Intervention de Patrick Mennucci

Séance en hémicycle du 12 novembre 2012 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2013 — Immigration asile et intégration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mennucci :

Le groupe SRC approuve les crédits que vous nous proposez ce soir, monsieur le ministre.

Je me consacrerai essentiellement dans cette intervention à la question de l'accès à la nationalité française, qui a causé de nombreux problèmes au cours de ces deux dernières années puisque le nombre de personnes ayant pu devenir françaises a chuté de 30 %.

Cette chute ne résulte pas d'une baisse des demandes ou des décisions rendues : ces dernières sont restées stables, aux alentours de 100 000 par an. C'est donc une hausse, sans précédent sous la Ve République, du taux de décisions négatives qui explique la baisse du nombre de naturalisations. Ce taux, qui était remarquablement stable de 2000 à 2008, oscillant entre 20 et 29 %, a connu une véritable explosion en 2011, où il est passé à plus 53 %. Alors qu'un peu plus de deux demandes sur dix étaient rejetées au cours de la décennie 2000, plus de cinq sur dix l'ont été en 2011 et au premier semestre de 2012.

Cette hausse du taux de décisions défavorables ne résulte pas d'une modification des critères de naturalisation fixés par la loi ou les textes réglementaires, mais bien d'un durcissement de l'appréciation de ces critères par l'administration. Or, ce durcissement de la doctrine ministérielle a été opéré par l'ancien gouvernement dans l'opacité la plus totale, sans aucun débat public, par le biais d'instructions ministérielles confidentielles adressées aux préfectures sous la forme de fiches pédagogiques ou de fiches « blanches », sans en-tête, ni signature. Dans certains cas, c'est par la voie de simples courriers électroniques de l'une des directions du ministère de l'intérieur que les critères ont été durcis. Le droit de la nationalité a figuré à plusieurs reprises dans notre histoire dans la Constitution. De la Constitution à un simple courriel, voilà une évolution très préoccupante pour une politique dont l'enjeu est de déterminer qui appartient ou non à la nation française.

Je ne prendrai que deux exemples. En matière d'insertion professionnelle, c'est une simple fiche du 16 juin 2011 qui a conduit les préfectures à exiger des postulants qu'ils soient titulaires d'un contrat à durée indéterminée. Quant au séjour irrégulier, c'est par un simple courrier électronique qu'il a été demandé aux préfets de rejeter systématiquement toutes les demandes lorsque le postulant a été en séjour irrégulier pendant plus de dix ans, quelle que soit l'antériorité de ce séjour. Des gens en situation irrégulière il y a trente ans se sont ainsi vus opposer cette règle !

Les effets d'un tel durcissement ont sans doute été amplifiés par la déconcentration des procédures de naturalisation opérée le 1er juillet 2010. Avant cette date, les avis défavorables des préfets n'étaient pas suivis par l'administration centrale dans près d'un cas sur deux. Depuis, les préfets sont devenus décisionnaires et seule une décision négative sur cinq fait l'objet d'un recours. Au total, 2 % de leurs décisions négatives sont infirmées. Cela a conduit à une hausse mécanique du taux de rejet.

Nous avons émis un certain nombre de recommandations au ministre de l'intérieur, qui en a tenu compte dans sa circulaire du 16 octobre. Pour nous, il faut refonder l'accès à la nationalité française sur des critères clairs, justes et transparents. Cela ne veut pas dire qu'il faut organiser un nouveau débat sur la nationalité, mais le ministre doit les faire connaître. Les critères ne doivent plus pouvoir être modifiés en catimini dans le secret des bureaux. Il faut les inscrire dans une circulaire accessible à tous. Sur le fond, il faut mettre un terme au durcissement de l'appréciation des critères relatifs à l'insertion professionnelle et à la régularité du séjour. Je me félicite que cette première série de recommandations ait déjà été suivie par Manuel Valls.

Il faudrait ensuite, si ce n'est revenir sur le principe de la déconcentration des procédures, au moins en modifier les modalités. Deux pistes sont envisageables, les plateformes interdépartementales ou, comme le prônait déjà en 1988 le rapport Marceau Long, le retour à un examen par la direction des rejets.

Il faut aussi améliorer les conditions d'accueil des demandeurs. Dans une préfecture au moins, les entretiens de loyauté ont lieu à travers un hygiaphone, ce qui, nous en conviendrons tous, n'est pas très décent pour ce type d'entretien.

Il faut, enfin, renforcer le contrôle parlementaire sur la politique de la nationalité, pour éviter qu'un bouleversement radical puisse se répéter en dehors de tout débat. Je suggère que, chaque année, le Gouvernement communique dans son rapport au Parlement sur la politique d'immigration et d'intégration l'évolution du taux de décisions défavorables et les motifs sur lesquels elles se fondent.

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