Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 8 juillet 2014 à 17h00
Commission des affaires sociales

Laurence Rossignol, secrétaire d'état chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie :

Je vous prie tout d'abord d'excuser Marisol Touraine, retenue par la conférence sociale. Nous souhaitions toutes les deux vous présenter notre vision commune du projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement.

Trop longtemps repoussé par nos prédécesseurs, ce texte est le fruit d'un travail mené depuis près de deux ans et qu'a initié Michèle Delaunay, à laquelle Marisol Touraine et moi-même voulons ici rendre hommage.

Il est également l'aboutissement d'une concertation qui a rassemblé l'ensemble des acteurs du vieillissement. Les échanges réguliers et continus avec les associations d'élus, de gestionnaires, de personnes âgées et de leurs familles, avec les représentants des secteurs du logement et des transports ont permis d'améliorer et d'enrichir ce texte. Il faut rappeler que nous avions une base de départ précieuse nourrie par les trois rapports remis en mars 2013 au Premier ministre par Martine Pinville, Luc Broussy et Jean-Pierre Aquino.

Nous tenons aussi à rappeler que le vieillissement est un enjeu majeur pour les décennies à venir et que, malgré un contexte économique contraint, nous avions le devoir d'avancer en portant un projet global qui mobilise l'ensemble des politiques publiques. C'est chose faite avec ce projet de loi tant attendu par les acteurs du secteur, en particulier le monde associatif.

Marisol Touraine aurait souhaité vous faire part de quatre points essentiels qui ont guidé ses choix dans la construction de ce texte que je détaillerai tout à l'heure.

En premier lieu, ce projet de loi permettra d'attaquer les inégalités à la racine. Anticiper, prévoir, c'est nous donner les moyens de repérer et de combattre les premiers facteurs de risque de perte d'autonomie.

Deuxième point : ce texte traduit l'ambition du Gouvernement de poursuivre le mouvement de prise en charge collective du vieillissement, initié par le gouvernement de Lionel Jospin. Je souhaite ici rendre hommage à Paulette Guinchard au nom de laquelle l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) restera éternellement associée.

Troisième point : nous voulons porter une politique globale. La plupart de nos aînés vieillissent sans incapacité. Pour autant, ce n'est pas à eux de s'adapter à l'urbanisme, aux transports ou au logement ; c'est aux politiques de l'urbanisme, des transports et du logement de le faire. Ainsi, les politiques en la matière ont une place à part entière dans ce texte.

Enfin, le point majeur qui a guidé les choix lors de l'élaboration de ce projet de loi est celui du renforcement du soutien aux aidants familiaux.

Ce texte s'inscrit ainsi pleinement dans la politique menée par cette majorité depuis plus de deux ans. Sa cohérence est totale avec l'action conduite par Marisol Touraine dans le champ de la santé et dans celui de notre protection sociale : le renforcement de la prévention, la personnalisation des politiques publiques, la préservation et le renforcement de notre système solidaire.

L'adaptation de notre société au vieillissement est l'un des plus grands chantiers qu'il nous revient de conduire au cours du quinquennat.

Ce texte de programmation et d'orientation propose – c'est une première – d'aborder la double dimension du bien vieillir et de la protection des plus vulnérables.

Notre responsabilité est en effet de changer les représentations du grand âge et de renforcer la lutte contre les inégalités sociales. Le Conseil économique, social et environnemental, dans son avis rendu le 26 mars 2014, s'est d'ailleurs félicité de ce changement de regard proposé par le projet de loi à travers notamment la distinction entre vieillesse et dépendance.

Le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui est centré sur la prévention de la perte d'autonomie et l'accompagnement à domicile et en habitat collectif intermédiaire, en réponse aux aspirations de la majorité de nos concitoyens. En effet, beaucoup souhaitent vieillir à domicile dans les meilleures conditions, et nous souhaitons les y aider. Aussi le texte développe-t-il une action globale et transversale, reposant sur trois piliers complémentaires : anticiperprévenir, adapter la société, accompagner la perte d'autonomie.

L'anticipation doit permettre de repérer et combattre les facteurs de risque de la perte d'autonomie, de développer les actions individuelles et collectives de prévention et de promouvoir une vision moderne des aides techniques en complément, et non en remplacement, des aides humaines, indispensables à la promotion du « vivre ensemble ».

Le second volet est le plus interministériel car il doit nous permettre d'adapter toutes les politiques publiques au vieillissement, en particulier celles du logement, de l'urbanisme et des transports. Il a fait l'objet d'un long travail entre les ministères concernés. L'habitat doit accompagner l'avancée en âge. S'agissant des logements privés, un plan national d'adaptation de 80 000 logements d'ici à 2017 avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) est programmé, conformément à l'engagement présidentiel. L'habitat intermédiaire entre le domicile et la maison de retraite doit être développé et modernisé. De façon emblématique, les « logements foyers » seront renommés « résidences autonomie », leurs missions seront redéfinies et une aide financière, « le forfait autonomie », sera attribuée pour renforcer les actions de prévention conduites au sein de ces structures. Il s'agira également de sécuriser le modèle économique des résidences services, en conditionnant le paiement des charges liées aux services à leur réelle utilisation.

Enfin, le dernier pilier a vocation à améliorer l'accompagnement des personnes en perte d'autonomie. La loi engage un acte II de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) au service du maintien à domicile, douze ans après sa mise en place par le gouvernement de Lionel Jospin. Concrètement, les personnes âgées bénéficieront d'une augmentation importante du nombre d'heures d'aide à domicile (1 heure par jour supplémentaire pour les plans d'aide les plus lourds), accompagnée d'une réduction du ticket modérateur. En résumé, le projet de loi permettra une meilleure couverture des besoins par plus de prestations, avec des plans d'aides diversifiés, et une participation financière réduite pour les usagers. Le fil conducteur du Gouvernement pour plus de justice trouve ici une illustration concrète qui se traduira dans le quotidien des familles.

En établissement, les axes prioritaires concernent la transparence des tarifs sur la base d'un socle de prestations identiques, ainsi que l'encadrement de l'évolution des tarifs.

En outre, le respect et la dignité des personnes âgées vulnérables sont renforcés par la réaffirmation de leurs droits, en particulier lors la signature du contrat de séjour en établissement, et par les mesures prises pour lutter contre les abus de faiblesse. La liberté d'aller et venir librement est inscrite dans le code de l'action sociale et des familles, au même titre que le respect de la dignité, de l'intégrité, de la vie privée, de l'intimité et de la sécurité. Un espace de réflexion commune est aussi ouvert sur la délicate question du consentement et de l'expression de la volonté lorsque des personnes en établissement rencontrent des difficultés dans la connaissance et la compréhension de leurs droits. L'introduction de la personne de confiance est une première piste et le Gouvernement est ouvert à une réflexion plus large qui permettra, nous l'espérons, d'avancer plus encore pour ne pas restreindre à l'excès la parole de ceux de nos concitoyens que l'âge a rendu tout particulièrement vulnérables.

Enfin, les aidants sont fortement soutenus par ce texte de loi, qui reconnaît leur rôle dans l'accompagnement et leur droit au répit, en finançant l'accueil ou l'hébergement temporaire de la personne aidée dans une structure adaptée.

Un volet transversal relatif à la gouvernance unifie par ailleurs la représentation des personnes âgées et favorise leur participation à l'élaboration des politiques publiques les concernant. Le titre IV du projet de loi a fait l'objet, dans la version sur laquelle vous travaillez, du retrait d'un certain nombre de dispositions relatives à la gouvernance locale. Le Gouvernement juge en effet incontournable la mise en cohérence avec la réforme territoriale, mais aussi avec le projet de loi santé. Les articles ont été réservés, ce qui nous permettra de retravailler ces questions essentielles de gouvernance. Compte tenu des calendriers, les débats en séance seront un moment privilégié pour cette mise en cohérence qui tiendra compte des récentes prises de parole du Premier ministre concernant la particularité des territoires ruraux dans la réflexion sur le devenir des conseils généraux.

Il est important de noter que le projet de loi comprend également un rapport annexé qui permet notamment de présenter les plans thématiques, dont plusieurs sont d'ores et déjà lancés : lutte contre l'isolement grâce au programme MONALISA, promotion de l'activité physique adaptée, prévention de la dépression et du suicide des personnes âgées, bon usage du médicament, promotion d'un urbanisme intergénérationnel – avec le label « Ville amie des aînés »–, développement de la filière industrielle du bien vieillir, professionnalisation du secteur par le plan métier autonomie.

Concernant la question du financement des mesures nouvelles, le Gouvernement n'a pas la prétention de répondre à l'ensemble des besoins avec l'enveloppe dédiée, qui était connue dès l'ouverture de la concertation. Nous souhaitons toutefois rappeler que, dans le contexte actuel de tensions sans précédent sur les finances publiques, les 645 millions d'euros par an – dotation appelée à augmenter dans les années à venir – représentent un effort important rendu possible grâce à la solidarité nationale et à l'engagement présidentiel.

Cette somme permet à la fois de financer le volet Accompagnement de la loi à hauteur de 460 millions d'euros, comprenant la revalorisation de l'APA à domicile –375 millions d'euros – et le droit au répit pour les aidants – 78 millions –, mais aussi de dégager de réelles marges de manoeuvre pour le volet AnticipationPrévention – 85 millions d'euros –, ce qui n'a jamais été fait précédemment. Enfin, le financement du volet Adaptation à hauteur de 84 millions d'euros sera assuré pendant la phase de montée en charge. La totalité de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, la CASA, sera donc bien affectée à la loi dès son entrée en vigueur.

La compensation à 100 % par l'État de ces mesures nouvelles permettra par ailleurs un meilleur équilibre entre la participation financière de l'État et celle des départements.

Concernant la réforme de l'accompagnement en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), celle-ci demeure notre objectif à moyen terme. Cette nouvelle étape pourra intervenir lorsque le redressement des finances publiques engagé par le Gouvernement aura produit ses effets. En matière de tarification, un choc de simplification visera à renforcer la responsabilisation des gestionnaires et l'efficience des établissements, en lien avec les chantiers en cours tels que les études de coûts et la réforme du référentiel PATHOS.

Je voudrais enfin aborder la situation des services d'aide à domicile qui sont un maillon essentiel pour un accompagnement à domicile professionnel, sécurisé et respectueux des habitudes de vie des personnes. En effet, le maintien à domicile suppose de s'appuyer sur des réseaux d'aide à domicile sécurisé et professionnalisé. Or la situation du secteur d'intervention auprès des publics fragiles préoccupe à la fois le Gouvernement et de nombreux parlementaires. La mobilisation du fonds de restructuration à hauteur de 130 millions d'euros de 2012 à 2014 a été un soutien significatif. Il nous faut désormais construire des réponses pérennes en lien avec les départements, les agences régionales de santé (ARS), qui disposent d'une vision d'ensemble de l'offre sanitaire et médico-sociale sur les territoires, et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

À travers la réforme de l'APA à domicile, la loi va apporter naturellement un développement de l'activité par une meilleure solvabilisation de la demande. Une revalorisation des salaires est également prévue. Au total, 375 millions d'euros sont consacrés à ces mesures. Mais cela ne suffira pas à résoudre les problèmes que connaît le secteur. C'est pourquoi le projet de loi comporte également des articles relatifs à la refondation de l'aide à domicile et à l'expérimentation d'une offre plus intégrée entre l'aide et les soins à domicile, avec les services polyvalents d'aide et de soin à domicile (SPASAD). Nous devrons aboutir collectivement à des avancées structurelles de simplification et de meilleure régulation de l'offre.

Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de votre attention. Nous savons avec Marisol Touraine pouvoir compter sur vous pour enrichir ce texte qui nous permettra de relever cet immense défi du vieillissement de la population et de profiter pleinement de cette opportunité que représente l'allongement de la durée de vie.

Nous espérons retrouver les bancs de l'Assemblée dès la rentrée pour enfin débuter l'examen de ce texte concret et utile pour améliorer le quotidien des familles. Je souhaite un dialogue le plus ouvert possible ; nous sommes sensibles aux propositions des parlementaires. Ainsi, ce texte apportera la preuve à nos concitoyens que la représentation nationale sait se rassembler sur les grands sujets.

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