La séance est ouverte à 14 heures.
La Délégation procède à l'audition de Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière, députées, rapporteures de la mission d'information sur le développement de l'économie numérique française.
Mes chères collègues, certains des sujets que vous avez abordés dans votre rapport d'information sur le développement de l'économie numérique française sont susceptibles de nous intéresser, et je vous remercie de vous être rendues disponibles pour éclairer la Délégation sur ces questions.
Vous y constatez que l'économie numérique a transformé – voire bouleversé – certains secteurs et qu'il faut s'attendre à ce que d'autres le soient. Vous nous exhortez à anticiper les effets de cette évolution. Il s'agit bien, conformément au titre de ce rapport, d'« Agir pour une France numérique », ce qui suppose « De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace… ».
De nombreux métiers sont ou seront donc affectés par le e-commerce et la e- économie – notamment l'accueil et les services directs rendus au public. Que faire des personnes qui exercent ces métiers ? Peut-on les former pour prévenir le phénomène ? Comment faire en sorte que la destruction de certains emplois, qui aura lieu dans un premier temps, soit suivie par la création de nouveaux emplois ?
Dans un autre domaine, le meilleur et le pire se côtoient sur le net. Dans plusieurs textes de loi, nous avons tenté de réguler certaines informations ou certains trafics qui transitent par ce biais – concernant par exemple la prostitution et la pédo-pornographie. Les membres de la Quadrature du net ont d'ailleurs demandé à me rencontrer. Qu'en pensez-vous ?
Ensuite, votre travail vous a-t-il permis de connaître les pays qui ont pris en compte et anticipé ces évolutions ?
Enfin, avez-vous mesuré l'impact qu'aura le développement de l'économie numérique sur les femmes qui sont sur le marché du travail ? Des études de genre ont-elles été menées sur le sujet ?
Mme de la Raudière et moi-même en sommes à notre quatrième rapport sur le numérique. Cette fois-ci, notre mission était plus conséquente puisqu'elle a duré plus d'un an et a porté sur les enjeux de l'économie numérique française, comparée à celle des autres pays. Nous avons donc été amenées à nous déplacer en Europe, aux États-Unis et en Asie.
Notre objectif était d'abord pédagogique : expliquer ce qu'est l'économie numérique, comment elle bouleverse tous les modèles économiques et toutes les organisations. Pour nous, il s'agit d'un phénomène positif, et en tout état de cause inéluctable, qu'il faut donc anticiper et auquel il faudra s'adapter. Inutile d'élever des digues de sable qui seraient continuellement contournées ou détruites.
Sans entrer dans le détail du rapport, j'irai directement à la question posée par Mme la présidente : tous les modèles économiques et tous les secteurs sont impactés par le numérique – dont l'audiovisuel, la distribution et le tourisme. Le bouleversement porte aussi bien sur les modes de consommation des citoyens que sur l'organisation interne du fonctionnement des entreprises. On peut même dire que les fonctions d'intermédiation sont percutées de plein fouet. C'est le cas de la distribution, qui est le secteur le plus touché en raison du développement des ventes en ligne – le « e-commerce » – qui a fait évoluer les habitudes de consommation.
Il est fréquent, dans l'histoire économique, que des phénomènes de destruction d'emplois laissent la place à des phénomènes de création d'emplois, avec des périodes plus ou moins longues d'adaptation. S'agissant de l'économie numérique, la destruction de certaines fonctions a été particulièrement étudiée, notamment aux Etats-Unis. Lors de nos auditions, l'exemple des moyennes et grandes surfaces est souvent revenu. Il y a en France à peu près 400 000 caissiers ou caissières. Actuellement, on dispose des technologies permettant de se passer de leurs postes de travail. Mais que faire, comment s'adapter ? Comment transformer les postes de travail ? Comment faire évoluer les carrières ? Quel type de formations mettre en place ?
Il en va de même dans le secteur bancaire. Nous allons de moins en moins au guichet de notre banque. Nous faisons tout, soit en ligne, soit sur les distributeurs à l'extérieur ou à l'intérieur de la banque. Ainsi, au fur et à mesure, les fonctions d'intermédiation sont appelées à se raréfier et, en tout état de cause, à se transformer.
Pour répondre à votre dernière question, madame la présidente, il se trouve en effet que, globalement et majoritairement, ces fonctions d'intermédiation sont occupées – en tout cas en France – par des femmes faiblement qualifiées.
Dans un tel contexte, les entreprises et les pouvoirs publics ont à exercer leurs responsabilités. Celle des entreprises consiste à adapter et à faire évoluer les compétences de ses salariés. Celle des pouvoirs publics consiste à mettre en oeuvre des dispositifs de formation aux technologies numériques, auxquels tous doivent pouvoir avoir accès. Il peut s'agir de formation initiale ; nous préconisons d'ailleurs une sensibilisation et un apprentissage précoces du codage. Il peut s'agir aussi de formation professionnelle : d'une part, le numérique a un fort potentiel ; d'autre part, l'adaptation des compétences est un enjeu crucial. Les fonctions d'intermédiation, par exemple, concernent tous les secteurs d'activité.
Je précise que le numérique participe à peu près à 25 % de la croissance française et représente environ 8 % du PIB. Son rôle est donc devenu essentiel. Mais les femmes sont sous-représentées dans les métiers du numérique, entendu au sens large – 28 % des emplois seulement sont occupés par des femmes.
Nous avons des progrès à faire, d'autant que les perspectives d'évolution de carrière sont tout à fait intéressantes. Mais l'important, selon moi, est d'anticiper l'évolution des compétences. En effet, le numérique va de plus en plus vite et il faut imaginer d'autres fonctions, notamment dans les secteurs de la distribution, des banques ou du tourisme. Le plus grand danger serait de ne pas se préparer à cette révolution industrielle. Les pouvoirs publics doivent anticiper ces changements majeurs, que nous considérons comme une chance et une opportunité.
C'est l'occasion de repenser le fonctionnement de notre économie, mais également de repenser les fonctions au sein de l'État ou des collectivités, voire ici même, à l'Assemblée nationale. Par exemple, est-il toujours utile d'envoyer à chacun, par écrit et par voie postale, les bulletins de salaire ? Ne pourrait-on pas les dématérialiser, ce qui suppose que les personnes qui s'occupent des mises sous enveloppe soient appelées à d'autres fonctions ? C'est à ce genre de questions que nous devons impérativement réfléchir.
Merci, madame la présidente, de nous accueillir aujourd'hui. Lorsque nous avons fait ce rapport, nous n'avons pas du tout pensé à l'éclairage « droits des femmes ». Notre objectif était de faire de la pédagogie sur la transformation de l'économie française, européenne et mondiale, et de présenter les dispositions à prendre pour que la France occupe une place de leader dans le monde du numérique.
Nous sommes dans la troisième révolution industrielle. Nous sommes en train de passer d'une économie de l'industrialisation, attachée au territoire, à une économie de l'innovation, directement mondiale. Le leitmotiv des acteurs que nous avons rencontrés à l'étranger, en particulier dans la Silicon Valley, est de changer le monde – Change the World ! Jusqu'à l'inscription qui figure au dos des cartes de visite des professeurs de Stanford : Change Lives, Change Organisations, Change the World. Ce n'est pas une mince ambition !
L'économie numérique se nourrit de tous les dysfonctionnements de notre société en améliorant le service rendu aux utilisateurs. C'est ainsi que naissent aujourd'hui la plupart des grandes entreprises de ce secteur – cf. la société Uber et le conflit entre les chauffeurs de taxis et les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC). Ces entreprises, ayant pris conscience des dysfonctionnements existants, proposent un service dématérialisé – quasiment tout de suite à une échelle mondiale – qui est facilement adopté parce qu'il apporte réellement un service supplémentaire.
Le propos de Mme Erhel sur l'éducation mérite d'être martelé : il faut commencer au plus tôt l'apprentissage du numérique. Et comme l'éducation est un facteur à la fois d'intégration, de socialisation et de justice sociale, son propos vaut aussi pour les femmes, qui ne pourront qu'y gagner dans la société numérique d'aujourd'hui et de demain.
Selon une étude faite, pour le président Obama, par le secrétaire d'État à l'éducation, 65 % des métiers qu'exerceront les écoliers d'aujourd'hui ne sont pas encore inventés. Il y a donc des possibilités pour les femmes de se trouver sur un pied d'égalité par rapport aux hommes, et d'échapper à des schémas préétablis, avec des métiers réservés aux hommes et d'autres aux femmes.
Malheureusement, nous avons constaté une régression : il y a aujourd'hui moins de femmes ingénieurs et dans les carrières scientifiques qu'il n'y en avait dans les années soixante-dix. C'est ainsi que l'on ne compte que 1 % d'ingénieurs femmes dans le numérique.
Lorsque j'étais étudiante, il y avait 5 à 10 % de femmes en classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques.
C'est là où vous avez un rôle important à jouer. Dès la petite enfance et au cours de l'éducation, il faut dire aux filles que ces métiers leur sont accessibles et qu'elles peuvent y faire carrière. Et il faut insister sur ce point au moment de leur orientation.
J'en viens à la question du filtrage d'internet, qui pose celle de l'équilibre entre la liberté et la protection des individus.
Pour y répondre, nous devons d'abord réfléchir à la place du juge dans la démocratie, à l'ère du numérique. En effet, toute disposition relevant d'une décision administrative et mettant en place un filtrage est nécessairement une atteinte aux libertés, quelle qu'en soit la raison. C'est ce qu'avait fait la majorité précédente, dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 ». Je m'étais d'ailleurs opposée à son article 4, alors même que la cible visée était la pédo-pornographie en ligne. Tant que l'on n'aura pas débattu de la place du juge, on ne pourra pas discuter de l'étape suivante, à savoir du filtrage administratif qu'il est possible d'autoriser.
L'article 1er de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel autorisait le blocage de certains sites sans intervention judiciaire. Il a été opportunément retiré. L'équilibre entre le pouvoir exécutif et la justice a été ainsi préservé. Mais il faut dire aussi qu'on n'a pas aujourd'hui le moyen de filtrer efficacement et de façon ciblée un site internet, à moins de faire du surfiltrage ou de procéder à des écoutes massives et approfondies.
Soit vous attentez aux libertés individuelles en mettant en place le deep packet inspection (DPI), qui permet à l'administration de tout écouter. Soit vous filtrez de façon très large et vous bloquez d'autres sites, en plus de celui que vous vouliez bloquer. La Commission des lois et la Délégation aux droits des femmes devraient engager sur ce sujet des discussions avec la Quadrature du Net, mais aussi avec d'autres personnes – opérateurs de télécoms, tous acteurs maîtrisant ces enjeux – pour asseoir une compétence technique avant de décider de ce que l'on inscrira dans la loi.
Le juge ne sera pas forcément plus efficace, mais au moins nos piliers démocratiques seront-ils préservés.
Si l'on repère un site qui contrevient à ce que l'on souhaite, peut-on intervenir auprès des fournisseurs d'accès ?
Soit le site est hébergé en France, auquel cas la loi française s'applique et on fait supprimer le site ; soit il est hébergé à l'étranger et si on filtre, on arrête le flux, soit on fait du surblocage et on ne filtre rien ou on utilise des technologies extrêmement intrusives dans la vie privée. Que la décision vienne du juge ou de l'administration, le résultat est le même. Mais au moins la décision de justice ne met-elle pas à mal les piliers de notre démocratie.
Il me semble par ailleurs important de rappeler que l'article 7 du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes aboutit à demander à des acteurs privés de signaler les abus et, finalement, d'apprécier ce qui est légal ou ne l'est pas. Je pense plus particulièrement à Dailymotion et aux vidéos qui constitueraient des atteintes à l'intégrité et à la dignité de la femme. De telles vidéos sont bien sûr horribles, mais j'observe que les acteurs privés feront le nettoyage qu'ils voudront, sans avoir pour autant une responsabilité d'éditeurs. Quand vous avez une responsabilité d'éditeur, vous êtes responsable du contenu que vous mettez en ligne. Quand vous avez une responsabilité d'hébergeur, vous ouvrez une plate-forme et tout le monde peut mettre en ligne ce qu'il veut. Voilà pourquoi je ne suis pas très favorable à ce que l'on demande aux acteurs privés qui font uniquement de l'hébergement de faire le tri entre ce qui serait ou non regardable au regard de la loi.
Il faut impérativement disposer d'un corpus de règles. La question se pose de façon récurrente, quel que soit le sujet…
La commission sur le droit et les libertés à l'âge du numérique, que l'Assemblée nationale vient de mettre en place, pourra traiter de cet aspect – et donc des problèmes liés au surblocage, au développement des pratiques d'anonymisation qui sont potentiellement dangereuses pour la démocratie, etc. Il faut tout remettre à plat et adopter une position claire et compréhensible. Et il faut, entre autres, replacer le juge au centre de la décision. Il en va, selon moi, de l'équilibre de la démocratie.
C'est le rôle de la Délégation d'examiner toutes les questions à travers le prisme de l'égalité femmes-hommes. En l'occurrence, votre rapport est l'occasion de nous interroger sur la place des femmes dans la société numérique.
Je voudrais avoir votre sentiment sur le point suivant. Certains couples se filment dans leur intimité. Quand ils se séparent, il arrive que l'un des deux mette en ligne ce qui a pu être filmé pour s'en servir contre l'autre. Cela a donné lieu à un procès, le premier de ce genre dans notre pays. La question posée est celle de la protection de la vie privée à l'ère d'internet.
Avant le développement d'internet, les couples pouvaient faire des photos et les distribuer. Seul le mode de diffusion a changé.
Pour se protéger, des lois existent. Le problème n'est pas tant que la justice soit rendue, mais le fait qu'une foule de gens soient mis au courant, ce qui n'était pas le cas auparavant. Le dommage est bien plus important.
Le corpus législatif existe pour protéger la personne. Dans ces conditions, ce n'est peut-être pas la loi qu'il faudrait modifier, mais le niveau de la sanction.
Dans les pays d'Europe, peut-on faire la même chose, par exemple pour lutter contre la pédo-pornographie ?
Non. Le décret d'application de l'article 4 de la LOPPSI, qui concernait le filtrage n'a pas été pris. Il n'y a pas, et heureusement, de surveillance de l'État sur internet.
Depuis 1991, les écoutes sont autorisées dans un cadre bien précis : les atteintes à la sécurité de l'État, la criminalité en bande organisée ….
L'article 20 de la dernière loi de programmation militaire (LPM) permet d'aller plus loin que les écoutes et les fadettes et de surveiller les mails, les échanges de données et tout document transmis. Le champ du contrôle est très large.
Du point de vue des libertés individuelles, il faudrait certainement encadrer l'article 20 de la LPM, afin de sérier les problèmes. En effet, on ne doit pas mettre dans un même panier les actes de terrorisme et les atteintes aux intérêts économiques de l'État.
La question du télétravail revient de manière assez récurrente quand on parle de l'articulation entre vie familiale et vie professionnelle. Est-ce une solution pour les femmes ? Personnellement, j'ai toujours été très réservée, même si je reconnais que cela peut faciliter la vie de certaines femmes cadres. Avez-vous abordé le sujet ? Avez-vous constaté son développement ? Des expériences ont été conduites ? Comment évolue cette réflexion ?
Le télétravail peut être un très bon moyen de concilier vie professionnelle et vie privée, mais il peut aussi aboutir à l'isolement du salarié concerné. Or on a remarqué que le fait d'aménager les bureaux en open space, de travailler ensemble, en réseau, de se retrouver autour d'un café ou d'un repas sont des éléments importants dans la conduite d'un projet professionnel. C'est même fondamental dans le monde de l'économie numérique, où on ne travaille pas seul – c'est même contraire à l'esprit start-up. Où que l'on se trouve, le développement d'applications et de services se fait toujours en co-working.
Par ailleurs, le développement du télétravail – que nous n'avons pas étudié de façon précise – pose la question de l'égalité d'accès à la technologie numérique et de l'égalité des territoires. Vous pouvez avoir besoin, par exemple, de télécharger des documents importants, de faire de la vidéo ; or ce n'est pas possible partout de la même façon. L'enjeu est d'avoir la couverture la plus complète possible en très haut débit. Mais le chantier est en cours.
D'un point de vue plus sociétal et économique, le télétravail peut donc être intéressant, à condition de faire en sorte que le salarié ne s'isole pas et continue à progresser dans ses compétences professionnelles. Aujourd'hui, il faut se renouveler de plus en plus vite et de plus en plus rapidement, et travailler en équipe pour pouvoir échanger et profiter de regards extérieurs. D'où la nécessité de prévoir des espaces de travail en commun.
Enfin, je crois savoir que dans le télétravail, il y a une très forte proportion de femmes. Il faut donc prendre en compte l'ensemble de ces éléments.
Des expériences, qui concernaient surtout les métiers du secrétariat, ont été menées. Or, à la longue, les secrétaires ont demandé à être groupées, pour éviter l'isolement dont vous parlez. Je constate, pour ma part, que les pôles d'appel se multiplient dans le monde médical. Une seule personne, qui travaille probablement chez elle, vous fixe des rendez-vous à partir de l'agenda de plusieurs médecins. Les risques qui se profilent sont ceux que vous dénonciez : l'isolement, puisque l'on n'est plus en contact avec le public, et le fait qu'on ne se renouvelle pas sur le plan professionnel.
Par ailleurs, au cours de vos pérégrinations, avez-vous l'occasion de vous intéresser à la Silver Economy ? Les métiers tournent principalement autour des services, et les aidants – et surtout les aidantes – y sont nombreux.
Deux domaines sont actuellement en pleine mutation : la santé et l'éducation. Parmi les enjeux de la Silver Economy, il y a le maintien à domicile et la possibilité de suivre les patients à distance. Le développement de la « e-santé » permettra un suivi en temps réel, ce qui est appréciable quand les patients n'ont pas, en raison de leur localisation, d'accès direct à un médecin. Mais cela ne veut évidemment pas dire que la e-santé palliera les inconvénients des déserts médicaux. Tout est question d'équilibre. Le contact avec le personnel médical restera important.
Sur le plan technologique, les expériences se multiplient – bracelets connectés, suivi de telle ou telle pathologie, Big data. Là encore, il faudra trouver un équilibre entre la protection des données personnelles qui est très importante, notamment en Europe et en France, et le développement de l'innovation. Le traitement des données médicales ne peut se faire que de manière brute et anonymisée. Mais l'exploitation du Big data – la production de données de masse – en matière de santé, peut s'avérer très bénéfique, notamment dans le domaine de la prévention.
Il faut bien voir que dans le numérique entendu au sens large, l'innovation est très importante. La bataille mondiale se joue sur les conditions d'accueil et de développement des start ups, etc., et sur le potentiel d'innovation. Si l'Europe ratait les marches du développement de l'innovation, elle risquerait de prendre du retard. Ce serait d'autant plus regrettable que la France a probablement les ingénieurs les meilleurs et les plus créatifs. Mais j'en reviens à la Silver Economy : c'est effectivement un chantier très important, qui permettra aux personnes de rester chez elles.
Un autre domaine est en pleine mutation : celui de l'éducation. Pour que l'on puisse se mouvoir dans le monde et le comprendre, pour ne pas être un simple consommateur du numérique et savoir sur quels points il faut être vigilant, nous préconisons l'apprentissage du codage dès le plus jeune âge. Beaucoup de pays le font : en Asie, la Corée du Sud ; en Europe, l'Estonie, et l'Angleterre va commencer à le faire ; aux États-Unis, où le président Obama veut faire de la programmation informatique une priorité pour les jeunes générations.
L'école est un lieu absolument central pour l'utilisation des technologies. Elle permettra d'atténuer les différences entre les enfants dont les parents utilisent déjà certaines technologies, et les autres. Mais en même temps, sous l'influence du numérique, elle sera amenée à modifier sa façon d'enseigner. La France conserve un enseignement vertical, où l'enseignant dispose du savoir et où les élèves écoutent. Le numérique incitera les élèves à questionner davantage l'enseignant.
Je passe sur le collège et le lycée, pour en venir aux MOOC (massive open online course), c'est-à-dire l'enseignement universitaire en ligne, qui permet un accès universel à certaines questions et formations. La France développe plusieurs enseignements de ce type.
Il ne faut pas oublier non plus que le numérique est en grande partie fondé sur l'économie de la donnée. La valeur se situe dans la donnée que produit telle ou telle organisation ou telle ou telle entreprise. Nous-mêmes nous produisons des données qui ont une valeur. Il faut donc apprendre à la fois à protéger ses propres données – nous avons des expertises européennes à faire valoir – tout en s'inscrivant dans une dynamique mondiale.
Selon moi, le numérique est un fait inéluctable, qui transforme la société. Nous devons nous y adapter et anticiper son développement. Tout comme la formation initiale, la formation professionnelle va devenir cruciale, dans la mesure où elle permet l'adaptation des compétences. Je pense tout particulièrement aux femmes, qui sont nombreuses à occuper des fonctions d'intermédiation. Il faut réfléchir dès maintenant à l'évolution de ces fonctions, au type de métiers vers lequel on orientera les intéressés et à la façon dont on les formera, pour ne pas laisser en difficulté tout un pan de notre société.
Au départ, j'ai cru que la Délégation auditionnait Mme Corinne Erhel et Mme Laure de La Raudière parce qu'il s'agissait de deux femmes qui produisaient depuis plusieurs années des rapports dans un domaine technique, ce qui n'est pas si fréquent.
J'observe toutefois qu'il y a de nombreuses femmes qui s'illustrent dans le numérique : Mme Sheryl Sandberg est la numéro 2 de Facebook, et Marissa Mayer la PDG de Yahoo. Il semble même que les femmes qui sont compétentes dans ce domaine puissent accéder plus facilement à un certain niveau qu'il y a une dizaine d'années.
Mme Sheryl Sandberg a écrit un livre « En avant toutes » où elle explique comment concilier vie professionnelle et vie de femme. Certains ont critiqué son livre, faisant remarquer qu'il était facile de tout mener de front lorsque l'on a suffisamment d'argent pour employer une nourrice. Quoi qu'il en soit, je trouve que le numérique très intéressant et je tiens à souligner le fait que deux femmes à l'Assemblée nationale soient des expertes reconnues depuis plusieurs années dans ce domaine.
Ce n'était pas la raison de cette audition, mais votre réaction prouve que tout sujet peut être regardé à travers le prisme de l'égalité femmes-hommes.
Cela étant, j'aurais besoin d'une précision : qu'entend-on par « apprendre à coder » ? Je me souviens que dans les années quatre-vingts, on avait voulu, dans toutes les écoles, apprendre aux enseignants à programmer sur des ordinateurs déjà un peu dépassés, les TO7. L'expérience fut un échec. Pourquoi fallait-il que nous sachions comment fonctionne un TO7 ? De la même façon, on peut conduire une voiture sans savoir comment elle fonctionne. D'où ma question : est-il nécessaire de savoir coder ?
Apprendre à coder, c'est apprendre un langage. On peut le faire par le jeu. Mais je reconnais que tout le monde n'est pas d'accord avec nous. Les propositions que nous faisons sont partagées par un certain nombre de personnes, mais d'autres estiment que le numérique doit être beaucoup plus transversal et qu'il n'est pas besoin d'apprendre à coder.
Plusieurs organismes enseignent le codage. Mais si on veut que l'éducation nationale assure un tel enseignement, la question de la formation des enseignants, et celle du nombre d'enseignants ou d'intervenants extérieurs capables de l'assurer, vont se poser. Le codage peut être enseigné hors du temps scolaire. Mais cela signifierait qu'il serait optionnel. Si l'on veut que tous les enfants puissent accéder à cet enseignement, il faut l'intégrer au temps scolaire.
La séance est levée à 14 heures 45.