Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 16 juillet 2014 à 21h30
Délimitation des régions et modification du calendrier électoral — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

…et la Loire-Atlantique, sauf si ce département parvenait, après le 1er janvier 2016, à exercer avec succès un droit d’option qui est en réalité illusoire et inopérant tel qu’il a été fixé par la commission, à la différence de ce que le Sénat avait prévu.

À l’inverse de ce regroupement, qui serait naturel et qui est pourtant refusé, d’autres regroupements très artificiels sont projetés. Le record de l’artificialité avait été atteint initialement par le projet d’une nouvelle région Centre-Limousin-Poitou-Charentes, qui aurait été de la taille de l’Autriche avec une superficie de 82 000 kilomètres carrés. Entre Guainville, au nord de l’Eure-et-Loir, et Beaulieu-sur-Dordogne, au sud de la Corrèze, la distance aurait été de 523 kilomètres. D’où de vives protestations et finalement l’abandon de ce découpage insolite. En effet, la carte des régions ne peut être une carte forcée. Elle doit reposer sur un consentement mutuel et sur des complémentarités naturelles.

Autre regroupement insolite qui, lui, persiste : la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes, qui irait d’Aurillac à Annecy. Comme s’il existait une convergence évidente entre Montboudif, le village natal de Georges Pompidou, dans le Cantal, et Évian, au bord du lac Léman. Pour les conseillers régionaux du Cantal devraient se rendre à Lyon, qui serait la nouvelle capitale régionale, et en revenir. Cela demanderait, en train, onze heures aller-retour.

Deuxième critère : l’absence de distance excessive entre tel point de la nouvelle région et tel autre, si l’on veut que les élus régionaux puissent exercer effectivement leur fonction, à la fois sur place et à la capitale régionale. Plus la région sera étendue, plus il sera nécessaire de maintenir un échelon intermédiaire de proximité entre son chef-lieu au sommet et les communes à la base, particulièrement en zone rurale, où un sentiment d’abandon prévaut déjà.

Il est donc contradictoire, comme le fait ce texte, de prévoir à la fois l’agrandissement des régions et la suppression des départements comme collectivités en 2020. Cela revient à ignorer la nécessaire proximité de l’action publique et à désertifier la démocratie locale.

Troisième critère : le critère démographique. Du fait même de la diminution du nombre des régions de vingt-deux à quatorze ou treize, et de la création de régions plus vastes qu’aujourd’hui, il est évidemment normal que la population des nouvelles régions augmente sensiblement. Mais il convient d’éviter de trop fortes disparités démographiques entre ces treize ou quatorze régions.

Parmi les nouvelles régions qui acquerraient une population en augmentation significative, on trouve notamment la région Auvergne-Rhône-Alpes. Rhône-Alpes compte déjà 6,2 millions d’habitants. Une fusion avec l’Auvergne, qui compte 1,350 million d’habitants, porterait la nouvelle région à 7,6 millions d’habitants, ce qui est beaucoup. Le conseil régional d’Auvergne s’est prononcé contre cette fusion, puisque quatorze seulement des quarante-sept conseillers régionaux ont approuvé ce projet de fusion.

De même, le regroupement envisagé de Midi-Pyrénées, qui compte 2,9 millions d’habitants, et de Languedoc-Roussillon, qui en compte 2,6 millions, engloberait au total 5,5 millions d’habitants et associerait assez artificiellement deux régions ayant chacune son histoire et sa culture particulière. Qu’y a-t-il de commun, par exemple, entre Cahors et Perpignan ou entre Laguiole et Palavas-les-Flots ?

Quatrième critère, et il est essentiel : la neutralité politique du découpage, qui doit reposer exclusivement sur des considérations d’intérêt général et non sur l’intention de protéger tel ou tel grand feudataire, vassal fidèle du suzerain. À cet égard, le découpage, surtout initial, de l’Ouest semble avoir été inspiré par la volonté de tel grand dignitaire de ne pas avoir, dans la même nouvelle région, un autre grand dignitaire, chacun voulant rester seul maître chez soi. Ce réflexe a manifestement inspiré le non-regroupement de la Bretagne et des Pays de la Loire, ou l’invention de la région très artificielle Limousin-Centre-Poitou-Charentes, qui permettait à Poitou-Charentes et à l’Aquitaine de rester séparées. Bref, parmi les grands dignitaires, chacun serait resté sans rival dans son fief, qu’il s’agisse du duc de Bretagne, de la comtesse du Poitou ou du duc d’Aquitaine. Chacun chez soi, chacun pour soi, et l’intérêt général devient une catégorie très secondaire dans cet assemblage de féodalités et de seigneuries.

Faudrait-il accepter un tel découpage, ou un découpage analogue reposant sur ces petits arrangements entre grands feudataires ? L’objectif de la loi, ce n’est pas l’avenir de telle ou telle personnalité politique, c’est l’avenir de la France. En tout cas, cette délimitation improvisée des régions, fondée sur des transactions de dernière minute, paraît relever moins de l’architecture que du bricolage, moins de Michel-Ange que du concours Lépine.

Pour ne pas figer éternellement cette délimitation et permettre, à terme, telle ou telle évolution, le projet de loi maintient finalement le droit d’option, c’est-à-dire la possibilité pour un département de se détacher de sa région d’origine pour intégrer une région limitrophe. À l’initiative de Jacques Mézard, président du groupe RDSE au Sénat, et de Michel Delebarre, rapporteur de la commission spéciale du Sénat, la procédure prévue à l’article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales a été simplifiée et allégée. Ses étapes auraient été les suivantes : délibérations concordantes des assemblées délibérantes des collectivités concernées, suppression de la consultation référendaire, décision finale par décret en Conseil d’État. Mais l’amendement du rapporteur de notre assemblée modifie partiellement la procédure préconisée par le Sénat et la rend beaucoup plus contraignante. En effet, les délibérations concordantes des assemblées délibérantes devront être adoptées à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Cette majorité des trois cinquièmes, pour les délibérations adoptées par le conseil général du département et les deux conseils régionaux concernés, semble trop contraignante, trop difficile à atteindre. Elle risque de rendre inopérant et illusoire le nouveau dispositif de modification des limites régionales. Notre groupe a donc déposé un amendement remplaçant cette majorité des trois cinquièmes par la majorité absolue des assemblées délibérantes des collectivités concernées,…

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