La séance est ouverte à dix-sept heures.
Nous sommes très heureux d'accueillir M. le préfet Alain Zabulon, coordonnateur national du renseignement, pour une audition consacrée aux réseaux djihadistes français.
L'actualité récente a en effet mis en évidence leur importance, ces réseaux permettant à de jeunes Français d'aller combattre à l'étranger, puis d'en revenir, avec les conséquences dramatiques que chacun connaît – je fais bien entendu allusion à l'attentat qui a visé le musée juif de Bruxelles.
Ces réseaux posent donc une grave question de sécurité nationale, tant à l'extérieur, nos forces en OPEX y étant confrontées, que sur notre territoire. Nous vous entendrons avec un intérêt tout particulier faire le point sur ce sujet sensible.
Je vous décrirai un phénomène sans précédent. Le conflit qui déchire la Syrie a provoqué l'apparition de très nombreux groupes djihadistes qui combattent le régime de Bachar Al-Assad depuis plusieurs années. Les deux principaux sont l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) – qui vient de conquérir une partie de l'Irak pour y créer un califat à cheval sur les deux pays – et le Front Al Nosra. Mais ces groupes se combattent aussi entre eux, et s'opposent violemment à l'Armée syrienne libre. Il en résulte que la Syrie est le théâtre d'une guerre d'une violence inédite. Or, elle attire des combattants étrangers. On estime que le nombre total de ceux qui ont rejoint la Syrie est compris dans une fourchette de 9 000 à 10 000 personnes, dont 1 500 ressortissants de l'Union européenne. Parmi eux, 332 Français sont sur place – sachant que les chiffres changent chaque jour, et que je ne mentionne bien entendu que les individus qui ont été repérés.
Ces 332 jeunes venus de France combattre en Syrie font partie d'un ensemble plus vaste. S'y ajoutent 147 individus qui s'y acheminent ; 168 qui ont quitté la Syrie, dont plus d'une centaine est revenue en France, les autres ayant gagné un pays tiers ; 187 dont on a repéré qu'ils manifestent des velléités de départ ; 32 qui ont perdu la vie ; un, enfin, serait détenu par le régime syrien. La filière irako-syrienne concerne donc, à ce jour, 870 individus venant de France.
Notre inquiétude tient à ce que la menace terroriste qu'ils représentent s'est concrétisée à Bruxelles en la personne de Mehdi Nemmouche. L'attentat qu'il est présumé avoir commis est un exemple éloquent de ces individus radicalisés qui, de retour en Europe, se livrent à des actions criminelles.
Comme le montre la précision des chiffres dont je vous ai fait part, cette menace a été perçue très tôt par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui suit cette évolution attentivement. On constate un début de « professionnalisation » des filières, ces volontaires francophones intégrant des katibates elles-mêmes dirigées par des francophones, et la surmédiatisation du prosélytisme que permet l'Internet accélère le recrutement, notamment des plus jeunes, qui se radicalisent très vite.
La prise de contrôle d'une partie du territoire irakien par EIIL élargit l'espace de combat pour ces individus : certains sont passés en Irak, où l'on sait que quelques Français ont commis des attentats-suicide.
Qui sont ces jeunes Français, d'où viennent-ils et quelles sont leurs motivations ? Il s'agit majoritairement d'hommes, mais de plus en plus de femmes rejoignent les zones de combat, soit que l'on parte en famille, soit qu'elles partent rejoindre un combattant pour l'épouser. Les individus concernés sont français pour deux tiers, étrangers pour un tiers. Des Français convertis à l'islam représentent quelque 20 % de l'ensemble. Enfin, 34 mineurs ont été recensés dans ces filières. Les djihadistes proviennent essentiellement d'Île-de-France, de Provence-Alpes-Côte d'Azur, du Nord et de Rhône-Alpes.
Je vous l'ai dit, la période de radicalisation s'est abrégée. Auparavant, on avait affaire à des jeunes gens, pour certains au passé de délinquants, dont la radicalisation s'était construite progressivement, soit lors d'un passage en prison, soit à l'écoute de prêcheurs de mosquées radicales, soit à la faveur d'une rencontre. Aujourd'hui, la fréquentation de sites Internet conduit à un passage à l'acte très rapide, qui marque une rupture complète avec la société française et parfois avec l'environnement familial. Certains apprentis djihadistes présentent une faiblesse psychologique qui les rend réceptifs à une certaine propagande ; ce n'est pas rassurant car, à leur retour en France, leur absence d'inhibition à l'idée d'user de la violence peut les faire passer à l'acte.
Jusqu'à récemment, les jeunes gens venus de France étaient cantonnés à des tâches subalternes ou logistiques. Le témoignage d'individus revenus sur notre sol et qui se sont confiés aux services, soit à la faveur d'une procédure judiciaire soit au cours d'entretiens menés par la DGSI, nous permet de dire qu'il n'en est rien : ils participent désormais à des exactions effroyables, notamment sous l'égide d'EIIL, le groupe le plus sanguinaire.
On peut partir en Syrie à peu de frais. Une « filière afghane » s'était constituée en son temps, mais le voyage était lointain et beaucoup plus coûteux et le mouvement n'a jamais pris l'ampleur à laquelle nous assistons cette fois. De même, une « filière malienne » avait commencé de se créer, à laquelle le déclenchement de l'opération Serval a mis fin. En revanche, l'accès à la Syrie, via la Turquie, est facile : une carte d'identité et quelques centaines d'euros y suffisent, que l'on peut se procurer par exemple en demandant un crédit à la consommation.
Ce phénomène extrêmement inquiétant est d'une ampleur inédite. Chacun comprendra combien il est difficile de suivre 800 personnes à la trace et de se faire une opinion du degré de dangerosité de chacun pour ajuster les moyens de surveillance en conséquence. Pour répondre à ce défi sécuritaire sans précédent, tous les services de renseignement sont mobilisés. Sur le territoire national, c'est la compétence de la DGSI qui s'exerce ; hors des frontières, une coopération étroite est à l'oeuvre avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et avec les services de renseignement des pays amis. En effet, le phénomène est européen et même mondial : à titre d'exemple 200 djihadistes Ouïghours venant de Chine se trouvent en Syrie Les pays de provenance des combattants étrangers en Syrie sont, outre la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et, dans une proportion nettement moindre, l'Italie.
Que fait-on lorsque les individus reviennent sur le territoire national ? Soit il y a des suites judiciaires, parce que des éléments de preuve ont pu être réunis pour le permettre – je rappelle que la loi antiterroriste a été modifiée fin 2012 précisément pour permettre de poursuivre en France les individus ayant commis des actes terroristes à l'étranger ; toute la difficulté est d'apporter la preuve de la commission d'actes terroristes.
Même quand les suites judiciaires sont impossibles, en particulier avant les départs, la DGSI procède systématiquement à des entretiens. Au 28 juin 2014, 185 entretiens ont été conduits, dont 118 avec des parents. Le mode d'alerte le plus fréquent actuellement est en effet le signalement par des proches des personnes concernées. À ce jour, 59 procédures judiciaires ont été engagées, qui impliquent près de 300 personnes ; 99 arrestations ont eu lieu, dont quatre à l'étranger sur mandat d'arrêt international ; 95 personnes ont été placées en garde à vue, 62 mises en examen, 40 incarcérées et 22 sont sous contrôle judiciaire. L'activité judiciaire est donc intense. Outre cela, six arrêtés d'expulsion d'étrangers impliqués dans les filières syriennes ont été pris, et la mesure administrative de gel des avoirs a été utilisée plusieurs fois.
Face à cette menace, la présentation en Conseil des ministres d'un projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est prévue le 9 juillet, si le Conseil d'État en a achevé l'examen à cette date. La priorité absolue est d'endiguer le phénomène en cassant la spirale des départs. En son article premier, le projet permettrait au ministère de l'Intérieur d'interdire la sortie du territoire pour une période de six mois renouvelables, à condition que l'autorité administrative apporte la preuve que la mesure est justifiée ; les voies de recours habituelles demeurent. D'autre part, sont envisagées des dispositions tendant à empêcher le retour en France des ressortissants étrangers impliqués dans le djihad qui ne sont pas sur le territoire national. Pour prévenir le prosélytisme, les étrangers sous le coup d'une expulsion pour ce motif et assignés à résidence car ils ne peuvent être expulsés pour quelque raison se verront interdire d'entrer en relation avec certaines personnes liées à la mouvance terroriste.
Une autre priorité qu'illustre le projet de loi est la lutte contre la propagande terroriste par le biais de l'Internet ; la sanction sera alourdie pour passer de cinq à sept ans d'emprisonnement.
La loi créerait en outre la notion d'« entreprise individuelle terroriste », adaptée à l'évolution du profil des individus concernés. À ce jour, les poursuites sont fondées sur l'appartenance à une association de malfaiteurs ; mais, de plus en plus souvent, le passage à l'acte est le fait d'individus isolés.
Nous souhaitons enfin pouvoir agir sur les sites Internet de propagande eux-mêmes. À cette fin, le projet complétera les dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique afin de prévoir la possibilité pour l'autorité administrative de demander aux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer, sous le contrôle du juge, l'accès aux sites provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l'apologie, à l'instar de ce que le législateur a déjà prévu pour les sites qui font l'apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, ou de violences faites aux femmes, ou qui incitent à la haine raciale, ainsi que pour les sites pédopornographiques. Les hébergeurs devront, dans ce cas aussi, proposer un moyen simple de signaler les sites incitant au terrorisme, et en informer au plus vite les pouvoirs publics. Enfin, la loi fera obligation aux opérateurs de rendre publics les moyens qu'ils consacrent à la lutte contre les sites qui provoquent à ces infractions. Cela donnera un moyen d'agir contre de nombreux sites, dont beaucoup sont hébergés à l'étranger, qui diffusent un discours d'une extrême violence et proposent des recettes de fabrication d'engins explosifs artisanaux. Cette propagande aussi dangereuse qu'efficace doit cesser, et j'espère que la loi nous aidera à agir en ce sens.
Telles sont les intentions du Gouvernement pour renforcer notre dispositif. Mais il est conscient que la lutte contre ce phénomène ne peut appeler exclusivement une répression policière et judiciaire. Que de jeunes Français, pour la plupart nés dans notre pays, choisissent d'aller mener une guerre dans un pays étranger interroge sur le fonctionnement de notre société et sur sa capacité d'intégration. Nous souhaitons donc aussi renforcer notre soutien aux familles, qui expriment un grand désarroi. Déjà, le « numéro vert » spécifique a démontré son utilité : il a permis de signaler plus de 200 cas significatifs de radicalisation ou de départs, en projet ou avérés. Nous formons les fonctionnaires d'État à l'accueil de ces familles. Nous réfléchissons aussi à ce que pourrait être une politique de prévention de la radicalisation. Chacun mesure la difficulté de la tâche, mais l'ampleur de ce phénomène de société interroge les pouvoirs publics.
Après l'affaire Merah, une commission d'enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés a été créée au sein de notre Assemblée. Dans ses conclusions, le rapporteur, M. Urvoas, en appelait en particulier au renforcement des moyens du Bureau du renseignement pénitentiaire (BRP). Il demandait aussi une plus grande coordination entre le BRP et les autres services pour permettre une surveillance optimale et continue des individus à risque. Qu'en a-t-il été depuis lors ? En 2012, 800 détenus étaient suivis. On ne peut sous-estimer le phénomène, d'autant plus difficile à contenir que les nouveaux convertis sont parfois plus zélés que les intégristes eux-mêmes, et qu'ils sont pris en charge à leur sortie de prison. Le projet de loi en préparation prévoit-il des mesures relatives à ces jeunes gens perdus, vite repérés par les propagandistes radicaux ?
Vous avez fait état du « désarroi » des familles. Est-ce vraiment de cela qu'il s'agit, ou de complicité ? D'autre part, la radicalisation se fait souvent en prison, et une certaine association connue pour apporter un soutien moral, spirituel et aussi financier aux détenus est en réalité une organisation salafiste ; pourquoi n'est-elle pas interdite et démantelée ? Dans un autre domaine, jugez-vous efficace la coopération entre les États dans la lutte contre les réseaux djihadistes ? Enfin, estimez-vous suffisants les moyens alloués au renseignement ?
Vous avez parlé d'un phénomène « sans précédent » ; il ne me paraît pas qu'il soit si nouveau, et le fait que Khaled Kelkal a opéré dans ma circonscription montre que ces individus peuvent sévir en tous lieux. J'aimerais savoir quel a été le sort de deux Français présumés djihadistes que nos forces ont ramenés du Mali à l'occasion de l'opération Serval. Plus généralement, on parle souvent de « loups solitaires » quand on traite des individus partis combattre en Syrie ; mais ne peut-on craindre un regroupement qui pourrait conduire au déclenchement d'un attentat de grande ampleur ? Et encore : on sait que certains de ces individus souscrivent des assurances vie puis les utilisent pour financer leur voyage ; pourquoi les banques qui versent ces fonds ne sont-elles pas davantage surveillées ? Autre chose : n'est-il pas temps de revenir sur la suppression de l'autorisation de sortie du territoire pour les mineurs ? Est-il prévu, dans le projet de loi que vous avez mentionné, de fermer les comptes Facebook des individus qui appellent au djihad ? Je crains que les chiffres dont vous avez fait état ne soient en deçà de la réalité ; des mesures simples comme celles dont je viens de dresser la liste contribueraient à juguler les départs.
Ce qui est sans précédent n'est pas le phénomène lui-même mais son ampleur. Quelques individus seulement sont partis combattre au Mali et, en Afghanistan, au plus fort de la présence française, on a dénombré une vingtaine de combattants venus de France au plus. Le nombre de jeunes Français engagés dans la filière syrienne est d'une tout autre ampleur, je vous l'ai dit. C'est le nombre qui est inédit.
La coopération entre États amis et alliés est incontestablement efficace. Si la DGSE repère en Syrie un ressortissant belge participant aux activités d'une katibate, la Belgique sera avisée, et la réciproque est vraie. Les liens entre la DGSI et la DGSE sont encore plus étroits.
Nos moyens sont-ils suffisants ? Si vous les interrogez, les directeurs des deux services vous diront qu'ils ne le sont pas, surtout pour suivre un phénomène de cette ampleur. On peut bien sûr les comprendre. Cependant, la récente réforme permettra à la DGSI de procéder à 432 recrutements entre 2014 et 2019. Que le service soit devenu une direction générale de plein exercice l'autorise en outre à recruter hors du périmètre de la police nationale, ce qu'elle ne pouvait faire auparavant. Cela lui permettra d'attirer des compétences nouvelles et de haut niveau, comme la DGSE peut le faire depuis longtemps. Nous faisons donc en sorte que les services aient les moyens d'agir. J'appelle votre attention sur le fait qu'avoir identifié au total 870 individus impliqués dans la filière irako-syrienne ne signifie pas que ces 870 personnes sont surveillées 24 heures sur 24. Une centaine environ est revenue en France. Nous procédons pour chacun à une analyse de leur degré de dangerosité potentielle pour adapter le mode de surveillance en conséquence ; mais je conviens qu'il ne peut en cette matière y avoir de science exacte.
C'est vrai, mais nous connaissons tous les contraintes financières de l'État. En dépit de cela, le périmètre du renseignement a fait l'objet d'un arbitrage important dans la loi de programmation militaire, avec des moyens prévus en augmentation, notamment pour la DGSI et la DGSE.
La prison est effectivement un lieu privilégié de bascule des individus vers la radicalisation. Cela se fait au contact d'individus eux-mêmes radicalisés, de prédicateurs ou d'imams auto-proclamés qui véhiculent des discours de propagande djihadiste. Nous n'avons pas prévu de dispositions législatives particulières à ce sujet car cela ne relève pas de la loi mais de l'action de l'administration pénitentiaire qui est parfaitement consciente du problème. Le conseil de défense d'avril dernier a défini un train de 23 mesures, dont un volet relatif à la prévention de la radicalisation en prison. Ces mesures sont en cours d'élaboration.
Le projet de loi vise aussi, je vous l'ai dit, à nous permettre d'agir sur les sites Internet qui véhiculent des discours intolérables. C'est pourquoi nous souhaitons modifier la loi pour la confiance dans l'économie numérique de 2004 afin d'y introduire des mesures permettant de bloquer les sites provoquant aux actes de terrorisme et en faisant l'apologie. Ces dispositions vaudront aussi pour les comptes Facebook.
Les organismes accordant des prêts à la consommation n'ont aucun moyen de savoir à quoi serviront les fonds. Or, comme je l'ai dit, quelques milliers d'euros suffisent à financer le voyage et le séjour en Syrie.
Les individus repérés comme étant allés combattre en Syrie sont par ailleurs signalés aux organismes qui versent les prestations sociales.
La réforme de 2010 a mis fin au système d'autorisation de sortie du territoire pour les mineurs. À l'époque, nous n'étions pas confrontés au phénomène actuel et il était apparu que le dispositif, outre qu'il était mal appliqué, était parfois utilisé à mauvais escient par des parents en conflit. Nous sommes conscients du problème, et un système d'interdiction individuelle de sortie du territoire d'un mineur a été rétabli : les parents peuvent demander à l'autorité administrative compétente de prendre une interdiction de sortie du territoire s'ils font valoir des arguments établissant que leur enfant est en danger. Évidemment, cette parade ne vaut que si les parents ont détecté ce danger ; or on connaît des cas de mineurs prétendument partis le matin au collège ou au lycée et qui étaient en Syrie le soir. Mais cette question renvoie à la responsabilité individuelle des parents : jusqu'où l'État doit-il se substituer à l'autorité parentale ? Quoi qu'il en soit, nous avons rétabli le dispositif pour les parents légitimement inquiets d'empêcher la sortie du territoire de leurs enfants.
J'appelle cependant l'attention sur la limite naturelle de tous ces dispositifs dans l'espace Schengen, où les contrôles sont aléatoires. Nous devons être conscients que nous habitons un pays dans lequel le droit d'aller et venir constitue une liberté fondamentale. Autant dire que toutes les mesures que nous prenons auront une efficacité certaine mais aussi des limites évidentes.
Il est vrai, Monsieur le député, que l'attitude des familles varie. Ce qui prévaut est un désarroi réel et une demande d'assistance, mais il peut aussi y avoir complicité quand les familles sont elles-mêmes radicalisées ; à ce sujet, je ne trahirai aucun secret en disant que la soeur de Mohamed Merah a approuvé sans réserve les agissements de son frère. Mais dans leur grande majorité, les parents sont plutôt inquiets, et ils ont des raisons de l'être. Qui est recruté dans une katibate n'en sort pas aussi facilement qu'il le souhaiterait. Des jeunes gens revenus en France nous ont indiqué avoir été menacés d'exécution lorsqu'ils ont dit vouloir quitter la Syrie, et certains ont été victimes de maltraitances et de châtiments corporels pour avoir refusé de procéder à un égorgement ou de participer aux combats. Tout cela, nous le disons aux familles, qui doivent savoir à quoi s'exposent leurs proches : le djihad est tout sauf une promenade de santé.
Les individus ramenés du Mali auxquels vous avez fait allusion ont fait l'objet d'une procédure judiciaire. Enfin, l'association d'aide aux prisonniers que vous avez mentionnée retient l'attention des autorités compétentes.
Existe-t-il une explication au fait que les apprentis djihadistes proviennent majoritairement d'Île-de-France, de Provence-Alpes-Côte d'Azur, du Nord et de Rhône-Alpes ? D'autre part, la radicalisation ne se produit-elle pas aussi dans les lieux de culte et sont-ils surveillés ? Enfin, a-t-on les moyens techniques de fermer les sites faisant l'apologie du terrorisme ?
Le mal est implanté dans les maisons centrales depuis que les premiers terroristes ont été arrêtés, parce que, en France, on promène les prisonniers d'une centrale à l'autre. Or, dans ces établissements, le règlement n'est pas appliqué. Les directeurs permettent que les portes restent ouvertes et autorisent aussi que trois personnes soient réunies dans une même cellule pour la prière, alors que c'est interdit. Pire : pendant le ramadan, il arrive que des prisonniers ne mangent pas parce que ceux qui poussent les chariots décident de ne pas livrer de nourritures « impies ». Et encore : certains prisonniers ne passent pas sous le portique de détection de métaux, car les gardiens ont peur de se faire agresser. Je me dois aussi de citer le cas de cette nouvelle maison centrale, ouverte en mai, dans laquelle un gardien a reçu l'ordre de son directeur de ne pas se mêler à un atelier de détenus au motif que cela les traumatiserait. Mais le plus grave, c'est que de jeunes gardiens de prisons parlent en arabe vernaculaire avec des prisonniers, et que l'épouse de certains gardiens est voilée.
D'autre part, nous entretenons des relations diplomatiques avec des États qui ont un art consommé du double langage. La classe politique française fait de nombreux allers et retours au Qatar, et tous les députés de France ont reçu une brochure luxueuse expliquant que le Qatar était le pays des droits de l'Homme, sans que cela suscite une réaction particulière. Il est interdit de s'en prendre à cet émirat qui, certes, rachète de nombreuses entreprises mais qui continue aussi à financer le djihad. La coopération avec les services de renseignements étrangers existe-t-elle aussi avec les services d'Arabie saoudite ou du Pakistan, spécialistes du double jeu ?
Plus largement, n'est-il pas grand temps d'agir en amont ? On parle encore et encore d'égalité, alors que la réalité est très dure pour de nombreux Français. Les gouvernements successifs ont abandonné peu à peu l'enseignement de l'histoire de France, et nous vivons dans un pays qui ne cesse de déconstruire le roman national. Il faut en revenir aux fondamentaux, ne pas tolérer la moindre incartade et commencer par se connaître soi-même avant de s'ouvrir à l'autre. Or, on demande aujourd'hui à des enfants de huit ans qui ne parlent pas le français chez eux d'apprendre d'autres cultures ; ce faisant, on les renvoie à ce que leurs parents ont quitté. C'est absurde, et on fait fausse route. Enfin, aujourd'hui même, sur les murs de Paris, on peut voir une affiche publicitaire pour un forfait téléphonique sur laquelle apparaît une femme portant le voile islamique. S'employer à appliquer des lois réprimant le port du voile et accepter cela, c'est incohérent.
Vous avez défini la Turquie comme un pays de transit entre l'Europe et la Syrie. Dans ce contexte, pouvez-vous nous en dire davantage sur les relations avec les services de renseignements turcs et sur la position diplomatique de ce pays sunnite ?
La Turquie côtoie une zone en pleine déstabilisation où les États sont désorganisés et où des groupes terroristes ont pris le pouvoir. Elle ne peut pas ne pas tenir compte de cet environnement. La Turquie doit prendre en considération le fait qu'elle pourrait payer le prix, sur son territoire, d'une attitude trop partisane. Elle est donc dans une situation singulière et difficile, qui explique ses hésitations initiales à coopérer avec les États attachés à lutter contre les réseaux terroristes. Mais les choses se sont améliorées, un dialogue positif s'est engagé avec les autorités turques qui sont désormais plus coopératives et qui nous font plus de signalements qu'auparavant. Cette coopération pourrait se renforcer encore et d'autres pays européens ont sensibilisé la Turquie à cette question. Mais, j'insiste, le pays est vulnérable.
Je ne m'autoriserai pas une analyse historique, politique ou sociologique du phénomène auquel nous sommes confrontés car ce n'est pas dans mon champ de compétences, même si j'ai quelques idées à ce sujet en ma qualité d'ancien préfet délégué à l'égalité des chances dans l'Essonne. J'ai vu l'état des quartiers sensibles – que j'ai toujours appelé des quartiers populaires ; ils sont le terreau du phénomène auquel nous assistons et reflètent des décennies de politique d'intégration inaboutie et de politiques de la ville qui n'ont pas atteint leurs objectifs. Je ne me sens pas autorisé à ouvrir ce débat, mais le Gouvernement est conscient que l'on ne peut s'en tenir à une réponse qui serait uniquement policière et judiciaire.
La coopération est bonne avec les services des pays alliés et amis, qui sont confrontés aux mêmes problèmes que nous. Les États-Unis n'ont aucune envie de voir débarquer d'un vol Paris-New York des individus radicalisés qui auraient pour mission de commettre sur leur territoire un autre septembre, et les services américains nous fournissent des informations quand ils en recueillent. Nous entretenons des relations adaptées avec le Qatar, l'Arabie saoudite ou le Pakistan, pays à la culture différente mais eux-mêmes confrontés à la menace terroriste.
Je vous l'ai indiqué, un volet relatif à la radicalisation en milieu pénitentiaire figure dans les mesures en cours d'élaboration.
Le tableau que j'ai sous les yeux recense les départements de départ des jeunes gens vers la Syrie ; il montre par exemple que 11 individus sont partis de Haute-Savoie et 51 du Nord. Le plus grand nombre de départs s'observe probablement là où se trouve la plus grande proportion de gens sensibles à la propagande djihadiste. De manière générale, il s'agit d'un phénomène urbain.
Il y a effectivement quelques départs en Syrie depuis les départements ruraux, mais dans une proportion bien moindre que dans les centres urbains.
La DGSI mène une surveillance attentive des mosquées radicales. On me remet régulièrement un document relatant la teneur des prêches et des mesures de police administrative sont prises en tant que de besoin. Ainsi, les imams étrangers qui font l'apologie de la haine et de la violence terroriste sont expulsés du territoire national et renvoyés dans leur pays d'origine. Une autre mesure de police administrative très efficace est le gel des comptes d'associations qui permettent le fonctionnement des mosquées radicales ou d'individus qui y prônent ce discours.
Je vous remercie, monsieur le préfet, de l'objectivité avec laquelle vous avez présenté les faits. Le travail accompli par les services de renseignement doit être apprécié à sa juste mesure ; notre pays est très exposé et je pense que, grâce à eux, nous avons échappé à bien des horreurs.
Vous avez évoqué un phénomène nouveau ; je partage ce point de vue. Il ne s'agit plus, comme c'était le cas auparavant, de gens qui intègrent les cercles politico-religieux du djihadisme. Un phénomène d'une bien plus grande ampleur est en cours, qui recouvre un autre champ. Je ne peux croire qu'un adolescent de 15 ans qui part en Syrie a été convaincu de le faire en quinze jours ; je ne crois pas non plus, malheureusement, à la théorie de la fragilité psychologique. Quelque chose de plus profond est à l'oeuvre, qui mérite une réflexion vigilante car les islamistes ont toujours eu un coup d'avance. Que se passe-t-il donc en France ? Bien que l'Algérie ait connu une décennie de guerre civile, très peu de jeunes Français sont allés y combattre. À cette affluence étrangère en Syrie, si loin de France, il y a plusieurs raisons : la nature du conflit, la démission internationale et l'émergence d'une nouvelle génération à la recherche d'un idéal. Nous devons prendre ces questions en considération car les services de renseignements ne pourront régler la question à eux seuls.
Cela signifie que l'examen du projet de loi que vous avez évoqué ne doit pas être un texte conjoncturel : il doit refléter une réflexion de très long terme. En effet, l'objectif des terroristes est de susciter un conflit là où des gens vivent pacifiquement ensemble, de recruter des combattants pour introduire la culture de la guerre et la division. Cela ne se fera pas en trois ans, mais en dix ans peut-être ou dans plus longtemps encore, car la force de ces gens, c'est le temps : ils n'agissent ni en fonction du journal télévisé de 20 heures, ni en fonction des prochaines élections. Leur objectif, c'est la provocation permanente, pour susciter un durcissement et finalement, comme tous les agitateurs, une « action-réaction » jusqu'à provoquer une réaction en chaîne incontrôlable.
Le travail que conduisent les services de renseignements est efficace et il doit se poursuivre. Mais le champ de notre réflexion doit excéder le domaine sécuritaire et porter aussi sur la dimension politique du phénomène. Et à ce sujet, en ma qualité de parlementaire français, je suis inquiet qu'une loi puisse interdire de voyager à des majeurs qui n'ont commis aucune infraction. Quoi qu'il en soit, une nouvelle étape s'ouvre dans la lutte contre le terrorisme et si nous ratons le coche, nous en ressentirons très longtemps les effets.
Notre inquiétude est si bien partagée par les États-Unis qu'ils entendent durcir les conditions d'entrée sur leur sol pour l'ensemble des Européens. Or, actuellement, il est possible de s'y rendre aisément sans visa pour des voyages d'agrément ou d'affaires courts grâce à l'ESTA (Electronic System for Travel Authorization). Avez-vous pris contact avec les services américains à ce sujet ? Quelle coopération peut-on envisager avec eux au-delà de l'échange de renseignements ? En Europe, la difficulté tient à ce que les contrôles aux frontières se font désormais aux frontières de l'espace Schengen ; quels sont vos liens avec vos homologues européens ? Le projet de loi dont vous avez décrit les grandes lignes aura-t-il pour effet de rendre plus difficiles les voyages, au moment même où l'on négocie un traité transatlantique ? L'enjeu de sécurité ne peut certes être négligé mais, dans le même temps, on ne saurait faire l'impasse sur les considérations économiques et l'impératif de croissance dans l'Union européenne et aux États-Unis.
Combien des jeunes gens partis de France combattre en Syrie y ont perdu la vie ? Je vois une explication au phénomène auquel nous sommes confrontés : certains esprits faibles ont pris au pied de la lettre l'insistance mise par la communauté des nations à répéter qu'il fallait faire tomber Al Assad. Ceux qui s'égosillaient ainsi sont responsables des départs en masse de jeunes Français vers la Syrie.
Si je vous ai bien entendu, la coopération est bonne avec les services des pays occidentaux, moins bonne avec les autres. Ne se dirige-on pas vers une confrontation rappelant celle de la guerre froide, et que favorise le djihad ?
Enfin, il est invraisemblable que les services de la CNAF n'aient pas l'obligation de suspendre les prestations servies aux individus qui leur sont signalés comme partis participer au djihad en Syrie. Pourtant, la sécurité nationale est en jeu. Faut-il faire évoluer la législation pour établir qu'en de tels cas ces prestations cessent d'office d'être servies ?
Les services de renseignement font leur travail en signalant les situations individuelles aux organismes sociaux. Le signalement étant fait, l'organisme réexamine la situation de l'intéressé : à elle, si elle constate que l'individu concerné ne remplit plus les conditions d'ayant droit, d'en tirer les conséquences. Il n'est pas besoin d'une loi pour cela.
Les services sociaux font leur travail, et il ne m'apparaît pas que cette question soit au coeur du débat.
Le décideur est le conseil général. Or, dans l'Ain en tout cas, la suspension du versement du RSA en cas de non respect des obligations du contrat d'insertion n'a rien de systématique. Puisque la décision dépend des conseils généraux, peut-être faudrait-il néanmoins envisager un texte à ce sujet.
Je vous remercie, monsieur Boutih, d'avoir salué le travail accompli par les services. Je pourrais dresser la liste des attentats dont vous n'entendrez jamais parler car ils n'ont pas eu lieu – grâce à eux. Lors de l'affaire Merah, des critiques très sévères ont été adressées à la DGSI. Mais pour une affaire où il y a peut-être eu un dysfonctionnement, sait-on combien de fois la DGSI a réussi à éviter le pire ? Je me limiterai à mentionner qu'au début de l'année 2014, dans le Sud de la France, un individu a été arrêté in extremis dont nous avons la certitude qu'il préparait un attentat ; il est maintenant sous les verrous. Dans un immeuble ont été découverts 800 grammes d'un explosif artisanal parmi les plus puissants. Je vous remercie de me donner l'occasion de souligner que nos services de renseignement, en évitant la commission de nombreux attentats, font un travail extraordinaire. Est-ce à dire que nous sommes totalement à l'abri ? Je me garderais de le dire.
Je le redis, le phénomène est inédit tant par son ampleur – 32 jeunes gens ont déjà perdu la vie en Syrie, certains dans des attentats suicides, pour un combat qui ne les concerne en rien – que par la violence effroyable des exactions auxquelles ils participent ; nous avons la preuve d'une désinhibition dans le rapport à la violence.
Quelle est la stratégie des mouvements djihadistes ? Dans cette région, la nébuleuse Al Qaïda a donné lieu à des déclinaisons régionales, qu'il s'agisse d'Al Qaïda dans la péninsule arabique, d'Al Qaïda au Maghreb islamique ou de groupes syriens « affiliés ». Leurs visées sont régionales dans un premier temps, puis internationales. Leur objectif clairement affiché est de se projeter en Europe ou aux États-Unis et d'y commettre un attentat de grande ampleur ; c'est l'autre dimension du phénomène.
Pour rassurer M. le député Malek Boutih, le futur projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme n'a rien de liberticide. Il n'est pas question de prendre des milliers de décisions d'interdiction de sortie du territoire, mais seulement de viser les individus dont le comportement démontre que leurs déplacements à l'étranger sont de nature à menacer la sécurité de l'État. La décision, qui doit être sérieusement motivée, est susceptible de recours contentieux, y compris par la voie du référé. Ne sont donc potentiellement concernés que quelques individus dont on a repéré le début avéré de préparation d'un départ en Syrie. On ne peut pas dire qu'il faut lutter contre les réseaux djihadistes pour prévenir les actes qu'ils pourraient commettre sur le territoire national et, dans le même temps, ne prendre aucune mesure quand la preuve est faite qu'un individu est sur le point de partir en Syrie pour y commettre des crimes.
Une coopération est à l'oeuvre avec tous les services européens ; elle prend la forme d'échange d'informations sur les ressortissants susceptibles de revenir avec des intentions malveillantes. Je rencontre régulièrement mon homologue américain, qui attache une grande importance à la collaboration entre les États-Unis et l'Union européenne en ce domaine. C'est exact : les États-Unis sont très soucieux de la sécurité aérienne, et ils n'excluent pas de durcir les mesures de sécurité relatives aux vols entre les États-Unis et les pays de l'Union européenne. Nous avons eu des contacts, récemment, avec les autorités américaines pour souligner que nous prenons toutes mesures utiles destinées à entraver le phénomène. Nous tenons à rassurer nos interlocuteurs car nous n'ignorons pas quelles seraient les conséquences de mesures de sécurité encore renforcées pour les vols commerciaux, tant en termes de coût qu'en allongement des délais d'embarquement ; mais il se peut que les compagnies aériennes soient conduites à durcir quelque peu leurs procédures de sécurité pour les Européens.
De quelles motivations font état les individus revenus de Syrie que vous interrogez ? Évoquent-ils le combat pour l'islam ou aussi un idéal de liberté, en écho au message porté pendant de longs mois par la communauté internationale à propos des rebelles ?
Certains avancent une motivation religieuse, mais leur degré de culture politique et religieuse est souvent très faible. Il s'agit plutôt de combler un manque, de donner un sens à sa vie quand, à tort ou à raison, on a le sentiment de ne pas avoir sa place dans la société française. Ce qui est très inquiétant est la détermination des intéressés. Je serais tenté avec prudence de comparer cet engagement à un embrigadement sectaire, avec ce que cela comporte d'irrationnel et d'irrésistible.
L'un des intérêts du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est qu'au retour des individus partis combattre en Syrie, une poursuite judiciaire peut être engagée à leur encontre au motif qu'ils ont enfreint l'interdiction de sortie du territoire.
J'avais omis de souligner ce point. Mais j'insiste sur le fait que la mesure d'interdiction de sortie du territoire n'est qu'un élément d'un ensemble de mesures ; elle ne peut à elle seule fonder toute une politique.
Quelles sont vos relations avec les services britanniques ? Le Royaume-Uni, qui a longtemps été très hospitalier avec certains groupes, a-t-il changé de doctrine ? Le fait qu'il n'appartienne pas à l'espace Schengen nuit-il à la coopération européenne ?
Je suis convaincu que nous n'en sommes qu'au début de graves problèmes avec l'islamisme radical. Au danger direct d'attentats commis en Europe occidentale se grefferait en effet, s'ils survenaient, le risque de perturbation des relations entre les non musulmans et les musulmans paisibles : le regard du reste de la population sur ces derniers pourrait en être modifié. Il y a là un risque réel pour la stabilité de notre pays.
De manière pratique, ne peut-on établir une liste noire des jeunes gens partis en Syrie pour être certain que la police de l'air et des frontières les interceptera à leur retour en France, indépendamment des signalements que font ou ne font pas les services étrangers ?
Le Royaume-Uni a connu récemment un attentat effroyable – un soldat a été égorgé en pleine rue. Les deux auteurs de ce crime sont, eux aussi, des personnes en rupture avec la société d'accueil qui pratiquent une « guerre sainte ». Sous la pression des événements, nos positions se rapprochent, celle des Britanniques ayant largement évolué car ils doivent, eux aussi, se protéger. Ils travaillent beaucoup à prévenir la radicalisation, avec une approche politique différente de la nôtre en ce que notre droit ne connaît que des citoyens et non des communautés. Sur le plan opérationnel, nos services parlent le même langage et coopèrent efficacement.
Pour ce qui est des relations entre musulmans et non musulmans, nous devons veiller à ce qu'il n'y ait pas d'amalgame et que le comportement d'une poignée d'individus ne rejaillisse pas sur l'image d'une communauté qui, dans son immense majorité, aspire à vivre paisiblement dans le cadre des lois de la République. C'est le rôle de l'autorité politique de le répéter en permanence. La création du numéro vert spécifique a été approuvée par la communauté musulmane, dont les responsables religieux, conscients de ce défi, ont une attitude très responsable.
La gestion des retours des djihadistes lorsqu'ils se font par avion est encore ce qu'il y a de plus simple. Un article de la loi de programmation militaire adoptée en 2013 a autorisé la création d'un fichier des passagers des compagnies aériennes. Le ciblage des individus concernés ainsi rendu possible permettra aux services d'agir, mais il est compliqué par le fait que, pour brouiller les pistes, les voyages de retour vers la France sont souvent volontairement scindés. À cela s'ajoute que dans l'espace Schengen les contrôles sont l'exception. Le principe de la liberté de circulation et les moyens de droit rendent très difficile la tâche des services, qui finiront par buter sur un problème d'effectif si l'on ne parvient pas à endiguer le flux des départs. Voilà pourquoi il faut s'y employer impérativement.
Je vous remercie, monsieur le préfet, pour votre disponibilité et pour la qualité des échanges que vous avez permise. La commission de la Défense estime le travail des services de renseignement à sa juste valeur et rend hommage à leur engagement.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.