Les jeunes ont facilement accès à ces consommations. En période d'adolescence, où ils doivent gérer leurs émotions et leur stress, ils se tournent vers ces substances psychoactives – ou pas. C'est pourquoi les actions de prévention portent de plus en plus sur le développement de leurs compétences psychosociales – apprendre à dire « non » aux dealers, à résister à la pression des copains. Parallèlement, il est nécessaire de décourager l'usage, en particulier aux abords des établissements scolaires, pour réussir à limiter l'offre. Voilà ma réponse sur la question relative à l'offre et la demande, qui sont évidemment liées.
Je ne puis vous donner mon avis personnel sur la dépénalisation du cannabis – la MILDECA est une instance placée auprès du Premier ministre. La position du Gouvernement est très claire en la matière : la loi ne sera pas modifiée. Dans les États où l'usage a été légalisé – Uruguay, Colorado, Washington –, les cannabis factories créent des ravages sur le plan environnemental et des forces de l'ordre ne sont pas affectées à la poursuite des usagers puisque la production, le transport et la consommation sont organisés dans ces pays. Par contre, mon homologue américain se montre très interrogatif, car des forces de police sont indispensables pour contrôler la traçabilité, mais aussi la vente aux mineurs pour lesquels la consommation est interdite. Ainsi, l'argument économique sur la légalisation ne tient pas.
Aujourd'hui, les simples usagers de drogue ne sont pas envoyés en prison. La vraie question est de savoir ce que la société peut faire pour eux après leur interpellation. C'est le volet traitement judiciaire de l'usage de stupéfiants, qui passe par des stages de sensibilisation, les consultations jeunes consommateurs, les médecins relais, etc. Par conséquent, je dirais qu'il ne faut pas faire une fixation sur la question de la dépénalisation : d'autres réponses existent en matière judiciaire.
À mon arrivée à la MILDECA en septembre 2012, le dispositif territorial ne fonctionnait pas bien ; mais c'était déjà le cas en 2004, à l'époque où les DDASS étaient chefs de projet. Mon prédécesseur en 2004 a souhaité placer les chefs de projet auprès des préfets pour valoriser l'approche intégrée selon laquelle le problème de la drogue ne se réduit pas à la prévention et au soin, puisqu'il nécessite aussi une réponse du procureur et la lutte contre le trafic. Je souhaite qu'un travail soit mené, dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP), pour une réorganisation du dispositif territorial car la bonne réponse n'est pas auprès des agences régionales de santé.
En effet, les chefs de projet, auxquels je délègue la moitié de mon budget, constituent le levier pour obtenir d'autres fonds et travailler avec les ARS. Dans les comités de pilotage qu'ils organisent, figurent les ARS, mais aussi tous les autres partenaires – directions de la cohésion sociale, placées auprès du préfet, justice, forces de police, Éducation nationale. Les ARS doivent entendre la voix des autres administrations, et non être les seules à avoir la charge de la prévention et des conduites addictives. Vous l'avez compris : la tendance aujourd'hui est de mettre tout le monde autour de la table.
À la suite de cette mission MAP, j'ai fait réaliser une étude sur les rapports d'activité de mes chefs de projet dont la synthèse montre que, pour un euro donné à un chef de projet, deux à trois euros sont rassemblés autour de projets de prévention, notamment en direction des associations. C'est cet effet de levier qu'il faut préserver.
Les associations sont les porteurs de nos projets sur le terrain. Nous travaillons bien entendu en permanence avec elles.
La répartition du budget prévu pour l'exécution du premier plan d'actions, pour la période 2013-2015, par origine de financement est la suivante : 14,220 millions d'euros pour la MILDECA ; 28,673 millions pour les ministères ; 15,950 millions pour la sécurité sociale. Soit un total de 58,843 millions d'euros qui se répartissent, par type d'actions, de la façon suivante : prévention et communication, 8,711 millions ; accompagnement et soin, 36,210 millions ; lutte contre les traficsapplication de la loi, 3,056 millions ; application de la loi, 260 000 euros ; recherche et observation, 4,298 millions ; formation 987 700 euros ; action internationale, 5,580 millions. Vous le voyez : la recherche est financée de façon importante.
Dans notre approche populationnelle, nos cibles privilégiées en matière de prévention secondaire sont les usagers les plus éloignés des dispositifs et les femmes usagères de drogues. Ces dernières étant stigmatisées dans les dispositifs spécialisés, et le premier initiateur de l'injection étant souvent le compagnon, il est important de prévoir des espaces de prise charge spécifique pour ces femmes, par exemple avec des plages horaires dédiées.
Mme Marisol Touraine a souhaité que la MILDT porte le sujet de la salle de consommation à moindre risque. Actuellement, 90 salles de ce type se répartissent dans neuf villes du monde. L'évaluation de Vancouver a conduit les autorités canadiennes – qui entendaient remettre en cause ce dispositif, avant de porter le dossier devant les instances juridiques de l'État fédéral – à préconiser le maintien et même l'ouverture de salles supplémentaires.
En effet, et c'est la logique que nous entendons développer, ces salles de consommation à moindre risque s'inscrivent dans un parcours de soins, mais aussi d'insertion, en encourageant les personnes, qui ne fréquentent jamais ce type de dispositif, à y venir. À Vancouver, ont été ouvertes successivement une salle de consommation, une salle de réduction des risques, puis une salle de sevrage. Il s'agit donc d'un réel parcours, loin de la banalisation et la légalisation.
Encore une fois : nous ciblons les personnes très éloignées des dispositifs, totalement marginalisées, celles que vous croisez en bas de votre immeuble, dans l'escalier du parking, sur le trottoir jonché de seringues. En ce sens, ces dispositifs seront un plus pour les riverains. À Paris, où sera expérimentée la première salle, les policiers formés décourageront les dealers. C'est l'approche de tranquillité publique dont j'ai parlé dans mon propos liminaire.
C'est pourquoi la MILDECA va financer une évaluation portant sur une cohorte dans des villes ne comportant pas de salle de consommation et une cohorte d'usagers de drogue à Paris. L'expérimentation sera lancée lorsque vous aurez adopté le dispositif législatif, le Conseil d'État ayant préconisé de passer par la loi – celle de 2004 n'offrant pas suffisamment de sécurité juridique – pour autoriser cette exception. En fonction de l'expérimentation, le gouvernement prendra une décision.
Par ailleurs, le plan gouvernemental prévoit une expérimentation des modes de prévention des overdoses par opiacés, avec la naloxone, ainsi qu'une recherche pour ce qui est des produits injectables.
Quant à notre budget, il n'augmente pas – mais quel budget augmente de nos jours ? – et est bien sûr insuffisant pour financer toutes les actions que nous souhaiterions mener. Les recettes de notre fonds de concours « stupéfiants » – produit des confiscations des biens saisis aux trafiquants – se répartissent, conformément à un « bleu » de 2007, entre les ministères pour la lutte contre le trafic et la prévention. Elles ont, par exemple, financé l'acquisition d'un équipement destiné à la Direction des douanes, servant à détecter la composition des drogues de synthèses saisies à la frontière, ce qui permet une meilleure connaissance de ces drogues et d'informer les services des urgences.
L'évolution de ce fonds de concours dépend des confiscations. L'année 2011 a été faste avec, en plus des confiscations habituelles, 10 millions d'or confisqués, ce qui a porté le fonds de concours à 20 millions d'euros. Le rythme de croisière est en moyenne de 10 millions d'euros : 10 % financent des actions de prévention et 90 % les actions de lutte contre le trafic.
Les budgets des CSAPA sont financés par l'assurance maladie. Le plan préconise une évolution de ces centres, notamment avec un service supplémentaire de soins résidentiels pour femmes et enfants.
S'agissant de la drogue en milieu professionnel, notre approche n'est pas le dépistage, mais la prévention des risques psychosociaux. Dans cet objectif, nous souhaitons travailler avec les médecins du travail pour développer l'entretien motivationnel et le dispositif du repérage précoceintervention brève. Nous désirons également mettre en place avec les médecins, grâce à une formation financée par la MILDECA, un questionnaire anonymisé, afin de mieux appréhender la réalité des consommations d'alcool, de tabac et de substances psychoactives.
Pour les « femmes enceintes » la lisibilité du logo doit être améliorée. Chaque année, 300 enfants naissent avec un handicap majeur du fait du syndrome d'alcoolisation foetale. Toutes les études internationales montrent que la prise d'alcool et de tabac pendant la grossesse est génératrice de petits poids et de troubles graves chez les enfants. Nous assumons totalement ces logos en direction des femmes enceintes et la sensibilisation des médecins à la nécessité du « zéro alcool et zéro tabac pendant la grossesse ».
Les maisons des jeunes et les bus mobiles s'inscrivent dans cette politique de prévention et de démarche du « aller vers ». Les bus mobiles dans les quartiers, dont l'un se trouve près de la gare de Nord, distribuent des seringues, des préservatifs, et nous souhaitons les développer en milieu rural.
Comme je l'ai dit, nous nous appuierons sur les outils de la politique de la ville. Une cartographie des dispositifs spécialisés renforcera le ciblage grâce à la géolocalisation des structures situées dans les territoires : consultations jeunes consommateurs, CSAPA, centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usager de drogues (CAARUD). Pour ce faire, nous travaillons avec le groupement d'intérêt public ADALIS (addictions drogues alcool info service) – numéros de téléphone SOS drogue, tabac, alcool.
Nous souhaitons également développer à l'intention des jeunes les messages de prévention par SMS et sur les sites Internet. Pour la campagne de communication sur les consultations jeunes consommateurs, qui sera mise en oeuvre par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), mon budget financera des actions sur Facebook notamment.
Par ailleurs, nous allons financer un état des lieux des messages délivrés sur les sites par le community manager. Cette action sera menée en lien avec l'INPES. Je vais en outre engager une formation à l'intention des modérateurs.
L'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) réalise des travaux d'enquête, comme ESCAPAD (enquête sur la santé et les consommations lors de l'appel de préparation à la défense), sur les niveaux de consommation. L'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) collecte les données nationales. On peut donc considérer que les chiffres que je vous ai donnés sont fiables.
En milieu scolaire, les associations, mais aussi les formateurs relais anti-drogue (FRAD) de la gendarmerie nationale et les policiers formateurs anti-drogue (PFAD) interviennent en apportant des éléments pour convaincre les jeunes de ne pas consommer ces produits. Ce discours commun sur les compétences psychosociales des jeunes – comment lutter contre le stress, résister aux copains, apprendre à dire « non » – doit être délivré dans tous les établissements scolaires, sans oublier les lycées professionnels, les lycées agricoles, les centres de formation des apprentis.
En ce qui concerne l'Éducation nationale, j'ai réussi – au prix d'un long combat – à faire inscrire cette année dans la circulaire de rentrée la prévention des conduites addictives dans les projets d'établissement. Un référent addiction, proviseur en charge de la vie scolaire, sera désormais placé auprès de l'inspecteur d'académie et sera l'interlocuteur privilégié des infirmières scolaires, des médecins scolaires, de l'ensemble de la communauté éducative, dont le déni en la matière doit cesser.