Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, chers collègues, ce soir, nous serons tous d’accord pour nous féliciter de l’excellent travail qui a été fait en amont pour co-construire ce texte de loi – un vrai luxe par les temps qui courent –, avec une large consultation, de la réflexion, des échanges et une collaboration totale entre les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’avec le Gouvernement.
C’est un texte abouti, d’abord parce qu’il a été initialement très bien pensé. Ensuite, il a été considérablement enrichi par le travail parlementaire. C’est un texte qui remet – enfin ! – le principe de l’individualisation de la peine au coeur de la mission du juge ; nous l’avions oublié pendant une décennie, car il avait été noyé sous le tsunami de textes contradictoires et donc inefficaces. Ce texte est très attendu, après une pause législative salutaire et qui a révélé l’échec de toutes les politiques pénales menées par la droite.
S’enfermant, lors de la première lecture, dans des critiques stériles et répétitives, nos collègues siégeant sur les bancs de droite nous ont régulièrement taxés de laxisme. Le laxisme aurait précisément consisté à ne rien faire face à l’inflation carcérale. Je rappelle qu’aujourd’hui, le nombre de détenus en surnombre est supérieur à 14 000. Pour reprendre vos propos, madame la garde des sceaux, les prisons sont pleines, mais vides de sens.
Ce soir, nous allons voter un texte riche et très volontariste, qui marquera substantiellement l’histoire du droit pénal français. L’économie et la philosophie de ce texte consistent à sanctionner les infractions pénales, en veillant à ce que le condamné puisse être convenablement réintégré dans la société, qu’il ne présente plus de danger pour la ou les victimes, pour lui-même et pour la communauté.
La peine y est définie, en reprenant son sens classique tout en tenant compte des nouvelles fonctions qui doivent être les siennes. Elle doit, bien sûr, rassurer la société et protéger tous les citoyens, c’est-à-dire aussi les victimes, mais aussi éduquer et socialiser. Elle ne prétend plus, comme c’était le cas, discipliner un individu, le faire entrer dans un moule, mais l’adapter pour réduire les risques pour lui-même et pour autrui. Gilles Deleuze emploie d’ailleurs une métaphore très parlante à ce sujet : nous sommes passés, écrit-il, « du moule à la modulation ».
Grâce à ce texte, le juge pénal reprend la place centrale qu’il n’aurait jamais dû quitter. Il n’est plus tenu par l’application scélérate des peines planchers et la révocation automatique des sursis. Il révoquera, s’il l’estime utile, les peines de prison avec sursis ; il adaptera et diversifiera les décisions rendues ; il sollicitera des enquêtes de personnalité, motivera spécialement les décisions privatives de liberté et réévaluera les contraintes pénales pouvant y mettre fin de manière anticipée si le reclassement est assuré et définitivement acquis.
En s’orientant vers la probation et en instaurant la contrainte pénale, en priorisant le recours au milieu ouvert, comme nous le suggère régulièrement le Conseil de l’Europe et comme le font déjà réalisé de nombreux pays européens, la France fait enfin preuve de raison – c’était votre conclusion, madame la garde des sceaux – et de volontarisme.
Grâce aux services pénitentiaires d’insertion et de probation et avec une défense qui aura désormais un rôle proactif, le juge va pouvoir faire procéder à un travail de recueil de renseignements sur la personnalité des auteurs d’infractions et sur les possibilités de peines réalisables. Ainsi, le juge pourra retrouver son coeur de métier et prononcer une peine ajustée et lisible pour tous.
La contrainte pénale est destinée, à très court terme – dans deux ans – et après évaluation, à sanctionner certains délits à titre de peine principale, à la place de la peine d’emprisonnement. Totalement détachée de la peine privative de liberté, elle est susceptible de devenir la peine de référence en matière délictuelle.
L’apport du Sénat à ce sujet est d’ailleurs à souligner, comme en ce qui concerne la durée d’incarcération en cas de non-respect de la contrainte pénale, puisque la juridiction fixera a priori la durée d’emprisonnement qui serait applicable en cas d’inobservation des différentes mesures ordonnées et pour l’aménagement des seuils de peines, lequel sera lui aussi possible.
La contrainte pénale n’est pas une peine de prison avec sursis et mise à l’épreuve. Elle est exécutoire par provision et s’applique donc immédiatement à compter de la décision de condamnation. Elle peut durer de six mois à cinq ans et est aménageable régulièrement. Enfin et surtout, elle n’est pas adossée à une peine de prison. Au contraire, elle sera prononcée à titre de peine principale et combinera à la fois des mesures d’interdiction et d’obligation.
Le juge d’application des peines devient aujourd’hui le personnage central, le grand acteur de l’exécution de la contrainte pénale grâce aux compétences que la loi lui confère, en lien direct – ce qui est nouveau – avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Des craintes se sont manifestées face aux moyens humains nécessaires pour mettre en oeuvre concrètement cette réforme. Vous avez lancé, madame la garde des sceaux, un plan important de recrutement. En outre, la contrainte pénale ne sera applicable qu’aux délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans. Permettez-moi d’ailleurs de rappeler qu’un détenu coûte en moyenne 32 000 euros par an, alors que le coût moyen d’une mesure de placement en milieu ouvert est de 21 900 euros par personne et par an.
Pour réussir cette réforme, il faudra changer les pratiques et, au lieu de s’arrêter au seul respect des obligations, s’appuyer sur l’accompagnement socio-éducatif. Les professionnels vont devoir s’adapter et innover ; c’est un défi.
Sans l’audace et la détermination dont vous avez fait preuve, madame la garde des sceaux, sans l’imagination et le travail construit des deux rapporteurs et sans l’appui de toute la gauche parlementaire, cette réforme n’aurait jamais vu le jour. Elle est le premier pas réussi d’une évolution inéluctable. C’est l’acte I des réformes pénales ; nous voterons avec enthousiasme ce projet de loi.