Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous avons largement débattu en première lecture du projet de loi portant réforme ferroviaire. Le voilà aujourd’hui parvenu au bout de son chemin parlementaire.
Nous l’avons dit en première lecture : nous avons des convictions fortes au sujet du transport ferroviaire, la première ayant trait au caractère illusoire des bienfaits que pourrait apporter la concurrence dans ce secteur très particulier. Il s’agit en effet d’un mode de transport guidé, soumis, en termes d’exploitation, à d’importantes rigidités si on le compare à ses concurrents que sont la voiture, le camion ou l’avion. Il serait donc vain d’en attendre des gains d’efficience comparables à ceux qui ont été constatés dans d’autres secteurs sous l’effet de la concurrence.
Tous les exemples étrangers le démontrent : les paradigmes économiques de l’accroissement de la productivité générale des facteurs lié à l’activation de la concurrence ne lui sont pas directement applicables. C’est par la réorganisation de notre système ferroviaire, avec la préservation d’un opérateur en mesure de remplir l’ensemble des missions de transport avec toutes les contraintes techniques qui s’imposent, que nous réussirons la réforme attendue. C’était l’objectif initial de ce projet de loi, et il est largement atteint après les modifications qui lui ont été apportées au cours de son examen par le Parlement.
Le texte qui va être soumis à nos suffrages est en effet issu des travaux de la commission mixte paritaire, qui s’est réunie mercredi dernier après son examen par le Sénat. Quelle analyse pouvons-nous en faire ?
Les travaux du Sénat ont globalement respecté tous les points d’équilibre auxquels nous étions parvenus sur les sujets sensibles qui avaient animé nos débats en commission comme en séance. En effet, nos collègues sénateurs ont confirmé les modifications substantielles que nous avions apportées au texte initial sur l’intégration sociale du groupe public ferroviaire SNCF, sur le renforcement du rôle du régulateur sectoriel, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, ou ARAF, sur la liberté tarifaire laissée aux régions ou encore sur la clause de revoyure pour le transfert de la propriété des gares de voyageurs. Les sénateurs ont effectué un travail qui, globalement, a plutôt complété et approfondi les avancées permises par l’examen du texte à l’Assemblée. Sur les 150 amendements adoptés au Sénat, certains ont même enrichi le texte de façon significative.
À l’article 1er, je retiens la garantie de la représentation du Parlement au sein du Haut comité du système de transport ferroviaire avec la présence de deux députés et deux sénateurs. Un amendement important, dont l’objet était d’introduire un article additionnel après l’article 1er et qui émanait des sénateurs du groupe UMP, actualise le régime juridique des surtaxes locales temporaires, les SLT, qui consistent en une majoration, assez minime, du prix du billet de train. Cette actualisation va permettre aux gestionnaires de gares et aux collectivités locales concernées de financer des investissements nécessaires dans certaines gares. Cela va plutôt dans le bon sens, à condition que la majoration reste minime et qu’elle ne participe pas à un phénomène de généralisation du transfert du coût vers l’usager, à défaut d’être en mesure d’améliorer l’efficience du système. Nous vous l’avons dit en commission et en séance : les députés du groupe RRDP sont attachés à un assainissement de la situation financière du système ferroviaire, mais il serait déraisonnable que cela se fasse au détriment de l’utilisateur, en allant chercher dans sa poche ce que l’on ne parvient pas à économiser ailleurs. C’est une gestion rigoureuse et l’amélioration de la productivité générale des facteurs qui doivent être les vecteurs de l’assainissement financier.
Sur la mise en place, à l’article 2, de SNCF Réseau, l’un des amendements sénatoriaux adoptés, qui émane du groupe centriste, renforce à nouveau le rôle du Parlement en prévoyant que les ratios qui permettent d’évaluer les projets d’investissements de développement du réseau ferré national seront définis chaque année en loi de finances. C’est une garantie du contrôle parlementaire que nous ne pouvons que saluer, à condition que le Parlement se montre sage et réussisse à concilier la liberté de l’opérateur de réseau et la nécessité d’accorder la priorité à des investissements qui bénéficient à l’ensemble du territoire national.
Le Gouvernement a introduit une amélioration majeure sous la forme d’un article additionnel après l’article 2 bis. Il vise à promouvoir la desserte portuaire par voie ferrée en donnant aux ports les moyens de devenir propriétaires des voies ferrées sur leur domaine. Nous serons en mesure, d’ici à quelques années, d’évaluer cette modification et nous verrons si le recours à la possibilité ainsi offerte se sera généralisé et si l’objectif de l’accroissement de la compétitivité du service aura été atteint. À ce stade, cette modification ne nous paraît pas inutile, d’autant que les ports pourront devenir opérateurs ferroviaires de proximité.
À l’article 3, les sénateurs ont confirmé la compétence de gestion des gares auprès de SNCF Mobilités. Nous ne sommes pas convaincus de la pérennité de cette propriété, et nous pensons que cette situation sera amenée à évoluer. Dans cette perspective, je salue l’amendement adopté à l’article 10 relatif au transfert à SNCF Réseau des biens, droits et obligations attachés aux missions de gestion de l’infrastructure. Cet amendement prévoit d’étudier la possibilité de créer un quatrième EPIC dédié à la gestion des gares, afin de rompre le lien entre SNCF Mobilités et Gares & Connexions.
Pour poursuivre sur l’article 3, je me réjouis de l’adoption de l’amendement du groupe écologiste du Sénat, dont vient de parler notre collègue, sur l’embarquement des vélos non démontés à bord des trains. Il n’est pas tout à fait évident que cela relève du domaine législatif, même si les parlementaires aguerris sont de moins en moins effarouchés par la porosité des frontières entre les domaines respectifs de la loi et du règlement définis par les articles 34 et 37 de notre Constitution, mais, à l’heure où le Tour de France passionne nos concitoyens et offre de magnifiques vues de notre territoire – je pense, tout à fait au hasard, aux étapes de ce week-end dans les Hautes-Alpes –, je voudrais confirmer la volonté des députés du groupe RRDP de promouvoir la mobilité douce et le vélo. Même si cet amendement ne concerne que le renouvellement des matériels roulants, je serai le premier heureux si son adoption permet de favoriser le développement de l’intermodalité des déplacements et le cyclotourisme.
En ce qui concerne l’article 4, relatif à l’ARAF, je veux non seulement saluer la confirmation des amendements adoptés par l’Assemblée, qui l’ont renforcée, mais aussi saluer l’adoption d’un amendement supprimant la présence du commissaire du Gouvernement. Je le fais d’autant plus volontiers que j’avais déposé et défendu ici, avec mon collègue Paul Giacobbi, un amendement identique ; cette disposition n’avait alors pas rencontré le succès qui fut ensuite le sien au Sénat. Les députés du groupe RRDP croient dans la nécessité de faire de l’ARAF un régulateur fort et indépendant, a fortiori dans un système de transport ferroviaire complexe. Nous vous l’avons dit : nous ne voulons en aucun cas transformer le régulateur en gestionnaire. Or ce peut être sa tentation naturelle, et nous devons être vigilants. Nous sommes conscients que la question des pouvoirs du régulateur est complexe, mais nous devions avancer, et nous l’avions déjà largement fait au cours de nos débats, en donnant à 1’ARAF les moyens d’exercer pleinement son rôle de régulateur. L’objectif est de garantir un accès égal au système de transport ferroviaire, notamment au réseau.
Aujourd’hui, il n’existe pas de commissaire du Gouvernement auprès de l’ARAF. Il serait contradictoire de lui en imposer un au moment où l’on élargit ses pouvoirs. En dépit de certaines tentatives, qui se sont d’ailleurs révélées des échecs sous la précédente législature, je pense par exemple à l’ARCEP, le sens de l’Histoire, c’est l’indépendance des régulateurs. La solution retenue au Sénat et acceptée par le Gouvernement est équilibrée et sécurise le texte au regard du droit de l’Union européenne. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir finalement été sensible à nos arguments en modérant votre opposition à cet amendement, même si cela s’est produit au palais du Luxembourg. La rédaction retenue oblige l’Autorité à consulter le Gouvernement afin de connaître son point de vue et ses analyses sur les décisions qu’elle doit prendre. C’est ce qu’elle fait déjà aujourd’hui, c’est ce qu’elle continuera donc de faire demain.
À l’article 5, les sénateurs ont modifié des dispositions concernant SNCF Mobilités afin que la situation du fret ferroviaire soit mieux prise en compte dans le contrat conclu entre la nouvelle entité et l’État. C’était clairement une lacune du texte adopté à l’Assemblée. Nous connaissons la situation du fret, il est indispensable qu’il soit l’objet de la négociation du contrat et qu’il parvienne à se redresser avec une réflexion globale sur tous les facteurs qui le freinent aujourd’hui.
Ensuite, en ce qui concerne les autorités organisatrices de transport régionales, sujet important, les sénateurs ont modifié par deux amendements l’article 5 bis relatif aux compétences et prérogatives des régions. Un amendement socialiste permet désormais à l’autorité organisatrice régionale de reprendre le matériel roulant, tout en maintenant sa mise à la disposition de SNCF Mobilités. Le matériel sera considéré comme un bien de reprise. Cela complète nos travaux, qui avaient déjà permis aux autorités organisatrices régionales des transports ferroviaires de récupérer, si elles le souhaitent, la propriété des matériels roulants qu’elles ont déjà financés.
Au sujet de l’instauration d’un versement transport interstitiel au profit des régions, je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous pensez que la réforme ferroviaire ne doit pas être le cadre du débat sur le financement des collectivités territoriales. Rassurez-vous : nous n’allons pas disserter sur l’article 72-2 de la Constitution qui consacre l’autonomie financière dans la libre administration des collectivités territoriales. Cet article a déjà été trop malmené et le Conseil constitutionnel a dû jouer plusieurs fois l’acrobate pour ne pas censurer des dispositions de plusieurs lois de finances. Théoriquement, il n’est pas impossible que vous ayez raison et, dans un monde parfait, nous n’aurions pas besoin d’une réforme ferroviaire pour créer un versement transport, mais nous sommes convaincus que ce financement a une légitimité car nous observons le décalage croissant entre les compétences qui s’accumulent confiées aux régions et leurs ressources propres qui diminuent. Ce n’est pas soutenable.
Pour conclure sur l’analyse de ces amendements adoptés au Sénat qui ont complété le texte que nous nous apprêtons à voter, je tiens enfin à vous dire ma satisfaction quant à l’adoption de l’amendement à l’article 12 relatif à la poursuite des contrats de travail des agents de la SNCF et de RFF. Il s’agit de maintenir des avantages des salariés de RFF, notamment en faisant passer de six à huit mois le délai fixé pour exercer le droit d’option.
Au final, les députés du groupe RRDP sont satisfaits du travail parlementaire effectué avec vous, monsieur le secrétaire d’État, et sous la houlette du rapporteur Gilles Savary, ils sont satisfaits du texte présenté aujourd’hui. La réforme de notre système de transport ferroviaire était nécessaire et urgente. Le texte final réussit à assurer la cohérence du système et le respect de nos engagements européens. Il apporte des réponses concrètes aux difficultés importantes que nous connaissons et marque enfin le retour de l’État stratège en instaurant des outils adaptés pour un renforcement durable de notre chemin de fer.
À l’heure où le système ferroviaire est l’objet de fortes critiques, je tiens à dire à nouveau, au nom des députés de mon groupe, notre attachement au monde cheminot et au grand groupe public SNCF. Le chemin de fer français a une belle histoire, une tradition d’excellence, un savoir-faire réputé, il est l’un des meilleurs du monde. Tout au long du débat en première lecture, nous avons fait le constat des dysfonctionnements qui l’affectent. Aujourd’hui, nous pensons que ce texte comporte des outils et solutions adaptés pour y remédier, au moins en grande partie. Il permettra d’améliorer à la fois la productivité et la sécurité, au meilleur coût pour les collectivités et pour les utilisateurs.
Dans ces conditions, les députés du groupe RRDP réaffirment leur fierté du système ferroviaire français, ils soutiennent cette réforme et voteront ce texte pour lui donner toutes les chances de relever les défis qui l’attendent.