Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 16 juillet 2014 à 21h30
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

En première lecture, M. Poisson nous avait présenté un amendement très intéressant mais dont la rédaction devait être retravaillée ; nous y avons veillé à introduisant cette disposition au Sénat, et vous l’avez maintenue en la modifiant légèrement – je me permettrai de revenir sur la suppression que vous avez adoptée.

Comme l’a dit M. le rapporteur, vous avez adopté des dispositions permettant de tenir compte de l’altération du discernement. Sur l’initiative de M. Tourret, des mesures adoptées en première lecture permettent d’améliorer les conditions d’aménagement des peines des femmes enceintes. Nous avons aussi amélioré l’application de la loi Kouchner de 2002 sur la base des travaux accomplis par le groupe de travail santé-justice que j’ai installé avec Mme Touraine, et de ceux que le Sénat a conduits dans le cadre d’une proposition de loi : les conditions de suspension de peine – pour les condamnés – et de libération – pour les détenus – pour motif médical s’en trouvent améliorées. Un travail parlementaire conduit pendant plus d’un an en lien avec le ministère de la justice, et dont je me réjouis qu’il se traduise concrètement dans le texte, a permis d’adopter la disposition qui permettra d’abonder le fonds d’aide aux victimes.

J’en reviens aux dispositifs structurants, en particulier à la contrainte pénale. Vous avez rétabli l’extension à terme, en 2017, du champ de la contrainte pénale, que le Sénat avait supprimée. Cette disposition est parfaitement cohérente puisque la peine de sursis avec mise à l’épreuve conservera son champ délictuel. La contrainte pénale, plus ajustée, plus contraignante, permet un suivi plus individualisé qui peut être modulé et évalué. En réalité, elle est adaptée aux situations pour lesquelles le sursis avec mise à l’épreuve pourra être prononcé. C’est pourquoi vous avez décidé de réintroduire cette disposition.

Vous avez également souhaité que le non-respect des obligations de la contrainte pénale fasse de nouveau l’objet d’une prévisibilité, puisque c’est le tribunal correctionnel qui déterminera la durée maximale de la peine d’emprisonnement encourue, ce qui permet de rétablir le dispositif tel qu’adopté par l’Assemblée avant sa modification par le Sénat. Le juge délégué saisi par le juge d’application des peines pourra ainsi décider de la mise à exécution de l’emprisonnement, et ce partiellement et à plusieurs reprises si nécessaire. L’expérience et les études prouvent en effet que la désistance, c’est-à-dire la sortie du parcours de délinquance, n’est pas linéaire : il peut se produire des moments de rechute lors desquels il convient de renforcer le suivi, voire les sanctions, tout en poursuivant l’accompagnement.

Le Sénat avait prévu de faire de l’inobservation un délit spécifique ; cette mesure était lourde car elle supposait d’engager de nouvelles poursuites. Elle aurait surtout eu pour effet d’interrompre le suivi alors que la contrainte pénale nécessite continuité et constance. Le compromis auquel la CMP a abouti nous semble donc particulièrement satisfaisant.

Les deux Chambres ont fourni un effort concernant la contrainte pénale que le Sénat avait introduite avec exclusion de toute possibilité de prononcer une peine d’incarcération en énonçant les délais concernés.

J’avais expliqué au Sénat que cela changeait la nature même de la contrainte pénale, puisqu’il s’agit non pas d’une petite peine applicable en cas de petits délits, mais bien d’une peine autonome dont le mode d’exécution, très important, concerne davantage la personnalité que le délit. C’est avant tout du profil qui appelle ce type de suivi qu’il faut tenir compte.

L’Assemblée a donc souhaité rétablir la contrainte pénale en respectant ce qui constitue bel et bien son esprit. Cela ne veut pas dire pour autant que la préoccupation des sénateurs, que vous partagez d’ailleurs, a été évacuée. De fait, la question qui se pose est la suivante : comment repenser l’échelle et la hiérarchie des peines compte tenu des désordres apparus ces dernières années et de la déconnexion entre la hiérarchie des peines et celle des valeurs de la société. Il faut effectuer ce travail de fond, qui suppose une préparation et une étude d’impact.

Il demeure plusieurs questions délicates que nous ne sommes pas parvenus à résoudre en dépit de la très forte volonté du rapporteur. Je pense par exemple aux délits routiers, source de ce contentieux particulièrement sensibles. Il faut revoir l’échelle des peines tout en reconnaissant la dimension psychologique qui s’attache à toute modification dans ce domaine. C’est ce nécessaire travail approfondi que vous avez prévu à l’article 8 ter, qui appelle le Gouvernement à présenter au Parlement un rapport qui s’enrichira des travaux parlementaires, de ceux de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et de ceux de la commission Cotte sur l’échelle des peines que j’ai installée au mois de mars.

Vous avez maintenu les dispositions d’aménagement de peine prévues dans la loi pénitentiaire et réintroduites par le Sénat. La loi pénitentiaire prévoit la possibilité – mais non l’obligation – d’aménager jusqu’à deux années d’incarcération ferme. Seuls 7 % des aménagements portent sur une durée supérieure à un an et ces décisions, presque cousues main, tiennent compte des conditions de socialisation et de réinsertion.

Vous avez également réintroduit les dispositions concernant la géolocalisation et la possibilité de transaction, comme l’a rappelé M. le rapporteur. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles, puisque le Gouvernement vous présentera des amendements fondés sur le principe de la nécessaire proportionnalité, sachant qu’il existe de possibles risques d’ordre constitutionnel.

Une discussion de presque deux heures a eu lieu ici même sur les tribunaux correctionnels pour mineurs. Le Sénat a, pour sa part, décidé de les supprimer. Le Gouvernement a rappelé l’engagement du Président de la République et indiqué que cette suppression était souhaitée par les chefs de juridiction, comme l’Assemblée et le Sénat en ont eu la confirmation lors des auditions.

Elle est souhaitée pour deux séries de raisons.

Les parlementaires et les magistrats sont attachés à la spécialisation de la justice pour mineurs, alors que le tribunal correctionnel pour mineurs est le signe d’un rapprochement entre la justice des mineurs et celle des majeurs.

D’autres chefs de juridiction, moins attachés à l’argument de la spécialisation des tribunaux correctionnels pour mineurs, estiment quant à eux que ces tribunaux ont désorganisé les juridictions parce qu’ils sont moins aisés à convoquer que les tribunaux pour enfants, alors que leurs résultats sont à peu près les mêmes. Les décisions des tribunaux correctionnels pour mineurs sont parfois même moins sévères que celles des tribunaux pour enfants et, en volume, leur apport est négligeable puisqu’ils ont traité près de dix fois moins de cas.

Ces raisons, liées à la conception de la justice des mineurs, mais aussi à la consolidation de nos juridictions et de leur fonctionnement, conduisent de nombreuses personnes à convenir qu’il faut supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs.

Le Gouvernement, tout en maintenant la position qu’il avait exprimée, a fait savoir qu’il ne souhaitait pas que le présent texte comporte des dispositions relatives à la justice des mineurs. Il a toutefois été sensible au souhait des députés et des sénateurs, et c’est pourquoi le Gouvernement – et non pas la seule garde des sceaux – s’est engagé à présenter cette disposition dans le projet de loi réformant l’ordonnance de 1945 au cours du premier semestre 2015.

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