Les règles de Bâle III renchérissent le coût de détention, pour les banques, de crédits de durée moyenne ou longue à leur bilan. Les établissements bancaires seront donc portés à faire preuve de davantage de sélectivité. En Europe continentale, les entreprises, en dehors des très grandes, se finançaient jusqu'à récemment à long terme auprès des banques ou par du capital développement ou par le cash flow qu'elles généraient elles-mêmes. Elles recouraient très peu au financement de marché, car elles n'avaient pas accès au marché obligataire. Aux États-Unis, le système bancaire ne conserve pas dans ses bilans les crédits qu'il génère, mais les recycle sur le marché par le biais de différents instruments. Aujourd'hui, les PME ne vont pas massivement sur les marchés, mais un mouvement en ce sens – qui, sans doute, sera long – a bel et bien commencé.
Les assureurs ont diminué le placement de leurs fonds en actions pour se conformer à des ratios de régulation et pour se prémunir des conséquences sur leur bilan de la volatilité du marché d'actions. Ils ne cessent pas pour autant de financer les entreprises, car ils sont incités à acheter des portefeuilles de prêts à des banques ou des produits de titrisation – qui consistent en l'émission de créances en contrepartie de prêts accordés à des entreprises –, puisque les taux d'intérêt y sont plus élevés que pour les obligations des très grandes d'entreprises ou de l'État.
La titrisation a pâti des subprimes : la technique n'était pas en cause, mais on l'a utilisée de façon désastreuse en insérant des créances fragiles dans des portefeuilles tout en donnant l'apparence de transformer des prêts fragiles en obligations sûres. La titrisation de crédits automobiles, immobiliers ou à la consommation n'a jamais posé de problème en France, les opérations étant classiques et entourées de sécurités. La technique de la titrisation s'avère nécessaire, même s'il faut l'employer avec précaution et surveillance : elle permet à des particuliers ou à des épargnants institutionnels de financer l'économie en plaçant de l'argent dans des fonds de prêts et de contrebalancer les effets négatifs de la réglementation – en grande partie justifiée – de Bâle III.
Les assureurs justifient la limitation de leurs investissements en actions par le risque de volatilité comptable, l'exigence en fonds propres et le problème de liquidité lié à la restitution, obligatoire sous certaines conditions et massive, de fonds placés en assurance-vie. Ils adoptent donc un horizon de placement relativement court, ce qui tarit la source des financements à long terme dont l'économie a besoin pour se développer.
Les variable annuities ne sont pas les seuls produits risqués qui se développent. Le niveau très bas des taux d'intérêt incite les investisseurs en quête de rendement important – y compris des particuliers qui ne sont pas spécialistes de ces marchés – à se détourner des obligations d'État ou de grandes entreprises pour se reporter sur des produits financiers exotiques – vin, manuscrits, matières premières, change. Ainsi, plus du tiers de la publicité financière vise à convaincre les Français d'investir sur les produits de change du Forex, alors que cela devrait être déconseillé à un particulier, les risques de pertes étant énormes. Cette situation nous préoccupe, même si certains produits proposés par des banques peuvent rendre service à ceux qui cherchent un rendement élevé et sont prêts à accepter le risque inhérent à ces entreprises. Il convient néanmoins d'être très vigilant. On doit à la fois rassurer l'opinion publique sur le fonctionnement des marchés financiers, répondre aux grands besoins de financement de long terme de l'économie et évoluer dans un contexte de taux d'intérêt bas, qui présente à la fois des avantages et des incitations à ne pas épargner ou à chercher des placements risqués. Il est nécessaire de retrouver les fondements du raisonnement de l'investisseur avisé.
Dans le monde anglo-saxon, il s'opère un changement radical des ordres de grandeur des pénalités financières. En France, celles-ci ont nettement augmenté en valeur absolue, mais elles restent bien inférieures au cas auquel vous avez fait allusion, madame la rapporteure générale, même si les deux affaires ne sont pas comparables. Les régulateurs de marché et prudentiel doivent se demander si les montants que nous appliquons sont pertinents. Pour les sanctions prononcées par l'AMF, les plafonds légaux ont été considérablement augmentés en deux étapes au cours de la dernière décennie : les pénalités peuvent atteindre dix fois le profit réalisé, mais, dans les faits, dépassent rarement trois fois le profit. Par ailleurs, le plafond en valeur absolue est fixé à 100 millions d'euros – contre 10 millions d'euros auparavant – et s'applique si l'infraction n'est pas reliée à un profit. Ce plafond n'a jamais été atteint, mais l'existence d'une limite aussi élevée entraînera une augmentation du montant moyen des sanctions.
Euronext constitue l'un des principaux dossiers sur lesquels nous avons travaillé. La transaction a été bien conduite par l'opérateur boursier américain ICE qui a tenu un discours clair et a acheté un ensemble comprenant trois parties : le LIFFE – London international financial futures and options exchange –, le marché new-yorkais et la partie européenne. ICE a isolé la partie européenne pour la mettre sur le marché et la vendre complètement – à ce jour, il n'en détient plus que 6 %. Du point de vue du régulateur, l'opération s'est bien passée, car des assurances sur la solidité du nouveau management ont été apportées. En outre, nous avons obtenu qu'un noyau dur assure une stabilité au nouvel ensemble en demandant à ICE de ne pas vendre plus de 75 % de la partie européenne tant qu'un acheteur satisfaisant nos exigences n'en avait pas acquis 25 %. Nous nous sommes réjouis que ce seuil d'un quart soit passé à un tiers au cours de l'opération. Les financiers français occupent une place significative aux côtés des acteurs néerlandais, belges et portugais qui se sont engagés pour trois ans. Cela confère au management la possibilité de développer une stratégie d'autonomie, qui permettra d'orienter Euronext vers les entreprises de taille intermédiaire et moyenne. Elle ne réalisera pas ses plus gros profits dans ce secteur, mais elle en accompagnera le dynamisme. Il y a trois ans, j'ai écrit, avec Thierry Giami, un rapport sur les relations entre la Bourse et les entreprises moyennes et les ETI : il mettait en lumière un malaise qui s'est estompé depuis. Cette opération apporte davantage de crédibilité à l'entreprise des marchés face aux entrepreneurs qui envisagent de s'introduire en bourse ou de céder des actions.
Dominique Cerutti, directeur général de ce nouvel ensemble, voit l'occasion, pour son entreprise maintenant autonome, de faire, auprès de ses clients et des investisseurs, la preuve de sa rentabilité et de son efficacité dans la durée. Cela nécessite la conclusion d'alliances, car le développement de l'activité sur différents marchés exigera la poursuite de la restructuration. On peut en effet imaginer que les deux grands acteurs, l'un allemand et l'autre britannique, songent à l'avenir à présenter des offres. Il convient donc de trouver une place sur le marché entre ces deux opérateurs pour représenter une option crédible dans le cadre des futures restructurations de cet univers complexe. Cette première étape constitue en tout cas un succès.
La taxe sur les transactions financières représente une bonne idée pour ceux qui souhaitent taxer la finance, mais elle ne sert pas les intérêts de la place de Paris et aura tendance à avantager les autres places. Si elle frappait toutes les places, elle serait tout à fait envisageable, mais, comme elle ne s'applique qu'à certaines d'entre elles, celles-ci se trouveront exposées au risque de fuite des flux financiers, qui sont très mobiles. Ce mouvement a d'ailleurs déjà commencé, même s'il s'explique par d'autres facteurs.