est absolument nécessaire d'allonger la durée de l'habilitation à la maîtrise d'oeuvre en son nom propre pour permettre aux jeunes architectes d'acquérir davantage de connaissances en matière de gestion d'agences et de projets ; il importe également que les jeunes architectes maîtrisent au moins une langue étrangère à l'issue de leurs études pour pouvoir mieux s'insérer sur le marché de l'emploi, national et international. Par ailleurs, il faut également assurer le développement de la formation continue qui, comme dans toutes les professions libérales, fait ici défaut. Enfin, la profession doit absolument adapter sa structuration aux nouveaux enjeux de l'architecture ; c'est pourquoi nous proposons de favoriser le regroupement des architectes au sein de collectifs. Toutes ces mesures visent à ce que les professionnels soient en mesure de répondre au désir d'architecture que nous entendons susciter. Nous appelons de nos voeux une mobilisation et une prise de responsabilité des architectes.
Il nous est en outre apparu que l'architecte avait quelque peu perdu la maîtrise du projet architectural. Si la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée (n° 85-704 du 12 juillet 1985), dite loi « MOP », lui assure, dans le cadre de la commande publique, des missions complètes, tel n'est pas le cas de la commande privée, ou de la commande publique dérogatoire qui s'est développée au cours des dernières décennies.
Aujourd'hui, les architectes se sentent marginalisés. Et cela commence dès la phase du concours qui, étant intégralement anonyme, ne permet pas à l'architecte de défendre son projet. Si le concours d'architecture est unanimement reconnu comme étant le meilleur moyen de sélectionner un projet, il est aujourd'hui trop complexe et peu ouvert aux jeunes talents.
C'est pourquoi plusieurs de nos propositions visent à récréer un dialogue entre l'architecte et le maître d'ouvrage. Le concours doit être réformé : plus simple, plus ouvert aux jeunes architectes, il doit aussi être le lieu du dialogue autour du projet. Pour cela, il importe d'aménager la règle de l'anonymat issue du droit européen, comme le font d'ailleurs d'autres pays ; appliquée de façon trop rigide, elle donne lieu à de nombreuses incompréhensions et déceptions entre l'architecte et le maître d'ouvrage.
C'est la même volonté qui a animé nos propositions sur les partenariats public-privé et les autres formes de dérogations à la loi MOP. Il importe de limiter ces exceptions au strict nécessaire et, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, de faire en sorte que l'architecte reprenne sa place dans le triumvirat constitué par le maître d'ouvrage, le maître d'oeuvre et le constructeur. Concrètement, l'architecte doit se voir confier des missions complètes, allant de la conception à la réalisation.
C'est aussi au maître d'ouvrage de favoriser la création architecturale. En particulier, les maîtres d'ouvrage publics doivent être formés et conseillés, ce qui suppose le renforcement des dispositifs existants, notamment des CAUE. Mais il importe également d'associer étroitement les usagers – la maîtrise d'usage – le plus en amont possible du projet, comme le prévoient d'ailleurs les textes récents. Dans ce contexte, il conviendra de s'inspirer des bonnes pratiques que notre rapport a souhaité mettre en lumière.
Enfin, nous avons acquis la conviction que les nombreuses normes qui entourent la construction étouffent véritablement la création architecturale. Pléthoriques, complexes et parfois contradictoires, les normes sont, en pratique, difficilement applicables dans leur totalité. Or nous sommes pour une application totale et égalitaire du droit… Elles sont aussi en partie responsables de la standardisation croissante du bâti français : on construit ainsi le même appartement T3 d'un bout à l'autre de la France.
C'est pourquoi nous formulons plusieurs propositions pour créer un cadre juridique plus favorable à l'innovation et à la création architecturales. Il importe, de façon générale, de changer radicalement de logique et de faire le « pari de l'intelligence » : au lieu d'imposer des moyens techniques, il faut donner aux constructeurs des objectifs à atteindre, pour redonner du sens au travail de l'architecte. En matière d'urbanisme, il faut rendre possibles les dérogations, soit dans une zone limitée, par la création de zones franches architecturales, soit pour une construction particulièrement audacieuse du point de vue architectural. En matière de handicap, c'est la recherche de la plus grande valeur d'usage possible pour tous qui doit guider l'élaboration des normes. La création architecturale suppose également que la recherche et l'expérimentation soient largement encouragées dans ce domaine.
Enfin, l'architecte doit se saisir des défis de la ville de demain, numérique et intelligente, et de l'aménagement durable du territoire en respectant l'égalité des territoires à laquelle nous sommes attachés : la création architecturale vaut partout en France, où que l'on se trouve. Les architectes doivent ainsi prendre une part plus grande à la réhabilitation et à la transformation du bâti existant ainsi qu'à la rénovation énergétique. Ils doivent, aux côtés des maîtres d'ouvrage, oeuvrer à la reconstruction de la ville sur elle-même. Les architectes doivent se dire qu'aujourd'hui réaliser ou exprimer leur talent ne passe pas uniquement par des constructions neuves, mais aussi dans la réhabilitation de l'existant, l'attachement à notre patrimoine étant un élément fondateur de notre identité collective.
Ces réflexions, chers collègues, se traduisent bien sûr par un certain nombre de propositions concrètes, 36 exactement, qui résument ce que nous avons voulu porter à travers ce rapport, à mettre en oeuvre par la loi ou non, pour aller au-delà de la simple déclaration d'intention. Voilà résumé le travail passionnant et utile, je l'espère, que nous avons collectivement accompli au sein de notre mission.
Je souhaite, avec votre accord, dédier plus particulièrement ce rapport à notre collègue Pierre Léautey, dont le mandat de député prend fin aujourd'hui.
Au nom du groupe SRC, je voudrais tout d'abord vous remercier, monsieur le Président, pour la passion avec laquelle vous avez mené cette mission, mais aussi pour la qualité des personnes auditionnées, la richesse des débats que vous avez animés et pour les déplacements que vous avez organisés, compléments indispensables et utiles aux auditions. Le rapport que vous nous présentez réalise une synthèse équilibrée et forte de pas moins de 36 propositions, pour que la création architecturale soit à la fois libérée et désirée. L'architecture est aujourd'hui une profession qui souffre, une profession qui est malade, ce qui pénalise les architectes, mais aussi notre quotidien et notre environnement à tous. Il y a peu d'architectes en France, mal utilisés, mal rémunérés, alors que ce n'est pas une fatalité comme en témoignent de nombreux pays.
Il en résulte pour nous un environnement qui nous apparaît trop souvent normalisé, fade et sans saveur, sans ambition, sans geste architectural fort et qui donne à nos quartiers le sentiment d'une vie quotidienne morose. Il y a de nombreuses façons de concevoir et d'exercer ce métier, chaque audition nous a permis de le constater. L'architecture est en effet une discipline transversale qui fait appel à de nombreuses expertises. Nos 36 propositions s'adressent ainsi à de nombreux acteurs, qu'il s'agisse des architectes eux-mêmes, mais aussi de leurs partenaires, des écoles d'architecture, des métiers du bâtiment, de l'exécutif ou du législatif. À chacun, selon son approche, de s'approprier ce rapport, d'y trouver matière à évolution, pour toujours mieux s'adapter, pour développer ce désir pour la création architecturale, en sachant toutefois que le réglementaire et le législatif ne peuvent pas tout. C'est, au premier chef, à la profession de s'organiser et d'évoluer, afin que chacun soit convaincu que d'avoir recours à un architecte ce n'est pas prendre le risque d'un coût élevé ni celui de réaliser un projet qui plaira davantage à l'architecte qu'à l'utilisateur.
Dans les propositions énoncées, toutes n'ont pas la même importance. Si chacune se justifie pleinement, j'ai été particulièrement sensible à certaines d'entre elles. Tout d'abord et pour faciliter le recours à un architecte, le fait de contrer tout ce qu'induit dans notre culture le paiement des honoraires sous forme de pourcentage. La proposition qui préconise de mettre en avant le coût global du projet me semble à même de lever un frein important de motivation du refus. De même, une formation renforcée à la réhabilitation et à la transformation du bâti existant, évoquée lors de votre présentation, répondrait positivement à un marché en plein développement, à l'heure où il faut lutter contre l'étalement urbain et inventer de nouvelles formes de densification urbaine. Cette formation permettrait de rompre avec l'idée, trop répandue aujourd'hui, selon laquelle il faut détruire l'ancien pour construire du neuf standardisé en se privant, en conséquence, d'un patrimoine original et agréable à vivre.
De façon vraiment unanime, nos interlocuteurs ont évoqué le poids des normes qui tue la création. La somme des normes aboutit à construire le même logement partout en France. La proposition n° 28 aborde la question de façon intéressante et non frontale en ne remettant pas en cause les normes mais en laissant la possibilité de passer de l'obligation de moyens à l'obligation de résultats et en donnant toute sa place à l'intelligence et au bon sens. À l'heure où l'on parle de choc de simplification, c'est un chantier dans lequel beaucoup reste à faire.
En ce qui concerne la commande publique et les concours, la levée partielle de l'anonymat, permettrait, dans un dialogue préalable, de lever les risques d'un projet et éviterait nombre de difficultés, en s'assurant de l'adéquation indispensable entre l'esprit d'un projet porté par une collectivité et celui en charge de le traduire sous forme d'esquisse. Toujours dans ce domaine, la proposition visant à faciliter l'accès au concours à des candidats sans références est la bienvenue, en donnant des perspectives aux jeunes architectes et en évitant aussi, à certains anciens, de s'enfermer et de s'user dans la réalisation de projets toujours identiques.
Ce rapport, monsieur le Président, beaucoup l'attendaient, il remplit un vide, car cela faisait trop longtemps que la commission ne s'était pas interrogée sur la création architecturale. Il doit, à mon avis, être très largement diffusé, et je ne doute pas qu'il restera un document auquel chacun pourra se référer.
Au nom du groupe UMP, je remercie monsieur le Président-rapporteur pour sa restitution synthétique et dynamique du rapport d'information sur la création architecturale et donc des travaux de la mission.
En tant que groupe de travail, la mission a organisé une cinquantaine d'heures d'audition, rencontré 61 architectes, avec surtout le souci de s'appuyer sur le concret, sur le terrain, sans dogme préalable, sans objectif d'aboutir à une doctrine officielle de l'art de bâtir, comme vous l'écrivez dans l'introduction du rapport.
Schématiquement, 3 constats, un peu redondants : il apparaît nécessaire de provoquer au sein de la population un désir d'architecture ; l'architecte a perdu une partie de la maîtrise du projet architectural, notamment dans la commande privée ; de trop nombreuses normes entourent la construction et freinent l'architecture.
Sur les solutions possibles : le rapport porte 36 propositions d'importances différentes dans leur ampleur et les possibilités ou les difficultés de leur mise en oeuvre. Nous y adhérons globalement en reconnaissant qu'un approfondissement serait nécessaire, comme par exemple en matière de réduction et de simplification des normes qui s'imposent à la construction. Quid des PLU, des normes d'accessibilité qui ne sont pas sans poser problème ? De même, quand on parle de qualité architecturale avérée, qui en juge ?
Sur l'après-rapport, l'après-mission, nous avons auditionné Madame la ministre de la culture, dont les propos et les propositions semblaient plutôt aller dans le même sens. Elle annonce une loi sur les patrimoines pour le début de l'année 2015, il faudra se servir de la matière contenue dans ce rapport. Certains sujets sont plus en lien avec les compétences de notre commission en matière d'éducation, comme la formation des publics – de tous les publics et notamment des plus jeunes – à l'architecture et à l'espace public et la réforme, qui semble nécessaire, de la formation des architectes et donc des écoles d'architecture. Il serait bien que nous puissions suivre ces sujets dans la durée, sous une forme qui reste à déterminer, afin d'assurer une continuité à nos travaux.
Enfin, je voudrais insister sur la réhabilitation, qui est un champ intéressant à explorer et à promouvoir, parce qu'elle valorise le patrimoine existant et fait le lien entre le passé, le présent et le futur, parce qu'elle fait le lien avec la création, et parce qu'elle permet l'innovation, notamment dans le domaine des matériaux. Elle devrait donc pouvoir bénéficier d'aménagement des normes et d'accompagnement spécifiques.
En complément, M. Jean-Michel Wilmotte nous a alertés, lors de son audition par la mission, sur la « campagne » de vente des bâtiments français à l'étranger ; nous pourrions nous associer à cette préoccupation et souligner le problème que ces mesures peuvent poser à la présence de la France mais aussi de son architecture à l'étranger.
En conclusion, je vous remercie encore, monsieur le Président, pour ce rapport, et vous demande d'excuser M. Michel Herbillon, qui est en déplacement pour une autre mission mais a, lui aussi, activement participé aux travaux de la mission et m'a dit adhérer à l'ensemble des conclusions de ce rapport.
Nous regrettons l'absence de notre collègue M. Michel Herbillon qui a été particulièrement assidu aux travaux de la mission et dont l'expérience de praticien – en tant que maire de Maisons-Alfort – a été particulièrement précieuse. Néanmoins cette absence est pour la meilleure des causes puisqu'elle est due à un déplacement d'une autre mission d'information.
La création architecturale est au coeur du rayonnement culturel de la France. Elle est le visage de son histoire séculaire, l'expression d'un génie créatif qui a façonné nos villes et nos paysages et l'incarnation de son identité singulière. Elle est enfin un moteur de développement économique puisqu'elle contribue à renforcer notre attractivité touristique. Il était, par conséquent, pertinent qu'une mission d'information étudie l'évolution récente de la création architecturale française en vue d'apprécier sa situation en France et dans le monde entier, et d'identifier les éventuels freins structurels au rayonnement architectural français ainsi que les modifications législatives et réglementaires propres à les lever.
Je tiens, au nom du groupe UDI, à saluer la qualité des travaux qui sont aujourd'hui présentés à notre commission. Ils se sont notamment nourris de l'expertise des représentants des institutions et des organismes professionnels des architectes et des urbanistes, des grands acteurs de la construction et de la maîtrise d'ouvrage, des personnalités qualifiées, et constitueront une contribution utile pour valoriser notre création architecturale. Je souhaitais plus particulièrement vous interroger sur trois points.
La mission d'information propose de créer des zones franches architecturales bénéficiant de règles d'urbanisme simplifiées et promouvant la création architecturale sur l'ensemble du territoire. Pourriez-vous nous préciser selon quels critères seraient délimitées ces zones et selon quelle méthode vous comptez impliquer les acteurs locaux pour les définir ?
La mission d'information suggère de renforcer le rôle des architectes dans le cadre des partenariats public-privé, qui connaissent aujourd'hui une décrue importante. Si ces propositions semblent pertinentes, ne faudrait-il pas pour autant envisager de nouvelles formes de montages pour promouvoir la création architecturale ? Je pense notamment au « crowdfunding » qui présenterait un double intérêt : permettre de lever des fonds pour réaliser les projets qui présentent de vraies qualités architecturales et associer la population, notamment au niveau local, à la définition et à la réalisation de ces projets.
Enfin, la mission d'information préconise l'élaboration d'une stratégie nationale de la commande publique. Je souhaiterais que vous nous précisiez ce que pourrait recouvrir une telle proposition et s'il est notamment envisagé de réserver une partie de la commande publique à des projets présentant un intérêt architectural particulier.
Je n'ai malheureusement pas pu participer autant que souhaité aux travaux de la mission d'information mais je souhaite saluer le sérieux avec lequel celle-ci a mené ses auditions et ses réflexions. J'en profite aussi pour saluer l'initiative, car l'architecture est bien une expression de la culture qui ne doit pas être réservée aux grands équipements publics mais se diffuser un peu partout, y compris dans l'habitat individuel et collectif. Je partage complètement le constat de ce rapport : nous aurions besoin de provoquer « un désir d'architecture » y compris dans l'habitat quotidien. Les préconisations de ce rapport sont donc particulièrement utiles. Par exemple, en matière d'éducation, relancer et restructurer la formation initiale et continue en architecture semble, en effet, être une nécessité. Pour diffuser le goût et l'intérêt pour l'architecture, la réforme des rythmes scolaires pourrait aussi être un levier. Je pense aux projets pédagogiques que cette réforme doit permettre, dont certains pourraient, par exemple, être construits en lien avec l'architecture.
Dans un tout autre domaine, les mesures préconisées en faveur des petites agences ou des jeunes architectes sont aussi à retenir. Et je partage aussi les doutes émis sur les partenariats public-privé. Les scandales liés à des constructions sous partenariats public-privé devraient conduire à une véritable remise en cause de ces dispositifs qui constituent une manne financière pour de grands groupes du BTP mais représentent un surcoût pour les collectivités.
Sur la question des normes : si nous partageons le constat problématique de la standardisation du bâti et des difficultés à « innover », nous sommes plus dubitatifs quant à la nécessité d'assouplir les normes. Il faut trouver des solutions pour que les normes ne brident ni la créativité ni l'inventivité des architectes. Il ne faut pas nier qu'une meilleure lisibilité est nécessaire, pour permettre aux architectes d'en avoir plus facilement connaissance et que celles-ci ne soient pas vécues comme des contraintes bloquantes. S'intéresser aux dérives normatives émanant des professionnels du bâtiment, comme le préconise le rapport, est une piste à creuser. Il en va de même de la nécessité de lever les contradictions. Mais, si fixer des objectifs, sans préciser les moyens, peut peut-être permettre de renouer avec l'innovation, cela ne saurait se faire au prix d'un niveau d'exigence revu à la baisse ! N'oublions pas que les normes ont un rôle et qu'elles doivent et peuvent être, elles-aussi, facteur de créativité. L'idée de bâtiments évolutifs, par exemple, peut sembler intéressante mais l'accessibilité universelle demeure l'objectif. Le retard de la France est dramatique et nous ne pouvons plus continuer à exclure de la société et de la citoyenneté une partie de la population. Ces normes transcrivent certains besoins et doivent donc être respectées.
Assouplir les normes peut être envisagé mais cela fait aussi résonner des inquiétudes car, la plupart du temps, elles sont des réponses à des besoins sociaux comme la protection de l'environnement mais aussi le développement durable ou la transition énergétique. Remettre en question la réglementation thermique n'est pas sans soulever des craintes puisque l'architecture doit impérativement se saisir de cet enjeu de la transition énergétique en proposant des constructions innovantes : isolation, utilisation de l'énergie solaire et du vent, exposition du bâti, végétalisation des murs et des toitures, bâtiment basse consommation ou même à énergie positive.
Les exemples innovants existent à l'étranger mais aussi en France. Nous attendons aussi que les architectes soient force de proposition, car bâtir l'avenir, et le bâtir durablement, doit être au coeur des préoccupations de ce métier et la transition écologique s'impose donc, avec ou sans normes d'ailleurs ! Il aurait été opportun de développer davantage ces aspects dans ce rapport, car l'innovation architecturale est désormais indissociable des enjeux de la transition écologique.
D'ailleurs, je souscris pleinement à l'analyse en conclusion selon laquelle l'architecture est un acte politique, ce qui exige une articulation étroite avec les enjeux liés à la protection de l'environnement et à la transition énergétique mais aussi avec la politique de la ville et les plans d'urbanisme : je pense à la nécessité de lutter contre la pénurie de logements, à la mixité sociale, ou encore à la cohérence urbanistique.
Ces articulations entre architecture et politiques publiques sont essentielles. Et les normes y contribuent, ce qui peut rendre les projets architecturaux d'autant plus intéressants. Je pense à certains projets d'écoquartiers comme le quartier Vauban à Fribourg-en-Brisgau en Allemagne, ou l'ancienne caserne de Bonne à Grenoble.
En créant une mission d'information sur la création architecturale, notre Président soupçonnait-il jusqu'où il allait nous emmener ? Si certains avaient des doutes, les mots choisis pour intituler le rapport – désir et liberté – en témoignent. Nous avons eu, tout d'abord, le désir de poursuivre les échanges passionnants et époustouflants que nous avons eu avec les architectes et qui nous ont rappelé que l'on vit dans un pays où l'architecture a été, est, et doit rester synonyme de la puissance de la Nation. Mais nous avons aussi le désir de susciter chez tous les citoyens l'idée que vivre dans une cage à poule ou un empilement de lego n'est pas une fatalité, le désir de former le public comme les professeurs afin de faire en sorte que la création architecturale soit accessible à tous et que nous soyons conscients que l'habitat, la ville, le paysage dans lequel on vit ont une influence importante sur notre état d'esprit et notre façon d'être, le désir d'informer et de sensibiliser en s'appuyant sur les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), en les renforçant dans la future loi relative au patrimoine et le désir de lire, d'ouvrir les yeux sur les paysages, sur le monde qui nous entoure afin de respecter et faire évoluer les territoires et d'envoyer les architectes sur le terrain.
De même que Coco Chanel a libéré les femmes en jetant leur corset aux orties – et vous savez ce qui s'en est suivi dans l'histoire des femmes –, il faut libérer l'architecture du carcan des normes. Cet empilement est devenu ubuesque au point de ne plus être aux normes. Il faut que ce rapport permette de mettre fin à l'ère des fabricants de normes, les « normaliens », pour dérouler le tapis rouge aux architectes, à leur imagination, à leurs envies de nous faire mieux vivre, à leur devoir de réhabiliter notre territoire. La création c'est le patrimoine de demain. La réhabilitation c'est redonner sa place à une économie touristique, patrimoniale et historique. En adaptant l'adage populaire « dis-moi ce que tu construis, je te dirais dans quelle société tu vis », je dirai que cette mission ne doit pas être un dossier de plus qui sera disposé sur une étagère poussiéreuse, c'est une porte qui s'entrouvre pour redonner envie d'être fier de notre pays, de notre culture, de redonner confiance dans l'avenir, c'est faire entrevoir que l'architecture est aussi la vitrine de la France, de son activité et de sa créativité. Emparons-nous de ce dossier et de ses propositions et faisons le connaître sur le terrain, c'est notre devoir.
Je salue le fait que de tels sujets fassent l'objet d'un consensus parmi les députés et je salue le travail de la mission. La place de l'architecture est, en effet, essentielle et elle est un élément important du rayonnement de la France : or, il existe paradoxalement peu de rapport sur ce sujet.
Je souhaite revenir sur trois points. En premier lieu, je suis intrigué par la proposition n° 8 qui est de rééquilibrer la répartition des écoles nationales supérieures d'architecture sur tout le territoire. Je pensais que la situation était satisfaisante. Quel est l'objectif poursuivi ? Par ailleurs, s'agissant du contenu de la formation, on demande de plus en plus de choses aux architectes et je pense qu'un meilleur équilibre a été trouvé au sein de leur formation dans d'autres pays, comme les pays anglo-saxons, avec les enseignements de type managérial. Enfin, je constate que les architectes des bâtiments de France ont souvent une vision restrictive qui bride l'intervention de leurs collègues plus audacieux parce qu'ils « sur-interprètent » la législation.
L'architecture est l'expression de la culture et les réalisations contemporaines apportent une pierre à l'édifice patrimonial.
Je voudrais faire deux remarques. Les propositions n°s 22 et 23 du rapport tendent à renforcer la mission de conseil des CAUE, présents sur la totalité du territoire. Or, on ne mesure pas toujours les effets de leurs interventions sur les réalisations et la qualité, très souvent discutable, du bâti. C'est pourquoi je m'interroge sur la mission des CAUE, qui est exclusivement centrée sur le conseil.
Second point : aujourd'hui l'immense majorité des constructions est inférieure à 150 mètres carrés, c'est pourquoi je crains que la proposition d'abaisser le seuil de recours à l'architecte de 170 à 150 mètres carrés de surface de plancher n'ait aucun effet sur la qualité des constructions dans nos départements.
Le rapport n'évoque pas la question de la tutelle ministérielle de l'architecture qui fait pourtant largement débat, alors que 95 % du secteur opterait pour une autre tutelle que celle du ministère de la culture et de la communication.
S'agissant de la proposition d'abaisser le seuil de recours à l'architecte de 170 à 150 mètres carrés de surface au plancher, la situation est sans doute plus nuancée que le rapport n'en fait état puisque des dispositifs ont été adoptés en 2012 et 2013 pour rectifier l'impact du passage de la SHON (surface hors oeuvre nette) à la « surface de plancher », à l'avantage des architectes. Par ailleurs, on peut difficilement appeler de ses voeux une réduction des normes et des coûts de construction tout en imposant ainsi un surcoût à la construction de la maison individuelle qui serait de l'ordre de 8 à 10 %, selon les estimations.
En ce qui concerne votre proposition (n° 28) de passer d'un urbanisme de normes à un urbanisme d'objectifs, l'idée est assez ancienne mais souffre d'un défaut, que vous avez probablement étudié, qui est l'incertitude sur la réaction des tribunaux. Le risque de basculer dans un système où les normes seraient édictées par les tribunaux est réel.
S'agissant de la proposition n° 29 de créer sur l'ensemble du territoire des zones franches architecturales bénéficiant de règles d'urbanisme simplifiées et promouvant la création architecturale, c'est un travail qui a été mené à plusieurs reprises autour de ce qu'on avait appelé l'urbanisme de projet et qui visait à créer de telles zones au sein des PLU.
En ce qui concerne la proposition n° 30 visant à systématiser les dispositifs dérogatoires aux règles d'urbanisme relatives au gabarit et à la densité du bâtiment, je note que la densité a été supprimée il y a quelques semaines puisque le coefficient d'occupation des sols (COS) n'existe plus. Il ne reste donc plus, pour définir un bâtiment, que les règles de gabarit. Se pose donc la question de l'urbanisme, dès lors qu'il n'y a plus ni gabarit ni densité. En revanche, de nombreux pays comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni ne travaillent plus au mètre carré mais au mètre cube, ce qui permet d'avoir un regard totalement différent, et plus intéressant sur les gabarits.
Enfin, je tiens à saluer la proposition n° 33 de relancer les réalisations expérimentales (REX), qui sont un outil indispensable si l'on souhaite effectivement passer d'un urbanisme de normes à un urbanisme de projets.
Vous souhaitez encourager les futurs propriétaires à faire davantage appel à des architectes pour la construction de leur logement. En effet, cela permet de favoriser une profession et d'encourager la création, en respectant toutefois les nombreuses contraintes posées par les municipalités en termes de couleur de façade, d'ouverture, de matériaux pour la couverture de toiture. Se pose toutefois la question du coût des honoraires des architectes, qui peut être dissuasif, c'est pourquoi votre proposition n° 2 (inciter la profession à mettre en avant le coût global du projet afin que les particuliers puissent faire leur choix sur la base d'une information réelle) me paraît particulièrement intéressante. Comment la mettre en oeuvre ?
Je vous remercie pour vos propos et la pointe de poésie que vous y avez ajoutée pour nous donner envie d'entrer dans le sujet. Vous avez souligné le rôle majeur de l'architecte dans la conception et la réalisation d'un projet et regretté que de trop nombreuses maisons individuelles soient construites sans conception et sur des modèles standardisés. Malheureusement, nous voyons dans nos zones périurbaines, semi-rurales et dans les villes nouvelles de grands groupes de promoteurs acheter des parcelles entières pour réaliser des projets immobiliers standardisés. Face à ces grands groupes, il est difficile pour des particuliers d'acquérir une parcelle de terrain et de personnaliser leur projet d'habitat. Comment intervenir pour atténuer ou éviter de telles pratiques ?
Je me réjouis de la proposition n° 5 d'engager rapidement des actions durables sur l'ensemble du territoire pour sensibiliser les écoliers à l'architecture. Quelles actions mettre en oeuvre rapidement ?
La notion de cadre de vie, dont l'architecture est un élément important, me paraît essentielle. Votre rapport montre que l'on a longtemps raisonné en termes de quantité et pas suffisamment en termes de qualité du bâti. Dans ma petite commune d'à peine 400 habitants, nous avons restauré une chapelle du IXe siècle. Nous nous sommes interrogés sur l'intérêt que pouvait avoir cette restauration pour la vie des gens. L'architecte a relevé qu'elle ne pouvait avoir d'intérêt que si l'on apportait une touche contemporaine, suscitant l'interrogation de la population. Cette restauration a pris une dimension d'outil pédagogique et de sensibilisation, relevant d'une politique de l'architecture active.
Vous préconisez des actions d'éducation à l'architecture dans les écoles, dans le temps périscolaire. Actuellement, le Conseil supérieur des programmes travaille sur le parcours d'éducation artistique et culturelle. Les travaux qui sont amorcés au sein de ce conseil convergent avec les propositions de votre rapport. Le patrimoine architectural est le premier objet artistique et culturel que les élèves ont à portée de main dans leur environnement.
À Bordeaux, l'école d'architecture a intégré dès la rentrée 1991 la formation au paysage dans ses programmes. Deux ans plus tard, la loi sur la protection et la mise en valeur des paysages du 8 janvier 1993 a été adoptée. L'école d'architecture de Bordeaux est alors devenue l'école de l'architecture et du paysage. On ne trouve pas ce lien dans votre rapport. Cependant, avez-vous eu un retour sur cette loi « paysage » qui a aujourd'hui vingt ans, le paysage étant une notion difficile à cadrer ?
Je vous remercie pour ces interventions riches et convergentes sur le constat et la nécessité de faire bouger les lignes dans le domaine de l'architecture. Nous voulons toutes et tous que la France soit plus belle et l'enjeu est d'offrir à nos concitoyens un cadre de vie plus agréable. Nous avons analysé tout ce qui freine la création architecturale et cherché les moyens de faire en sorte que nos concitoyens aient spontanément envie de faire appel aux architectes. Ce rapport traite de l'exercice de la profession architecturale en France et à l'étranger. Nous formulons des propositions pour que les architectes se prennent eux-mêmes en main, afin d'améliorer l'exercice de leur profession. Nous considérons que le recours à un architecte pour n'importe quelle construction, loin d'être un coût supplémentaire, est un atout majeur, qui peut paradoxalement, et notamment sur le moyen terme, faire gagner de l'argent. L'architecte est celui qui conçoit en prenant en compte les usages, qui vous propose un projet qui vous corresponde, qui casse le cadre de l'uniformisation et de la standardisation, qui suit les travaux, évitant ainsi que leur calendrier ne dérive et qui écarte les mauvaises surprises, pendant et après les travaux.
Pour créer un lien de confiance entre nos concitoyens et les architectes, la vérité des prix, chère à M. Pierre Léautey, est indispensable. Si nous défendons que le recours à un architecte est un investissement plus qu'un coût supplémentaire, encore faut-il qu'il y ait de la transparence sur les prix, d'où la proposition d'inciter la profession à mettre en avant le coût global des projets.
Parmi les freins évoqués à juste raison par plusieurs d'entre vous, il y a bien sûr les normes. Nous avons abordé cette question de manière ouverte et responsable, en ne remettant en cause aucune d'entre elles, qu'il s'agisse des normes sociales, d'accessibilité des bâtiments aux personnes à mobilité réduite, ou bien des normes environnementales, en faveur du développement durable. J'insiste sur ce point pour que les choses soient bien claires. En revanche, nous nous sommes penchés sur leur application et sur la tendance, dans notre pays, à les empiler au détriment de leur cohérence. Cumuler les obligations de moyens nuit à la création et à l'expérimentation, en rendant la conception de certains projets impossibles, même si certaines normes posent des défis que les architectes relèvent le plus souvent avec grand talent. Nous sommes revenus à des principes assez simples qui, souvent, ne sont pas inscrits dans les règlements. Ainsi, M. Jean-Michel Wilmotte a souligné, lors de son audition, les avantages pour l'isolation thermique qui peuvent être tirés de la ventilation et de l'orientation des appartements pour y faire entrer la lumière, alors que la tendance incline à fermer les ouvertures pour mieux isoler.
Nous attendons beaucoup du choc de simplification évoqué par certains d'entre vous. Au lieu de remettre en cause des normes, nous avons le souci de les voir appliquer avec intelligence et cohérence. Nous avons consulté les obligations comparables imposées à l'architecture à l'étranger, dans des pays si semblables au nôtre. Nous avons eu le sentiment qu'il y avait des opportunités à saisir dans la manière dont les Pays-Bas, par exemple, comme l'a remarqué avec pertinence M. Pierre Léautey, établissent les normes de sécurité contre les incendies sur le temps d'évacuation des bâtiments et non pas sur l'installation obligatoire d'issues de secours d'une largeur déterminée et à des endroits qui peuvent brider la création architecturale.
Mme Dominique Nachury a relevé le pragmatisme de notre rapport, qui ne remet en cause aucun des fondements du cadre d'exercice de l'architecture, qu'il s'agisse des normes, du concours ou du seuil imposant le recours à un architecte. Parce que les membres de cette mission sont des élus de terrain, notre rapport a pour but de libérer la création architecturale en rendant le cadre de son exercice clair et compréhensible et non pas en posant une doctrine officielle de l'art de bâtir. Nous nous sommes ainsi intéressés à la réhabilitation patrimoniale des bâtiments désaffectés ou en mauvais état, qui est un enjeu majeur. Je déplore que des bâtiments du XXe siècle soient désaffectés ou en mauvais état et que des bâtiments construits à l'étranger par des architectes français aient été vendus dans un état dégradé, au détriment de l'exportation de notre architecture.
M. Rudy Salles a posé des questions précises. Nous soutenons les zones franches architecturales, parce qu'elles permettent d'appliquer des dérogations, contrôlées par l'État et les élus, qui favorisent la qualité de la création, encouragent l'innovation et les expérimentations. M. Benoist Apparu a, à ce propos, salué notre proposition n° 33 qui appelle à relancer les réalisations expérimentales (REX). Le rapport n'entre pas dans le détail du régime des zones franches architecturales mais souhaite que ces réalisations soient expérimentales et réservées à des zones bien délimitées pour qu'elles servent de référence.
À l'issue de nos débats, nous n'avons pas remis en cause les partenariats public-privé (PPP), mais nous avons souhaité revenir à l'esprit de l'ordonnance de 2004 qui les prévoit. Je rappelle que cette ordonnance exigeait que la réalisation de ces opérations présente un caractère exceptionnel ou d'urgence. L'appréciation de ce caractère a donné lieu à des dérives, constatées par tous, accentuées par la modification législative intervenue il y a cinq ans. Nous souhaitons revenir sur cette modification et rendre à l'architecte un rôle central dans ces partenariats, qui n'a pas toujours été le sien. Le rapport propose d'imposer le recours à deux architectes, l'un exerçant ses fonctions auprès du constructeur privé, l'autre exerçant celle d'architecte-conseil aux côtés des pouvoirs publics à l'initiative du partenariat, pour leur permettre de suivre l'opération après la signature du contrat de partenariat. Trop souvent, une fois le contrat signé, le promoteur privé s'en occupe seul et les pouvoirs publics disparaissent.
Nous ne sommes pas opposés au recours au « crowdfunding », qui présente un intérêt si la levée de fonds privés atteint un niveau suffisant.
Nous avons souhaité réserver une partie de la commande publique à des projets ambitieux qui ont fait sa force. Il ne s'agit pas seulement de la construction de bâtiments iconiques, mais aussi de celle de logements ambitieux par une architecture du quotidien. Cette commande doit retrouver sa force et sa pertinence parce qu'elle est la locomotive de la création architecturale. En résumé, nous souhaitons revitaliser l'esprit de la loi de 1985 sur la commande publique.
J'ai répondu par anticipation à Mme Barbara Pompili sur les normes. Je lui redis que nous ne demandons pas l'assouplissement des normes environnementales, que ce soit celles des 50 kwh, de la haute qualité environnementale ou des bâtiments à énergie positive, que nous avons tant de plaisir à inaugurer dans nos fonctions municipales – ce qui nous placerait à contre-courant –, mais nous recommandons leur application cohérente, intelligente et simplifiée. Par ailleurs, nous partageons votre regard critique sur les PPP.
Nous appelons de nos voeux le regroupement des architectes en petites agences, afin qu'ils se prennent en charge et structurent leur profession, comme le font les plus jeunes, en collectifs réunissant des architectes, des urbanistes, des paysagistes et des techniciens en énergie très pointus, de manière à occuper l'ensemble du champ du projet architectural.
L'architecture n'en reste pas moins un acte politique que nous assumons, non pas seulement par la construction de bâtiments iconiques, que nos concitoyens retiennent dans l'architecture contemporaine parce qu'ils sont médiatisés, mais par une architecture du quotidien, qui réponde à l'enjeu majeur de la construction de 500 000 logements, en conciliant quantité et qualité, en répondant aux normes environnementales et en évitant des dérives observées dans les années 1950 et 1960.
Mme Sophie Dessus a parlé avec passion du désir de libérer l'architecture en le comparant à la libération des femmes. Il ne faut cependant pas stigmatiser ceux qu'elle a qualifiés de « normaliens » – qui n'ont rien de commun avec les anciens élèves de l'École normale supérieure ! Nous avons encouragé, dans ce rapport, la création architecturale contemporaine à laisser une trace, en posant le patrimoine de demain.
M. Patrick Hetzel a salué le consensus de la mission. Nous n'avons pas cherché un accord à tous prix, Mme Dominique Nachury et M. Michel Herbillon peuvent en témoigner. Ce sont les auditions qui nous ont conduits aux mêmes constats et aux mêmes solutions. À propos de notre proposition n° 8 de rééquilibrer la présence des écoles d'architecture sur le territoire, M. Hetzel a estimé qu'il y en avait un peu partout : ce n'est pas tout à fait le cas, comme le montre la carte figurant dans le rapport, alors que ces écoles contribuent au rayonnement de l'architecture sur leur territoire. Nous pourrions peut-être parvenir à ce rééquilibrage à l'occasion de la réforme territoriale en cours, mais je ne voudrais pas évoquer un sujet aussi polémique à propos d'un rapport si consensuel.
Nous appelons, comme M. Hetzel, au développement du volet économique et managérial de la formation dispensée dans ces écoles. Nous recommandons l'allongement de la durée d'habilitation et de la présence des élèves architectes dans les écoles, où ils doivent aussi pouvoir suivre des cours de langues afin d'être performants et concurrentiels sur les marchés étrangers. Cette proposition peut paraître surprenante mais la maîtrise des langues est, avouons-le, souvent un handicap pour nos architectes à l'étranger.
Sur le conflit entre les projets souvent innovants de construction neuve et la vision qu'ont les architectes des bâtiments de France de la conservation du patrimoine et de l'application des règles architecturales à la création contemporaine, nous renouvelons notre confiance à ces architectes qui ont un rôle essentiel à jouer, en dépit des tentatives de le remettre en cause qui resurgissent à chaque examen d'un projet de loi sur l'urbanisme ou le logement.
M. Pascal Deguilhem a évoqué la question des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Il ne s'agit pas de les substituer aux élus. Nous considérons simplement que les élus des petites communes et les agents publics qui instruisent les documents d'urbanisme (PLU) et les permis de construire doivent pouvoir bénéficier de leurs conseils et de ceux des maisons de l'architecture. La loi du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux a prévu que des crédits de formation soient alloués dans chaque collectivité à la formation des élus chargés de l'urbanisme et du logement. Cette formation nous paraît indispensable. Nos propositions n°s 22 et 23 préconisent de la développer. Comme vous l'avez compris dans mon propos, nous considérons que la création architecturale concerne tous les territoires, qu'ils soient urbains ou ruraux.
Nous avons abordé, sans dogmatisme, la question du seuil légal imposant le recours à un architecte. Sans le remettre en cause, nous avons souhaité le simplifier pour qu'il s'applique, comme auparavant, à partir de 150 mètres carrés de surface de plancher. J'ai bien entendu ce qu'a dit M. Benoist Apparu à ce sujet. Nous n'avons pas souhaité abaisser ce seuil afin de ne pas imposer le recours à un architecte dans tous les projets de construction, par une démarche coercitive qui irait à l'encontre de notre désir de susciter une envie d'architecture. Nous n'avons pas considéré que ce seuil était un frein essentiel à la création architecturale ni au recours à l'architecte.
S'agissant de la tutelle ministérielle de l'architecture, nous n'entrons pas dans le débat de la réforme de l'État, dont nous laissons le soin à ceux qui en sont chargés. Constatant néanmoins que la nouvelle organisation du ministère de la culture a placé la direction de l'architecture dans l'une de ses 3 directions générales, la direction générale des patrimoines et que trois ministères, celui de la culture, historiquement, celui de l'urbanisme et du logement et celui de l'environnement, de plus en plus fortement, sont concernés par les enjeux architecturaux, nous proposons, pour traduire cette transversalité – après un long développement sur la problématique de la tutelle ministérielle dans les pages 30 et 31 du rapport –, la création d'une délégation interministérielle à l'architecture, placée auprès du Premier ministre.²
M. Benoist Apparu a également évoqué les risques de contentieux si l'on allège les contraintes de moyens : nous pensons au contraire que des normes architecturales simples, faciles à appliquer et cohérentes permettront de limiter les contentieux et de porter une création architecturale ambitieuse.
Nous nous sommes, en effet, inspiré de l'exemple de Rotterdam pour notre réflexion sur les règles en matière de gabarit, la réalisation des projets par volume et non par alignement, hauteur ou retrait, afin de créer des marges de manoeuvre pour la création.
Madame Marie-Odile Bouillé vous avez évoqué les coûts globaux des honoraires, c'est pourquoi la mission a fait le choix de recommander la transparence.
Je suis ravi, Madame Martine Faure, que vous ayez vu de la poésie dans ce rapport ! Vous avez pointé ce qu'un article de Télérama qualifiait de « France moche », à savoir les entrées de ville, les zones pavillonnaires, les zones d'activité qui enlaidissent le paysage. La nécessité pour nos concitoyens de se loger et leur appétence à posséder une maison individuelle, synonyme d'un projet de vie, comme le besoin quantitatif de logements doivent pouvoir s'inscrire dans une démarche de qualité et de beauté architecturale.
Mme Martine Faure a également évoqué, comme Mme Sandrine Doucet, l'enjeu éducatif. La mission a fait sienne les dix propositions du rapport de M. Vincent Feltesse sur l'enseignement supérieur et la recherche en matière d'architecture, remis le 8 avril 2013 à la ministre de la culture, dont la nécessité de donner un statut d'enseignant-chercheur aux enseignants des écoles d'architecture et de renforcer la formation continue des architectes, nécessaire en raison de l'évolution rapide de la réglementation et des techniques.
L'éducation nationale a un rôle essentiel à jouer, à la fois lors du temps périscolaire – l'architecture pouvant s'appréhender au même titre que la musique, la danse ou le théâtre, qui sont autant d'éléments de notre culture partagée –, mais aussi durant les cours. Il est paradoxal que les élèves soient sensibilisés aux architectures du passé, égyptienne ou gréco-romaine, en sachant distinguer les ordres des colonnes antiques, sans qu'un lien soit établi avec la création contemporaine. Il s'agit donc de les familiariser à l'architecture. Le premier dessin d'un enfant n'est-il pas celui d'une maison avec une cheminée qui fume, un arbre symbolisant le paysage et un soleil traduisant l'orientation, propice à la prise en compte des questions d'énergie ? Mme Sandrine Doucet a d'ailleurs indiqué que le Conseil supérieur des programmes travaille sur ce sujet.
Je remercie M. Yves Daniel d'avoir évoqué la restauration de sa chapelle qui est symptomatique des enjeux de la réhabilitation. Comment appréhender un patrimoine ancien et le réhabiliter, le préserver voire, par un dialogue, lui conférer un autre usage, plus contemporain ? Dans les petites communes, cela suscite de vrais débats, la population étant attachée à son patrimoine, religieux ou autre, synonyme de son identité sur un territoire.
Pour conclure, j'ai déjà évoqué la question du paysage soulignée par Mme Sandrine Doucet et l'exemple de Bordeaux, à l'initiative sur ce sujet dès 1991 ; en effet le paysage est un élément important car l'architecture ne peut se concevoir sans son environnement. Faisons en sorte de rendre la France plus belle et que l'architecture y soit libérée et désirable !
La Commission autorise à l'unanimité, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.
La séance est levée à onze heures quinze.