Je vous remercie, monsieur le préfet, de l'objectivité avec laquelle vous avez présenté les faits. Le travail accompli par les services de renseignement doit être apprécié à sa juste mesure ; notre pays est très exposé et je pense que, grâce à eux, nous avons échappé à bien des horreurs.
Vous avez évoqué un phénomène nouveau ; je partage ce point de vue. Il ne s'agit plus, comme c'était le cas auparavant, de gens qui intègrent les cercles politico-religieux du djihadisme. Un phénomène d'une bien plus grande ampleur est en cours, qui recouvre un autre champ. Je ne peux croire qu'un adolescent de 15 ans qui part en Syrie a été convaincu de le faire en quinze jours ; je ne crois pas non plus, malheureusement, à la théorie de la fragilité psychologique. Quelque chose de plus profond est à l'oeuvre, qui mérite une réflexion vigilante car les islamistes ont toujours eu un coup d'avance. Que se passe-t-il donc en France ? Bien que l'Algérie ait connu une décennie de guerre civile, très peu de jeunes Français sont allés y combattre. À cette affluence étrangère en Syrie, si loin de France, il y a plusieurs raisons : la nature du conflit, la démission internationale et l'émergence d'une nouvelle génération à la recherche d'un idéal. Nous devons prendre ces questions en considération car les services de renseignements ne pourront régler la question à eux seuls.
Cela signifie que l'examen du projet de loi que vous avez évoqué ne doit pas être un texte conjoncturel : il doit refléter une réflexion de très long terme. En effet, l'objectif des terroristes est de susciter un conflit là où des gens vivent pacifiquement ensemble, de recruter des combattants pour introduire la culture de la guerre et la division. Cela ne se fera pas en trois ans, mais en dix ans peut-être ou dans plus longtemps encore, car la force de ces gens, c'est le temps : ils n'agissent ni en fonction du journal télévisé de 20 heures, ni en fonction des prochaines élections. Leur objectif, c'est la provocation permanente, pour susciter un durcissement et finalement, comme tous les agitateurs, une « action-réaction » jusqu'à provoquer une réaction en chaîne incontrôlable.
Le travail que conduisent les services de renseignements est efficace et il doit se poursuivre. Mais le champ de notre réflexion doit excéder le domaine sécuritaire et porter aussi sur la dimension politique du phénomène. Et à ce sujet, en ma qualité de parlementaire français, je suis inquiet qu'une loi puisse interdire de voyager à des majeurs qui n'ont commis aucune infraction. Quoi qu'il en soit, une nouvelle étape s'ouvre dans la lutte contre le terrorisme et si nous ratons le coche, nous en ressentirons très longtemps les effets.