Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure qu’il ne fallait pas avoir peur. Nous n’avons pas peur. Personne ici n’a peur. Nous avons juste des opinions différentes et nous les exprimons. En revanche, le Gouvernement, lui, a peur de beaucoup d’autres types de réforme. Il évite ainsi consciencieusement de s’attaquer à des réformes structurelles qui concernent directement les populations. La peur n’est donc peut-être pas dans le camp que vous croyez.
Je note aussi qu’il existe de grandes différences d’appréciation, au sein du parti socialiste comme au sein de l’UMP : ce débat est transpartisan, et c’est tant mieux. Il y a des convergences géographiques, des opinions, des convictions qui s’expriment, avec raison. Tout cela est parfaitement estimable.
Je constate que la Picardie a beaucoup voyagé : elle est partie en Champagne-Ardenne, puis en est revenue assez vite. D’après les journaux, c’est la Champagne-Ardenne qui ne souhaitait pas accueillir la Picardie, alors que celle-ci n’était pas contre. Cela fonctionne souvent dans un seul sens, comme s’il s’agissait de fusions-absorptions : la Picardie disparaît en se fondant soit dans la Champagne, soit dans le Nord-Pas-de- Calais, dont les élus pourtant, à l’exception de Gérald Darmanin, ne sont pas prêts à l’accueillir avec plaisir et bonté, comme on le voit dans certains sous-amendements.
Je regrette que ce texte n’ait pas été accompagné d’une étude impact sérieuse. Pourtant, nous disposons de services administratifs puissants en ce domaine. Nous sommes l’un des pays qui travaille le plus à son aménagement du territoire, et ce depuis de très nombreuses années, que les gouvernements soient de droite ou de gauche. Les administrations qui en ont la charge ont perduré, parfois en changeant de nom. Il est dommage qu’elles n’aient pas fourni une telle étude.
Nous aurions dû avoir dès le départ une discussion plus objective que celle que nous avons aujourd’hui, une discussion portant sur les réseaux de transport, sur l’économie, sur la valeur ajoutée que représente la fusion de telles ou telles région, dans le domaine de l’enseignement supérieur ou de la recherche par exemple. Il est bien dommage qu’il n’en ait pas été ainsi, c’est sur cette base que nous aurions dû construire cette réforme.
Pour en revenir à la Picardie, comme si peu de monde a envie de fusionner avec elle, d’autres solutions auraient dû être envisagées. La première aurait consisté à la laisser dans ses propres frontières, comme vous l’avez fait pour la région Centre. Nous aurions pu aussi avancer plus vite, faire disparaître les trois départements picards et les fusionner dans une seule entité, à l’instar de ce que veulent la Bretagne et l’Alsace. Outre de la cohérence, cela aurait permis des économies.
À propos d’économies, je n’entends rien de bien sérieux. Vous nous donnez des chiffres, qui évoluent au gré des articles de journaux et des déclarations ministérielles. Nous devrions au moins avoir une fourchette, accompagnée d’explications sur la façon dont ces calculs sont établis. En réalité, votre chiffrage n’a pas de fondements réels : il vous arrange d’un point de vue budgétaire, domaine auquel vous lient vos anciennes fonctions. Les ayant exercées aussi, je partage votre souci d’économies, mais encore faut-il qu’elles soient sous-tendues par des hypothèses crédibles, ce qui n’est pas le cas. Le fait de supprimer des départements au profit d’une seule entité, régionale, aboutira forcément à des économies qu’il aurait été judicieux d’évaluer.
Si vous ne vouliez pas d’une Picardie qui reste seule après disparition des départements qui la composent, il existait une deuxième solution, qui consiste à démembrer les régions en suivant une logique parfois départementale. Certes, cela ne fonctionne pas pour la Loire-Atlantique mais cela aurait pu pour la Picardie. Au nord, elle a un attachement pour la Somme ; plus à l’est, pour une partie du département de l’Aisne – Xavier Bertrand me corrigera s’il le faut ; l’Oise, quant à elle, est davantage tournée vers l’Île-de-France.
On ne redécoupe pas les territoires sans prendre en compte la vie quotidienne de leurs habitants. Ce sont des bassins de vie, ce sont des bassins d’emploi, ce sont des trains qu’on emprunte quotidiennement, ce sont des enfants qui partent faire leurs études. La plateforme de Roissy se situe à une quarantaine de kilomètres de Creil : les gens de Creil travaillent là-bas, se plaignent évidemment des problèmes de transports, qu’ils prennent tous les matins en direction du sud et non du nord !
Ce qui compte, c’est la vie des gens, pas des découpages technocratiques ou purement politiques. Il n’y a rien d’illogique à penser que tel département peut se voir rattaché à une autre région tout simplement parce qu’économiquement, sociologiquement, culturellement voire historiquement, il entretient un lien avec elle.
Il est regrettable que vous soyez passé à côté de cela. Vous auriez pu aller dans ce sens. C’est une bonne idée de vouloir réformer les territoires régionaux, de modifier les frontières, et de mettre fin au mille-feuilles territorial que nous avons tous dénoncé. Malheureusement, le Gouvernement ne s’est pas donné les moyens de cette réforme.