La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers.
L'Autorité des marchés financiers – AMF – agit pour la protection de l'épargne. Notre premier défi consiste à rendre aux épargnants individuels la confiance qu'ils ont perdue après la crise du système financier. Le rebond du cours des actions, très marqué depuis deux ans, puisqu'il a atteint 12 % en 2012 et 18 % en 2013, leur a peu profité, car ils ont désinvesti en actions. Nous avons conduit environ 10 000 échanges, aux deux tiers avec des particuliers, pour répondre à des questions qui nous étaient adressées. Par ailleurs, notre médiatrice a traité près de 1 000 dossiers et a réussi, dans un grand nombre de cas, à rapprocher le point de vue des deux parties. Nous avons également multiplié les alertes pour des offres que nous jugions dangereuses – soit des placements sur le marché des changes, le Forex, qui présentent des risques très élevés pour des épargnants individuels, soit des offres atypiques pour lesquelles la protection de l'épargnant s'avère défaillante.
L'AMF joue le rôle de régulateur du secteur de la gestion d'actifs, très important en France, puisque les encours des organismes de placement collectif en valeurs mobilières – OPCVM –, à savoir les sociétés d'investissement à capital variable et les fonds communs de placement, représentaient plus de 1 300 milliards d'euros à la fin de l'année 2013, soit un niveau comparable à celui atteint un an auparavant. Une quarantaine de nouvelles sociétés de gestion agréées sont apparues l'année dernière, ce qui montre le dynamisme des professionnels malgré le contexte difficile et l'aversion des particuliers pour le risque.
Nous avons lancé la mise en oeuvre de la directive sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs – dite AIFM – qui touche les hedge funds comme les fonds de capital développement. La directive a retenu un modèle proche du français avec une forte protection du rôle des dépositaires. De la même façon, nous nous trouvons dans la phase de déploiement de la directive EMIR – European market infrastructure regulation –, instrument de régulation majeur conçu par les réunions du G20 ayant suivi la faillite de la banque Lehman Brothers. Elle vise à introduire progressivement des règles pour l'utilisation des dérivés dits OTC – over the counter –, c'est-à-dire échangés de gré à gré, comme des appels de marges, des chambres de compensation, voire des plateformes de transactions, afin de créer un univers plus sûr. Nous avons franchi des étapes importantes avec nos partenaires européens rassemblés dans l'Autorité européenne des marchés financiers – ESMA –, puisque les transactions doivent être dorénavant rapportées dans des référentiels centraux de données – les trade repositories – et que le début de l'année 2015 verra le passage à la compensation obligatoire. On soumet donc cette énorme masse financière, porteuse de risques, au respect de règles plus protectrices.
L'AMF assume également la mission d'information financière en enregistrant tous les documents déposés à l'occasion des levées de fonds, des introductions en bourse et des rapprochements d'entreprises ; l'AMF régule les offres publiques et les fusions. Depuis l'automne dernier, le marché est bien reparti, cette tendance étant confirmée par l'accélération constatée au premier semestre 2014. Ainsi, en matière d'obligations, 80 milliards d'euros ont été levés en dettes destinées aux entreprises au cours des six premiers mois de l'année, soit 20 % de plus que le montant constaté sur la même période en 2013. Sans compter les introductions de nouvelles sociétés, 7,5 milliards d'euros ont été levés en actions contre 5,4 milliards d'euros pour l'ensemble de l'année 2013. De même, vingt introductions avaient eu lieu en 2013 – pour un montant total représentant environ 1,5 milliard d'euros – alors que trente ont déjà été réalisées lors du premier semestre de cette année, pour un montant global approchant les 5 milliards d'euros. Un changement de rythme s'est donc opéré pour les levées de fonds. Espérons que cette tendance repose sur l'anticipation par les marchés d'une reprise de l'économie. Nous avons également exercé notre fonction de régulation des opérations de restructuration et de rapprochement d'entreprises.
Notre activité répressive fut également soutenue en 2013 : nous avons effectué cent quarante contrôles et enquêtes, rendu vingt-sept décisions de sanctions représentant plus de 30 millions d'euros et conduit cinq transactions de « composition administrative » pour 760 000 euros.
Nous sommes aujourd'hui plus optimistes que l'année dernière. Nous devons bâtir un système financier plus sûr, se consacrant davantage à sa mission réelle, qui est de financer l'économie et d'offrir aux investisseurs des produits reposant sur un rapport plus transparent entre le rendement et les risques. Nous devons consolider les avancées obtenues par la France dans les négociations européennes sur la directive sur les marchés d'instruments financiers (MIF) 2 qui a pour objet d'organiser les marchés financiers en Europe : des progrès ont été accomplis pour l'accroissement de la transparence des marchés, notamment par la limitation du trading à haute fréquence. Nous travaillons avec nos partenaires au sein de l'ESMA pour consolider ces améliorations.
Nous essayons de maintenir des équipes de qualité à l'AMF, car elle doit faire face à l'augmentation des tâches que lui confient de nouveaux textes sur la régulation bancaire ou sur celle des matières premières. Nous devons maîtriser nos dépenses et rétablir l'équilibre budgétaire, puisque nous avons accusé un déficit de 6 millions d'euros en 2013, à rapporter à nos 91 millions d'euros de charges.
Il convient enfin d'engager une réflexion sur le dispositif répressif qui repose sur un double niveau de sanctions : elles peuvent être administratives, imposées par la commission des sanctions – le rôle du collège que je préside étant de notifier les griefs sur le fondement des rapports d'investigation établis par les services – et constituées de pénalités financières relativement élevées par rapport aux normes des tribunaux, mais bien inférieures à celles qui sont prononcées dans les pays anglo-saxons ; elles peuvent également être pénales en cas d'abus de marché – manipulation de cours, utilisation d'informations privilégiées ou diffusion de fausses informations. La Cour européenne des droits de l'homme menace ce dualisme en estimant que l'un ou l'autre régime de sanctions peut être appliqué à un cas, mais qu'ils sont exclusifs l'un de l'autre.
Votre rapport consacre quelques pages au financement participatif – le crowdfunding – qui est en plein essor. Comment percevez-vous le développement de ce marché ? Vous avez réalisé des publications d'information pour les professionnels et pour les épargnants. Comment vous assurez-vous de la traçabilité des fonds, du contrôle de leur destination et de l'émission de signaux d'alerte dans leur gestion ?
Nous avons effectué un important travail sur le financement participatif : des règles comme le monopole des banques dans la distribution de crédit ou la protection des épargnants lors d'appels de fonds au marché ou d'appels publics à l'épargne pouvaient être considérées comme des entraves à la collecte de sommes sur Internet pour financer des projets. Après une revue juridique détaillée, il est dorénavant prévu que les plateformes offrant des projets dans lesquels nos concitoyens peuvent investir bénéficieraient d'un statut plus léger que celui des prestataires de services d'investissement qui placent les titres en bourse. Ainsi, elles n'auront pas besoin des fonds propres équivalents ni d'établir des prospectus. Ces règles souples doivent permettre de financer des projets de proximité.
Les encours de crédits aux entreprises représentent environ 800 milliards d'euros, alors que les projets concernés par le financement participatif s'élèvent à quelques dizaines de millions. Néanmoins, le cadre existe et des plateformes sont appelées à se développer grâce à des règles claires pour les prêts, les investissements et les dons. L'investisseur prend tout de même un risque lié au financement en fonds propres d'un nouveau projet et à l'accès aisé à ce marché qui pourrait attirer des personnes peu scrupuleuses. Pour limiter ces incertitudes, nous avons doté les plateformes d'un statut. Ainsi, elles doivent élaborer un exposé du projet : nous voulons disposer de la faculté de sanctionner juridiquement une personne ayant présenté son projet sous un jour trompeur. Nous avons réussi à dégager un équilibre, mais il nous faudra rester vigilants. Ce secteur présente un réel intérêt, car il offre une nouvelle possibilité de lancer des projets, en plus des secteurs du capital-risque ou des business angels.
Les professionnels font état d'une désaffection des épargnants pour les produits risqués, notamment ceux finançant les entreprises, qui ont connu une chute considérable au cours des derniers mois. Comment pourrait-on réinstaurer la confiance et relancer le financement de l'économie réelle ?
La loi de finances pour 2014 a établi un cadre fiscal privilégié pour les investissements réalisés dans des fonds d'actions. Avez-vous constaté un dynamisme du marché de l'assurance en fonds d'actions ?
La commission des sanctions a rendu vingt-sept décisions : l'une d'elles a infligé une pénalité d'un montant de 14 millions d'euros. La diffusion d'informations privilégiées était-elle seule en cause ou y avait-il des vices dans la pratique commerciale ?
La fiscalité sur les actions ne constitue-t-elle pas un biais ? L'investissement direct en actions subit l'entrée des dividendes dans le barème, de même que le poids des prélèvements sociaux. Les épargnants qui souhaiteront investir en actions seront contraints d'utiliser des produits intermédiés comme le plan d'épargne en actions – PEA – ou l'assurance-vie. S'agissant de cette dernière, l'incitation fiscale pour les gros contrats et les donations sera-t-elle suffisamment attractive ?
La désaffection de l'opinion à l'égard du risque représenté par les marchés financiers est un sujet si important que nous avons intitulé notre plan stratégique « Rendre confiance dans la finance ». On peut comprendre que les personnes disposant d'un peu d'épargne à placer se retirent des marchés après des chutes trop brutales ou des scandales tel celui des subprimes. Pour leur redonner confiance, il faut une action de longue haleine. Elles doivent savoir ce qu'on leur propose et être assurées de la transparence et de l'intelligibilité du marché. La finance est nécessaire à l'économie, car sa fonction essentielle réside dans l'allocation rationnelle de l'épargne à l'investissement. Si elle n'exerce pas cette mission ou si elle la conduit avec des excès provoquant des bulles, elle ne rend plus le service économique qui la justifie et devient dangereuse. Il s'agit alors de la rendre plus sûre en augmentant la régulation bancaire et des marchés : c'est ce qui a été fait, mais cette entreprise n'est pas achevée. Il convient également d'expliquer aux épargnants des processus de plus en plus techniques, afin qu'ils disposent d'une information de qualité sur les projets d'investissement. Telle est notre première priorité. Je regrette que les ménages n'aient pas profité de la hausse d'un tiers de l'indice du CAC 40 en 2012 et 2013, et aient même eu tendance à désinvestir sur le marché en actions. Cela a des conséquences sur l'état de l'économie, mais cette tendance s'est inversée au début de cette année.
Alors que des opérateurs de marché américains sont à l'origine de la crise, le modèle de financement de l'économie en Europe continentale évolue d'un système fondé sur le rôle des banques vers une organisation où il faudra davantage compter avec des acteurs des marchés, gestionnaires d'actifs ou assureurs. C'est tout le paradoxe : au moment où l'opinion se défie des marchés, le système économique s'apprête à se reposer davantage encore sur eux.
Les contrats euro-croissance viennent d'être lancés, mais je suis favorable à cette mesure de moyen terme. Les épargnants ne pouvant pas récupérer leur argent n'importe quand, les assureurs gestionnaires des fonds, qui allouaient jusque-là les actifs de manière prudente, pourront investir à plus long terme, et donc davantage sur les marchés en actions. Les textes réglementaires viennent d'être publiés : on ne ressentira pas leur impact économique avant plusieurs mois, voire plusieurs années.
Le cadre du PEA permet à la plupart des ménages, même ceux qui sont assez fortunés, d'investir en actions jusqu'à 400 000 euros, s'ils acceptent un horizon de cinq ans, sans subir d'imposition des dividendes et des plus-values. Le PEA peut comporter des actions en individuel et des OPCVM actions. L'augmentation du plafond de cet instrument et la création d'un instrument jumeau dédié aux investissements dans les PME sont opportunes, mais leur impact ne peut se mesurer, là aussi, qu'à moyen terme. Instrument ancien, le PEA a plafonné historiquement du fait de la défiance envers le marché d'actions. La pénalisation fiscale s'avère plus marquée pour les obligations, qui entrent dans l'assiette de l'impôt sur le revenu – et dont le taux de rémunération se trouve plus faible.
Depuis plusieurs années, les assureurs ont diminué leur détention d'actions et donc leur exposition au risque représenté par les entreprises et au besoin principal du système financier. Le contrat euro-croissance vise à lutter contre cette tendance. De même, les assureurs peuvent dorénavant reprendre des portefeuilles de crédits bancaires afin d'alléger le bilan des banques pour soutenir le crédit aux PME. La Caisse des dépôts et consignations, en partenariat avec les assureurs, a créé des fonds investissant directement en actions sur le marché du compartiment C ou de celui d'Alternext. La conjugaison de ces efforts produira des effets à terme si s'instaure un climat de confiance dans la santé des entreprises et de l'économie.
Les vingt-sept dossiers ont entraîné des sanctions représentant un montant total supérieur à 30 millions d'euros. Leur importance diffère sensiblement : trois cas ont débouché sur des pénalités importantes, dont deux liées à l'utilisation d'informations privilégiées. La difficulté réside dans la détection de l'infraction. La pénalité s'élève à trois fois le profit retiré de la connaissance d'informations privilégiées.
Le fonds Elliott et LVMH ont été sanctionnés à hauteur de 14 millions et de 8 millions d'euros. Geodis a également été sanctionné sur le fondement de la détention d'informations privilégiées.
LVMH n'a pas respecté les règles de transparence au moment d'un investissement dans le capital d'Hermès.
La réforme Bâle III coûte moins cher aux banquiers que la réglementation Solvabilité II aux assureurs. Si un montant de capital détenu par un banquier et calculé avec Bâle III se trouve transféré chez un assureur, le montant sera alors calculé avec Solvabilité II et la charge en capital augmentera. Constatez-vous ce phénomène d'achat des titres de portefeuilles bancaires par des assureurs ?
Vous avez élaboré un rapport économique sur les risques : pourriez-vous nous le transmettre ? Les taux d'intérêt se situant actuellement à un bas niveau, on peut avoir tendance à privilégier des produits risqués pour obtenir davantage de rendement. Des classes d'actifs risqués apparaissent-elles ? Je pense notamment aux variable annuities, produit hybride contenant des éléments liés à la finance, à l'assurance et à l'espérance de vie.
La justice américaine a récemment prononcé une amende très élevée. Les montants que vous appliquez s'avèrent très faibles par rapport aux pratiques outre-Atlantique. Comment l'expliquez-vous ? Cet écart a-t-il vocation à perdurer ? Qui fixe le niveau des amendes décidées par la commission des sanctions de l'AMF et sur quels critères se fonde-t-elle ?
Dans le cas de la sanction du fonds Elliott, à une masse financière de quel ordre la pénalité de 14 millions d'euros s'est-elle appliquée ?
Il s'agissait d'une plus-value de quelques millions d'euros.
Vous nous avez expliqué que les PME recouraient davantage au marché, pour des raisons de moyen et de long termes, alors que j'avais compris de vos propos que l'argent placé en actions était disponible plus longtemps que celui placé par des épargnants qui le retiraient plus rapidement. Or, je pensais que les PME allaient davantage vers les marchés du fait des moindres disponibilités bancaires liées aux ratios prudentiels. Les deux facteurs jouent peut-être simultanément, d'ailleurs.
Les produits de titrisation destinés aux PME se développent, si bien que l'AMF a un rôle à jouer pour apporter une garantie de sûreté pour ces produits. Y a-t-il un risque de shadow banking, c'est-à-dire de voir des masses importantes d'argent se négocier en dehors des ratios prudentiels ?
La taxe sur les transactions financières pourrait-elle affaiblir la place de Paris ?
Avez-vous une perception et une appréciation de l'optimisation fiscale dite agressive ?
Suite à l'affaire Kerviel, la Société générale a bénéficié d'un crédit d'impôt de 1,7 milliard d'euros au motif qu'elle aurait perdu 5,4 milliards d'euros sans que la direction de la banque soit responsable de cette perte. Suivez-vous ce type de dossiers ?
À l'automne dernier, l'AMF a émis un avis favorable au rachat d'Euronext par Intercontinental exchange – ICE –, et une introduction en bourse a suivi. Comment, aujourd'hui, analysez-vous la situation et quelles perspectives envisagez-vous ? La question est importante, car le financement de l'économie dépend aussi de la situation de la place.
Les règles de Bâle III renchérissent le coût de détention, pour les banques, de crédits de durée moyenne ou longue à leur bilan. Les établissements bancaires seront donc portés à faire preuve de davantage de sélectivité. En Europe continentale, les entreprises, en dehors des très grandes, se finançaient jusqu'à récemment à long terme auprès des banques ou par du capital développement ou par le cash flow qu'elles généraient elles-mêmes. Elles recouraient très peu au financement de marché, car elles n'avaient pas accès au marché obligataire. Aux États-Unis, le système bancaire ne conserve pas dans ses bilans les crédits qu'il génère, mais les recycle sur le marché par le biais de différents instruments. Aujourd'hui, les PME ne vont pas massivement sur les marchés, mais un mouvement en ce sens – qui, sans doute, sera long – a bel et bien commencé.
Les assureurs ont diminué le placement de leurs fonds en actions pour se conformer à des ratios de régulation et pour se prémunir des conséquences sur leur bilan de la volatilité du marché d'actions. Ils ne cessent pas pour autant de financer les entreprises, car ils sont incités à acheter des portefeuilles de prêts à des banques ou des produits de titrisation – qui consistent en l'émission de créances en contrepartie de prêts accordés à des entreprises –, puisque les taux d'intérêt y sont plus élevés que pour les obligations des très grandes d'entreprises ou de l'État.
La titrisation a pâti des subprimes : la technique n'était pas en cause, mais on l'a utilisée de façon désastreuse en insérant des créances fragiles dans des portefeuilles tout en donnant l'apparence de transformer des prêts fragiles en obligations sûres. La titrisation de crédits automobiles, immobiliers ou à la consommation n'a jamais posé de problème en France, les opérations étant classiques et entourées de sécurités. La technique de la titrisation s'avère nécessaire, même s'il faut l'employer avec précaution et surveillance : elle permet à des particuliers ou à des épargnants institutionnels de financer l'économie en plaçant de l'argent dans des fonds de prêts et de contrebalancer les effets négatifs de la réglementation – en grande partie justifiée – de Bâle III.
Les assureurs justifient la limitation de leurs investissements en actions par le risque de volatilité comptable, l'exigence en fonds propres et le problème de liquidité lié à la restitution, obligatoire sous certaines conditions et massive, de fonds placés en assurance-vie. Ils adoptent donc un horizon de placement relativement court, ce qui tarit la source des financements à long terme dont l'économie a besoin pour se développer.
Les variable annuities ne sont pas les seuls produits risqués qui se développent. Le niveau très bas des taux d'intérêt incite les investisseurs en quête de rendement important – y compris des particuliers qui ne sont pas spécialistes de ces marchés – à se détourner des obligations d'État ou de grandes entreprises pour se reporter sur des produits financiers exotiques – vin, manuscrits, matières premières, change. Ainsi, plus du tiers de la publicité financière vise à convaincre les Français d'investir sur les produits de change du Forex, alors que cela devrait être déconseillé à un particulier, les risques de pertes étant énormes. Cette situation nous préoccupe, même si certains produits proposés par des banques peuvent rendre service à ceux qui cherchent un rendement élevé et sont prêts à accepter le risque inhérent à ces entreprises. Il convient néanmoins d'être très vigilant. On doit à la fois rassurer l'opinion publique sur le fonctionnement des marchés financiers, répondre aux grands besoins de financement de long terme de l'économie et évoluer dans un contexte de taux d'intérêt bas, qui présente à la fois des avantages et des incitations à ne pas épargner ou à chercher des placements risqués. Il est nécessaire de retrouver les fondements du raisonnement de l'investisseur avisé.
Dans le monde anglo-saxon, il s'opère un changement radical des ordres de grandeur des pénalités financières. En France, celles-ci ont nettement augmenté en valeur absolue, mais elles restent bien inférieures au cas auquel vous avez fait allusion, madame la rapporteure générale, même si les deux affaires ne sont pas comparables. Les régulateurs de marché et prudentiel doivent se demander si les montants que nous appliquons sont pertinents. Pour les sanctions prononcées par l'AMF, les plafonds légaux ont été considérablement augmentés en deux étapes au cours de la dernière décennie : les pénalités peuvent atteindre dix fois le profit réalisé, mais, dans les faits, dépassent rarement trois fois le profit. Par ailleurs, le plafond en valeur absolue est fixé à 100 millions d'euros – contre 10 millions d'euros auparavant – et s'applique si l'infraction n'est pas reliée à un profit. Ce plafond n'a jamais été atteint, mais l'existence d'une limite aussi élevée entraînera une augmentation du montant moyen des sanctions.
Euronext constitue l'un des principaux dossiers sur lesquels nous avons travaillé. La transaction a été bien conduite par l'opérateur boursier américain ICE qui a tenu un discours clair et a acheté un ensemble comprenant trois parties : le LIFFE – London international financial futures and options exchange –, le marché new-yorkais et la partie européenne. ICE a isolé la partie européenne pour la mettre sur le marché et la vendre complètement – à ce jour, il n'en détient plus que 6 %. Du point de vue du régulateur, l'opération s'est bien passée, car des assurances sur la solidité du nouveau management ont été apportées. En outre, nous avons obtenu qu'un noyau dur assure une stabilité au nouvel ensemble en demandant à ICE de ne pas vendre plus de 75 % de la partie européenne tant qu'un acheteur satisfaisant nos exigences n'en avait pas acquis 25 %. Nous nous sommes réjouis que ce seuil d'un quart soit passé à un tiers au cours de l'opération. Les financiers français occupent une place significative aux côtés des acteurs néerlandais, belges et portugais qui se sont engagés pour trois ans. Cela confère au management la possibilité de développer une stratégie d'autonomie, qui permettra d'orienter Euronext vers les entreprises de taille intermédiaire et moyenne. Elle ne réalisera pas ses plus gros profits dans ce secteur, mais elle en accompagnera le dynamisme. Il y a trois ans, j'ai écrit, avec Thierry Giami, un rapport sur les relations entre la Bourse et les entreprises moyennes et les ETI : il mettait en lumière un malaise qui s'est estompé depuis. Cette opération apporte davantage de crédibilité à l'entreprise des marchés face aux entrepreneurs qui envisagent de s'introduire en bourse ou de céder des actions.
Dominique Cerutti, directeur général de ce nouvel ensemble, voit l'occasion, pour son entreprise maintenant autonome, de faire, auprès de ses clients et des investisseurs, la preuve de sa rentabilité et de son efficacité dans la durée. Cela nécessite la conclusion d'alliances, car le développement de l'activité sur différents marchés exigera la poursuite de la restructuration. On peut en effet imaginer que les deux grands acteurs, l'un allemand et l'autre britannique, songent à l'avenir à présenter des offres. Il convient donc de trouver une place sur le marché entre ces deux opérateurs pour représenter une option crédible dans le cadre des futures restructurations de cet univers complexe. Cette première étape constitue en tout cas un succès.
La taxe sur les transactions financières représente une bonne idée pour ceux qui souhaitent taxer la finance, mais elle ne sert pas les intérêts de la place de Paris et aura tendance à avantager les autres places. Si elle frappait toutes les places, elle serait tout à fait envisageable, mais, comme elle ne s'applique qu'à certaines d'entre elles, celles-ci se trouveront exposées au risque de fuite des flux financiers, qui sont très mobiles. Ce mouvement a d'ailleurs déjà commencé, même s'il s'explique par d'autres facteurs.
Membres présents ou excusés
Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 16 juillet 2014 à 17 heures
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, M. Gilles Carrez, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Alain Fauré, M. Marc Goua, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, M. Jean-François Mancel, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin
Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Alain Claeys, M. Marc Francina, M. Jean-Claude Fruteau, Mme Arlette Grosskost, M. Jean Lassalle, M. Patrick Lebreton, M. Marc Le Fur, M. Pierre Moscovici, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Pascal Terrasse