Intervention de François Nicoullaud

Réunion du 1er juillet 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran :

Vos questions, très pertinentes, se nourrissent des observations que vous avez pu faire au cours de votre mission en Iran. Cela montre bien que rien ne remplace l'expérience de terrain.

Sur les questions de société, je rejoins largement l'analyse d'Ahmad Salamatian : la condition des femmes a considérablement progressé en Iran depuis trente-cinq ans. Un peu comme au judo, les femmes ont transformé à leur avantage les contraintes qui leur étaient imposées. Avant la Révolution de 1979, les familles pieuses n'envoyaient pas leurs filles à l'université, car le port du voile y était interdit. Depuis que celui-ci est devenu obligatoire, des jeunes filles qui auraient dû rester à la maison auparavant ont pu fréquenter l'université. Elles se sont ainsi ouvertes au monde extérieur. Et, malgré le voile, l'université est restée un lieu de flirt pour les jeunes.

Les familles n'osent plus marier leurs filles à treize ou à quinze ans et les envoient à l'université en attendant qu'elles atteignent l'âge considéré comme acceptable pour se marier dans une société moderne – vingt à vingt-cinq ans. C'est une dynamique vertueuse, qui permet aux femmes de s'émanciper. Comme dans l'ensemble du monde arabo-musulman les femmes sont même plus nombreuses que les hommes à l'université, car une partie de ces derniers est immédiatement absorbée par le marché du travail.

La situation est moins favorable pour les femmes à la sortie de l'université. Certaines professions leur restent fermées, par exemple celle de juge. Dans l'administration, un peu comme dans la France des années 1960, elles sont confinées dans des tâches relativement subalternes, notamment de secrétariat, les fonctions de direction restant réservées aux hommes. En revanche, elles investissent massivement les professions libérales – médecin, architecte…. À tel point que les universités, encouragées par le régime, en arrivent à instaurer des quotas pour éviter que certaines professions, notamment médicales, ne se féminisent au-delà de ce qu'elles jugent acceptables.

Quant aux mariages, ils demeurent majoritairement arrangés, conformément à la tradition. Cependant, de nombreuses femmes ont un niveau d'éducation supérieur à celui de leur mari et cherchent à s'émanciper. Résultat : le taux de fécondité en Iran est inférieur à 2 enfants par femme, c'est-à-dire à peu près équivalent à ce qu'il est en France. En outre, le taux de divorce à Téhéran est comparable à celui que l'on connaît à Paris. En résumé, la société iranienne s'est modernisée et ressemble de plus en plus à nos sociétés occidentales.

Le rapport de la société avec le régime est complexe : c'est le jeu du chat et de la souris.

Il est assez logique, monsieur Reitzer, que vous n'ayez pas vu la photo du président Rohani dans les administrations ou dans les commerces : le président iranien joue à peu près le rôle de notre premier ministre, le Guide étant l'équivalent de notre président de la République.

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