Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du 9 juillet 2014 à 15h00
Débat d'orientation sur les finances publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud :

Au fil des dernières décennies, les ménages très aisés ont aussi, sous couvert de renverser le paradigme d’une fiscalité prétendument confiscatoire, pu profiter d’un nombre très important d’exonérations, de réductions et de crédits d’impôts. On peut citer l’exonération totale des oeuvres d’art pour le calcul de l’impôt sur la fortune – un sujet cher à notre secrétaire d’État – ou le « bouclier fiscal » de Nicolas Sarkozy.

La complexité géniale de l’architecture de toutes ces niches – dont chacune, on le sait, abrite un chien qui mord – est un phénomène propre à la France. Seule l’Italie connaissait autant d’exonérations, mais nous savons qu’elle est parvenue à se réformer. En 2013, la Cour des comptes en évaluait le nombre à 460, soit seulement quatre niches de moins qu’en 2012, pour un montant stabilisé à 72 milliards d’euros.

Rappelons qu’en 2009, le plafond global des avantages fiscaux était fixé à 25 000 euros, majoré de 10 % du revenu imposable. Ce plafond a d’abord été abaissé pour l’imposition des revenus de 2010 à 20 000 euros, majoré de 8 % du revenu imposable, puis pour 2011 à 18 000 euros, majoré de 6 % du revenu imposable. Sous l’impulsion de la nouvelle majorité, le montant total de certains avantages fiscaux a fait l’objet, pour une même année d’imposition et un même foyer fiscal, d’un plafonnement global fixé à 10 000 euros à compter de l’imposition des revenus de 2013 – compte non tenu bien sûr, des réductions d’impôt pour investissements outre-mer et souscriptions au capital de SOFICA. Nous saluons résolument cet effort de justice fiscale, même si nous devons rappeler ici que le plafonnement ne vaut ni simplification, ni réforme de fond.

L’audit citoyen de la dette incite à prendre un peu de recul historique. Rappelons en effet qu’en 1932, à l’arrivée de Roosevelt au pouvoir, le taux fédéral de l’impôt sur le revenu pour les plus riches était de 25 %. Il a été porté à 63 %, puis à 79 % en 1936, puis encore à 91 % de 1941 à 1964, et n’a pas été réduit avant les années 1970, moment où il a été ramené à 77 %, puis 70 %. Ainsi, pendant près de cinquante ans, le taux supérieur appliqué outre-Atlantique a été en moyenne de plus de 80 %.

Or comme le souligne Thomas Piketty, dont les travaux mériteraient d’être reconnus également en France, cela n’a ni tué le capitalisme, ni empêché l’économie américaine de fonctionner, bien au contraire. Pour une raison simple : ces taux ne s’appliquaient qu’à des revenus excessivement élevés, sur des rémunérations récompensant une vision à court terme et des prises de risque excessives.

Néanmoins, Reagan et les présidents suivants ont brutalement réduit le taux supérieur pour le ramener à environ 30 %, entraînant dans cette voie – ou plutôt dans cette impasse – l’ensemble des pays du nord. Dans le secteur financier, les rémunérations indécentes ainsi permises ont stimulé des comportements insensés et ont clairement contribué à la crise actuelle. Et les dettes des pays riches ont commencé à exploser.

François Hollande ne s’y est pas trompé lorsqu’il a annoncé, pendant la campagne électorale, une taxe de 75 %. L’article 9 du projet de loi de finances pour 2014 a enfin instauré cette « taxe exceptionnelle de solidarité sur les hautes rémunérations versées par les entreprises », ce qu’il convient de saluer. Mais, auparavant, le Conseil constitutionnel avait annulé l’article 12 de la loi de finances pour 2013, qui taxait à hauteur de 75 % les revenus excédant 1 million d’euros.

Pour calmer « le ras-le-bol fiscal » de l’été 2013 et éviter la censure du Conseil, le taux de la taxe exceptionnelle a donc été ramené à 50 %. En outre, celle-ci souffre d’un handicap majeur, celui de ne pas concerner les revenus d’activité que sont, pour les redevables de l’impôt sur le revenu, les bénéfices industriels et commerciaux, les bénéfices non commerciaux et les bénéfices agricoles. Je citerai à ce sujet l’excellent rapport de la commission des finances : « Un cabinet d’avocats […] est dans le champ de la taxe s’il verse à ses salariés une ou des rémunérations excédant 1 million d’euros ; en revanche, les associés de ce cabinet, même s’ils perçoivent une fraction des bénéfices de la société excédant 1 million d’euros, ne sont pas dans le champ. »

Toujours dans le souci de mettre en perspective ces sujets complexes, rappelons qu’en 2012 la répartition des trois principaux impôts sur ménages que sont, dans l’ordre, la TVA, la CSG et l’impôt sur le revenu a fait la part belle à l’absence de progressivité puisque TVA et CSG ont représenté, quel que soit le niveau des revenus, 79 % de l’ensemble. C’est ainsi que l’on saisit la différence entre complexité et complication !

Lorsque l’on sait par ailleurs que le recours aux réductions et crédits d’impôts concernant l’impôt sur le revenu – qui, lui, est progressif – est principalement le fait des ménages les plus aisés, lesquels disposent de l’expertise et des revenus nécessaires, on s’aperçoit que notre système d’imposition pourrait davantage gagner en justice. Cela permettrait de contenir le phénomène, en constante aggravation, de transfert du revenu national vers les 1 % des plus riches et de stagnation du pouvoir d’achat du reste de la population.

Le rôle joué par les taux d’intérêt constitue l’autre principale cause d’accumulation de la dette. Les niveaux démesurés qu’ils ont très souvent atteints, notamment dans les années 1990, pour préparer l’entrée dans l’euro, ont en effet engendré un « effet boule de neige » qui pèse encore très lourdement sur la dette actuelle.

Depuis plusieurs décennies, l’État se finance sur les marchés financiers. Ce choix n’est ni naturel, ni neutre, puisqu’il se fait au détriment des ménages ou des banques – qui pourraient pratiquer un taux d’intérêt réel de 2 % –, voire d’une « banque centrale », pourquoi pas européenne – mais une telle proposition est sans doute suspecte de la part d’un fédéraliste comme moi. Selon les auteurs de l’audit, la dette accumulée serait aujourd’hui inférieure de 29 points de PIB si l’État avait été plus précautionneux à l’égard des taux d’intérêt pratiqués par ses créanciers.

La faiblesse des taux constatée en 2013 ne doit donc pas masquer l’essentiel, ni nous empêcher de nous prémunir durablement contre les aléas des marchés financiers. Notre rôle est en effet de participer activement à la régulation de ces derniers, s’il le faut par une taxation accrue de leurs activités. C’est en effet leur influence auprès des gouvernements successifs qui a généré, entre autres, une accumulation colossale de dette dont la réduction ne saurait uniquement reposer sur les salariés, les retraités et les usagers des services publics.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion