Une loi n’est pas une politique ni un modèle économique et si ce projet, qui transforme profondément la gouvernance de nos systèmes ferroviaires en réunissant le réseau et l’exploitation publique dans un même groupe, tout en étant scrupuleusement eurocompatible, est considérable, il ne peut relever à lui seul tous les défis auxquels le chemin de fer du XXe siècle est exposé : celui de la modernisation et de la régénération d’un réseau qui a longtemps été sacrifié au mirage du prestige du tout TGV, celui de l’optimisation des capacités d’infrastructure, notamment en zone urbaine dense mais également dans les grands noeuds ferroviaires de province, où le fret, la grande vitesse, le TER et le TET se concurrencent de façon parfois incompatible, celui surtout, du modèle économique.
En redoutant la concurrence sur le rail, les Français ou certains cheminots ont des craintes d’arrière-garde et cèdent à un effet « muleta » dont chez moi, nous connaissons l’issue. D’ores et déjà, le rail est littéralement assiégé par la concurrence vers laquelle se tourne une part de plus en plus grande d’usagers qui ne veulent pas payer le prix, pourtant très subventionné, du train – les nouvelles mobilités low cost comme le covoiturage, l’autopartage, le moyen-courrier aérien, le car à haute qualité de service ou encore le transport routier de marchandises.
L’effet « muleta » consiste à ne voir que le chiffon rouge de la concurrence sur le rail, alors qu’il n’existe pas encore, en s’exposant à négliger l’essentiel des défis à relever et des efforts à produire.
À une époque où les budgets publics n’ont plus et n’auront plus la prodigalité du passé, où nos concitoyens sont très largement motorisés, où le maintien de leur niveau de vie passe par le choix du low cost en toutes circonstances, nos chemins de fer doivent faire leur examen de conscience et affronter avec lucidité la réalité d’aujourd’hui plutôt que de cultiver la nostalgie d’hier. Ils ont évidemment un grand avenir dans le cadre des politiques de mobilité multimodale, plus diversifiées, mais à condition d’en accepter les nouvelles contraintes, les concurrences ainsi que les aspirations des usagers.