Intervention de Dominique Bussereau

Séance en hémicycle du 17 juillet 2014 à 15h00
Délimitation des régions et modification du calendrier électoral — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Bussereau :

C’est ainsi ! J’ai donc, à ce titre, apprécié les grandes périodes de décentralisation qu’a connues notre pays. Je n’étais pas encore parlementaire, mais je participais déjà à la vie publique lorsque le Président Mitterrand, avec Pierre Mauroy et Gaston Defferre, a fait adopter les premières lois de décentralisation, et j’ai plutôt trouvé qu’elles allaient dans la bonne direction. D’ailleurs, une partie de l’UMP et de l’UDF a fini par les approuver après les avoir combattues. Et la même chose s’est produite entre 2002 et 2004, quand M. Chirac était Président et M. Raffarin, Premier ministre. La gauche avait alors hurlé contre le transfert aux départements des agents techniques, ouvriers et de service, mais si vous discutez aujourd’hui avec l’employé d’un collège, il s’estimera bien mieux traité par son conseil général, qui le connaît et le traite comme un individu, que par la Rue de Grenelle, qui le considérait comme un pion et gérait sa carrière par ordinateur. Le mouvement de décentralisation a donc été utile à notre pays ; droite et gauche lui ont donné ses lettres de noblesse, tout en tentant de développer pour le mieux nos territoires.

Or j’ai le sentiment que nous assistons aujourd’hui à un mouvement de recentralisation. Car, à cette entreprise, monsieur le ministre – et peut-être serez-vous d’accord avec cette idée, à défaut de pouvoir le reconnaître explicitement –, il manque une réforme de l’État. La gauche a critiqué la révision générale des politiques publiques, menée par le gouvernement de François Fillon, mais cette politique a eu l’avantage de simplifier considérablement la carte des administrations locales. Dans ce domaine, elle est même allée assez loin – trop loin, peut-être. En tant qu’ancien ministre de l’agriculture, je regrette par exemple la disparition des directions départementales de l’agriculture et de la forêt.

Quoi qu’il en soit, si vous vouliez vraiment faire un geste fort, monsieur le ministre, vous supprimeriez les 95 préfets de départements, ne laissant que les préfets de région pour représenter l’État, tandis que, sur le terrain, un corps de sous-préfets généralistes, assistés de petites équipes, serait au service des élus et de la vie associative, ferait respecter l’ordre public et coordonnerait les forces de sécurité. Mais supprimer les élus dans les départements tout en maintenant les préfets, pour moi, cela s’appelle de la recentralisation.

Il faut adapter l’organisation de l’État. Vous demandez aux élus de faire des économies, mais l’État pourrait donner l’exemple dans les départements. L’absence d’une vraie réforme de l’État est donc la première chose que je reproche à ces deux textes.

J’en viens à la question de la taille des régions, qui fait l’objet d’un débat entre nous, comme l’a admis Hervé Gaymard. Ce dernier, à l’instar d’Alain Juppé, a ainsi pointé le risque du fédéralisme que ferait courir la constitution de trop grandes régions. Pour ma part, ce qui m’intéresse, ce n’est pas leur taille, mais plutôt leur capitale, ou plutôt la métropole qui porte le territoire environnant, celle qui joue un rôle en matière d’aménagement du territoire. Ainsi, à l’échelle de l’Allemagne, la Sarre est une petite région, mais cela ne l’empêche pas de développer un projet politique.

L’important, pour une région, n’est donc pas d’être grande, mais d’être dotée d’une métropole régionale : Lille, Toulouse, Bordeaux, Nantes sont des villes qui comptent à l’échelle européenne. C’est pourquoi je suis sensible à la question de savoir si les régions dont le projet de loi nous propose la création disposeront d’une vraie capitale : pas seulement une capitale au sens administratif et culturel, mais une métropole capable de porter des projets et d’entraîner les territoires situés autour d’elle. À cet égard, l’amendement déposé par le groupe socialiste, et sur lequel, monsieur le président de la commission des lois, vous vous êtes exprimé favorablement à titre personnel, faute d’examen par la commission, me semble aller dans le bon sens.

Ce qui posait problème, par exemple, dans le projet de fusionner le Limousin, la région Poitou-Charentes et le Centre, c’est l’absence de métropole, même si la région ainsi constituée n’aurait pas manqué de villes sympathiques – Limoges, Tours, Orléans, Blois, Poitiers. En revanche, une région regroupant Limousin, Aquitaine et Poitou-Charentes disposerait d’une vraie métropole, reconnue sur le plan national, européen et international : la ville de Bordeaux. Je suis donc favorable à de grandes régions, non pour leur taille, mais dans la mesure où elles peuvent s’appuyer sur de véritables métropoles.

Le danger, dans tout cela, et ce sera l’objet de mon quatrième et avant-dernier point, c’est le mauvais sort que vous faites aux départements. Je ne parle pas de mauvais sort politique, cela a été évoqué tout à l’heure. Il est vrai qu’il est absurde de faire ce redécoupage cantonal très contesté, qui fait l’objet de recours que le Conseil d’État, sur ordre, examine à la vitesse de la mitrailleuse Hotchkiss, mais il est également absurde d’organiser des scrutins au mois de décembre 2015 pour élire des conseillers généraux, ou départementaux, avec ce système bizarre du binôme, pour qu’ils soient appelés à éteindre les lumières ou à couper le chauffage le plus rapidement possible. On entend aussi d’autres bruits : le Gouvernement reculerait finalement sur la suppression des départements, il les garderait en milieu rural. Et il est vrai que lorsque le Président de la République renvoie à l’horizon 2020, il prend une option sur l’avenir pour le moins aléatoire en termes politiques.

Mais laissons là la question électorale. À partir du moment où vous faites de très grandes régions, les départements sont nécessaires. Dans cette région qui me va bien, Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, lorsque le maire de Bordeaux, Alain Juppé, président de la communauté urbaine de Bordeaux, parlera avec le président de la région, cela aura du poids, mais quand le président d’une communauté de communes de 20 000 habitants, dans la Creuse ou ailleurs, parlera avec le même président de la région, il manquera un élément d’aménagement du territoire, de péréquation : le département. Franchement, autant je comprends ce qu’ont fait Michel Mercier et Gérard Collomb à Lyon, avec une métropole qui reprend les attributions du département et un département de la couronne, autant vouloir faire de très grandes régions et supprimer les départements c’est vraiment vouloir fermer la lumière dans une large part de la ruralité française. Cela passe vraiment très mal sur l’ensemble du territoire, au-delà des frontières politiques qui peuvent nous séparer dans cet hémicycle, mais vous le savez déjà, et vous en aurez la confirmation dans les résultats des élections sénatoriales du 28 septembre prochain.

J’en viens au cinquième et dernier point de mon propos : les propositions du groupe majoritaire pour la région qui est la mienne, la région Poitou-Charentes. Disons-le tout de suite : je suis favorable à ce que vous proposez pour cette région. Je voterai d’ailleurs l’article 1er de ce projet de loi, si tant est qu’il reste en l’état que je souhaite une fois que nous aurons terminé la discussion. Ma raison est la suivante : ce n’est pas tant que nous voulions être unis à l’Aquitaine – nous le voulions, bien sûr –, c’est que nous tenions avant tout à Bordeaux, qui est déjà, pour notre région, une capitale, avec la chambre régionale des comptes, la cour administrative d’appel, la direction interrégionale des routes, la direction interrégionale de la mer, l’aéroport, le journal Sud Ouest. L’organisation administrative et la zone de défense suivent déjà le modèle proposé, autour de la métropole bordelaise ; celle-ci a d’ailleurs connu ces dernières années un développement qui la rend de plus en plus attractive. C’est donc une disposition raisonnable, qui correspond d’ailleurs à la volonté des populations. Le journal Sud Ouest a fait un sondage en Charente-Maritime : l’idée d’une fusion du Poitou-Charentes avec l’Aquitaine recueille 84 % d’opinions favorables parmi les Charentais-Maritimes, y compris à La Rochelle, et 75 % d’opinions favorables parmi les Charentais ; dans la Vienne, plus lointaine, la même possibilité recueille de 65 % à 70 % d’opinions favorables. Et, c’est vrai, l’opinion, les pétitions, les manifestations, les motions votées par tous les conseils municipaux vont dans cette direction. Je suis heureux que le message ait été entendu, et je remercie celles et ceux qui le portent en Charente-Maritime comme dans les autres départements de la région, à gauche, comme Delphine Batho, Suzanne Tallard, Olivier Falorni, ou à droite, comme Didier Quentin.

L’affaire n’est pas neuve. Avec Jean-Pierre Raffarin, que vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, et le Premier ministre citez souvent, nous avions écrit, en 2008, au Président Sarkozy ; Jean-Pierre Raffarin était sénateur et j’étais moi-même membre du Gouvernement. Nous proposions déjà un rapprochement, qui nous semblait de bon sens, entre Poitou-Charentes et Aquitaine.

Je serai attentif à tout ce que diront mes collègues tout au long de cette intéressante discussion générale. L’article 1er sera également l’objet de longs débats et de votes, et nous avons l’intention, tous, d’y participer avec beaucoup de coeur. C’est un moment important mais, je le regrette, je ne voterai pas ce texte, pour toutes les raisons que je vous ai indiquées. Je voterai son article 1er, parce que, quand on me tend la main, j’aime la prendre, mais je trouve que c’est un peu une occasion manquée de faire une vraie réforme de la France. Encore eût-il fallu inclure une grande réforme de l’État. Un troisième texte, dont l’objet serait une telle réforme, nous offrirait peut-être une vraie vision d’ensemble.

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