Intervention de François Nicoullaud

Réunion du 1er juillet 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran :

Pour vous répondre, monsieur Mallé, la théocratie est en effet critiquée par une partie du clergé. Comme l'a indiqué Ahmad Salamatian, de nombreux membres du clergé sont en prison. Pour tout un courant de pensée, le fait que les religieux se soient investis en politique a décrédibilisé la religion. Il serait dès lors salutaire de séparer à nouveau celle-ci du politique, afin de la revitaliser. D'autre part, Khamenei jouit d'une estime moindre que d'autres ayatollahs – en particulier que Sistani, qui est très populaire en Iran comme en Irak. Khamenei est volontiers considéré comme un « petit jeune » qui a obtenu le titre d'ayatollah en trichant un peu.

M. Meyer Habib a présenté une thèse bien connue sur la question nucléaire. Nous serions évidemment très contents que l'Iran démantèle toutes ses installations nucléaires, y compris les sites de Fordow et de Natanz, et qu'il ne mette jamais en service le réacteur d'Arak. Mais nous n'obtiendrons jamais ce résultat par la négociation. Devons-nous dès lors essayer de l'obtenir par la force ? Avec un accord, nous obtiendrons un résultat en théorie moins satisfaisant, mais nous commencerons à entraîner l'Iran dans la bonne direction.

Certes, il est arrivé que l'Iran s'autorise quelques arrangements avec des accords qu'il avait passés, mais contrairement à ce qu'a affirmé M. Meyer Habib, il respecte globalement ses engagements, en particulier en matière de contrôles internationaux. Les installations nucléaires de Fordow, de Natanz, et d'Arak – qui suscitent à juste titre l'inquiétude de certains pays de la région – sont placées sous la surveillance des inspecteurs de l'AIEA, qui s'y rendent régulièrement. Les Iraniens ne pourraient pas détourner une petite quantité d'uranium enrichi, installer de nouvelles centrifugeuses ou introduire du combustible dans le réacteur d'Arak sans que les inspecteurs de l'AIEA le repèrent au maximum dans les quinze jours et leur demandent des explications. Pendant un moment, l'Iran a même appliqué le protocole additionnel de l'AIEA, qui renforce encore les pouvoirs des inspecteurs. Il laisse d'ailleurs entendre actuellement qu'il pourrait à nouveau accepter ces contrôles renforcés dans le cadre d'un accord global. Quoi qu'il en soit, dans chacun de ses rapports semestriels sur l'Iran, l'AIEA conclut que le pays respecte ses engagements en matière de contrôles et ne conteste pas les chiffres que le pays a fournis dans ses comptabilités matières, qui font apparaître les quantités d'uranium présent en Iran.

Nous sommes à la croisée des chemins. Si on n'aboutit pas à un accord et que l'on frappe militairement l'Iran, comme cela a été envisagé et l'est sans doute encore, il y a un résultat certain : l'Iran sortira du TNP, et nous perdrons les moyens de contrôle dont nous disposons actuellement. Nous sauterons alors dans l'inconnu, car la très grande majorité des informations que nous recueillons sur le programme nucléaire iranien nous sont fournies non pas par les services secrets occidentaux, mais par les inspecteurs de l'AIEA autorisés à se rendre sur les sites. Si, au contraire l'on souhaite trouver un arrangement, il faut s'appuyer sur cette bonne volonté relative de l'Iran, qui accepte tout de même les contrôles de l'AIEA .

M. Meyer Habib s'est fait l'interprète des inquiétudes que suscite le programme nucléaire iranien et estime que l'on ne peut pas faire confiance à Téhéran. Mais il ne prend sans doute pas assez en compte l'instinct de conservation des religieux au pouvoir. La Révolution iranienne s'est embourgeoisée : elle a atteint en quelque sorte son stade thermidorien. Le régime n'a aucune envie de se faire attaquer par Israël ni par un quelconque pays. Cette volonté de survie le pousse à trouver des solutions de compromis qui garantissent sa pérennité. De son point de vue, le modèle idéal est celui de la Chine : conserver le contrôle politique, pratiquer une ouverture économique pour satisfaire la population et durer ainsi le plus longtemps possible. Nous disposons donc de quelques leviers pour agir sur ce régime.

S'agissant du Haut-Karabagh, je doute que l'Iran ait la capacité de peser sur l'évolution du dossier, dans la mesure où il a choisi son camp, en prenant fermement partie pour l'Arménie. Il est vrai que Téhéran craint les revendications irrédentistes de Bakou sur les régions iraniennes peuplées d'Azéris. Les relations entre le régime iranien et le gouvernement azerbaïdjanais sont donc empreintes d'une méfiance réciproque.

En ce qui concerne l'Irak, dans la situation difficile où il se trouve, le gouvernement de M. Al-Maliki accepte le concours de tous ceux qui sont prêts à l'aider : les États-Unis, la Russie, l'Iran. Pour autant, il est peu probable que cela entraîne une détente des relations entre ces trois pays, notamment entre les États-Unis et l'Iran. D'autre part, je ne pense pas que Washington et Téhéran mettront en place une coopération institutionnalisée : ils n'iront sans doute pas au-delà d'une coordination opérationnelle pour éviter de se gêner mutuellement en intervenant sur le terrain. Enfin, un arrangement donnant donnant qui ferait le lien entre le dossier irakien et la question nucléaire – par exemple une augmentation du nombre de centrifugeuses autorisées en échange d'une collaboration de Téhéran en Irak – me paraît illusoire. Ces deux dossiers sont strictement séparés et obéissent à des logiques différentes. Néanmoins, une éventuelle amélioration de la situation en Irak peut créer une atmosphère favorable à la négociation sur la question nucléaire.

Le risque d'une partition de l'Irak devenant tangible, tous les pays de la région se rendent compte qu'un pays divisé en trois parties leur poserait plus de problèmes qu'un pays uni. Tel est le cas, en particulier, de l'Arabie saoudite, malgré son hostilité profonde à l'égard du régime de M. Al-Maliki – elle n'a pas accepté que la majorité chiite s'empare du pouvoir à Bagdad. Elle ne voit d'un bon oeil ni la constitution d'un califat islamique à ses frontières, qui semble prêt à s'étendre dans toutes les directions, ni l'apparition d'un État chiite, qui serait très prospère – car disposant d'une grande partie des ressources pétrolières du pays – et considérerait sans doute la frontière avec les communautés chiites du Koweït et d'Arabie saoudite comme poreuse. Quant à une indépendance du Kurdistan irakien, elle créerait une onde de choc dans la région : les tentations irrédentistes seraient fortes, les Kurdes étant plus nombreux en Iran et en Turquie qu'au Kurdistan irakien. Chacun essaierait d'exercer son influence sur le nouvel État. En définitive, si une fédéralisation de l'Irak ou, à tout le moins, une meilleure répartition du pouvoir entre ses différentes communautés apparaît à tous comme indispensable, tout le monde a intérêt à ce que le pays reste uni.

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