La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales (no 2102).
La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission mixte paritaire.
Madame la président, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, mes chers collègues, je suis particulièrement satisfait de vous présenter ce texte issu d’un accord trouvé en CMP. Je le suis d’autant plus qu’il y a bien longtemps qu’une loi pénale d’envergure n’avait été précédée d’une réflexion aussi approfondie que celle qui a présidé à l’élaboration de ce texte – je pense à la conférence de consensus, mais aussi aux travaux préparatoires dont elle tirera toute son efficacité.
Remarquons par ailleurs que, pour une fois, une loi pénale d’importance puise son origine, non pas dans un crime odieux ou un fait divers horrible, mais dans le seul souci de renforcer l’efficacité de notre arsenal juridique. Ce texte, en effet, tend, non pas simplement à apporter une réponse symbolique à des actes horribles, mais également à prendre en charge le réel. C’est pourquoi, d’ailleurs, il se concentre sur les délits et les 600 000 condamnations prononcées chaque année en correctionnelle, et non pas sur les 2 500 condamnations pour crimes ou encore la justice des mineurs, ce qui a pu faire polémique. Nous n’ignorons pas ces questions, mais elles méritent que l’on s’y intéresse de près et non au détour d’un texte.
Je me réjouis également de ce que l’on ne pose pas la prison comme une réponse centrale mais que l’on se préoccupe de ce qu’il se passe avant la prison, en parallèle et surtout – c’est d’ailleurs là la grande nouveauté de ce texte – après.
Ce texte présente également le mérite de relancer la probation, idée très ancienne puisque le sursis date de 1891 et le sursis avec mise à l’épreuve de décembre 1958. La contrainte pénale apporte un nouveau souffle. Cette peine a parfois été caricaturée et controversée mais elle permettra d’adapter au mieux la sanction, d’accompagner, de suivre et de contrôler le condamné afin de lutter contre la récidive.
Nous faisons, avec ce texte, un effort pour essayer de sortir de la culture de l’enfermement au profit d’une culture du contrôle, en tenant compte de toutes les contraintes qu’elle suppose – contrainte pénale mais aussi contrainte liée à l’existence même d’un contrôle effectif exercé sur ceux qui exécutent leur peine à l’extérieur. Qu’il s’agisse d’une peine en milieu ouvert ou de la fin d’une peine d’enfermement, le contrôle peut parfois être très serré en fonction de la personnalité du condamné, de la gravité des faits commis et des espoirs de réinsertion dans une vie ordinaire.
Au-delà, la commission mixte paritaire a également permis de réaliser des progrès particulièrement intéressants. Rappelons que le texte comportait quatre volets principaux : les victimes, la surveillance du contrôle et du suivi des sortants de prison, l’individualisation des peines et la tentative de contrôle des flux correctionnels.
S’agissant des victimes, la commission mixte paritaire a maintenu le principe d’une sur-amende de 10 %, y compris celle prononcée par les autorités administratives indépendantes pour sanctionner la délinquance en col blanc, destinée à abonder les associations d’aide aux victimes.
Pour ce qui est des sortants, la commission mixte paritaire a renforcé le contrôle et l’encadrement de la géolocalisation et des écoutes téléphoniques, procédés qu’elle a réservés aux personnes condamnées pour des faits autorisant le recours à la géolocalisation et aux écoutes téléphoniques, ce qui a levé toute critique. Rappelons cependant que ce contrôle s’exerce, non pas sur des citoyens présumés innocents, mais sur des coupables. Il s’agit bien là d’une modalité d’exécution de la peine qui, de surcroît, ne porte pas une atteinte insupportable aux libertés.
De même, le texte encadre davantage la possibilité offerte au juge d’application des peines de révoquer les crédits de réduction de peine dans les cas de violation des interdictions posées par ce même juge pour que les crédits puissent bénéficier aux condamnés à l’extérieur. Il s’agit, non pas d’un contrôle post-pénal indéfini, mais d’un contrôle limité dans le temps et à des obligations bien plus réduites que celles du suivi socio-judiciaire.
Par ailleurs, ont été précisées les conditions dans lesquelles pouvaient être associés nos concitoyens par l’intermédiaire de leurs élus au sein des conseils locaux de suivi et de prévention de la délinquance, les CLSPD. Il leur est désormais permis de créer en leur sein une commission chargée de suivre les questions de récidive. De fait, aucune peine ne peut être valablement acceptée par une société si elle n’est pas visible.
S’agissant de l’individualisation des peines, nous sommes revenus au seuil d’aménagement de peine possible de la loi pénitentiaire, les sénateurs ayant souligné que cette loi avait été votée à l’unanimité. Nous avons également rétabli l’équilibre, qui existait dans le projet de loi, entre les associations agréées et le service public que représentent les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Les associations se voient réserver le contrôle pré-sententiel, avant le jugement, et les services publics le contrôle post-sententiel. La décision du Sénat d’autoriser les associations à intervenir dans la totalité du champ avait soulevé quelque émoi. Nous avons rétabli cet équilibre qui invite les associations et les SPIP à coopérer, personne ne détenant un quelconque monopole. Il y aura du travail pour tout le monde, chacun ayant des compétences variées et utiles.
Le Sénat a introduit une disposition importante pour limiter la responsabilité pénale des personnes dont le discernement est altéré. Sauf décision contraire de la juridiction, celles-ci devront bénéficier d’une réduction du maximum de la peine d’un tiers. La procédure est la même – toutes choses égales par ailleurs, bien entendu – que pour l’excuse de minorité, où la peine est réduite de moitié, sauf si le tribunal en décide autrement en raison de circonstances particulières.
Par ailleurs, la commission mixte paritaire a modifié la possibilité pour le juge d’application des peines d’organiser des mesures de sûreté en direction d’une personne dont le discernement aurait été altéré. Cette mesure est salutaire pour les nombreux malades mentaux aujourd’hui incarcérés ou poursuivis en raison des difficultés pour la psychiatrie publique de prendre en charge la totalité des malades et de l’évolution des modes de soin, du recul de l’hospitalisation à plein temps, notamment au profit d’une hospitalisation à domicile.
Enfin, nous avons mieux encadré la transaction pénale qui offre la possibilité à des officiers de police d’infliger au contrevenant qui reconnaît sa culpabilité et accepte la transaction une amende égale au tiers du montant maximum de l’amende.
Ces apports sont les bienvenus et je vous invite à voter ce texte qui enrichit notre arsenal juridique en le dotant de nouveaux moyens de lutter contre la délinquance et la récidive. J’espère que ce nouvel outil fera la preuve de son efficacité mais je ne cède pas pour autant à l’illusion selon laquelle tout serait réglé : notre chaîne pénale, incluant la police, la justice et le pénitentiaire, est dans une grande souffrance et nous devrons revenir à cette question pour procéder à d’autres aménagements.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.
Monsieur le rapporteur, vous avez exprimé votre plaisir à cette tribune ; le mien est plus grand encore. Il est intense et extrêmement vif car il est gratifiant et revigorant d’avoir recouru à une méthode qui a permis une réflexion collective, à avoir parcouru un chemin long, semé d’embûches et se retrouver ce soir, en lecture conclusive, à examiner un texte enrichi substantiellement par les parlementaires, à l’Assemblée nationale et au Sénat, en commission des lois puis en séance publique.
La commission mixte paritaire a offert un espace de réflexion, d’échange, de travail en ce qu’elle a été fécondée de tous les efforts respectifs des députés et des sénateurs, dans le souci de converger vers un texte dont on nous a fait comprendre qu’il devait être équilibré. À cet égard, nous avons fait valoir – à bon droit – qu’en matière pénale, la question n’était pas tant celle de l’équilibre que de la cohésion et de l’efficacité. C’est dans cet esprit que vous avez travaillé pour aboutir à un texte tout à fait satisfaisant.
L’exercice, pourtant difficile, fut particulièrement fructueux. Il a « commencé » avec la conférence de consensus qui, installée le 18 septembre 2012, a connu deux étapes : un comité d’organisation a tout d’abord établi un état des savoirs en matière de prévention de la récidive et un jury de consensus a procédé à des auditions publiques, lesquelles ont rassemblé plus de 2 300 personnes. Dès lors, le rapport ayant été remis au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, avec des préconisations, le ministère de la justice a organisé trois cycles de consultation qui ont débouché sur le texte que nous vous avons présenté à l’issue du conseil des ministres du 9 octobre 2013.
J’entoure de guillemets le verbe « commencer » car ce travail avait en réalité démarré bien avant et je voudrais vous rendre hommage, à vous en particulier, mais aussi à d’autres responsables du texte, des parlementaires, des universitaires, des chercheurs, des juristes, des magistrats, des professionnels du monde associatif qui, depuis plusieurs années, réfléchissent à ces questions, produisent des études, des analyses et ont permis à la conférence de consensus de ne pas partir de rien mais au contraire de s’appuyer sur un travail rigoureux et de qualité. Je salue ces personnalités qui ont des positions, des parcours, des expériences et des profils différents.
J’ai entendu mettre en cause les membres du comité d’organisation puis du jury ; je veux leur rendre hommage, car ils ont eu le courage moral de se rencontrer, de travailler ensemble et de rechercher le consensus. Au départ, pourtant, le dissensus n’était pas à exclure tant ces personnalités étaient différentes. On a prétendu qu’elles avaient d’emblée le même avis ; c’est faux. Elles ne se connaissaient pas et avaient déjà publiquement exprimé des points de vue divergents.
Je rappelle en outre qu’aux universitaires français et étrangers, aux magistrats ès qualités, au personnel pénitentiaire et aux représentants d’associations d’aide aux victimes et d’associations de prise en charge des personnes condamnées se sont ajoutés un commissaire divisionnaire et un colonel de gendarmerie, ainsi que des maires issus de la majorité comme de l’opposition. Toutes ces personnes savaient bien que leur perception de ces sujets ne concordait pas forcément ; elles ont pourtant réussi à produire ce travail de très grande qualité.
Nous nous sommes appuyés dessus. Les rapporteurs, les responsables des groupes sur ce texte et les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat ont singulièrement enrichi ce projet de loi qui est l’aboutissement d’une véritable maïeutique, puisque nous avons fait de nos esprits accoucher un dispositif qui prouvera son efficacité. Grâce à cette méthode, nous avons évité tout positionnement dogmatique, toute posture démagogique. Nous avons réussi à agir avec des personnes dont le travail se fonde sur des bases rigoureuses et rationnelles, et à tenir compte d’expériences conduites ici ou ailleurs et ayant fait l’objet d’une évaluation scrupuleuse.
Les dispositifs structurants de ce texte sont les suivants : restituer aux magistrats la totalité de leur liberté d’appréciation, notamment grâce à la suppression des automatismes ; créer en milieu ouvert une peine autonome assortie d’un programme individualisé de suivi qui s’ajuste et s’évalue et qui prévoit des sanctions en cas de non-respect des obligations et des interdictions ; lutter avec détermination contre les sorties sèches, dont nous savons à quel point elles génèrent la récidive. Cette lutte résolue se traduit par le dispositif de libération sous contrainte après examen, la décision pouvant être prise aux deux tiers de l’exécution de la peine.
Outre ces principaux dispositifs, vous avez introduit dans le texte tout une série de mesures qui les étayent et leur donneront toute leur efficacité. Vous avez ainsi veillé à inclure les bureaux d’exécution des peines dans la partie législative du code de l’organisation judiciaire, car ils sont l’une des conditions d’efficacité des peines prononcées par les juridictions. Vous avez également souhaité introduire dans le même code les bureaux d’aide aux victimes ; il en a été créé une centaine en un an et nous avons fait en sorte d’en créer ou d’en consolider un dans chacun de nos tribunaux de grande instance.
Ce texte comprend aussi des dispositions sur la justice restaurative. Je saisis cette occasion pour rendre hommage à l’INAVEM, l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, qui a procédé à une première expérience de justice restaurative hébergée dans notre établissement de Poissy, et qui en effectue actuellement une deuxième.
Vous avez ouvert une possibilité de réexamen par le juge d’application des peines s’agissant de peines ayant été prononcées depuis plus de trois ans. Vous avez accepté d’introduire des dispositions incitant à la lecture, sur l’initiative d’un député de l’UMP, M. Jean-Frédéric Poisson.
En première lecture, M. Poisson nous avait présenté un amendement très intéressant mais dont la rédaction devait être retravaillée ; nous y avons veillé à introduisant cette disposition au Sénat, et vous l’avez maintenue en la modifiant légèrement – je me permettrai de revenir sur la suppression que vous avez adoptée.
Comme l’a dit M. le rapporteur, vous avez adopté des dispositions permettant de tenir compte de l’altération du discernement. Sur l’initiative de M. Tourret, des mesures adoptées en première lecture permettent d’améliorer les conditions d’aménagement des peines des femmes enceintes. Nous avons aussi amélioré l’application de la loi Kouchner de 2002 sur la base des travaux accomplis par le groupe de travail santé-justice que j’ai installé avec Mme Touraine, et de ceux que le Sénat a conduits dans le cadre d’une proposition de loi : les conditions de suspension de peine – pour les condamnés – et de libération – pour les détenus – pour motif médical s’en trouvent améliorées. Un travail parlementaire conduit pendant plus d’un an en lien avec le ministère de la justice, et dont je me réjouis qu’il se traduise concrètement dans le texte, a permis d’adopter la disposition qui permettra d’abonder le fonds d’aide aux victimes.
J’en reviens aux dispositifs structurants, en particulier à la contrainte pénale. Vous avez rétabli l’extension à terme, en 2017, du champ de la contrainte pénale, que le Sénat avait supprimée. Cette disposition est parfaitement cohérente puisque la peine de sursis avec mise à l’épreuve conservera son champ délictuel. La contrainte pénale, plus ajustée, plus contraignante, permet un suivi plus individualisé qui peut être modulé et évalué. En réalité, elle est adaptée aux situations pour lesquelles le sursis avec mise à l’épreuve pourra être prononcé. C’est pourquoi vous avez décidé de réintroduire cette disposition.
Vous avez également souhaité que le non-respect des obligations de la contrainte pénale fasse de nouveau l’objet d’une prévisibilité, puisque c’est le tribunal correctionnel qui déterminera la durée maximale de la peine d’emprisonnement encourue, ce qui permet de rétablir le dispositif tel qu’adopté par l’Assemblée avant sa modification par le Sénat. Le juge délégué saisi par le juge d’application des peines pourra ainsi décider de la mise à exécution de l’emprisonnement, et ce partiellement et à plusieurs reprises si nécessaire. L’expérience et les études prouvent en effet que la désistance, c’est-à-dire la sortie du parcours de délinquance, n’est pas linéaire : il peut se produire des moments de rechute lors desquels il convient de renforcer le suivi, voire les sanctions, tout en poursuivant l’accompagnement.
Le Sénat avait prévu de faire de l’inobservation un délit spécifique ; cette mesure était lourde car elle supposait d’engager de nouvelles poursuites. Elle aurait surtout eu pour effet d’interrompre le suivi alors que la contrainte pénale nécessite continuité et constance. Le compromis auquel la CMP a abouti nous semble donc particulièrement satisfaisant.
Les deux Chambres ont fourni un effort concernant la contrainte pénale que le Sénat avait introduite avec exclusion de toute possibilité de prononcer une peine d’incarcération en énonçant les délais concernés.
J’avais expliqué au Sénat que cela changeait la nature même de la contrainte pénale, puisqu’il s’agit non pas d’une petite peine applicable en cas de petits délits, mais bien d’une peine autonome dont le mode d’exécution, très important, concerne davantage la personnalité que le délit. C’est avant tout du profil qui appelle ce type de suivi qu’il faut tenir compte.
L’Assemblée a donc souhaité rétablir la contrainte pénale en respectant ce qui constitue bel et bien son esprit. Cela ne veut pas dire pour autant que la préoccupation des sénateurs, que vous partagez d’ailleurs, a été évacuée. De fait, la question qui se pose est la suivante : comment repenser l’échelle et la hiérarchie des peines compte tenu des désordres apparus ces dernières années et de la déconnexion entre la hiérarchie des peines et celle des valeurs de la société. Il faut effectuer ce travail de fond, qui suppose une préparation et une étude d’impact.
Il demeure plusieurs questions délicates que nous ne sommes pas parvenus à résoudre en dépit de la très forte volonté du rapporteur. Je pense par exemple aux délits routiers, source de ce contentieux particulièrement sensibles. Il faut revoir l’échelle des peines tout en reconnaissant la dimension psychologique qui s’attache à toute modification dans ce domaine. C’est ce nécessaire travail approfondi que vous avez prévu à l’article 8 ter, qui appelle le Gouvernement à présenter au Parlement un rapport qui s’enrichira des travaux parlementaires, de ceux de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et de ceux de la commission Cotte sur l’échelle des peines que j’ai installée au mois de mars.
Vous avez maintenu les dispositions d’aménagement de peine prévues dans la loi pénitentiaire et réintroduites par le Sénat. La loi pénitentiaire prévoit la possibilité – mais non l’obligation – d’aménager jusqu’à deux années d’incarcération ferme. Seuls 7 % des aménagements portent sur une durée supérieure à un an et ces décisions, presque cousues main, tiennent compte des conditions de socialisation et de réinsertion.
Vous avez également réintroduit les dispositions concernant la géolocalisation et la possibilité de transaction, comme l’a rappelé M. le rapporteur. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles, puisque le Gouvernement vous présentera des amendements fondés sur le principe de la nécessaire proportionnalité, sachant qu’il existe de possibles risques d’ordre constitutionnel.
Une discussion de presque deux heures a eu lieu ici même sur les tribunaux correctionnels pour mineurs. Le Sénat a, pour sa part, décidé de les supprimer. Le Gouvernement a rappelé l’engagement du Président de la République et indiqué que cette suppression était souhaitée par les chefs de juridiction, comme l’Assemblée et le Sénat en ont eu la confirmation lors des auditions.
Elle est souhaitée pour deux séries de raisons.
Les parlementaires et les magistrats sont attachés à la spécialisation de la justice pour mineurs, alors que le tribunal correctionnel pour mineurs est le signe d’un rapprochement entre la justice des mineurs et celle des majeurs.
D’autres chefs de juridiction, moins attachés à l’argument de la spécialisation des tribunaux correctionnels pour mineurs, estiment quant à eux que ces tribunaux ont désorganisé les juridictions parce qu’ils sont moins aisés à convoquer que les tribunaux pour enfants, alors que leurs résultats sont à peu près les mêmes. Les décisions des tribunaux correctionnels pour mineurs sont parfois même moins sévères que celles des tribunaux pour enfants et, en volume, leur apport est négligeable puisqu’ils ont traité près de dix fois moins de cas.
Ces raisons, liées à la conception de la justice des mineurs, mais aussi à la consolidation de nos juridictions et de leur fonctionnement, conduisent de nombreuses personnes à convenir qu’il faut supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs.
Le Gouvernement, tout en maintenant la position qu’il avait exprimée, a fait savoir qu’il ne souhaitait pas que le présent texte comporte des dispositions relatives à la justice des mineurs. Il a toutefois été sensible au souhait des députés et des sénateurs, et c’est pourquoi le Gouvernement – et non pas la seule garde des sceaux – s’est engagé à présenter cette disposition dans le projet de loi réformant l’ordonnance de 1945 au cours du premier semestre 2015.
Telles sont les principales dispositions de ce texte. Je réitère ma satisfaction concernant non seulement l’organisation des débats, rigoureuse et féconde, mais aussi le fait d’avoir pu travailler intelligemment avec vous et méticuleusement avec les élus locaux. Nous avons en effet eu plusieurs réunions avec des maires, des présidents de conseil général et des présidents de conseil régional. Je me réjouis aussi d’avoir vu tous les professionnels s’engager très fortement. Vous savez les efforts que nous avons consentis en faveur du service pénitentiaire d’insertion et de probation.
Je vous remercie d’avoir modifié les dispositions qui partageaient entre les SPIP et les associations le suivi et la mise en oeuvre de la contrainte pénale. Vous avez reconnu la mission régalienne de notre service pénitentiaire d’insertion et de probation, ce qui, pour autant, ne dévalorise pas le travail effectué par les associations. Je veux rendre hommage, notamment, au réseau Citoyens et justice, qui a montré son professionnalisme en pré-sententiel. Les associations sont des partenaires précieux ; nous allons continuer à travailler avec elles, dans un esprit de complémentarité, sur la mise en oeuvre de la contrainte pénale.
Je l’ai dit, ma satisfaction est grande. Elle est grande, parce que nous avons réussi, avec ce texte de loi, à rétablir ce que j’appellerai la pénalité moderne, laquelle, au sens même du projet pénal républicain, pose, dans la tradition humaniste de la France, la nécessité de sanctionner, tout en donnant un sens à la peine et en travaillant à la réinsertion.
Nous avons réussi à rétablir la combinaison indispensable à la sanction, au sens que doit avoir la sanction pour la société, pour les victimes et pour l’auteur des actes, et à la réinsertion de l’auteur des actes, parce qu’une personne ne doit pas être définitivement réduite à l’acte qu’elle a commis. À cet égard, je rappelle, comme l’a fait le rapporteur, que ce texte concerne les délits.
Nous avons parcouru un chemin semé d’embûches. Il a parfois été difficile ; il a pu susciter chez nous de l’impatience, mais, de ce fait – nous pouvons nous en réjouir – le texte a connu une longue et profonde maturation. Nous avons été capables d’affronter les obstacles auxquels nous avons été confrontés, sans doute parce que nous étions inspirés par Sénèque, qui proposait, dix-huit siècles avant le siècle des Lumières, de faire appel à la raison lorsqu’on veut surmonter des obstacles.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre groupe se félicite de l’accord trouvé par la commission mixte paritaire, tel qu’il nous a été présenté par le rapporteur, rejoignant ainsi la satisfaction exprimée par Mme la garde des sceaux.
Cet accord va en effet permettre l’adoption de cette réforme, qui repense la sanction pénale, autour d’une finalité : la réinsertion des condamnés dans des conditions qui permettent de prévenir la récidive.
La redéfinition du sens de la peine, la réaffirmation du principe de l’individualisation de la peine et du recours à la peine d’emprisonnement comme ultime solution constituent autant de principes indispensables à la mise en oeuvre d’une politique pénale qui concilie les valeurs humanistes et l’efficacité de la loi pénale.
L’abrogation pure et simple des dispositions relatives aux peines planchers, validée par les deux assemblées, correspond parfaitement à la volonté de renforcer l’individualisation des peines.
S’agissant des principaux points de divergence entre notre assemblée et le Sénat, nous sommes tout d’abord satisfaits que la CMP soit revenue sur l’abaissement des seuils de recevabilité des demandes d’aménagement de peines, pour maintenir la possibilité d’aménager les peines des condamnations de deux ans, ou d’un an pour les récidivistes, comme c’est le cas aujourd’hui.
S’agissant de la contrainte pénale, nous regrettons que l’extension de son champ d’application à tous les délits n’ait pas été retenue. Le recours à une phase transitoire ne nous paraît toujours pas convaincant, car pour donner aux juridictions pénales les moyens de prononcer la peine la plus adaptée, la contrainte pénale devrait être étendue à tous les délits et les efforts budgétaires nécessaires déployés dès son entrée en vigueur.
Nous saluons, par ailleurs, la décision de réserver le suivi des personnes sous contrainte pénale, après jugement, aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, comme l’avait prévu notre assemblée. Il nous paraît en effet important que le caractère régalien des missions des SPIP soit réaffirmé en les reconnaissant comme seuls acteurs de l’exécution des peines, tandis que les associations privées de suivi socio-judiciaire interviennent avant le prononcé du jugement.
Enfin, nous regrettons que la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs soit une nouvelle fois reportée. Nous serons vigilants, madame la garde des sceaux et nous ne manquerons pas de rappeler au Gouvernement son engagement de présenter un projet de loi en ce sens au Parlement dans le courant du premier semestre 2015.
Pour autant, comme le souligne l’UNICEF, à la veille des vingt-cinq ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, ce report envoie un signe négatif, tant les tribunaux correctionnels pour mineurs sont le symbole d’une régression judiciaire. Nous regrettons d’autant plus ce report que nos débats ont montré, il y a quelques semaines, qu’il existait une large majorité rassemblant toute la gauche pour supprimer dès maintenant ces juridictions d’exception.
En dépit de ces insuffisances et imperfections, nous voterons, bien sûr, ce texte qui permet de repenser le droit de la peine et de son exécution autour de la question centrale de la prévention de la récidive.
Prévenir efficacement la récidive passe assurément par une meilleure individualisation des peines, ce qui suppose de rendre le pouvoir d’appréciation aux juges et de construire un parcours d’exécution des peines efficace, même si, je le rappelle, la difficulté majeure tient souvent aux moyens mis à la disposition des services des juridictions.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, chers collègues, ce soir, nous serons tous d’accord pour nous féliciter de l’excellent travail qui a été fait en amont pour co-construire ce texte de loi – un vrai luxe par les temps qui courent –, avec une large consultation, de la réflexion, des échanges et une collaboration totale entre les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’avec le Gouvernement.
C’est un texte abouti, d’abord parce qu’il a été initialement très bien pensé. Ensuite, il a été considérablement enrichi par le travail parlementaire. C’est un texte qui remet – enfin ! – le principe de l’individualisation de la peine au coeur de la mission du juge ; nous l’avions oublié pendant une décennie, car il avait été noyé sous le tsunami de textes contradictoires et donc inefficaces. Ce texte est très attendu, après une pause législative salutaire et qui a révélé l’échec de toutes les politiques pénales menées par la droite.
S’enfermant, lors de la première lecture, dans des critiques stériles et répétitives, nos collègues siégeant sur les bancs de droite nous ont régulièrement taxés de laxisme. Le laxisme aurait précisément consisté à ne rien faire face à l’inflation carcérale. Je rappelle qu’aujourd’hui, le nombre de détenus en surnombre est supérieur à 14 000. Pour reprendre vos propos, madame la garde des sceaux, les prisons sont pleines, mais vides de sens.
Ce soir, nous allons voter un texte riche et très volontariste, qui marquera substantiellement l’histoire du droit pénal français. L’économie et la philosophie de ce texte consistent à sanctionner les infractions pénales, en veillant à ce que le condamné puisse être convenablement réintégré dans la société, qu’il ne présente plus de danger pour la ou les victimes, pour lui-même et pour la communauté.
La peine y est définie, en reprenant son sens classique tout en tenant compte des nouvelles fonctions qui doivent être les siennes. Elle doit, bien sûr, rassurer la société et protéger tous les citoyens, c’est-à-dire aussi les victimes, mais aussi éduquer et socialiser. Elle ne prétend plus, comme c’était le cas, discipliner un individu, le faire entrer dans un moule, mais l’adapter pour réduire les risques pour lui-même et pour autrui. Gilles Deleuze emploie d’ailleurs une métaphore très parlante à ce sujet : nous sommes passés, écrit-il, « du moule à la modulation ».
Grâce à ce texte, le juge pénal reprend la place centrale qu’il n’aurait jamais dû quitter. Il n’est plus tenu par l’application scélérate des peines planchers et la révocation automatique des sursis. Il révoquera, s’il l’estime utile, les peines de prison avec sursis ; il adaptera et diversifiera les décisions rendues ; il sollicitera des enquêtes de personnalité, motivera spécialement les décisions privatives de liberté et réévaluera les contraintes pénales pouvant y mettre fin de manière anticipée si le reclassement est assuré et définitivement acquis.
En s’orientant vers la probation et en instaurant la contrainte pénale, en priorisant le recours au milieu ouvert, comme nous le suggère régulièrement le Conseil de l’Europe et comme le font déjà réalisé de nombreux pays européens, la France fait enfin preuve de raison – c’était votre conclusion, madame la garde des sceaux – et de volontarisme.
Grâce aux services pénitentiaires d’insertion et de probation et avec une défense qui aura désormais un rôle proactif, le juge va pouvoir faire procéder à un travail de recueil de renseignements sur la personnalité des auteurs d’infractions et sur les possibilités de peines réalisables. Ainsi, le juge pourra retrouver son coeur de métier et prononcer une peine ajustée et lisible pour tous.
La contrainte pénale est destinée, à très court terme – dans deux ans – et après évaluation, à sanctionner certains délits à titre de peine principale, à la place de la peine d’emprisonnement. Totalement détachée de la peine privative de liberté, elle est susceptible de devenir la peine de référence en matière délictuelle.
L’apport du Sénat à ce sujet est d’ailleurs à souligner, comme en ce qui concerne la durée d’incarcération en cas de non-respect de la contrainte pénale, puisque la juridiction fixera a priori la durée d’emprisonnement qui serait applicable en cas d’inobservation des différentes mesures ordonnées et pour l’aménagement des seuils de peines, lequel sera lui aussi possible.
La contrainte pénale n’est pas une peine de prison avec sursis et mise à l’épreuve. Elle est exécutoire par provision et s’applique donc immédiatement à compter de la décision de condamnation. Elle peut durer de six mois à cinq ans et est aménageable régulièrement. Enfin et surtout, elle n’est pas adossée à une peine de prison. Au contraire, elle sera prononcée à titre de peine principale et combinera à la fois des mesures d’interdiction et d’obligation.
Le juge d’application des peines devient aujourd’hui le personnage central, le grand acteur de l’exécution de la contrainte pénale grâce aux compétences que la loi lui confère, en lien direct – ce qui est nouveau – avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Des craintes se sont manifestées face aux moyens humains nécessaires pour mettre en oeuvre concrètement cette réforme. Vous avez lancé, madame la garde des sceaux, un plan important de recrutement. En outre, la contrainte pénale ne sera applicable qu’aux délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans. Permettez-moi d’ailleurs de rappeler qu’un détenu coûte en moyenne 32 000 euros par an, alors que le coût moyen d’une mesure de placement en milieu ouvert est de 21 900 euros par personne et par an.
Pour réussir cette réforme, il faudra changer les pratiques et, au lieu de s’arrêter au seul respect des obligations, s’appuyer sur l’accompagnement socio-éducatif. Les professionnels vont devoir s’adapter et innover ; c’est un défi.
Sans l’audace et la détermination dont vous avez fait preuve, madame la garde des sceaux, sans l’imagination et le travail construit des deux rapporteurs et sans l’appui de toute la gauche parlementaire, cette réforme n’aurait jamais vu le jour. Elle est le premier pas réussi d’une évolution inéluctable. C’est l’acte I des réformes pénales ; nous voterons avec enthousiasme ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la garde des sceaux, vous dites avoir conclu ce débat dans la joie. Ce n’est pas le même sentiment qui nous animera ce soir, mais plutôt, hélas !, une profonde inquiétude. Ce texte sera adopté dans quelques instants. Le fait majoritaire s’imposera, ce qui est légitime, mais votre projet porte des menaces majeures pour la sécurité de nos concitoyens.
Tout au long des débats, les mises en garde sur les dangers de ce projet de loi se sont multipliées : celles des parlementaires de l’opposition, parfois même de la majorité – nous nous rappelons, à cet égard, les propos de celui qui, aujourd’hui Premier ministre, était alors ministre de l’intérieur –, des magistrats, des policiers et des associations de victimes, sans parler de celles de nos concitoyens.
Vous êtes restée indifférente à tous ces avertissements. Pis encore, vous avez tenté, par des manoeuvres politiciennes et des négociations de couloirs, et ce malgré les arbitrages du Premier ministre, de rendre ce texte toujours plus laxiste, au détriment de la sécurité des Français.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
…et d’une sécurité dégradée, sera lourd.
Le texte qui nous est présenté aujourd’hui est le résultat d’un compromis bancal entre Mme la garde des sceaux et la frange la plus dogmatique de la majorité.
En effet, il prévoit de faire sortir de prison davantage de détenus et d’éviter par principe le recours à l’incarcération.
Ce faisant, il instaure de fait une forme d’impunité légale que les Français ne peuvent comprendre. À cet égard, le projet de loi procède d’une lourde erreur d’analyse. Afin de lutter contre la surpopulation carcérale, au demeurant bien réelle, le Gouvernement adapte la politique pénale au nombre de places de prison. C’est tout le contraire qu’il faudrait faire.
Il faut créer de nouvelles places de prison, comme nous l’avions fait lorsque nous détenions la majorité.
Nous avons créé 7 000 places supplémentaires et avons voté la loi de programmation relative à l’exécution des peines, laquelle prévoyait que notre pays compte 80 000 places de prison en 2017. Nous en avons aujourd’hui 57 000.
Selon un rapport du Conseil de l’Europe, il s’agit d’une impérieuse nécessité. Si la France se classe, en matière d’incarcération – contrairement à vos affirmations réitérées, madame la garde des sceaux –, au trente-troisième rang sur les quarante-sept États que compte l’organisation, nous nous trouvons très loin, dans ce même classement, en matière de surpopulation carcérale, puisque nous occupons la huitième place. Ces deux courbes démontrent bien que notre pays souffre d’un cruel déficit de places de prison.
La France est donc très loin de suivre la politique du tout-carcéral que vous et les membres de la majorité qui vous soutient dépeignez à chacune de vos interventions.
Le projet de loi que vous nous présentez, qui propose d’abroger les peines planchers pour les délinquants récidivistes mises en place par la précédente majorité, procède de la même erreur de raisonnement. Étonnant raisonnement que celui qui prétend lutter contre la récidive tout en abolissant la sanction qui précisément frappait surtout et le plus efficacement les récidivistes !
Il s’agissait pourtant de la mise en oeuvre d’un principe de précaution qui a fait ses preuves en s’attaquant au noyau dur de la criminalité, constitué des 5 % de délinquants commettant 50 % des délits, ces mêmes délinquants d’habitude qui fréquentent systématiquement les commissariats et les gendarmeries, sont interpellés parfois plus de cinquante fois, comme l’ont récemment démontré les statistiques de la préfecture de police de Paris, et qui trouveront dans votre texte davantage encore de raisons de se considérer à l’abri de la sanction pénale.
Par ailleurs, la commission mixte paritaire a retenu du texte issu des travaux du Sénat le retour aux seuils d’aménagement de peine d’un an d’emprisonnement pour les récidivistes et deux pour les non récidivistes.
Comme l’affirmait avec beaucoup d’ironie et une once de mauvaise foi Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, afin de défendre le texte après l’arbitrage défavorable dont il avait fait l’objet de la part du Président de la République, il faut « mettre fin aux dispositions très laxistes de la loi pénale antérieure », c’est-à-dire la loi pénitentiaire, que vous avez citée à plusieurs reprises, « prévoyant l’aménagement automatique de toute peine inférieure ou égale à deux ans ».
Je rappelle, afin de prévenir les remarques que mes propos ne manqueront pas de susciter, que, contrairement à ce qu’a affirmé tout à l’heure M. Raimbourg, dont je salue par ailleurs le travail, je n’ai pas voté la loi pénitentiaire à titre personnel précisément parce qu’elle institue des aménagements de peine automatiques, ce qui constitue selon moi une grave erreur.
C’est faux ! Il faut lire la loi !
En fin de compte, la majorité a retenu la formule qualifiée alors par M. le Premier ministre de « laxiste ». J’en déduis que le présent texte est laxiste. En effet, si l’on en croit son raisonnement, le texte manquera de fermeté à l’égard des délinquants.
Un seul mot : pathétique !
De même, si j’en crois les amendements que vous vous apprêtez à présenter, madame la garde des sceaux, vous avez choisi de limiter l’usage de la géolocalisation des personnes sortant de détention avant la fin de l’exécution de leur peine, en dépit de l’opposition des forces de l’ordre, des magistrats et de la commission mixte paritaire qui souhaitait rétablir ce processus de suivi particulièrement opportun. Vous commettez là une erreur et même une faute.
J’en viens à présent à la mesure emblématique de votre projet de loi, que vous avez défendue avec beaucoup de conviction, je vous le concède bien volontiers, c’est-à-dire la création d’une peine de probation, la fameuse contrainte pénale dont il faut bien reconnaître qu’elle n’a de contrainte que le nom.
Le texte prévoit qu’elle sera d’abord applicable aux délits punis de cinq ans d’emprisonnement puis à tous les délits à partir du 1er janvier 2017. Cela signifie, et nous prenons date, qu’à partir de 2017 des personnes condamnées pour agression sexuelle aggravée, violences volontaires graves contre les forces de l’ordre, proxénétisme ou encore trafic de stupéfiants ne pourront même plus aller en prison.
Telle n’est pas notre position ni naturellement celle de nos concitoyens qui attendent et même exigent, avec raison, davantage de fermeté à l’égard des délinquants. Ils ne sauraient comprendre que la peine soit systématiquement déconstruite à coups d’aménagements, de réduction de la durée ou de contrainte pénale.
En matière de justice des mineurs, dans le prolongement des nombreuses tractations de couloir menées lors de l’examen du texte entre le Sénat et le Gouvernement et avant la commission mixte paritaire, vous avez annoncé opportunément, madame la garde des sceaux, quelques heures avant la réunion de la CMP, la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Le président de la commission des lois du Sénat a d’ailleurs brandi la dépêche AFP, comme s’il fallait des éléments concrets pour garantir que cette promesse serait bien respectée.
Vous avez donc annoncé la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs en 2015. Plus grave encore, comme le rapporte le Figaro, que vous avez qualifié de « Pravda », c’est-à-dire « la vérité » en russe…
Je confirme ! La vérité inventée !
Vous confirmez !
Il est grave que la garante des libertés publiques incrimine un grand quotidien national au banc des ministres ! C’est particulièrement scandaleux et révélateur des atteintes aux libertés publiques qui caractérisent à bien des égards la politique de ce gouvernement.
Mensonges en première page un jour sur deux !
Ce quotidien, d’après un document émanant de la protection judiciaire de la jeunesse adressé à la direction de l’action criminelle et des grâces, certes préparatoire mais néanmoins bien concret, je l’ai vu…
Vous travaillez au Figaro ? Le mandat n’est pas impératif ?
Rires sur les bancs du groupe SRC.
… démontrait, madame la ministre, que vous préparez non seulement la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs mais aussi la déconnexion entre le procès et la sanction ou encore, ce qui est particulièrement grave, l’extension de la justice des mineurs aux citoyens âgés de dix-huit à vingt-et-un ans.
J’ignore si vous irez au bout de ces projets, mais je vois dans l’article du Figaro…
Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.
…une forme de dissuasion préventive qui vous empêchera peut-être de commettre ces erreurs qui sont aussi des fautes.
Nous craignons le pire, madame la garde des sceaux.
Vous appliquerez, demain, avec le même aveuglement idéologique, des dispositions extrêmement dangereuses en matière de délinquance des mineurs. Or, comme vous le savez, les mineurs mis en cause de nos jours n’ont plus rien à voir avec ceux d’après-guerre. Les professionnels sont tous d’accord pour dire que nous sommes confrontés de façon cruelle et parfois dramatique à un rajeunissement et un durcissement de la délinquance des mineurs.
En outre, le texte soumis à notre examen est une illustration frappante de l’amateurisme du Gouvernement. Non seulement les moyens manqueront cruellement pour le faire appliquer mais la réforme proposée posera de réels problèmes constitutionnels – vous le savez bien, madame la garde des sceaux.
Le Gouvernement met sciemment en oeuvre un nouveau dispositif de suivi des délinquants en milieu ouvert qui ne sera jamais doté des moyens nécessaires. Pire, il met en place une réforme alors même qu’il en connaît les risques constitutionnels.
Tout d’abord, l’extension de la contrainte pénale à tous les délits à partir du 1er janvier 2017 contrevient au principe selon lequel le condamné bénéficie immédiatement de la loi pénale la plus douce. Ensuite, en dépit des nombreuses critiques que l’on peut formuler à propos du texte adopté par les sénateurs, il a au moins le mérite d’être conforme à notre Constitution. Il prévoit en effet le prononcé de la contrainte pénale sur la base de critères objectifs, c’est-à-dire la commission de certains délits précisément énumérés. Le texte de la CMP n’en prévoit aucun pour décider du recours à une mesure de contrainte pénale, ce qui laissera une très grande marge d’appréciation au juge, créera un manque de prévisibilité des sanctions et par conséquent une rupture de l’égalité des citoyens devant la loi pénale. En outre, le Sénat avait prévu que la non-observation d’une mesure de contrainte pénale constituerait une infraction spécifique. En écartant cette solution, le texte final institue une double peine non conforme à la Constitution.
Est-ce un texte laxiste ou une double peine ? Il faudrait savoir !
La durée de la contrainte pénale sera fixée, d’après le texte, en fonction de la personnalité des condamnés. Ce critère aléatoire en fait une peine indéterminée et donc inconstitutionnelle.
En définitive, vous portez atteinte à trois principes juridiques fondamentaux : le principe du non bis in idem, celui de l’interdiction des peines indéterminées et celui de l’égalité des citoyens devant la loi pénale. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP saisira bien entendu le Conseil constitutionnel.
« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.
Dès ce soir, considérant qu’il s’agit d’un sujet aussi important que la sécurité de nos concitoyens et que votre texte constitue un danger, nous nous opposerons avec beaucoup de détermination à son adoption.
Sourires.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ainsi que je l’ai indiqué en première lecture, ce projet de loi repose sur des principes et fixe des objectifs que nous partageons.
Il vise à protéger les victimes et la société dans son ensemble, à prévenir la récidive et à lutter contre elle et à assurer aux détenus un meilleur suivi, afin d’éviter les sorties sèches.
Sourires.
Je ne pense qu’à cela…
À ce titre, quelques mesures de ce projet de loi vont dans le bon sens. Je pense à la mise en place d’une contribution pour l’aide aux victimes, à la garantie de l’existence, au sein des tribunaux, de bureaux d’exécution des peines, ou encore au renforcement des missions du service public pénitentiaire dans le suivi et le contrôle des personnes condamnées.
Mais, en dépit de ces rares motifs de satisfaction, après une lecture au sein de chaque assemblée et la réunion d’une commission mixte paritaire, nous sommes toujours en désaccord avec les principales mesures de ce texte.
Sourires.
Du postulat sur lequel repose ce projet de loi découle une volonté de traiter du problème de la récidive sous l’angle de la surpopulation carcérale, au lieu de prévoir pour les récidivistes une peine qui soit, non pas semblable à celle des primo-délinquants, mais adaptée à leur profil, avec la fermeté qui s’impose.
La suppression des peines planchers, prévue à l’article 5, voté conforme, est emblématique de ce refus de prévoir des dispositions spécifiques pour les récidivistes. Ce dispositif laisse pourtant au juge la liberté d’individualiser la peine : en 2010, les magistrats n’y ont eu recours que dans 38 % des cas. Les juges n’usent ainsi de leur possibilité de déroger aux peines minimales que six fois sur dix ; on ne peut dénier le caractère dissuasif de la disposition dans un certain nombre de cas. Plutôt que de découdre chacune des réformes engagées par la précédente majorité, prenons le temps d’évaluer les effets de ces mesures à long terme sur la lutte contre la récidive.
Détricoter les réformes entreprises par la précédente majorité sans attendre d’en connaître les effets à long terme, c’est dans cet état d’esprit qu’un certain nombre de mesures ont été introduites par la commission des lois du Sénat. Je pense en particulier à la suppression de la rétention de sûreté et des tribunaux correctionnels pour mineurs.
La rétention de sûreté, destinée à s’appliquer aux auteurs des crimes les plus graves, est indispensable face à des personnes présentant une dangerosité particulière. En outre, nous n’avons pas assez de recul pour affirmer qu’elle n’a pas eu d’effets notoires sur la récidive.
De même, nous devons attendre pour juger de la pertinence des tribunaux correctionnels. Il serait plus judicieux d’examiner cette question dans le cadre plus global d’une adaptation de l’ordonnance de février 1945.
Très bonne idée ! C’est précisément ce qui est prévu…
Même si ces deux dispositifs ont finalement été maintenus, vous avez clairement indiqué, madame la garde des sceaux, que le Gouvernement était favorable à leur suppression ; nous le déplorons.
Demandez ce qu’ils en pensent aux magistrats de votre circonscription !
Plus globalement, les dispositions de ce projet de loi vont selon nous à l’encontre d’une nécessaire sanction et d’une indispensable réparation, dans l’intérêt des victimes.
Pour le groupe UDI, l’effectivité de l’exécution des peines est une priorité : la mise à exécution des peines se doit d’être rapide, effective et lisible.
Justement !
De ces impératifs dépendent, non seulement la crédibilité des institutions judiciaires, mais également la confiance que chacun de nos concitoyens place en la justice de son pays.
Hormis la consécration dans la loi des bureaux d’exécution des peines, que j’avais d’ailleurs saluée en première lecture, ce projet de loi ne fait pas de l’exécution des peines sa priorité, ce que nous regrettons.
Au-delà de ces oppositions, nous avions déjà souligné les lacunes que présentent certaines dispositions de ce texte.
La création d’une procédure d’ajournement de la peine aux fins d’investigation s’ajoutera à celles qui existent déjà. Elle risque en outre de se heurter à plusieurs obstacles : alors que les juridictions sont déjà très chargées, deux audiences devront se tenir sur un même dossier et les services chargés de ces investigations rencontreront certainement des difficultés en raison du manque de moyens. L’un de nos amendements a permis, en première lecture, d’allonger les débats entre la décision sur l’ajournement et la décision sur la peine, mais nous craignons qu’en dépit de cette amélioration, la procédure ne soit que très peu utilisée.
S’agissant de la contrainte pénale, le moins que l’on puisse dire est qu’elle aura été modifiée à de nombreuses reprises au cours de ces différentes lectures. En l’état actuel du texte, elle sera étendue, à compter du 1erjanvier 2017, à tous les délits punis d’emprisonnement. Nous pensons, non seulement qu’elle est dangereuse, mais qu’elle risque en outre de compliquer encore le droit de la peine.
Nous étions catégoriquement opposés à la proposition du Sénat de faire de la contrainte pénale une peine encourue à titre principal pour une série de délits, car cette mesure n’aurait consisté ni plus ni moins qu’à faire disparaître la peine de prison pour ces délits. Cela se serait apparenté à une atteinte à la liberté d’appréciation des juges, qui se seraient vus imposer l’application de la contrainte pénale, alors même que l’objectif de cette nouvelle peine était d’accroître leur liberté de choix.
Certes, cette disposition ne figure plus dans le texte actuel, mais cela ne suffit pas à apaiser nos craintes, puisque l’article 8 ter prévoit la remise d’un rapport étudiant les effets d’une telle évolution.
Enfin, plus globalement, nous avons tous conscience que de nombreuses dispositions de ce texte ne seront réellement efficaces que si elles s’accompagnent de moyens à la hauteur des enjeux. Or, comment ne pas douter de l’efficacité de ces mesures, alors que la justice manque de moyens et que les quelques créations de postes annoncées au sein du SPIP seront à coup sûr insuffisantes ?
Nous les augmentons de 25 %, cela devrait vous impressionner !
Je crains malgré tout que cela ne suffise pas…
Enfin, le groupe UDI considère que les dysfonctionnements de la justice qui affectent en profondeur notre système pénal ne sauraient se résoudre par des améliorations à la marge et des réformes de procédure.
Nous faisons face au désarroi des professionnels, qui se trouvent en présence d’un service public de la justice qui ne dispose plus des capacités d’absorption suffisantes pour répondre aux exigences d’une société en pleine judiciarisation. Nous faisons face au désarroi des citoyens devant une organisation de la justice complexe, illisible et source d’incompréhension. Nous faisons face, enfin, au désarroi des justiciables confrontés à une défense à deux vitesses et à une réelle inégalité en matière d’accès au droit. Le problème est de savoir comment réformer l’un des plus anciens services publics de l’État régalien.
Plutôt que de nous en tenir à des postures idéologiques, mettons-nous autour de la table avec l’ensemble des acteurs et intervenants du monde judiciaire, pour mettre en oeuvre ce que nous appelons de nos voeux, un véritable « Vendôme de la Justice ».
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe UDI ne votera pas, en l’état actuel, le projet de loi établi par la commission mixte paritaire.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée arrive enfin au bout du chemin de la réforme pénale. Il aura fallu du temps, depuis les engagements de l’élection présidentielle jusqu’à la conférence de consensus et aux arbitrages compliqués de l’été dernier.
Ce texte supprime plusieurs automatismes, à commencer par les peines planchers, mises en place en 2007. Celles-ci ont été un échec, d’abord parce que la loi n’a pas eu d’influence sur le taux de récidive, qui a même augmenté, ensuite parce qu’elles n’ont pas touché ceux auxquels elles étaient destinées, à savoir les personnes récidivant après avoir commis des crimes et des délits graves. Dans ces cas-là, les juges prononçaient déjà des peines allant au-delà du plancher fixé par la loi. En réalité, la loi a surtout eu un impact sur les délits les moins graves et, comme l’a noté le haut magistrat Jean-Paul Jean dans l’une des rares études sur la question, les peines planchers ont essentiellement durci la répression contre les toxicomanes, les alcooliques et les victimes de troubles psychiatriques.
Ce texte supprime un autre automatisme, la surveillance électronique de fin de peine, ou SEFIP, un système de bracelet électronique pensé pour vider les prisons.
De fait, la droite, qui n’a cessé de mettre en place des peines automatiques pour remplir les prisons, a créé, avec la même inventivité, de nombreux dispositifs pour les vider : que l’on songe aux grâces présidentielles, à l’amnistie, ou encore à la SEFIP, aux crédits de réduction de peine ou aux aménagements ab initio. Pour avoir un droit cohérent, il faut en finir avec tous ces automatismes qui visent à vider automatiquement ce que l’on a rempli automatiquement.
Sourires.
Cette loi instaure enfin, avec la contrainte pénale, une peine cohérente de suivi des personnes condamnées qui est aussi une peine alternative crédible.
Nous aurions pu aller plus loin en créant une contrainte pénale applicable à tous les délits, dans l’esprit du travail d’intérêt général ou du sursis avec mise à l’épreuve. Nous aurions même pu faire de cette peine la peine de référence pour un certain nombre de délits mineurs.
Nous aurions pu aller plus loin dans la lutte contre les absurdités de droit pénal, en supprimant les tribunaux correctionnels pour mineurs, que plus personne n’ose défendre. Le Sénat avait adopté une telle disposition, mais la CMP est revenue sur cette avancée. Le groupe socialiste s’est engagé à déposer un texte dans ce sens et nous espérons qu’il ne sera pas nécessaire d’attendre, pour l’examiner, la niche d’un groupe minoritaire. L’Assemblée a la maîtrise de son ordre du jour une semaine sur quatre ; une proposition de loi sur ce sujet y aurait toute sa place.
Nous aurions également pu traiter la question de la rétention de sûreté. Bien que l’un des derniers rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, ait été très sévère sur ce dispositif, nous craignons aujourd’hui que la promesse présidentielle de revenir sur la rétention de sûreté soit désormais oubliée.
Force est pourtant de constater qu’outre l’introduction de la contrainte pénale et l’abrogation des peines planchers et de la SEFIP, cette réforme pénale propose un grand nombre d’avancées. Il importe à cet égard de souligner l’importance du travail parlementaire et en premier lieu celui des rapporteurs. Je tiens notamment à souligner l’avancée que constitue la suspension médicale de détention provisoire, qui reprend une proposition de loi adoptée au Sénat à l’initiative des écologistes, ou la suspension médicale de peine. Ce texte facilite également la domiciliation des sortants de prison et donne plus de souplesse aux juges pour convertir une peine de jours-amende en TIG, pour révoquer partiellement un sursis ou pour permettre le placement extérieur comme mesure probatoire à la libération conditionnelle. Sur tous ces sujets, nous sommes heureux que le Parlement ait suivi des initiatives écologistes.
Je tiens également à souligner l’avancée que constitue la reconnaissance, dans ce texte, de la justice restaurative. Nous y sommes très attachés et nous estimons que ce type de justice doit se développer dans notre pays. En associant mieux les victimes et les condamnés, on permet à la justice d’être plus efficace et plus à l’écoute des attentes des victimes. Ce faisant, on améliore aussi la réinsertion.
Permettez-moi toutefois de vous faire part de nos inquiétudes au sujet de certaines innovations introduites par le texte, qui n’ont pas été étudiées par notre assemblée, ou qui l’ont été trop vite.
L’article 7 quinquies A modifie les règles relatives aux personnes ayant commis un délit, alors que leur discernement était altéré : il réduit du tiers la peine encourue, mais impose également un certain nombre d’obligations. Il s’agit là d’un sujet grave – il suffit en effet de se rendre dans un établissement pénitentiaire pour comprendre combien il est difficile d’y séjourner quand on n’a rien à y faire… Paradoxalement, la multiplication des mesures de contrôle et des obligations pesant sur ces personnes condamnées fait peser le risque de voir une justice plus sévère s’appliquer à des détenus pourtant déclarés irresponsables.
Il sera désormais possible de condamner pour une durée de cinq ans, à des mesures de contrôle qui n’ont rien d’anodines, une personne ayant commis un délit très léger, voire à deux ans de prison en cas de non-respect de ces obligations, quel que soit le délit initialement commis. Nous nous demandons s’il est conforme aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République de juger plus sévèrement des personnes malades, comme le propose cet article. J’espère que le Conseil constitutionnel pourra apporter une réponse à cette question.
Nous restons opposés à la possibilité, introduite à l’article 15, de recourir à la géolocalisation et de procéder à des écoutes pour les personnes en probation. Dès lors que seuls deux ans sont encourus en cas de non-respect de la contrainte pénale, cette possibilité nous paraît aller contre le droit des personnes et le principe de proportionnalité. Dès lors, il est probable que le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme censure un tel dispositif.
L’article 15 ter permet d’octroyer aux officiers de police judiciaire un pouvoir de transaction pénale. Les missions de la police judiciaire s’opposent à ce qu’on lui octroie un pouvoir de transaction. En effet, son rôle consiste à rendre compte à l’autorité judiciaire des infractions à la loi pénale et à se conformer à ses directives. Dès lors, je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourrait accepter cette atteinte à la séparation des pouvoirs. De plus, pour fixer les peines, l’OPJ ne pourrait se fonder que sur les fichiers de police, qui présentent des lacunes évidentes, et non sur les fichiers judiciaires. C’est pour cela que nous soutenons l’amendement de suppression déposé par le Gouvernement.
L’article 17 bis étend à presque tous les délits la surveillance judiciaire introduite par le précédent gouvernement. Cette nouvelle surveillance judiciaire serait une extension très large des obligations et interdictions pesant sur le condamné. Cet article semble contraire à une décision du 8 décembre 2005 du Conseil constitutionnel, puisqu’il va au-delà du simple objectif de lutte contre la récidive, pour inclure l’insertion de la personne libérée. Dès lors, l’amendement de suppression du Gouvernement nous semble, une fois encore, relever du bon sens.
Au-delà de ces inquiétudes, sur lesquelles, je l’espère, le Gouvernement ou, à défaut, le Conseil constitutionnel, apportera des réponses, ce texte marque une avancée importante pour notre droit. Il témoigne d’une volonté de ne pas penser la prison comme la solution unique, mais de construire des peines alternatives crédibles. Il constitue une marque de confiance du législateur envers ses juges, qui sont si vite et si souvent dénoncés par ceux-là même qui en appellent constamment au respect des autorités.
La justice, l’administration pénitentiaire, les services pénitentiaires d’insertion et de probation et l’ensemble des personnes concernées par le suivi des personnes condamnées ont un travail difficile. C’est pourquoi il importe de leur donner la sérénité, la confiance, les moyens et les outils nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. Ce texte va dans cette voie ; c’est pour cela qu’il reçoit le plein soutien du groupe écologiste.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et GDR.
Voilà un beau texte, madame la garde des sceaux. Lorsque, plus tard, vous écrirez vos mémoires, là-bas en Amazonie, je crois que vous penserez à ce beau texte que vous nous avez proposé.
Je serai une très vieille dame !
Sourires.
C’est un beau texte, d’abord parce qu’il est efficace. En matière de justice, il y a un certain nombre d’impératifs.
D’abord et avant tout, il convient de s’occuper des victimes. Or vous renforcez les possibilités d’accompagnement, d’écoute et de protection des victimes, ce qui est absolument essentiel.
Ensuite, il faut prendre en compte ceux qui ont fauté, dans toutes leurs dimensions, notamment en fonction de l’infraction commise : plus elle est grave, plus il faudra porter d’attention à la personne incarcérée, laquelle sera soumise dans les prisons de la République, pendant une période relativement longue, non seulement à une surveillance, mais aussi à une obligation de soins en vue de sa réinsertion.
À cet égard, deux thèses pratiquement inconciliables s’opposent.
La première est celle que défendent les représentants de la droite, en particulier M. Ciotti. Pour lui, une seule solution s’impose : remplir les prisons.
Il prétend n’avoir jamais été pour le tout-carcéral, mais je constate au contraire qu’il s’inscrit totalement dans ce courant de pensée et que, s’il n’existait d’autres solutions que la prison, il en serait bien heureux.
Or le tout-carcéral aboutit à des résultats totalement opposés aux besoins de sécurité de la société. Je suis allé à de nombreuses reprises en prison.
Sourires.
J’invite tous nos collègues à s’y rendre afin de constater ce dont il s’agit.
Actuellement, la prison est, le plus souvent, une atteinte à la dignité.
Cette atteinte à la dignité a des conséquences. Ceux que l’on incarcère ainsi deviennent plus ou moins des fauves. Dès lors, ils constituent un danger évident pour la société lorsqu’ils sortent de prison. De plus, les personnes que l’on fréquente en prison sont en général peu recommandables – il est malheureux de devoir le rappeler.
La prison est l’école du crime par excellence ; c’est en prison que l’on devient, au contact des caïds, un petit caïd. C’est en prison que l’on rencontre des personnes qui entraînent dans le syndicat du crime, qu’on le veuille ou non. Si bien que remplir au maximum les prisons a pour conséquence d’encourager la récidive à la sortie de prison, alors que c’est précisément ce que l’on souhaite éviter.
Vous nous avez proposé, madame la garde des sceaux, un beau concept : celui de prison hors les murs. Dans mes recherches d’historien, je me suis toujours demandé pourquoi l’incarcération était la seule réponse lorsqu’une infraction était commise. Or cela n’a pas toujours été le cas : le recours massif à la prison date, pour l’essentiel, de la IIIe République ; auparavant, il était très rare.
Actuellement, on souhaite prendre en compte la personnalité de l’individu, l’accompagner et le soigner afin d’éviter la réitération de l’infraction. Les solutions que vous nous proposez sont bonnes, car c’est en fonction de l’adaptation de la sanction, des soins que l’on peut apporter, de la possibilité du suivi après la sortie de prison que l’on évitera la réitération de l’infraction. Soyez remerciée, madame la garde des sceaux, pour tout ce travail.
À l’attention des magistrats qui auront à étudier les textes qui vont bientôt devenir la loi de la République, qu’il s’agisse de procureurs de la République ou de juges de l’application des peines, je voudrais me livrer à une analyse du texte qui nous est soumis en ce qui concerne la situation des femmes enceintes en prison.
Vous avez eu l’amabilité, madame la garde des sceaux, de rappeler à quel point j’étais sensible à cette situation insupportable.
Nous avons connu trois versions de ce texte.
La première a été adoptée par l’Assemblée en première lecture. Elle était ainsi rédigée : « Le procureur de la République ou le juge de l’application des peines prennent toutes les dispositions utiles afin qu’aucune femme enceinte ne puisse être placée ou maintenue en détention au-delà de la douzième semaine de grossesse. Cette disposition ne concerne pas les crimes. Elle ne concerne pas non plus les délits commis contre les mineurs. Durant cette période, la peine est suspendue. » À la suite de mon intervention, les termes : « dans la mesure du possible » avaient été supprimés. Une obligation de résultat absolue était donc prévue ; elle s’imposait tant au procureur de la République qu’au juge de l’application des peines. Mais une limitation était apportée, puisque cette disposition ne concernait ni les crimes, ni les délits commis contre les enfants par les femmes délinquantes.
La version adoptée par le Sénat était différente : « Lorsque doit être mise à exécution une condamnation à une peine d’emprisonnement concernant une femme enceinte de plus de trois mois, le procureur de la République ou le juge de l’application des peines recherchent s’il est possible soit de différer cette mise à exécution, soit de faire en sorte que la peine s’exerce en milieu ouvert. » Je suis beaucoup inquiété de cette rédaction, notamment des termes : « recherchent s’il est possible », car ils auraient permis toutes les interprétations de la part du procureur ou du juge de l’application des peines.
Je me félicite donc du texte qui a été élaboré par la commission mixte paritaire et j’en remercie son rapporteur, M. Raimbourg. Je tiens à détailler, afin que cela figure au compte rendu et puisse être repris, la disposition qui a été retenue et l’interprétation que l’on doit en faire. Le texte de la CMP prévoit : « Lorsque doit être mise à exécution une condamnation à une peine d’emprisonnement concernant une femme enceinte de plus de douze semaines, le procureur de la République ou le juge de l’application des peines s’efforcent par tout moyen soit de différer cette mise à exécution, soit de faire en sorte que la peine s’exécute en milieu ouvert. » Nous sommes donc passés des mots : « recherchent s’il est possible » aux mots : « s’efforcent par tout moyen ».
Cela n’a plus rien à voir. Il s’agit non plus d’une obligation de moyens, mais d’une obligation de résultat.
Les termes : « s’efforcent par tout moyen » créent en effet une obligation de résultat ; je l’affirme avec force, après m’être entretenu avec les deux rapporteurs et le président de la commission des lois qui ont exactement la même interprétation que moi à ce sujet.
Cela veut dire qu’il ne sera plus possible, dans les années à venir, qu’une femme enceinte de plus de douze semaines soit maintenue ou placée en détention. Je tiens à le répéter pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté et que les magistrats qui nous lisent sachent exactement quelle a été la volonté du législateur.
Par ailleurs, la disposition s’applique quelle que soit l’infraction commise. Si nous avions prévu dans un premier temps d’établir une distinction entre les femmes ayant commis les crimes et les autres, le texte de la commission mixte paritaire ne le prévoit plus. Il faut donc le dire avec force : ce texte s’applique quelle que soit l’infraction commise par la femme enceinte de plus de douze semaines.
C’est une grande avancée en termes d’humanisme car, en la matière, c’est non pas la personne qui a commis l’infraction qui m’intéresse, mais l’enfant. En prenant cette mesure, nous protégeons un enfant. Je ne vois pas pourquoi un enfant aurait eu à subir les conséquences de l’infraction commise par sa mère. Voilà pourquoi je suis très fier du travail de MM. Raimbourg et Jean-Pierre Michel.
Je suis très fier de cette belle loi, madame la garde des sceaux. Nous reprenons avec vous un travail que nous avions commencé entre 1997 et 2000 ; c’est une loi d’humanité.
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi relatif à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, puisque tel est maintenant son titre, a recueilli l’approbation de toutes les composantes de la majorité lors de son examen dans les deux chambres.
Voilà donc une réforme portée par toute la gauche. Au-delà de toute posture idéologique, elle aspire à répondre à un constat d’urgence et à une attente de nos concitoyens, ainsi qu’aux besoins de notre société. Ce texte ambitieux et novateur a pris acte des échecs des politiques précédentes. Tout a été tout fait pour dépassionner le débat et proposer des solutions qui devraient réconcilier les Français et leur justice. Nous devons en remercier Mme la garde des sceaux, M. le rapporteur et tous ceux qui ont contribué avec responsabilité à l’élaboration de ce texte.
Je tiens à souligner l’importance du temps que nous avons consacré au travail de ce texte et à la volonté de tous de cerner les points de controverse et de les dépasser dans le but de rendre ce texte lisible, concret, équilibré et cohérent.
Cette loi, madame la garde des sceaux, la droite à l’Assemblée nationale l’a d’emblée maudite, en lui associant les pires qualificatifs, et ce avant même de l’avoir lue. D’autres n’ont pas eu ce réflexe pavlovien et ont admis, comme Jean-René Lecerf, qu’elle avait du bon et qu’il eût été stupide de la repousser en bloc.
Mes très chers collègues de l’UMP et de l’UDI – je pense aussi à M. Collard –, vous n’avez pas eu de mots assez durs pour qualifier ce projet de loi dès le travail en commission et avant même d’y avoir travaillé. À vous entendre, toute réforme était inutile et la place des récidivistes était tout naturellement en prison. Vous feigniez ainsi d’oublier que les délinquants – la situation des criminels est différente – sortent toujours de prison un jour et qu’il est bon pour l’ensemble de nos concitoyens et pour la société tout entière qu’ils soient alors pris en charge et suivis.
Or nos prisons ne sont pas adaptées, pour les détenus comme pour leurs gardiens, et ne remplissent pas leur mission de réinsertion en raison d’une surpopulation carcérale incoercible. On sait depuis longtemps qu’en France, à droit constant, cette surpopulation carcérale se stabilise autour de 120 % et il n’est pas imaginable de construire toujours plus de prisons.
L’un des intérêts du texte que nous allons voter, et non des moindres, est de casser cette loi d’airain déjà dénoncée en 1988 par Gilbert Bonnemaison, en luttant contre la récidive par l’individualisation de la peine et de son exécution.
Voilà peut-être la première singularité de ce texte et de notre approche législative, qui en dit long, d’ailleurs, sur un choix politique assumé : il s’agit de porter un égal intérêt aux dispositions concernant le prononcé des sanctions et à celles qui sont relatives à l’exécution des peines.
La précédente majorité a toujours fait l’impasse, dans sa politique pénale, sur une réflexion et une préoccupation pour l’exécution des peines, s’intéressant seulement à la sanction. Ils ont d’ailleurs réitéré cette erreur lors du débat, car cette partie du texte n’a pas éveillé davantage leur intérêt. Ce sont en quelque sorte des récidivistes du désintérêt pour l’exécution des peines.
Le texte retenu par la CMP s’attache, non seulement à la mise en oeuvre du droit, constitutionnellement garanti, à l’individualisation de la peine, mais également – et c’est nouveau – à l’individualisation de l’exécution de la peine. Soyons clairs : il ne s’agit pas d’adoucir la peine infligée, qui est le prix à payer à la société. Il s’agit de faire jouer son rôle à cette dernière : permettre un retour à la vie sociale la plus correcte possible. Chaque condamné doit suivre son chemin et apprendre à vivre dans le monde ordinaire sans commettre à nouveau d’infraction.
Le Sénat a souhaité que l’on maintienne néanmoins un régime différencié pour les récidivistes et pour les primo-délinquants. Soit. On peut considérer que les seconds nécessitent plus d’attention que les premiers, bien que cela soit discutable.
Mais pour que le principe de l’individualisation de l’exécution de la peine subsiste pour tous, il faut qu’il soit préparé en amont, aux deux tiers de la peine, par des diagnostics sérieux. Pour que toute personne incarcérée bénéficie quand cela est possible d’un retour progressif à la liberté, il apparaît nécessaire de proposer à chaque détenu une prise en charge personnalisée : pas de libération automatique, mais l’instauration d’un examen systématique aux deux tiers de la peine. Ce sont souvent les mesures les plus simples qui produisent les meilleurs effets. Sortir en ayant préparé les conditions matérielles – logement, domiciliation, contacts avec la famille, prise en charge médicale et ainsi de suite – depuis l’intérieur de la prison ne peut que limiter les circonstances et conditions qui recréent le recours à des pratiques délinquantes.
C’est une libération sous contrainte, dont le succès reposera largement sur les agents des SPIP. À cet égard, je me félicite qu’un malentendu ait été dissipé – je veux parler du soupçon de privatisation d’un service public d’une telle importance. Les missions seront partagées entre le service pénitentiaire d’insertion et de probation et les personnes morales habilitées. Nous aurons besoin aussi de tous les savoir-faire. Ainsi, les associations interviendront avant le jugement et les SPIP, après.
Ce texte consacre des dispositions visant à lutter contre la récidive. Nous savons que le problème se posera au niveau des moyens qui seront dégagés à cette fin.
Madame la garde des sceaux, vous nous avez rassurés. Nous savons pouvoir compter sur votre détermination pour obtenir ces moyens ; nous voterons ce texte avec enthousiasme.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, RRDP et GDR.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, madame la ministre de la décentralisation et de la fonction publique,…
Non, je n’ai rien à voir avec ce texte !
Sourires.
…qui êtes revenue à vos anciennes amours, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, je veux compléter très brièvement les interventions de Colette Capdevielle et d’Elisabeth Pochon qui ont décrit l’approche de notre groupe sur ce texte.
Je partage leur satisfaction devant le travail que nous avons accompli. Je veux associer à ces remerciements nos collègues qui ont participé à ce travail : Alain Tourret, qui m’écoute de temps en temps,
Sourires
Mêmes mouvements
Sourires.
Au-delà de nos approches différentes, tenant notamment à la gestion du temps, nous avons traduit dans ce texte certaines valeurs essentielles pour la gauche.
J’aime que nous puissions rappeler, de temps en temps, que ces valeurs existent et que nous les partageons,
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR
dans des combats fondamentaux qui touchent à des principes aussi forts.
Oui, il s’agit d’un bon texte, d’abord parce qu’il a été élaboré avec méthode, ce qui a fait cruellement défaut pendant dix ans.
La majorité précédente modifiait la loi pénale sans étude d’impact, en réaction à des faits relatés dans les journaux télévisés de la veille mais que les juridictions remettaient souvent à leur juste place quelques mois plus tard, et cela dans le but d’apporter des réponses simplistes à des problèmes dont nous savons tous qu’ils sont complexes.
Oui, il faut travailler avec méthode quand il s’agit de toucher à la loi pénale et à la procédure pénale.
Bien sûr que M. Ciotti se trompe. Il n’est pas là, et je le regrette,…
…car j’aurais répondu à ses arguments. Il se trompe d’abord parce que, comme nous l’avons constaté, les mesures adoptées pendant dix ans n’ont eu aucun résultat par rapport aux objectifs affichés de lutte contre la récidive et de baisse de la délinquance – je dirais même qu’elle n’a cessé de s’amplifier. Tout à coup, nous entendons M. Ciotti évoquer la plénitude de la compétence des magistrats. Qui fait-il rire ?
Ses propos contredisent ce qu’il disait hier et ce qu’il dira encore demain.
Qui peut sérieusement nier le fait que l’opposition confond les notions d’incarcération et d’élimination ?
Au fond, l’UMP propose d’éliminer des gens, de les sortir du champ, ce qui traduit son absence d’adhésion au principe fondamental de la liberté. En effet, c’est souvent en observant la manière dont sont traités les prisonniers ou les personnes atteintes d’une altération mentale que l’on peut évaluer le degré de respect, par une civilisation, des principes fondateurs de la liberté.
Voilà ce qui est important, mais que l’opposition oublie : la prison n’est que la privation de liberté. Elle n’est pas le manque d’amour, la violence dans les couloirs ou l’atteinte au corps. Il est de notre responsabilité de dire que le chemin de l’emprisonnement est encore, à nos yeux, incompatible avec nos valeurs fondamentales. C’est pourquoi il faut travailler sur ce sujet.
Un deuxième point me semble essentiel : il faut passer d’une culture de l’enfermement à une culture du contrôle réel et efficace de l’action publique visant à prévenir la délinquance. Il y a très longtemps, le directeur d’un centre pénitentiaire au Canada m’avait expliqué que son travail le plus important consistait non pas, contrairement à ce que tout le monde croyait, à bien s’occuper des détenus, mais à préparer leur sortie. C’est même là, selon lui, le plus grand service qui peut être rendu à la civilisation.
Nous le savons tous car nous avons développé cette idée pendant des mois : lorsqu’un détenu entre en prison, sa sortie est le problème essentiel de son incarcération et la responsabilité principale des acteurs publics. L’emprisonnement ne peut pas être la seule solution pour régler les déviances et les manquements de nos concitoyens à la règle pénale. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes allés au fond des choses. Cela a été compliqué ; il y a eu des débats. De fait, il est difficile d’être certain que la mesure proposée va dans le sens du progrès et qu’elle n’altérera pas les dispositifs existants.
Ce texte est non pas un slogan, mais une pierre de l’édifice que nous devons incessamment construire pour consolider notre « pénalité moderne », pour reprendre l’excellente expression que vous avez utilisée, madame la garde des sceaux. Ainsi, il faut rendre efficace le système pénal de notre pays, l’adapter tout en veillant à la préservation des grands principes républicains et humanistes qui ont construit son histoire mais qui sont aussi – en tout cas, c’est ce que nous voulons – le chemin de son avenir.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.
J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.
Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, je vais d’abord appeler l’Assemblée à statuer sur les amendements dont je suis saisie.
Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement vous présente une dizaine d’amendements.
J’en conviens, monsieur Dolez : effectivement, il est assez inhabituel que le Gouvernement dépose des amendements lors de la discussion d’un texte sur le rapport d’une commission mixte paritaire.
Vous savez bien qu’il ne s’agit pas d’un acte d’hostilité. Le Gouvernement et moi-même, à titre personnel, éprouvons une incontestable estime pour les députés que vous êtes et un immense respect pour le travail que vous avez effectué.
Les analyses juridiques que nous avons menées nous conduisent à considérer qu’un certain nombre de dispositions rétablies en commission mixte paritaire présentent des risques d’inconstitutionnalité. J’ai estimé qu’il était de mon devoir de vous alerter sur ces risques. Je reconnais la souveraineté du Parlement et le Gouvernement s’inclinera évidemment devant les votes auxquels vous allez procéder – il le ferait même s’il n’y était pas contraint. Bien entendu, nous ne sommes pas infaillibles, mais il est important que vous sachiez qu’un certain nombre de dispositions contiennent, à nos yeux, des éléments d’inconstitutionnalité qui peuvent tenir à leur rédaction, à l’absence de parallélisme avec des dispositions équivalentes ou au fond.
Pour l’essentiel, les amendements déposés par le Gouvernement visent donc à supprimer les dispositions présentant ces risques. D’autres amendements ont été élaborés en concertation avec le rapporteur ; vous les adopterez très probablement, ce qui devrait nous donner l’occasion d’une belle réconciliation.
L’amendement no 1 n’est pas lié à un risque d’inconstitutionnalité. Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure à la tribune, il vise à reprendre une initiative de Jean-Frédéric Poisson, en première lecture, afin de prendre en compte les efforts réalisés par un détenu pour l’apprentissage de la lecture ou du calcul et son implication dans des activités culturelles. Nous avions repoussé cette proposition en première lecture tout en considérant qu’elle était intéressante : nous nous étions donc engagés à y travailler pendant la navette.
Ainsi, le Sénat avait adopté une disposition visant à accorder une réduction de peine aux condamnés qui manifesteraient des efforts sérieux de réadaptation sociale « en s’investissant dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, en participant à des activités culturelles et notamment de lecture ». La commission mixte paritaire a supprimé les mots : « en participant à des activités culturelles et notamment de lecture ».
Pourtant, vous le savez, la sociologie de la population carcérale est telle que l’illettrisme est une question majeure. En prison, le taux d’illettrisme est proche de 30 %, ce qui est nettement plus important que la moyenne nationale. La mesure visant à inciter les détenus à s’investir dans « l’apprentissage de la lecture » est donc importante et concernera un public précis, mais l’incitation à participer à « des activités culturelles, et notamment de lecture » pourra concerner un public encore plus large. C’est pourquoi je souhaite revenir sur cette disposition en vous proposant de réintégrer, à l’article 7 ter A, les mots : « ou en participant à des activités culturelles, et notamment de lecture ».
Madame la garde des sceaux, vous avez fait état, en commençant votre propos, de l’estime que vous portiez au Parlement. Je peux vous répondre que le Parlement vous porte également une grande estime.
Ça, c’est sympa !
Oui, mais j’attends la suite !
Sourires.
D’ailleurs, il suit avec attention vos textes. Les interventions en discussion générale témoignaient d’ailleurs, pour l’essentiel, de l’estime que nous vous portons.
Vous savez, madame la garde des sceaux, que les interventions commençant ainsi se terminent généralement moins bien.
Sourires.
On ajoute souvent : « néanmoins ».
En effet !
Vous avez fait le choix de déposer un certain nombre d’amendements.
À mon avis, l’amendement no 1 ne présente aucune difficulté : on peut effectivement considérer que les détenus qui se livrent à des activités culturelles peuvent faire l’objet d’une attention particulière du juge d’application des peines lorsqu’il accorde des réductions de peine. Lors des débats en première lecture, il avait été dit que certains détenus préféraient peut-être s’investir dans des activités sportives mais, quoi qu’il en soit, nous pouvons tout à fait accepter cet amendement.
Sur le reste des amendements, en dehors de ceux qui concernent l’application de la loi dans le temps, je serai amené à émettre des avis défavorables, que je justifierai au fur et à mesure de leur examen. Je ferai trois remarques.
Ma première remarque concerne un passage du texte relatif à la suspension de peine pour raison médicale, qui pourrait donner lieu à des interprétations un peu divergentes – je fais cette remarque maintenant parce que mon temps de parole en début de séance était épuisé. Il est prévu que la suspension de peine ne peut être ordonnée pour « les personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement ». Cette disposition s’applique aussi bien aux malades mentaux qu’aux malades physiques. Je tiens à apporter cette précision afin que ceux qui seront amenés à interpréter la loi ne le fassent surtout pas dans le sens d’une restriction aux malades mentaux.
En effet, il était prudent de le préciser !
Cette remarque n’a rien à voir avec les amendements que nous examinons et auxquels je reviens, madame la garde des sceaux, avec deux objections.
En déposant de nouveaux amendements après la CMP, le Gouvernement prend d’abord un risque assez important : celui de voir le texte adopté par les deux assemblées dans des termes différents et, par là-même, de provoquer une nouvelle lecture.
Je serai donc extrêmement prudent.
Mais la prudence n’est pas le seul motif de mes réserves. Je ne partage pas l’avis de la garde de sceaux, selon lequel certaines dispositions que nous avons adoptées seraient contraires à des dispositions constitutionnelles.
Les mesures en question visent à renforcer le contrôle qui s’exerce sur les personnes sortant de prison et les personnes en probation. Si nous voulons que ce contrôle remplace l’enfermement, il est absolument nécessaire qu’il soit effectif et crédible, pour ceux qui l’exercent comme pour ceux qui le prononcent et qu’il soit perçu comme tel par l’ensemble de nos concitoyens. Je le répète : la peine à l’extérieur des murs ne sera socialement acceptée que si l’ensemble de la société considère ce contrôle comme crédible.
Les dispositions que le Gouvernement veut supprimer ne sont donc ni liberticides ni disproportionnées. Elles poursuivent un double objectif : d’une part, faire en sorte que la police et la justice collaborent, sans méconnaître la charge de travail des uns et des autres ; d’autre part, permettre à notre société de s’emparer de cette peine et de la considérer symboliquement comme une peine semblable à la prison, c’est-à-dire comme la juste sanction d’un acte condamné par la loi.
Monsieur le rapporteur, pour la clarté de nos débats, restons-en pour l’instant à l’amendement no 1 . Quel est donc l’avis de la commission sur cet amendement ?
Je veux faire une remarque de méthode, qui aurait d’ailleurs presque pu faire l’objet d’un rappel au règlement sur le fondement de l’article 58.
La commission mixte paritaire s’est réunie le 8 juillet. Nous sommes le 16 juillet : un calcul mental rapide permet donc à chacun de remarquer que cette réunion s’est tenue il y a huit jours. Dix amendements du Gouvernement nous sont soumis à l’instant et la commission des lois ne s’est naturellement pas réunie. Je sais bien que ce n’est pas l’usage de réunir la commission sur le fondement de l’article 88 du règlement après une CMP, mais il s’agit tout de même d’amendements substantiels qui suscitent le trouble jusque sur le banc de la commission. Je ne peux que déplorer cette improvisation qui conduit la Chancellerie à nous soumettre, par la voix de Mme la garde des sceaux, des amendements que nous n’avons pas pu examiner de manière sérieuse et approfondie.
L’amendement no 1 est adopté.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 2 .
Avant de défendre cet amendement, madame la présidente, je voudrais répondre à M. Larrivé. Le Gouvernement a toujours montré, monsieur le député, un très grand respect envers le Parlement. J’ai indiqué les raisons pour lesquelles le Gouvernement présente cette série d’amendements, mais il le fait dans le respect du choix du Parlement. Ces amendements portent sur le texte issu de la commission mixte paritaire,…
Si cela ne vous a pas échappé, du coup, cela enlève toute pertinence à votre observation. Il n’est donc même pas la peine que je continue à vous fournir des éléments d’explication.
J’en viens à l’amendement no 2 , qui tend à supprimer les alinéas 43 à 45 de l’article 15, alinéas qui concernent les conditions dans lesquelles sont effectués les contrôles des obligations et des interdictions. Lors de l’examen du texte en première lecture, nous avons eu de longs débats sur le recours à la géolocalisation et aux écoutes téléphoniques, sur l’interprétation de la gravité particulière et de la durée des infractions, ainsi que sur la distinction entre les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes.
Je répète que les amendements du Gouvernement ont essentiellement pour but de vous alerter sur ce que nous percevons comme étant des risques d’inconstitutionnalité. Je ne doute pas – j’ai suffisamment siégé sur ces bancs pour en être profondément convaincue – de la capacité des parlementaires à évaluer ces risques. Il n’y a jamais de certitude absolue, ni sur l’existence ni sur l’absence d’un motif d’inconstitutionnalité. Il y a donc toujours une marge d’appréciation. Mais la responsabilité du Gouvernement est de vous dire qu’en l’occurrence, le maintien de ces alinéas présente un risque, dans la mesure où il y a une disproportion entre les moyens utilisés pour le contrôle en cas d’inobservation des obligations ou des interdictions et les moyens qui auront été utilisés pour l’enquête et l’instruction.
Compte tenu de cette disproportion, il me paraît important de vous signaler ce risque que nous percevons, même si, je le répète, le Gouvernement considère que les parlementaires sont parfaitement éclairés et peuvent accepter éventuellement de courir un risque.
Avis défavorable, madame la garde des sceaux, et ce pour plusieurs raisons, que je souhaite détailler. Le texte sera vraisemblablement soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel. Il faut donc qu’il dispose des éléments à l’appui de chacune des thèses.
L’encadrement des écoutes téléphoniques et de la géolocalisation a été considérablement renforcé par la commission mixte paritaire. Elles ne peuvent intervenir que sur autorisation du magistrat. Votre argumentation semble confondre le contrôle et l’enquête. Ce ne sont pas des moyens d’enquête, mais de contrôle du respect d’une obligation.
C’est ce que j’ai dit.
Par ailleurs, ces mesures n’ont rien de liberticide car elles ne s’appliquent qu’à des personnes qui sortent de prison et qui font l’objet d’interdictions et d’obligations en contrepartie du fait qu’elles sortent de prison avant l’exécution de la totalité de la peine. Nous n’avons pas affaire à des citoyens présumés innocents, mais à des personnes qui exécutent une partie de leur peine à l’extérieur et qui doivent donc faire l’objet d’un contrôle. Du point de vue de la liberté, il vaut mieux être à l’extérieur qu’à l’intérieur d’une prison – cela paraît une évidence –, même si l’on doit être soumis à un contrôle qui peut être considéré comme étant un peu strict. Il est strict, en effet, mais exceptionnel et soumis à l’autorisation du juge.
En outre, nous avons pris la précaution de limiter ces moyens de contrôle à certains cas : ils pourront être utilisés pour vérifier le respect de l’interdiction de paraître dans certains endroits, ou de contacter certaines personnes, dont les complices, les co-auteurs, la victime. De plus, la géolocalisation et les écoutes sont limitées aux condamnations pour des faits pour lesquels ces moyens étaient possibles. Le mécanisme me semble assez bien au point pour éviter toute critique constitutionnelle.
Je partage l’avis du rapporteur s’agissant de l’amendement no 2 et je souhaite, puisque je n’ai pu être présent plus tôt dans l’hémicycle, me réjouir de l’adoption de l’amendement précédent, ce dont je remercie le Gouvernement et la représentation nationale. Avec mon collègue Gaymard, nous sommes très satisfaits et je voulais vous en remercier de manière formelle et officielle.
Permettez-moi de préciser qu’à aucun moment, puisque le mot a été employé par le rapporteur, je n’ai dit que la disposition était « liberticide ».
Ce n’est pas ce que je pense, ce n’est pas ce que pense le Gouvernement. Nous pensons qu’il y a une disproportion entre ces moyens de contrôle et les moyens d’enquête. C’est tout. Maintenant, il est possible que vous ayez parfaitement raison en disant qu’il n’y a aucun risque, mais il était de mon devoir de vous alerter sur le risque potentiel.
J’ai bien entendu que vous n’aviez pas prononcé le mot « liberticide ». Vous aurez compris que dans mon argumentation, je me prémunissais contre toute interprétation qui pourrait être ultérieurement celle du Conseil constitutionnel. Je me suis livré en quelque sorte à une plaidoirie par anticipation.
L’amendement no 2 n’est pas adopté.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 3 .
Cet amendement tend à supprimer l’article 15 ter, qui permet à l’officier de police judiciaire de proposer une transaction. Cette disposition, introduite en première lecture par la commission des lois, a été, je dois le dire, consolidée par la commission mixte paritaire, qui a notamment prévu que la transaction soit soumise à l’autorisation préalable du procureur de la République et à une homologation par le juge. Cela dit, s’agissant du délit de vol, vous précisez que la transaction est possible « lorsque la valeur de la chose volée est inférieure à un seuil fixé par décret ». Or il nous semble que la procédure pénale ne peut pas être réglée par décret. Je vous alerte sur ce point tout en entendant, presque par anticipation, vos protestations.
En outre, s’il est vrai que vous prévoyez une homologation de la transaction par le juge, vous prévoyez également une consignation. Or cette consignation suppose que la mesure est exécutoire avant l’homologation par le juge. Sur ce point également, je souhaite appeler votre attention.
Avis défavorable, pour plusieurs raisons. Dans l’exposé sommaire de cet amendement, vous abordez, madame la garde des sceaux, la question du respect des droits de la défense, et vous faites référence à une décision du Conseil constitutionnel sur l’article 44-1 du code de procédure pénale relatif à la possibilité pour les maires de proposer une transaction. Je précise que cet article a été validé par le Conseil constitutionnel et la présence de l’avocat n’avait été évoquée que comme une possibilité. Avec cet article, nous sommes dans la même configuration. C’est pourquoi j’estime qu’il n’y a pas de risque constitutionnel.
Toujours dans l’exposé sommaire, vous évoquez l’idée que l’OPJ aurait tout pouvoir. Mais ce pouvoir est limité. Comme vous venez vous-même de le dire à l’instant, il ne peut proposer la transaction qu’après autorisation préalable du procureur. J’ajoute que l’amende transactionnelle ne peut excéder le tiers du montant de l’amende encourue. C’est dire que son pouvoir est largement encadré. La transaction pénale doit, en outre, être validée par un juge du siège.
Votre critique porte également sur le fait que nous renvoyons à un décret pour préciser le montant de la valeur de la chose volée en dessous duquel il est possible de proposer une transaction. Je rappelle que cela existe en matière pénale. La définition des stupéfiants, par exemple, relève d’un arrêté ministériel datant du 22 février 1990. Autre exemple : l’article 521-2 du code pénal punit d’une peine de deux ans d’emprisonnement des pratiques expérimentales sur des animaux lorsqu’elles ne se conforment pas « aux prescriptions fixées par décret pris en Conseil d’État ».
Quant au principe de prévisibilité de la loi pénale, il est respecté. L’amende transactionnelle est prévisible puisqu’elle ne peut excéder un montant maximal, en l’occurrence le tiers du montant de l’amende encourue.
L’article 15 ter n’encourt donc pas, selon nous, la censure du Conseil constitutionnel. Je partage votre avis selon lequel il n’y a jamais de certitude en la matière. Mais en l’espèce, il semble bien qu’après les améliorations introduites par la CMP, nous soyons – sous réserve de l’appréciation souveraine du Conseil constitutionnel – à l’abri d’une censure.
L’amendement no 3 n’est pas adopté.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 4 .
Dans votre jeunesse, vous avez peut-être vu le très beau film de Richard Attenborough, Gandhi, qui illustre la philosophie de la non-violence prônée par le MahatmaGandhi. L’Inde faisait alors partie de l’empire britannique, qui pratiquait une répression féroce. Vous devez vous souvenir de la scène mémorable de la Marche du sel, où des Indiens avancent et se font frapper. La non-violence consiste à résister en ne rendant pas les coups, et à vaincre par le nombre. Ce soir, j’ai quand même un peu le sentiment d’avancer et de me faire frapper.
Rires sur de nombreux bancs.
Je ne préjuge pas de ma résistance.
J’ai la plus grande méfiance envers vos intentions, monsieur le député.
Sourires.
J’en viens au présent amendement qui tend à supprimer les alinéas 5 à 19 de l’article 15 quater. Vous prévoyez qu’au sein du conseil départemental de prévention de la délinquance et, le cas échéant, de la zone de sécurité prioritaire, l’état-major de sécurité et la cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure examinent et donnent leur avis sur les conditions de mise en oeuvre des mesures alternatives aux poursuites, et organisent les modalités du suivi, sans que la composition de ces structures administratives créées par décret soit définie. Vous les impliquez, en fait, dans l’exécution d’une mesure judiciaire.
Voilà le contenu de cet amendement, que je présente de façon un peu sommaire, parce que j’ai certes beaucoup de courage – et même parfois de témérité –, mais je ne pratique pas le masochisme.
Sourires.
Je répondrai sans violence excessive, madame la garde des sceaux. Il ne s’agit là que d’une violence légère, symbolique et mes arguments ne sont frappés qu’au coin du bon sens, pour essayer de convaincre le Conseil constitutionnel lorsqu’il aura à examiner ces dispositions.
Sourires.
Quoi qu’il en soit, là encore, l’avis est défavorable.
Le dispositif dont il est question tend à rassurer tous ceux qui participent à la lutte contre la récidive, notamment les services de police et de gendarmerie qui, comme vous le savez, se sont montrés assez inquiets à l’idée de se voir transférer la charge de la surveillance des condamnés. Il établit – ce qui répondra aussi aux inquiétudes de M. le ministre de l’intérieur – une concertation, de façon que la charge de travail soit adaptée aux moyens dont chacun dispose.
Madame la garde des sceaux, vous nous adressez des reproches détaillés dans l’exposé sommaire de votre amendement. Figure parmi eux l’empiétement du législateur sur le domaine réglementaire. Or depuis son arrêt de 1982 « Blocage des prix », le Conseil constitutionnel ne censure plus l’empiétement du législateur sur le domaine réglementaire. La seule censure possible relève de l’article 41 de la Constitution qui prévoit que le Gouvernement ou le président de l’Assemblée peuvent opposer l’irrecevabilité et qu’en cas de désaccord, le Conseil constitutionnel tranche. Comme cette procédure n’a pas été utilisée, il semble bien que nous soyons à l’abri d’une censure.
Par ailleurs, ce dispositif a été modifié une nouvelle fois dans le texte issu de la CMP : il revient désormais à l’autorité judiciaire de désigner les personnes qu’il conviendrait de suivre particulièrement, les états-majors de sécurité et les cellules de coordination dans les zones de sécurité prioritaires ne faisant qu’organiser ce suivi.
Enfin, vous nous faites le reproche qu’il serait porté atteinte à la séparation des pouvoirs. Or il est simplement demandé au procureur de venir, une fois par an, informer les états-majors de sécurité et les cellules de coordination de sa politique pénale. Il ne semble pas que ce dispositif, qui existe notamment dans les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
Le risque constitutionnel est donc assez faible, même si, comme vous le dites à juste titre, madame la ministre, il n’est jamais nul.
Mes chers collègues, je forme le voeu que les préfets et ceux qui ont autorité sur les forces de police et de gendarmerie lisent attentivement l’exposé sommaire de cet amendement tel que le Gouvernement l’a rédigé, parce qu’il est extrêmement choquant.
Vous expliquez, madame la ministre, qu’il est impérieusement nécessaire de supprimer, en réalité, toute information des préfets, des policiers et des gendarmes sur la politique pénale conduite par les parquets dans leur territoire, puisque vous voulez supprimer les alinéas 10 et 11.
Vous expliquez encore, à rebours de tout ce que Manuel Valls, ministre de l’intérieur, a exposé ici lors de la création des zones de sécurité prioritaires, qu’il ne faut organiser aucune coopération territoriale entre ceux qui relèvent du ministère de l’intérieur au plan administratif et ceux qui relèvent de l’autorité judiciaire.
Je ne sais si cet amendement a été soumis à une procédure interministérielle – j’imagine que oui, autrement il ne serait pas défendu ici –, mais en tout cas, il nous permet de voir, à travers son exposé sommaire, tout ce que la Chancellerie garde de méfiance et de ressentiment à l’égard d’une coopération opérationnelle, pourtant bien nécessaire sur le terrain, avec les forces relevant du ministère de l’intérieur.
L’amendement no 4 n’est pas adopté.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 5 .
Avant d’en venir à l’amendement no 5 , je veux dire à M. Guillaume Larrivé qu’il serait bon de suivre les choses du début à la fin. Cela donne un peu plus d’autorité pour être péremptoire.
Les propositions de la Chancellerie allaient plus loin que ce qui figure dans le texte, puisqu’elles visaient un élargissement plus important des prérogatives des forces de sécurité. Nous y avons renoncé à la demande du ministère de l’intérieur, qui a estimé que, pour la bonne organisation et l’efficacité de ses services, une telle extension n’était pas souhaitable.
Évidemment, cela ne vous empêchera pas de continuer à faire des procès d’intention et à égrener des chapelets de poncifs et de préjugés, car je présume que vous aurez beaucoup de mal à vous en défaire.
S’agissant des zones de sécurité prioritaires, le travail de la Chancellerie a été marqué par la qualité et l’efficacité – mais vous n’avez pas dû vous y intéresser non plus. Et quand je parle du travail de la Chancellerie, je parle de l’élaboration d’une doctrine d’emploi, de la mobilisation des parquets et des parquets généraux, de la participation à 80 % de la détermination des périmètres des zones de sécurité prioritaires mais également des profils typologiques de délinquance qui y sont liés, du renforcement de nos groupes locaux de traitement de la délinquance, de la participation de nos procureurs aux différentes cellules de coordination et des renforts d’effectifs.
Je vous informerai, si vous le voulez, au fil de l’eau. Toutes ces informations sont disponibles. Si, au lieu de venir faire, à l’occasion, des procès d’intention déjà tout écrits, vous décidez de vous intéresser à la réalité des choses, vous constaterez que la coopération entre la justice et la police se fait en bonne intelligence, dans une indiscutable efficacité puisque le ministre de l’intérieur et moi-même pouvons nous prévaloir des résultats que nous obtenons dans les zones de sécurité prioritaires.
J’en viens à l’amendement no 5 , qui tend à supprimer l’article 17 bis.
Monsieur le rapporteur, vous avez dit à plusieurs reprises que le Gouvernement vous faisait tel ou tel « reproche ». Non, il ne vous fait pas de reproche, il indique les défauts que la Chancellerie a paru utile de signaler. Je peux comprendre que vous considériez qu’il ne s’agit pas de défauts : vos démonstrations juridiques sont tout à fait convaincantes. Je ne souhaite qu’une chose, c’est qu’elles convainquent le Conseil constitutionnel. Si ce texte lui était déféré…
Cela peut arriver, incontestablement. Et même si ce n’était pas le cas, une question prioritaire de constitutionnalité pourrait éventuellement le conduire à l’examiner.
Avec ces amendements, nous ne nous livrons pas à un exercice inutile, qui aurait pour but d’être désagréable. Nous prenons très au sérieux la loi, nous pensons que tous les efforts qui ont été faits méritent de travailler avec vigilance à la consolidation de chacune des dispositions. C’est le sens de nos amendements. Je crois que vous le comprenez ainsi car je vois bien avec quelle…
…oui, avec quelle application scrupuleuse vous développez votre argumentation, monsieur le rapporteur. Cela servira, incontestablement, si jamais le Conseil constitutionnel était appelé à examiner ce texte.
L’article 17 bis prévoit une généralisation du mécanisme de la surveillance judiciaire. Là encore, monsieur le rapporteur, je ne dis pas que c’est liberticide, parce que je ne le pense pas, même si je comprendrais que vous utilisiez ce terme pour le contester, dans le cadre d’une défense anticipée du texte devant le Conseil constitutionnel. Simplement, cette généralisation pose au moins quelques questions : la surveillance s’effectue dans toutes les circonstances ; sa durée n’est pas précisée ; le type d’infractions auxquelles elle s’applique n’est pas spécifié.
Dans le droit pénal actuel, cette surveillance socio-judiciaire n’est possible que pour les personnes ayant fait l’objet de condamnations d’une durée d’au moins dix ans, ou cinq ans en récidive, et pour les infractions spécifiquement punies du suivi socio-judiciaire. Par ailleurs, une expertise préalable est prévue, qui n’est pas envisagée dans cet article 17 bis.
En outre, généraliser cette surveillance sans établir de nuance selon que les condamnés font ou non déjà l’objet d’un suivi judiciaire ou d’un aménagement de peine nous paraît aussi poser des difficultés.
Je soulèverai un dernier point, même s’il n’est pas prépondérant : les effectifs des conseillers d’insertion et de probation. À plusieurs reprises, vous avez fait savoir vos inquiétudes quant aux moyens nécessaires à l’efficacité de cette réforme. Le Gouvernement s’est donné ces moyens sur la base de l’étude d’impact, notamment en renforçant le service pénitentiaire d’insertion et de probation par une hausse de 25 % de ses effectifs en trois ans, grâce au recrutement d’un millier de personnes, et en mettant en place d’autres dispositions relatives au recrutement, à la mixité des profils, à la formation initiale et à la formation continue, aux nouvelles méthodes d’analyse et d’évaluation, aux nouvelles méthodes de probation. À ces efforts s’ajoute le travail statistique dont nous avons déjà débattu ici.
Je ne peux m’empêcher de vous dire que cet article, c’est une charge de travail qui pèsera également sur les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Notre discussion porte sur les modifications apportées à l’article 721-2 du code de procédure pénale.
Dans sa rédaction actuelle, le juge d’application des peines a la possibilité de soumettre la personne sortant de prison n’ayant pas été libérée par anticipation et n’ayant fait d’aucune mesure particulière à l’obligation de ne pas perturber la victime, sous peine de voir révoqués les crédits de réduction de peine dont elle bénéficiait.
La nouvelle rédaction que nous avons adoptée vise à donner la possibilité au juge d’application des peines de soumettre la personne sortant de prison n’ayant fait l’objet d’aucune mesure particulière à des interdictions, essentiellement de paraître dans tel endroit ou de rencontrer telle personne, notamment la victime mais également les complices et les co-auteurs.
Elle présente plusieurs mérites.
Tout d’abord, elle met fin à une discussion interminable sur la question de l’érosion des peines. Le crédit de réduction de peine trouve désormais une utilité puisqu’il permet de contrôler tous ceux qui sortent de prison et qui n’ont pas fait l’objet d’une mesure d’aménagement. Cela permet de mettre fin à toute sortie sèche, si le juge d’application des peines le décide.
Soulignons ensuite que ce mécanisme est accompagné de plusieurs garanties. D’abord, il concerne au premier chef les personnes faisant l’objet d’une sortie sèche, les autres ayant fait l’objet d’interdictions ou d’obligations. Ensuite, il a une durée limitée qui correspond à la durée de réduction de peine dont a bénéficié l’intéressé. Enfin, il permet de prévenir la commission de nouvelles infractions. En outre, il ne se télescope pas avec la surveillance judiciaire qui existe déjà, parce que les interdictions ne sont pas les mêmes et sont plus limitées – paraître dans tel endroit, rencontrer certaines personnes, conduire, engager des paris ou fréquenter des débits de boisson. Il ne s’agit pas d’obligations – de travailler, de se soigner, etc.
Enfin, madame la garde des sceaux, vous soulevez à juste titre la question des moyens. Vous avez pu constater, tout au long des débats, combien notre assemblée a été sensible à l’efficacité pratique du texte et combien elle a essayé de ne jamais adopter de dispositions qui feraient joli sur le papier tout en étant impossibles à appliquer. Le juge d’application des peines pourra moduler le nombre des mesures en fonction des moyens du service pénitentiaire d’insertion et de probation, moyens qu’il connaît parfaitement puisqu’il collabore quotidiennement avec lui.
Pour toutes ces raisons, mon avis est défavorable. Je ne pense pas, ici encore, que le risque d’inconstitutionnalité soit élevé.
L’amendement no 5 n’est pas adopté.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 6 .
Cet amendement concerne la contribution-amende. Depuis plusieurs mois, nous conduisons un travail à ce sujet. Nous avons demandé à M. le Premier ministre de nommer Mme la députée Nathalie Nieson en mission, qui a produit un rapport au terme d’un travail de très grande qualité.
Après avoir fait expertiser des pistes et travaillé avec le ministère de l’économie, nous avons pu introduire dans ce texte de loi une mesure qui est juridiquement solide. Toutefois, alors que nous avions proposé de limiter cette sur-amende aux décisions prononcées par les juridictions répressives, le Parlement l’a étendue aux amendes prononcées par les autorités administratives indépendantes. Nous sommes d’accord ?
La majoration était de 10 %. Nous sommes toujours d’accord ?
Nous introduisons dans la loi une disposition selon laquelle cette sur-amende doit financer l’aide aux victimes.
Par ailleurs, le Sénat a défini des plafonds, afin de respecter les principes de nécessité et de proportionnalité – proportionnalité des plafonds, et nécessité du fait de l’introduction dans la loi des amendes prononcées par les autorités administratives indépendantes. J’espère que tout est clair jusque-là.
Nous proposons de revenir aux plafonds prévus par le Sénat et de les relever. Le Sénat avait prévu des plafonds de 1 000 euros pour les personnes physiques et 5 000 euros pour les personnes morales ; nous proposons de les fixer respectivement à 5 000 euros et 25 000 euros, afin de ne pas risquer que le Conseil constitutionnel considère qu’une telle sur-amende de 10 %, si elle n’est pas plafonnée, est confiscatoire et que le prélèvement destiné à abonder le budget de l’aide aux victimes est complètement disproportionné par rapport à l’infraction ayant conduit à l’amende. Voilà les raisons pour lesquelles nous vous proposons cette disposition consistant à réintroduire les plafonds et à les augmenter.
Avis défavorable, tant sur l’amendement no 6 que sur l’amendement no 9 .
Concernant l’amendement no 6 , les plafonds n’ont pas de sens puisque, par définition, le pourcentage par rapport à l’amende assure que cela reste proportionnel au montant de l’amende : il y a forcément équité puisque c’est un pourcentage qui s’applique. Je ne comprends donc pas très bien l’argumentation sur le plafond.
J’ajoute qu’il existe aujourd’hui, en droit, des amendes majorées, notamment en matière de conduite sans assurance, au profit du fonds de garantie automobile. Par ailleurs, concernant le champ d’application de l’amende, je souhaite en rester au texte issu de la commission mixte paritaire, parce que sont visées non seulement les amendes pénales mais également les amendes prononcées par des autorités administratives indépendantes – pas l’ensemble de ces autorités, mais simplement les autorités administratives indépendantes économiques que sont l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de la concurrence, l’Autorité de régulation des jeux en ligne et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui concernent le consommateur, la victime comme homo economicus, en quelque sorte. Il existe un lien entre les amendes prononcées par ces autorités et les infractions pénales. Ce lien est évident, et il n’y a aucune raison que les amendes de cette délinquance en col blanc échappent à toute majoration alors que l’on se concentrerait sur une délinquance plus banale et parfois plus « bas de gamme », si tant est que l’on puisse considérer qu’il existe une hauteur de gammes en matière de délinquance. Avis défavorable.
L’amendement no 6 n’est pas adopté.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 9 .
Cela concerne les amendes prononcées par les autorités administratives indépendantes. Nous pensons qu’il existe là aussi un risque dans la mesure où il n’y a pas de lien direct entre ces amendes et les infractions pénales qui sont susceptibles de porter préjudice à des victimes. Nous proposons donc de ne pas retenir ces amendes.
Que les choses soient claires : lorsqu’on prélève sur des sommes colossales, cela fait des recettes plus conséquentes et, pour abonder le budget de l’aide aux victimes, personnellement je ne demande pas mieux ! Je vous ai assez dit, ici même, que non seulement le Gouvernement faisait des efforts puisque, dès la première année, nous avons relevé le budget de l’aide aux victimes de 25,8 % alors que lors des quatre dernières années du précédent quinquennat, ce budget avait baissé. Nous avons continué à l’augmenter de 7 % l’année suivante. En outre, nous faisons des efforts sur les procédures et avons recherché des ressources nouvelles.
Je répète que ces ressources nouvelles sont vraiment nécessaires parce que, actuellement, malgré le travail considérable effectué par le réseau d’associations d’aide aux victimes, ces associations touchent moins de 20 % des victimes. Nous savons qu’il y a encore des moyens à trouver pour que les associations puissent non seulement répondre aux besoins d’aide aux victimes mais même solliciter les victimes et les aider. En effet, ces personnes sont en état de fragilité et il est préférable que l’on aille vers elles, plutôt que d’attendre qu’elles se rendent dans les bureaux d’aide aux victimes que nous avons ouverts ou auprès des associations d’aide aux victimes, qui sont très actives.
Vous savez que la recherche de ressources est mon obsession depuis deux ans : je prends toute ressource qui se présente ! Majorer une amende de 10 % pour obtenir une grosse recette, cela ne me donne pas un millième de quart de migraine ! Simplement, on m’indique qu’il existe un risque, donc je vous en fais part ; mais je n’ai pas la moindre réticence à ce que le Trésor public perçoive 10 % d’amendes, dont certaines sont colossales, prononcées à l’encontre de personnes physiques ou de personnes morales.
Le rapporteur a déjà indiqué que la commission était défavorable à cet amendement.
L’amendement no 9 n’est pas adopté.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 7 .
Il s’agit des dates d’entrée en vigueur. Je vois l’approbation vigoureuse du rapporteur. Cet amendement se justifie par un certain nombre de raisons pratiques, notamment l’adaptation des applications informatiques.
L’amendement no 7 , accepté par la commission, est adopté.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 8 .
Cet amendement tire les enseignements de la loi pénitentiaire concernant l’application des dispositions de ce texte de loi à trois territoires d’outre-mer – Nouvelle-Calédonie, Polynésie et Wallis-et-Futuna – et tire également les enseignements du code de l’action sociale et des familles.
L’amendement no 8 , accepté par la commission, est adopté.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 10 .
Cet amendement concerne également l’outre-mer.
L’amendement no 10 , accepté par la commission, est adopté.
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements adoptés par l’Assemblée.
L’ensemble du projet de loi est adopté.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
Vote sur l’ensemble
La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante-cinq, est reprise le jeudi 17 juillet 2014 à zéro heure.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (nos 2100, 2120, 2106).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures quatorze pour le groupe SRC, onze heures trente-deux pour le groupe UMP, trois heures vingt pour le groupe UDI, une heure cinquante-deux pour le groupe écologiste, une heure cinquante-trois pour le groupe RRDP, une heure quarante-cinq pour le groupe GDR et quarante minutes pour les députés non inscrits.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.
Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, comme souvent, Pierre Mendès France a été à l’avant-garde en proposant, dès 1962, dans son livre La République moderne, la création de conseils régionaux. Pour les radicaux, en effet, il n’y a pas de vraie démocratie sans démocratie locale, sans démocratie de proximité, où nombre de décisions sont prises sur place, sous l’influence directe des citoyens. Ensuite, les ministres radicaux ont, bien sûr, participé aux côtés de François Mitterrand et de Gaston Defferre, à la mise en oeuvre des lois de décentralisation à partir de 1982. Toutefois, aujourd’hui la réforme territoriale est redevenue nécessaire pour obtenir une action publique plus fonctionnelle au plan local.
Notre organisation territoriale – et c’est un objectif partagé à cet égard – connaît aujourd’hui un nombre important de couches, de strates, qui se sont superposées au fil du temps par sédimentations successives. Cette architecture territoriale devenue très complexe comporte plusieurs inconvénients : multiplication des échelons de décision, enchevêtrement des compétences, doublons et duplications, lenteur des procédures.
Il faut rendre ce système plus efficace et plus rapide ainsi que plus lisible, plus compréhensible, pour que nos concitoyens puissent mieux savoir qui fait quoi, qui décide quoi, qui exerce quelle compétence. Il faut également rendre ce système plus économe des deniers publics. Le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale a annoncé, dans Le Figaro du 9 mai 2014, un gain qui irait de 12 à 25 milliards d’euros. On ne sait d’où vient cette estimation, qui paraît d’un grand optimisme et qui a été démentie tant par Michel Sapin, ministre des finances, le 11 mai, que par Michel Delebarre, rapporteur du projet de loi au Sénat, dans son rapport du 26 juin 2014, ainsi que par les agences de notation Fitch et Moody’s. M. Vallini a d’ailleurs fini par le reconnaître, le 29 juin dernier, en disant ceci : « Personne n’a jamais dit que passer de vingt-deux à quatorze régions permettrait d’obtenir des gains budgétaires considérables ».
C’est vrai !
Pas du tout !
…pour en revenir à la réalité – qui est un élément important de la vie politique.
Mais l’essentiel est ailleurs. Il est très regrettable que ce projet de loi ait été élaboré à la va-vite, dans la précipitation, sans consultations véritables alors qu’il a pour objet d’établir, dit-on, une organisation territoriale destinée à s’appliquer pendant plusieurs décennies.
À la différence de cette démarche un peu à la hussarde, la carte des départements de 1789-1790 avait été dessinée après six mois de consultation avec les territoires, pour qu’elle soit vraiment adaptée aux réalités et aux besoins. Aujourd’hui, en revanche, un texte qu’on dit fondateur est soumis au Parlement à marche forcée, dans les conditions les plus hâtives, les plus sommaires : recours à la procédure accélérée, étude d’impact insuffisante, tronçonnage de la nouvelle législation territoriale en deux textes distincts et examinés séparément, l’un relatif aux structures, l’autre aux compétences. Bref, on demande au Parlement de légiférer d’abord sur le contenant et ensuite seulement, dans un second temps, sur le contenu. C’est manifestement mettre la charrue avant les boeufs. Il y là une curieuse interversion dans l’ordre des facteurs.
Le découpage régional devrait suivre, et non pas précéder, la définition des compétences.
Par ailleurs, diminuer le nombre de régions métropolitaines, qui passeraient de vingt-deux à quatorze ou à treize, peut se comprendre et s’admettre, mais à condition que les regroupements envisagés obéissent au moins à quatre critères objectifs.
Premier critère : la complémentarité réelle, les affinités naturelles des régions regroupées reposant sur une histoire commune, une culture partagée, des réalités géographiques et économiques analogues ou convergentes. Ainsi, la réunification des deux Normandies correspond à une nécessité évidente.
En revanche, cette réunification, tout aussi opportune, est refusée à la Bretagne historique qui pourtant possède, à l’évidence, une histoire, une langue, une identité commune. Malgré cela, la région Bretagne continuera de comprendre seulement quatre départements et d’exclure Nantes, la ville natale d’Anne de Bretagne,…
…et la Loire-Atlantique, sauf si ce département parvenait, après le 1er janvier 2016, à exercer avec succès un droit d’option qui est en réalité illusoire et inopérant tel qu’il a été fixé par la commission, à la différence de ce que le Sénat avait prévu.
À l’inverse de ce regroupement, qui serait naturel et qui est pourtant refusé, d’autres regroupements très artificiels sont projetés. Le record de l’artificialité avait été atteint initialement par le projet d’une nouvelle région Centre-Limousin-Poitou-Charentes, qui aurait été de la taille de l’Autriche avec une superficie de 82 000 kilomètres carrés. Entre Guainville, au nord de l’Eure-et-Loir, et Beaulieu-sur-Dordogne, au sud de la Corrèze, la distance aurait été de 523 kilomètres. D’où de vives protestations et finalement l’abandon de ce découpage insolite. En effet, la carte des régions ne peut être une carte forcée. Elle doit reposer sur un consentement mutuel et sur des complémentarités naturelles.
Autre regroupement insolite qui, lui, persiste : la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes, qui irait d’Aurillac à Annecy. Comme s’il existait une convergence évidente entre Montboudif, le village natal de Georges Pompidou, dans le Cantal, et Évian, au bord du lac Léman. Pour les conseillers régionaux du Cantal devraient se rendre à Lyon, qui serait la nouvelle capitale régionale, et en revenir. Cela demanderait, en train, onze heures aller-retour.
Deuxième critère : l’absence de distance excessive entre tel point de la nouvelle région et tel autre, si l’on veut que les élus régionaux puissent exercer effectivement leur fonction, à la fois sur place et à la capitale régionale. Plus la région sera étendue, plus il sera nécessaire de maintenir un échelon intermédiaire de proximité entre son chef-lieu au sommet et les communes à la base, particulièrement en zone rurale, où un sentiment d’abandon prévaut déjà.
Il est donc contradictoire, comme le fait ce texte, de prévoir à la fois l’agrandissement des régions et la suppression des départements comme collectivités en 2020. Cela revient à ignorer la nécessaire proximité de l’action publique et à désertifier la démocratie locale.
Troisième critère : le critère démographique. Du fait même de la diminution du nombre des régions de vingt-deux à quatorze ou treize, et de la création de régions plus vastes qu’aujourd’hui, il est évidemment normal que la population des nouvelles régions augmente sensiblement. Mais il convient d’éviter de trop fortes disparités démographiques entre ces treize ou quatorze régions.
Parmi les nouvelles régions qui acquerraient une population en augmentation significative, on trouve notamment la région Auvergne-Rhône-Alpes. Rhône-Alpes compte déjà 6,2 millions d’habitants. Une fusion avec l’Auvergne, qui compte 1,350 million d’habitants, porterait la nouvelle région à 7,6 millions d’habitants, ce qui est beaucoup. Le conseil régional d’Auvergne s’est prononcé contre cette fusion, puisque quatorze seulement des quarante-sept conseillers régionaux ont approuvé ce projet de fusion.
De même, le regroupement envisagé de Midi-Pyrénées, qui compte 2,9 millions d’habitants, et de Languedoc-Roussillon, qui en compte 2,6 millions, engloberait au total 5,5 millions d’habitants et associerait assez artificiellement deux régions ayant chacune son histoire et sa culture particulière. Qu’y a-t-il de commun, par exemple, entre Cahors et Perpignan ou entre Laguiole et Palavas-les-Flots ?
Quatrième critère, et il est essentiel : la neutralité politique du découpage, qui doit reposer exclusivement sur des considérations d’intérêt général et non sur l’intention de protéger tel ou tel grand feudataire, vassal fidèle du suzerain. À cet égard, le découpage, surtout initial, de l’Ouest semble avoir été inspiré par la volonté de tel grand dignitaire de ne pas avoir, dans la même nouvelle région, un autre grand dignitaire, chacun voulant rester seul maître chez soi. Ce réflexe a manifestement inspiré le non-regroupement de la Bretagne et des Pays de la Loire, ou l’invention de la région très artificielle Limousin-Centre-Poitou-Charentes, qui permettait à Poitou-Charentes et à l’Aquitaine de rester séparées. Bref, parmi les grands dignitaires, chacun serait resté sans rival dans son fief, qu’il s’agisse du duc de Bretagne, de la comtesse du Poitou ou du duc d’Aquitaine. Chacun chez soi, chacun pour soi, et l’intérêt général devient une catégorie très secondaire dans cet assemblage de féodalités et de seigneuries.
Faudrait-il accepter un tel découpage, ou un découpage analogue reposant sur ces petits arrangements entre grands feudataires ? L’objectif de la loi, ce n’est pas l’avenir de telle ou telle personnalité politique, c’est l’avenir de la France. En tout cas, cette délimitation improvisée des régions, fondée sur des transactions de dernière minute, paraît relever moins de l’architecture que du bricolage, moins de Michel-Ange que du concours Lépine.
Pour ne pas figer éternellement cette délimitation et permettre, à terme, telle ou telle évolution, le projet de loi maintient finalement le droit d’option, c’est-à-dire la possibilité pour un département de se détacher de sa région d’origine pour intégrer une région limitrophe. À l’initiative de Jacques Mézard, président du groupe RDSE au Sénat, et de Michel Delebarre, rapporteur de la commission spéciale du Sénat, la procédure prévue à l’article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales a été simplifiée et allégée. Ses étapes auraient été les suivantes : délibérations concordantes des assemblées délibérantes des collectivités concernées, suppression de la consultation référendaire, décision finale par décret en Conseil d’État. Mais l’amendement du rapporteur de notre assemblée modifie partiellement la procédure préconisée par le Sénat et la rend beaucoup plus contraignante. En effet, les délibérations concordantes des assemblées délibérantes devront être adoptées à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Cette majorité des trois cinquièmes, pour les délibérations adoptées par le conseil général du département et les deux conseils régionaux concernés, semble trop contraignante, trop difficile à atteindre. Elle risque de rendre inopérant et illusoire le nouveau dispositif de modification des limites régionales. Notre groupe a donc déposé un amendement remplaçant cette majorité des trois cinquièmes par la majorité absolue des assemblées délibérantes des collectivités concernées,…
…seuil qui est moins difficile à atteindre tout en traduisant un consensus réel.
Second point essentiel de la réforme territoriale : le devenir des départements. Comme le faisait remarquer justement Michel Delebarre, dans son rapport au Sénat, « si les régions s’accroissent, il faut préserver le département, institution de proximité. »
Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France, a exprimé la même opinion : « Si de grandes régions sont formées, il sera d’autant plus nécessaire de disposer d’un niveau intermédiaire entre les collectivités de base et ces vastes ensembles. »
Pourtant, tel n’est pas l’avis de l’exécutif, puisque, le 3 juin, le chef de l’État a déclaré : « Le conseil général devra à terme disparaître. » Et ce terme, c’est 2020.
Selon l’expression employée par le secrétaire d’État, le 3 juin, « les départements vont être dévitalisés, ils ne vont garder que des compétences sociales dans les trois ou quatre ans qui viennent. Et en 2020, il n’y aura plus de conseils généraux ; leurs compétences auront été absorbées par les régions et les intercommunalités. »
Je ne sais plus, monsieur le ministre, à qui vous disiez tout à l’heure – je crois que c’était à M. Poisson – qu’il n’y aurait aucun changement dans les compétences des institutions existantes. Le fait même qu’un membre du Gouvernement proclame…
Tombons d’accord sur l’idée que si on parle de compétences dévitalisées, les départements, avant de mourir, vont devenir progressivement des coquilles vides, vidées de leur substance.
Ce sont des conseils à obsolescence programmée, dont les compétences vont se contracter au fur et à mesure que le temps passera.
Ce qui me préoccupe, ce sont les déclarations – et vous savez, monsieur le ministre, l’estime que j’ai pour vous – selon lesquelles il s’agit de « faire monter en gamme l’administration déconcentrée de l’État. […] Nous modernisons les services de l’État au plan départemental, car le département a vocation à demeurer comme instance administrative déconcentrée de l’État. Il y a eu, avec François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, la volonté de renforcer l’autonomie des collectivités territoriales. Aujourd’hui, nous voulons donner plus de force à l’administration déconcentrée de l’État et aux services publics. »
D’où ce propos de Didier Guillaume, président du groupe socialiste au Sénat : « Nous nous opposerons à toute recentralisation, à tout projet renforçant les pouvoirs du préfet au détriment des élus. »
Le projet du Gouvernement a, en effet, de quoi surprendre. À l’inverse de toutes les lois de décentralisation, il renforce le rôle des préfets et non celui des assemblées élues. Trente-deux ans après 1982, nous irions à rebours des lois de décentralisation voulues par François Mitterrand et Gaston Defferre pour développer la démocratie locale. Et l’acte III de la décentralisation se transformerait en réalité en acte Ier de la re-centralisation.
Alors, la question est simple. Veut-on que notre territoire soit géré par des technocrates ou bien par des collectivités d’élus, issus du suffrage universel et rendant compte à la population ? La démocratie locale est un atout de notre pays. Il ne faut pas l’affaiblir.
Le mode de scrutin habituel pour l’élection des conseillers généraux a été remplacé par un autre, avec la loi du 17 mai 2013 sur l’élection des conseillers départementaux. Cette nouvelle loi se révèle complexe : redécoupage des cantons, instauration d’un binôme de candidats… De plus, elle reste encore quasiment inconnue des électeurs. L’application en 2015 de cette nouvelle loi électorale, inédite et compliquée, risque donc de les déconcerter, voire de les inciter à l’abstention.
Or, les conseils départementaux qui seront élus en 2015 sont appelés, on le sait, à être supprimés dès 2020. Les candidats qui se présenteront à ces ultimes élections départementales auront pour seule mission de gérer leur extinction, et comme seule perspective de fermer les portes et d’éteindre les lumières.
Leur bulletin de vote sera à la fois un faire-part de naissance et, à terme, un faire-part de deuil. Dans un contexte si précaire, il paraît peu utile de recourir à la nouvelle loi électorale de 2013, qui ne s’appliquerait qu’une seule et unique fois. Mieux vaudrait abroger les dispositions de cette loi relative à l’élection des conseillers départementaux et s’en tenir – pour ces toutes dernières élections départementales – au mode de scrutin habituel, connu de tous, qui était utilisé pour l’élection des conseillers généraux. Cela favoriserait la participation des électeurs, accoutumés à ce mode d’élection.
Par ailleurs, ce projet de loi plafonne à 150 le nombre maximum de conseillers par région, ce qui apparaît contestable dans les grandes régions. C’est le cas de l’Île-de-France, qui passerait de 209 à 150 conseillers régionaux. C’est le cas de Rhône-Alpes-Auvergne, qui passerait, si les deux régions actuelles étaient réunies, de 204 à 150 conseillers régionaux.
Il y a là, en réalité, quelque chose qui défavoriserait les grandes régions au profit des régions plus réduites, ce qui est en contradiction directe avec l’objectif général de cette réforme territoriale : avoir de grandes régions, plus puissantes.
Surtout, cette réduction de la représentation de certaines régions rendra plus difficile l’exercice de la démocratie locale. En effet, pour que les conseillers régionaux puissent avoir des liens réels et fréquents avec leurs électeurs et pour qu’ils puissent effectivement remplir les tâches accrues qui vont incomber au conseil régional, ils doivent être en nombre suffisant. L’effectif global d’élus par région, redélimitée ou non, ne doit donc pas être inférieur à l’effectif actuellement en vigueur.
Monsieur le ministre, sur un sujet comme celui-ci – l’organisation territoriale de la République pour plusieurs décennies –, il est indispensable de rechercher vraiment un consensus.
Ce consensus ne peut se faire sur ce texte qui, en l’état actuel, risque de se traduire par moins d’efficacité, moins de proximité, moins de démocratie. Il est nécessaire, chacun le voit bien, de modifier ce projet de loi sur plusieurs points, de l’infléchir et de le compléter. Pour cela, il faut poursuivre la réflexion, le dialogue, l’échange.
Le 18 juin, devant la commission des lois du Sénat, vous avez déclaré : « Nos propositions ne sont pas intangibles. Le débat aura lieu, nous tiendrons compte de tous les avis pour améliorer le texte. »
Notre groupe a déposé plusieurs amendements : sur la délimitation de deux régions, sur la facilitation de l’exercice du droit d’option, sur la non-diminution du nombre des conseillers dans les grandes régions, sur l’attribution d’au moins cinq conseillers régionaux à chaque section départementale, etc.
Si ces amendements, ou d’autres analogues, n’étaient pas retenus, si des infléchissements significatifs n’intervenaient pas pendant cette lecture, comment nous serait-il possible de voter ce texte ? La réponse, donc, vous appartient.
Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la question du bien-fondé de l’action publique et de son contrôle par le peuple est au coeur des libertés fondamentales. Pas seulement pour obtenir une juste répartition de la contribution à la dépense publique, mais aussi pour en avoir la maîtrise citoyenne, pour, selon l’article 14, la consentir librement et en suivre l’emploi.
C’est sur cette base que s’est fondée la légitimité des collectivités territoriales au sein de la République, collectivités qui ont connu un essor particulier depuis la décentralisation de 1982.
Les communes ont su librement décider de coopérer entre elles, mais aussi avec les départements et les régions. Une légitimité à chaque niveau, qui doit tout à la souveraineté populaire.
Or, les bouleversements qui sont annoncés nient a priori ce besoin fondamental de fonder l’action publique sur une maîtrise citoyenne. C’est d’abord en ce sens que la réforme proposée s’attaque aux fondements mêmes de l’organisation républicaine de notre pays, héritée de la Révolution française et de notre histoire démocratique.
Comme l’a souligné lui-même le Président de la République, dans sa déclaration du 3 juin dernier à la presse régionale, il s’agit de transformer pour plusieurs décennies l’architecture territoriale de la République. Dont acte. Mais si tel est l’enjeu, la méthode utilisée n’est pas acceptable.
On ne bouleverse pas l’organisation de République dans l’improvisation et la précipitation. C’est pourquoi nous contestons le recours à la procédure accélérée, comme nous déplorons que les deux volets de la réforme ne soient pas examinés dans le même texte, tant ils sont étroitement liés. Oui, l’enjeu est tel qu’il mériterait un grand débat national et l’organisation de ce « chantier républicain » souhaité par le président du Conseil économique, social et environnemental. Car il est vrai, pour reprendre son expression, qu’ « on ne réorganise pas les territoires sans la mobilisation des acteurs de terrain ».
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, si pour l’instant il y a mobilisation, force est de constater que ce n’est pas en faveur de la réforme du Gouvernement.
Puis-je vous demander de vous reporter, par exemple, au communiqué de l’Association des maires de France, le 10 juillet dernier ? Je cite : « Au moment où un texte est en cours de discussion au Parlement, laissant apparaître une réforme insuffisamment préparée et toute en verticalité, le bureau de l’AMF alerte sur un risque de paralysie de l’action locale. »
Puis-je vous demander de vous référer à la motion adoptée unanimement le 25 juin dernier par l’Assemblée des départements de France, pour affirmer son opposition à la réforme territoriale telle qu’elle se présente aujourd’hui, et vous renvoyer aux déclarations du président de l’ADF à l’issue de cette réunion, qui déclarait : « Sur le premier projet de loi, relatif au regroupement des régions, on ne comprend pas les critères objectifs. » Il déclarait aussi, sur le second projet, relatif à l’organisation des compétences : « Cette loi ne va pas dans le sens de l’histoire. »
Comment ne pas partager cette interrogation, quelque peu pathétique, lancée le 19 juin dernier par le président du conseil général du Nord, devant le congrès des maires de son département : « Ne sommes-nous pas en train de nous tromper de réforme ? »
Comment, enfin, ne pas approuver l’interpellation, le 3 juillet dernier, de la sénatrice Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation il y a encore quelques semaines, qui déclare : « Qu’il faille ou non supprimer les conseils généraux mérite un vrai débat. La notion de proximité me paraît vraiment mal en point face à des régions agrandies et élargies, dont le chef-lieu ne sera peut-être pas accessible dans les meilleures conditions. Le périmètre de nos intercommunalités n’a pas vraiment de sens par rapport à un seuil démographique de 20 000 habitants. »
Au lieu de prendre le temps et l’initiative d’une réflexion aussi approfondie que concertée, le Gouvernement commet une faute politique majeure en décidant de passer outre et d’avancer à marche forcée.
C’est en effet un processus incohérent et lourd qui s’engage avec ce projet de loi de regroupement des régions, qui, de toute évidence, a d’abord pour but de véhiculer le report des élections régionales et départementales.
Incohérent, le procédé qui consiste à faire avaliser un nouveau cadre régional sans débattre au préalable des compétences nouvelles ou des conséquences induites par la disparition programmée des départements.
Or, un périmètre territorial ne peut se décider qu’en fonction des politiques à mettre en oeuvre, dès lors que l’objectif est bien de répondre aux besoins de la population.
Lourd de conséquences, le calendrier électoral qui induit en mars 2020 la suppression des départements et la dissolution des communes dans des intercommunalités qui seraient élues au suffrage universel direct, à la faveur d’un mode de scrutin différent de celui des élections municipales.
Un processus lourd de conséquences, puisque le second projet de loi prévoit aussi la suppression de la clause de compétence générale, ce qui marque, on en conviendra, un surprenant virage à 180 degrés…
…après son rétablissement l’an dernier dans le cadre de la loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles, suppression de la clause de compétence générale qui remet en cause le grand principe de la libre administration des collectivités territoriales.
Briser la compétence générale, c’est vraiment décréter la mise sous tutelle de certaines collectivités par d’autres et réduire les financements croisés, alors que les conseils généraux et les conseils régionaux jouent actuellement un rôle essentiel dans le financement des communes, en particulier des plus petites.
Le regroupement des régions, sur lequel les projecteurs sont aujourd’hui habilement braqués, c’est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt.
Pour notre part, nous refusons de laisser le débat s’enliser dans la question des périmètres régionaux, car les véritables enjeux sont ailleurs.
C’est pour cette raison de fond, vous l’aurez remarqué, que notre groupe ne participe pas au grand Monopoly actuellement en cours et qui réserve chaque jour de nouvelles combinaisons. Nous en sommes déjà à la troisième carte, et ce n’est probablement pas fini.
Dans ce débat, un principe démocratique avec lequel on ne devrait pas transiger devrait être au moins respecté : pas de regroupements, pas de fusions sans débat public, pas de regroupements, pas de fusions sans consultation des habitants concernés.
Les considérations politiques, pour ne pas dire politiciennes, ressortent d’ailleurs clairement de ces différents projets de découpage élaborés à la va-vite et sans prendre le temps du dialogue avec les collectivités territoriales pour cerner les enjeux de chaque territoire.
Lors de la table ronde organisée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de notre assemblée, Mme Béatrice Giblin, professeure à l’Institut de géopolitique de l’université de Paris-VIII, a ainsi montré que la réforme territoriale est étroitement liée au contexte politique, pointant « les rivalités de pouvoir qui s’exercent pour le contrôle des territoires. »
De son côté, le géographe Gérard-François Dumont a souligné, d’une part, qu’aucun pays démocratique n’envisage de réduire d’un tiers le nombre de ses régions et, d’autre part, que la taille moyenne des régions françaises est supérieure à celle des Länder. Dans les pays alentours, de nombreuses régions sont plus petites que la plus petite des régions françaises, à savoir l’Alsace.
La réforme prévoit pourtant d’agrandir encore les deux régions les plus importantes, Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées, comme si la grande taille procurait automatiquement des avantages.
M. Dumont souligne également que nombre de régions européennes sont moins peuplées que le Limousin, région française la moins peuplée, et rappelle enfin que les régions actuelles ont une identité – elles ne sont pas nées sous X – et que notre découpage régional est l’héritage d’une longue histoire, dont témoigne la dénomination des régions.
Pour le Gouvernement, la diminution du nombre de régions serait donc un facteur d’efficacité. Qu’il nous soit permis d’en douter sérieusement. En quoi de grandes régions seraient-elles nécessairement plus fortes ou plus justes ? En quoi le transfert de la gestion des routes ou des collèges aux régions les rendra-t-il plus performantes ? Le risque est grand, au contraire, de les transformer en monstres démocratiques plus éloignés des citoyens, moins efficaces et, en tout cas, moins réactifs que les départements.
En parfaite cohérence avec les positions qu’ils ont toujours défendues, les députés du Front de gauche combattent aujourd’hui une réforme territoriale qui, il faut bien le dire, va au-delà de la réforme de 2010, sous le précédent quinquennat, et à laquelle, si je me souviens bien, l’ensemble de la gauche s’était opposé.
Sous couvert de clarification, de simplification et d’économies à réaliser, le Gouvernement nous propose aujourd’hui de bouleverser l’organisation républicaine du pays. Derrière l’effacement de fait des communes, échelon de base de la démocratie locale, et la disparition programmée des départements au profit d’intercommunalités d’au moins 20 000 habitants, de métropoles et de treize ou quatorze grandes régions, se profile la privatisation rampante des services publics de proximité.
En outre, la réduction du nombre d’élus régionaux et locaux alors que les territoires seront plus grands ne peut qu’entraîner inéluctablement un éloignement des citoyens, un éloignement des préoccupations et des projets décidés démocratiquement,…
…un éloignement des lieux de décision, éloignements qui ne feront qu’exacerber le sentiment de fracture territoriale.
Le Gouvernement bouleverse ainsi l’édifice républicain, non pour le rendre plus démocratique mais pour l’inscrire dans la vision économique libérale et une mise en concurrence conforme aux dogmes de l’Union européenne. Alors que, répétons-le, la question essentielle est celle de l’aménagement du territoire, les disparités s’accroîtront encore, au prix d’une compétition toujours plus féroce entre territoires.
C’est une France des territoires à plusieurs vitesses qui se dessine, c’est la remise en cause de l’égalité des territoires et des citoyens qui est au coeur de notre pacte républicain, avec les conséquences que l’on peut deviner pour nos concitoyens dans leur vie quotidienne.
Prenons garde à ce que ce Big Bang ne casse les savoir-faire et les dynamiques constructives, et qu’il ne s’accompagne d’un long cortège de frais supplémentaires allant à l’encontre des économies attendues, lesquelles, il faut bien l’avouer, laissent sceptiques bien des experts, le tout dans le cadre de l’austérité budgétaire annoncée : 11 milliards de baisses de dotations, soit, je le rappelle, selon l’estimation de l’Association des maires de France, 28,5 milliards d’euros de pertes cumulées entre 2014 et 2017 pour les collectivités.
Dès maintenant, les réductions drastiques des dotations de l’État conjuguées aux incertitudes qui pèsent sur le devenir des départements et des intercommunalités génèrent, comme chacun peut le constater, une baisse des investissements des collectivités locales, et donc, mécaniquement, une réduction de l’activité des secteurs du bâtiment et des travaux publics. Cette réduction, particulièrement inquiétante, pourrait atteindre 10 % en 2014 et menacer, par exemple, près de 10 000 emplois pour la seule Île-de-France.
En réalité, le regroupement des régions va d’abord coûter cher et les économies à venir ne seront pas assurées sans réduire massivement les services publics et l’action sociale. C’est d’ailleurs conforme à la feuille de route dictée par Bruxelles si l’on se réfère, après celles de l’an dernier, aux recommandations que la Commission a adressées le 2 juin dernier à la France après évaluation de son programme de stabilité et du programme national de réforme. Je cite : « Le projet de nouvelle loi sur la décentralisation devrait permettre d’obtenir de nouveaux gains d’efficacité et de réaliser des économies supplémentaires en fusionnant ou en supprimant les échelons administratifs. »
Voilà qui est clair : la réforme territoriale est un outil pour faire diminuer la dépense publique. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de l’examen du deuxième projet de loi, avec le rôle nouveau qui serait confié à la Cour des comptes dans le contrôle de la déclinaison de la règle d’or par les collectivités territoriales.
Si nous sommes résolument opposés à la réforme qui nous est proposée pour toutes les raisons déjà indiquées et que nous défendrons tout au long du débat, pour autant, nous ne survalorisons pas l’organisation actuelle et nous ne défendons pas le statu quo.
Nous plaidons pour une remise à plat de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, sur la base d’un vrai bilan de l’application des lois de décentralisation.
Nous plaidons pour un nouvel équilibre entre l’État et les collectivités territoriales, qui, selon nous, devrait s’articuler autour de cinq grands principes.
Un : démocratiser et déconcentrer les missions de l’État, en trouvant une nouvelle organisation entre les responsabilités des collectivités locales et celles de l’État, garant de la cohésion et de la solidarité nationale.
Deux : démocratiser le fonctionnement des collectivités, avec des assemblées élues à la proportionnelle et en promouvant de nouvelles formes de participation des citoyens.
Trois, affirmer la nécessité de conserver trois niveaux de collectivités : la commune, lieu de proximité, de la communauté de vie et de la vie démocratique au plus près des citoyens ; le département, qui assure la solidarité territoriale et la solidarité sociale ; la région, niveau essentiel pour l’organisation du territoire et les orientations stratégiques du développement.
Quatre : insuffler des logiques de coopération, et non de concurrence, entre les collectivités, afin d’être au plus près des attentes des habitants, grâce à une intercommunalité volontaire et de projets.
Cinq : réformer en profondeur le financement des collectivités, par une réforme de la fiscalité affirmant notamment la responsabilité du secteur économique dans le développement local.
Pour l’avenir du pays, il n’y a pas d’autre voie que celle du renouveau démocratique et de la relance de politiques publiques plus justes et plus efficaces.
C’est dans cet esprit que les députés du Front de gauche appellent de leurs voeux une véritable réforme des institutions, une réforme pour refonder la République et non pas pour la faire voler en éclats.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui – si je puis dire, compte tenu de l’heure tardive – …
… de la réforme territoriale et du redécoupage des régions.
L’organisation territoriale de la France est complexe. Elle est le fruit de l’histoire.
Aujourd’hui, le mille-feuille territorial est décrié car nos concitoyens ne s’y retrouvent pas.
Sur les bancs de notre assemblée, nous sommes tous convaincus de la nécessité d’une réforme, parce que notre organisation a vieilli, que les strates se sont accumulées, et qu’il est temps de clarifier et de simplifier.
Le rapport Balladur, en 2009, titrait : « Il est temps d’agir ». Oui, mes chers collègues, il est temps d’agir, il est temps que la réforme l’emporte sur l’immobilisme et le conservatisme.
Depuis les annonces faites par le Président de la République et le Premier ministre, nous avons vu parfois jouer des jeux de blocages, de commissions spéciales en motion référendaire, sans parler de l’idée de soumettre l’étude d’impact au le Conseil constitutionnel.
Ces jeux ont deux objectifs : bloquer le système – nous le voyons bien – et éviter de parler du fond de la réforme.
Notre réforme territoriale a trois objectifs majeurs qu’il convient de rappeler car, trop souvent, la discussion se limite aux contours des régions.
Le premier objectif est de simplifier l’organisation administrative de la France pour la rendre plus claire et plus lisible pour nos concitoyens, mais aussi pour les élus locaux, qui ont parfois du mal à s’y retrouver devant l’empilement des structures et l’enchevêtrement des compétences.
Le deuxième objectif découle du premier : c’est celui de l’efficacité.
Enfin, le troisième objectif à atteindre, tout aussi primordial, c’est celui des économies budgétaires. Certes, on peut se poser de nombreuses questions à ce propos.
Mais si on regarde dans le détail, notamment les fonctions support des administrations, je crois que l’on peut trouver sans aucun problème des économies à réaliser.
Nous avons entendu beaucoup de critiques sur la méthode, parfois même désobligeantes : carte dessinée sur un coin de table, nécessité d’un référendum, petit jeu des redécoupages régionaux, et j’en passe.
Tout d’abord, la carte proposée par le Gouvernement a permis la discussion. C’était une fonction essentielle et il fallait bien une carte pour que cette discussion puisse avoir lieu.
Pour ceux qui ont fait l’exercice sincèrement, cette carte avait une cohérence, comme toutes les cartes ont la leur.
Parfois, les arguments sont réversibles.
Notre rapporteur a fait un travail remarquable, qui a permis de faire aujourd’hui une nouvelle proposition, fruit de la recherche d’un consensus au-delà des clivages partisans.
Oui, si j’en crois les déclarations de tel ou tel qui s’y déclarent assez favorables, y compris sur les bancs de l’opposition. Le débat parlementaire le prouvera prochainement.
La carte que nous proposons aujourd’hui a une cohérence, celle de l’écoute, au service de l’intérêt général. Elle révèle aussi les coopérations, présentes et futures, qui permettront l’innovation et la croissance. Elle représente le plus grand dénominateur commun. Mais comme cela a été dit, il n’existe pas de carte idéale. L’idéal s’arrête parfois, et même trop souvent, à des visions territoriales, identitaires.
Nous avons bien conscience que ce nouveau découpage créera sans nul doute des frustrations…
… car nous quittons des rives bien connues, pour des horizons qui restent à mettre en perspective.
À tous ceux qui ont des certitudes bien ancrées, je dis qu’il faut regarder devant et construire un nouveau projet à partir des nouvelles limites régionales, et non rester figé sur la configuration actuelle.
Je prendrai l’exemple d’une région qui m’est chère, les Pays de la Loire, dont je suis originaire même si je suis plutôt de Vendée, mais c’est une autre histoire.
Il y a quarante ans, cette région était décriée comme n’ayant aucune consistance ni aucune réalité historique. Mais cette région a su construire un projet régional et devenir l’une des plus dynamiques de France. C’est l’exemple dont il faut s’inspirer pour le redécoupage régional : il faut permettre la mise en place de vrais projets régionaux.
Des discussions que nous avons pu avoir, j’ai retenu deux phénomènes qui rendent l’exercice difficile. Le premier, c’est l’identité des territoires. Nous pouvons remarquer que les problèmes se situent souvent sur les contours de notre pays, avec des réflexes identitaires qui, parfois, posent question. Le second, et là aussi c’est bien normal, se situe à la périphérie des régions qui, souvent, cherche quel serait le meilleur assemblage pour elle. C’est dans cette logique que certains départements expriment le souhait de changer de région.
Mais pour réussir cette réforme, il faut des principes, et celui du non-démantèlement des régions actuelles est fondamental. Revenir dessus, ce serait ouvrir la boîte de Pandore, mais aussi le meilleur moyen de ne pas voir cette réforme aboutir.
Se pose bien sûr la question du droit d’option. Mais encore faut-il que ce dernier soit encadré dans le temps et subordonné à l’obtention de majorités qualifiées, qu’il nous restera à déterminer au cours du débat. L’assemblage est important certes, mais le projet, la volonté des élus de construire un avenir commun l’est beaucoup plus.
Le Gouvernement a choisi de recourir à la voie législative, en même temps qu’il a souhaité répondre à une exigence démocratique. Cette voie législative, c’est aussi un équilibre entre une carte prise par décret il y a quarante ans et des référendums dont on sait les pièges et dont on voit bien pourquoi on nous les demande.
On ne sait jamais si, dans un référendum, les électeurs répondent réellement à la question posée, d’autant qu’en l’occurrence, les questions auraient été relativement complexes.
Nous devons maintenant prendre nos responsabilités, en cherchant à concilier l’unité de l’État avec l’exercice le plus libre possible de la démocratie locale.
Oui, la réforme peut perturber des habitudes, remettre en cause des acquis, mais elle remettra en marche notre pays, et il en a besoin.
En réalisant cette réforme, nous construisons la France du XIXe siècle…
… et nous construisons des régions fortes.
En acceptant cette réforme, mes chers collègues, vous fermez l’ère des blocages, vous ouvrez l’ère de l’action et surtout vous offrez un nouveau souffle à notre pays, à ses territoires.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui porte en lui une profonde modification de l’architecture institutionnelle de notre pays.
Le Sénat a adopté, le 4 juillet dernier, une réforme vidée de sa substance par rapport au projet initial du Gouvernement, manifestant ainsi son hostilité légitime à un texte incohérent, et présenté de manière précipitée au Parlement.
Dans un contexte international où l’influence omniprésente des grandes métropoles va croissant, la réforme territoriale devient aujourd’hui, en France, une nécessité absolue. Néanmoins, force est de constater que la méthode n’est pas à la hauteur des enjeux ! Il aurait évidemment fallu beaucoup plus de temps et de concertation, ainsi qu’un indispensable esprit de consensus.
La précédente majorité avait voté une réforme d’ampleur de l’organisation territoriale, comprenant la diminution de moitié du nombre d’élus avec l’élection de conseillers territoriaux intervenant dans la gestion à la fois des départements et des régions. Le gouvernement Ayrault s’est empressé de revenir sur ce dispositif, en remaniant par la même occasion la carte des cantons.
Au lendemain de sa défaite aux élections municipales, le nouveau couple exécutif a annoncé une grande réforme structurelle pour redresser le pays. Depuis, quel spectacle navrant d’amateurisme ! Les régions ont été regroupées, puis remariées et enfin redécoupées, le tout au gré de calculs politiciens sur un coin de table – un coin de table parisien, il faut le préciser. Cela est déplorable. Où est l’intérêt général ?
Lors de ses voeux en janvier dernier, le Président de la République rappelait l’importance des départements ; le Premier ministre, quant à lui, annonçait leur suppression en mars, pour finalement les conserver, en leur ôtant néanmoins toutes leurs compétences.
L’option d’une suppression pure et simple des départements aurait en effet nécessité une modification constitutionnelle, exigeant une majorité des trois cinquièmes du Parlement convoqué en Congrès, ou la voie référendaire. Pourquoi redoutez-vous, une nouvelle fois, de vous soumettre à la consultation des Français ?
La population française attend un référendum.
Quant au bénéfice financier escompté, le Gouvernement fait valoir un potentiel d’économies de 12 à 25 milliards d’euros. Cette fourchette, pour le moins large, ne suggère pas que le travail et l’étude d’impact aient été très précis ! À l’évidence, l’improvisation est totale…
Plutôt que de nouvelles annonces fracassantes, c’est d’une véritable réflexion sur l’avenir de notre organisation territoriale que nous avons besoin. Il convient de simplifier le millefeuille territorial, de clarifier les compétences entre les différents échelons de collectivités et de faire des économies de structure.
Cependant, n’oublions pas l’attachement des Français à la proximité. Souvent oubliés face à des métropoles concentrant les centres de décision, les territoires ruraux ne doivent pas, demain, être délaissés. La proximité ne doit pas être confisquée ni les services publics cassés.
Cette réorganisation électorale ne doit pas se faire au détriment de notre ruralité, de la diversité de nos campagnes et de la richesse de nos territoires.
Pour finir, la nouvelle carte des régions ne doit pas être le fruit d’une synthèse technocratique ou politicienne, mais au contraire le reflet de l’histoire, des réalités culturelles, économiques et sociologiques.
Dans le texte proposé ici, la Picardie est rattachée à la Champagne-Ardenne, alors que ces deux régions n’ont aucune réalité commune. Je proposerai, avec plusieurs de mes collègues du Nord-Pas-de-Calais, la fusion de cette région avec la Picardie, afin de respecter les liens historiques, les logiques géographiques et les complémentarités économiques.
Selon le journal Libération, ce rapprochement, pourtant si évident, se heurte aux craintes de certains élus du Nord-Pas-de-Calais quant à l’issue de prochains scrutins. Encore une fois, où est l’intérêt général, avec de telles considérations partisanes ?
Beaucoup de liens unissent nos deux régions. Les Picards sont des Ch’tis du Sud. Tout les rassemble : l’agriculture, le climat, l’architecture, la gastronomie, le patois, le passé textile, une histoire commune, notamment lors de la Première Guerre mondiale… L’université d’Amiens est aussi historiquement liée à celle de Lille. Du point de vue de l’aménagement du territoire et des infrastructures, les complémentarités sautent aux yeux, avec l’autoroute A1, le TGV Nord, ou encore le projet de canal Seine-Nord-Europe. D’ailleurs, certains organismes, comme la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, la CARSAT, ont déjà comme rayon d’action ces deux régions. Afin que ces deux régions ne restent pas entravées entre les deux pôles d’attractivité que sont Paris et Bruxelles, la priorité doit être donnée à la fusion du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie.
Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, la remise à plat de notre organisation territoriale ne peut s’effectuer dans une telle précipitation, sans un grand débat national.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le Gouvernement nous propose d’entamer, avec ce texte prévoyant un redécoupage des régions et le report des élections cantonales et régionales, une nouvelle réforme territoriale, qui symbolise parfaitement les errances de sa méthode.
Errance, tout d’abord, des institutions, quand le Sénat ne trouve plus de majorité pour délibérer sur un texte portant sur l’organisation des territoires.
Errance du Gouvernement, ensuite, quand la date des élections départementales et régionales est encore une fois reportée. Le redécoupage des cantons et le premier report de ces élections ne suffisaient donc pas à calmer votre peur d’une nouvelle sanction électorale.
Plutôt que d’écouter le message des Français qui souffrent de votre incapacité à relancer la croissance et l’emploi, vous préférez une manoeuvre à la Tartuffe : « Couvrez ce bulletin de vote que je ne saurais voir ! ».
Errance de la politique, quand le Président de la République et le Gouvernement changent chaque jour d’avis, au point de se contredire. Un jour, le Président affirme tenir à la clause de compétence générale. En 2012, il affirmait encore avec fermeté, je le cite : « Il n’est pas question de remettre en question la clause de compétence générale, qui est un principe fondateur des collectivités locales depuis l’origine de la République. » Et en effet, vous l’avez rétablie en janvier dernier, avant que le Premier ministre nous annonce, en avril, qu’elle sera de nouveau supprimée.
De même, un jour, le Président de la République clame son attachement aux départements, au point d’en faire les chefs de file de l’action locale et d’en changer le mode de scrutin. Un autre jour, le Premier ministre annonce leur suppression pour 2020.
Ces incohérences, mes chers collègues, ne peuvent s’expliquer que de deux manières : soit ces annonces sont concertées entre l’Élysée et Matignon, et décidément on navigue à vue ; soit il est nécessaire que le Gouvernement, avant de s’atteler au récoupage des régions, s’attelle à redéfinir les prérogatives respectives du Président de la République et du Premier ministre. S’ils ont chacun la compétence générale, qu’au moins on connaisse le chef de file !
Errance de l’État, quand on fait fi de la concertation avec les territoires pour élaborer la nouvelle carte des régions et que l’on écarte la consultation directe des Français. L’État perd à ne pas écouter les voix qui témoignent de l’histoire, du sentiment d’appartenance et des dynamiques locales.
Errance de la République, enfin, quand son Président est ballotté, dans un phénomène de cour, entre Bretagne, Poitou-Charentes et Corrèze pour délimiter les frontières des nouvelles provinces.
Quant au fond, nous passons de l’errance à la vacuité. À chaque session parlementaire, on nous annonce un nouveau Meccano institutionnel éloigné des réalités du terrain. Une fois encore, le fossé entre les grands discours et l’action est béant. Aux états généraux de la démocratie territoriale, François Hollande livrait une conviction que je partage en tous points.
Je le cite : « Les pays qui réussissent le mieux dans la compétition mondiale sont ceux qui sont capables de fédérer tous les acteurs dans un même projet. » Mais autour de quel projet s’agit-il de nous fédérer, et d’abord de vous fédérer ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La répartition des compétences est reportée à un autre texte, ce qui nous empêche d’apprécier la cohérence de l’ensemble. Beaucoup d’orateurs, de toutes les sensibilités politiques, l’ont rappelé.
Délimitons les régions, nous verrons ensuite ce qu’elles feront, nous dites-vous. Qu’importent, donc, les capacités d’intervention des régions, tant qu’elles sont grandes ! Mais qu’en sera-t-il, par exemple, de l’équilibre avec les métropoles ? En Île-de-France, bien que la région conserve, jusqu’à maintenant tout au moins, son périmètre, on ne propose toujours pas d’articulation lisible avec la nouvelle métropole du Grand Paris, dont certaines compétences se chevauchent, mais sur des périmètres différents.
Pendant que le Gouvernement hésite, les Franciliens peuvent attendre l’amélioration pourtant urgente des transports et la réalisation des investissements du Grand Paris, qui ne l’est pas moins.
Qu’en sera-t-il, aussi, de la place de l’État déconcentré, qui n’est pas abordée conjointement, alors même que des doublons pourraient être résorbés ?
Alors qu’il faudrait entendre robustesse et stratégie à la mode allemande, le Gouvernement se réjouit béatement d’une addition d’hectares, et regarde le train de la compétitivité passer.
Alors qu’il faudrait adapter l’appareil administratif à la trajectoire financière du pays, l’étude d’impact est bâclée…
…à l’image de celle de la loi MAPAM.
Les économies sont toujours incertaines et contestées par le secrétaire d’État à la réforme territoriale lui-même, qui a admis que la seule réforme des régions – je le cite – « ne générerait pas des économies considérables ».
Alors qu’il faudrait s’interroger sur la modernisation de l’État décentralisé, sur son adaptation à l’ère du numérique, sur le développement des libertés locales – auxquelles, mes chers collègues, je suis sûr que vous êtes tous attachés – pour favoriser l’émergence d’écosystèmes porteurs de croissance et sur la clarté des missions dévolues à chacun, on présente ici un projet de loi sans saveur ni ambition.
Alors qu’il faudrait soutenir l’initiative locale, vous créez un climat anxiogène par des réorganisations incessantes, improvisées et contradictoires.
Mes chers collègues, cette réforme sera ce que la loi ALUR est à la production de logements…
…à savoir une vision à forte densité technocratique et à fort potentiel de décroissance.
Les formations, les savoir-faire, les initiatives et les projets résultent d’une alchimie particulière, d’un contexte ancré et singulier. Pourquoi alors tout niveler et tout anesthésier par un découpage hors sol ? Il ne faut pas voir l’histoire et les identités comme une menace pour la République, mais comme des creusets, d’où émergent croissance et esprit républicain.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à la délimitation des régions.
La séance est levée.
La séance est levée, le jeudi 17 juillet 2014, à une heure.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly