Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 9 juillet 2014 à 15h00
Débat d'orientation sur les finances publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Ainsi, plus il y a d’accidents de voitures et de maladies, plus le PIB augmente… En sommes-nous plus heureux pour autant ? De même, plus il faut organiser des compensations sociales ou des réparations environnementales, plus cela génère de la croissance. Mais nous voyons bien que cet indicateur est dépassé : non seulement la croissance diminue, mais son contenu est de moins en moins positif en raison des dégâts environnementaux et sociaux qu’il recèle. En conséquence, il convient de mesurer dans le taux de croissance du PIB la part des éléments constructifs et des éléments destructifs pour éviter la fuite en avant.

Le quatrième problème tient au fait que l’indicateur est incomplet : il ne prend en compte ni l’économie souterraine, ni l’économie domestique, ni l’économie collaborative. Pourtant, certaines activités non comptabilisées peuvent constituer des leviers pour améliorer la qualité de vie et notre pouvoir d’achat.

Enfin, cinquième problème : le niveau de croissance est constamment surestimé. Cela met notre sincérité budgétaire à l’épreuve, révèle notre aveuglement et traduit notre difficulté à envisager la fin d’un modèle et notre refus de concevoir la transition. Je ne dis pas que les choses sont faciles, mais il faut empoigner les problèmes.

Après ces trente-cinq années d’errements, d’approximations et d’erreurs, comment doit-on apprécier les prévisions pour 2015 alors que la probabilité est forte que nous soyons conduits, à l’automne prochain, à revoir la prévision de 1 % pour 2014 à la baisse. Pour 2015, il nous faut être conscients que le chiffre de 1,7 % cache un pari risqué – on retient son souffle… En effet, il suppose que le pacte de responsabilité apporte 0,5 point de croissance en plus dès 2015 pour financer la dépense supplémentaire de 10 milliards décidée après l’annonce du pacte de responsabilité en décembre dernier. L’expérience des trente-cinq dernières années montre de manière constante la déconnexion des recettes avec l’augmentation des dépenses.

Pourtant, on doit se réjouir des aides fiscales et sociales qui ont été apportées aux salariés modestes avec le pacte de solidarité, grâce notamment au produit de la lutte contre la fraude fiscale, et le Premier ministre a même annoncé, hier, de nouvelles baisses d’impôts pour les classes moyennes en loi de finances pour 2015. C’est une bonne nouvelle et nous espérons que cette amélioration du pouvoir d’achat permettra de relancer la machine et que l’activité des entreprises en sera dynamisée.

Mais il est dommage que le Gouvernement n’ait pas souhaité amplifier le dispositif des emplois d’avenir. Ça marche, et à raison d’une dépense de 10 000 euros par an et par emploi, à comparer avec les 80 000 à 100 000 euros que coûte un emploi au titre du CICE ou du pacte de responsabilité, je ne comprends pas qu’on se prive de cette « marge supplémentaire », pour reprendre l’expression d’Alain Muet, qui a un effet immédiat, apporte du travail à nos jeunes, sort certaines familles des difficultés et produit de la richesse sociale. Mais on peut encore agir de ce côté-là. Je rappelle que 2 milliards supplémentaires pour ce dispositif, à comparer aux 40 milliards du pacte de responsabilité, ce serait 200 000 emplois immédiats.

Mais nous devons également poser la question du financement de l’ensemble de ces choix et de ces dépenses car si nous ne l’assurions pas, nous pourrions retomber dans les travers des trente-cinq dernières années et observer une aggravation de la dette.

En conséquence, le défi du remboursement de la dette prend une dimension supplémentaire s’il s’agit de financer de nouvelles dépenses fiscales : comment assurer à la fois le remboursement de la dette, le pacte de responsabilité, le pacte de solidarité et les futures baisses d’impôts pour les classes moyennes ? On a compris que les institutions européennes étaient devenues plus complaisantes avec les dépenses fiscales qu’avec les dépenses publiques traditionnelles. Prenons-le donc en compte.

Cette perspective me conduit à revenir sur un sujet que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer avec vous et qui concerne la trajectoire de réduction des déficits publics, plus généralement les économies budgétaires qu’il conviendrait de réaliser pour réduire les déficits.

Il s’agit de réduire la dette mais aussi de financer la baisse des impôts. On se souvient des critiques de notre majorité actuelle à l’endroit de la défiscalisation des heures supplémentaires au motif, entre autres, qu’elles étaient financées par la dette. C’est ce qui nous pend au nez, avec le risque de voir l’action publique s’effondrer si on ne parvient pas à améliorer l’assiette fiscale.

Restaurer l’assiette fiscale, c’est bien là l’enjeu. Notre action doit être résolue en ce sens. Car si tout l’effort porte sur la réduction de la dépense publique, il y a danger, risque de dépression de l’économie et de déprime des acteurs économiques, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises. En effet, la déflation guette en France et dans le reste de l’Europe, ce qui rendrait tellement plus compliqué nos affaires, y compris le remboursement de la dette. Je pense en particulier aux pertes d’emplois publics ou liés à l’action publique, qui se compteraient par dizaines de milliers ; je pense également aux pertes d’emplois dans le secteur privé du fait de la réduction de la commande publique dont les collectivités locales sont les principales commanditaires : écoutez-les, elles sont très inquiètes suite aux annonces de réduction de 11 milliards des dotations d’ici à 2017. Vous avez affirmé, monsieur le ministre, que l’État maintiendrait ses investissements, mais ce serait insuffisant car vous savez que la part des collectivités dans les investissements publics est essentielle. Il faut rester en soutien des collectivités qui investissent.

La trajectoire de redressement et de réduction des déficits ne peut se réaliser sans dégradation sociale et économique qu’à deux conditions : l’amélioration de l’assiette fiscale et l’investissement dans la transition écologique, plus précisément dans les économies d’énergie.

L’amélioration de l’assiette fiscale doit se décliner dans plusieurs domaines. Tout d’abord, je ne vais pas insister sur ce point parce que je l’évoque constamment, sur le terrain de la fraude et de l’évasion fiscales. Je souligne qu’une trajectoire de l’extinction fiscale doit être inscrite à l’agenda européen. L’Union ne peut pas se contenter de nous assigner une trajectoire de baisse des déficits publics si elle n’agit pas en parallèle pour restaurer les assiettes fiscales des États membres.

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