Mme de la Raudière et moi-même en sommes à notre quatrième rapport sur le numérique. Cette fois-ci, notre mission était plus conséquente puisqu'elle a duré plus d'un an et a porté sur les enjeux de l'économie numérique française, comparée à celle des autres pays. Nous avons donc été amenées à nous déplacer en Europe, aux États-Unis et en Asie.
Notre objectif était d'abord pédagogique : expliquer ce qu'est l'économie numérique, comment elle bouleverse tous les modèles économiques et toutes les organisations. Pour nous, il s'agit d'un phénomène positif, et en tout état de cause inéluctable, qu'il faut donc anticiper et auquel il faudra s'adapter. Inutile d'élever des digues de sable qui seraient continuellement contournées ou détruites.
Sans entrer dans le détail du rapport, j'irai directement à la question posée par Mme la présidente : tous les modèles économiques et tous les secteurs sont impactés par le numérique – dont l'audiovisuel, la distribution et le tourisme. Le bouleversement porte aussi bien sur les modes de consommation des citoyens que sur l'organisation interne du fonctionnement des entreprises. On peut même dire que les fonctions d'intermédiation sont percutées de plein fouet. C'est le cas de la distribution, qui est le secteur le plus touché en raison du développement des ventes en ligne – le « e-commerce » – qui a fait évoluer les habitudes de consommation.
Il est fréquent, dans l'histoire économique, que des phénomènes de destruction d'emplois laissent la place à des phénomènes de création d'emplois, avec des périodes plus ou moins longues d'adaptation. S'agissant de l'économie numérique, la destruction de certaines fonctions a été particulièrement étudiée, notamment aux Etats-Unis. Lors de nos auditions, l'exemple des moyennes et grandes surfaces est souvent revenu. Il y a en France à peu près 400 000 caissiers ou caissières. Actuellement, on dispose des technologies permettant de se passer de leurs postes de travail. Mais que faire, comment s'adapter ? Comment transformer les postes de travail ? Comment faire évoluer les carrières ? Quel type de formations mettre en place ?
Il en va de même dans le secteur bancaire. Nous allons de moins en moins au guichet de notre banque. Nous faisons tout, soit en ligne, soit sur les distributeurs à l'extérieur ou à l'intérieur de la banque. Ainsi, au fur et à mesure, les fonctions d'intermédiation sont appelées à se raréfier et, en tout état de cause, à se transformer.
Pour répondre à votre dernière question, madame la présidente, il se trouve en effet que, globalement et majoritairement, ces fonctions d'intermédiation sont occupées – en tout cas en France – par des femmes faiblement qualifiées.
Dans un tel contexte, les entreprises et les pouvoirs publics ont à exercer leurs responsabilités. Celle des entreprises consiste à adapter et à faire évoluer les compétences de ses salariés. Celle des pouvoirs publics consiste à mettre en oeuvre des dispositifs de formation aux technologies numériques, auxquels tous doivent pouvoir avoir accès. Il peut s'agir de formation initiale ; nous préconisons d'ailleurs une sensibilisation et un apprentissage précoces du codage. Il peut s'agir aussi de formation professionnelle : d'une part, le numérique a un fort potentiel ; d'autre part, l'adaptation des compétences est un enjeu crucial. Les fonctions d'intermédiation, par exemple, concernent tous les secteurs d'activité.
Je précise que le numérique participe à peu près à 25 % de la croissance française et représente environ 8 % du PIB. Son rôle est donc devenu essentiel. Mais les femmes sont sous-représentées dans les métiers du numérique, entendu au sens large – 28 % des emplois seulement sont occupés par des femmes.
Nous avons des progrès à faire, d'autant que les perspectives d'évolution de carrière sont tout à fait intéressantes. Mais l'important, selon moi, est d'anticiper l'évolution des compétences. En effet, le numérique va de plus en plus vite et il faut imaginer d'autres fonctions, notamment dans les secteurs de la distribution, des banques ou du tourisme. Le plus grand danger serait de ne pas se préparer à cette révolution industrielle. Les pouvoirs publics doivent anticiper ces changements majeurs, que nous considérons comme une chance et une opportunité.
C'est l'occasion de repenser le fonctionnement de notre économie, mais également de repenser les fonctions au sein de l'État ou des collectivités, voire ici même, à l'Assemblée nationale. Par exemple, est-il toujours utile d'envoyer à chacun, par écrit et par voie postale, les bulletins de salaire ? Ne pourrait-on pas les dématérialiser, ce qui suppose que les personnes qui s'occupent des mises sous enveloppe soient appelées à d'autres fonctions ? C'est à ce genre de questions que nous devons impérativement réfléchir.