Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 15 juillet 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

Je tenais à vous présenter dans un délai rapide un bref compte-rendu de la mission que j'ai conduite en Ukraine du 3 au 6 juillet 2014, qui s'est avérée particulièrement intéressante, même si elle a eu lieu dans le cadre d'une situation encore fluctuante.

J'étais pour cette mission accompagnée de notre Collègue Rémi Pauvros, président du groupe d'amitié France-Ukraine, et de plusieurs membres de notre groupe de suivi sur la « Proximité orientale » de l'Union : Bernard Deflesselles, Marie-Louise Fort, Jérôme Lambert et Joaquim Pueyo, qui est également vice-président du groupe d'amitié France-Ukraine.

Au cours de cette mission, qui nous a conduits à Kiev et à Odessa, nous avons eu de nombreux contacts et entretiens.

À Kiev nous avons donc eu des entretiens avec :

– la Première vice-ministre des affaires étrangères ;

– des membres de la Commission pour l'intégration européenne de la Rada (le Parlement monocaméral ukrainien) ;

– le représentant à la Rada des Tatars de Crimée, province annexée par la Russie et dans laquelle il lui est interdit de retourner ;

– des députés du groupe d'amitié Ukraine-France ;

– l'ancien ministre des affaires étrangères de Mme Timochenko et actuel président de la sous-commission parlementaire pour l'intégration euro-atlantique ;

– des chefs d'entreprises françaises installées à Kiev ;

– des directeurs de Think Tanks ;

– des spécialistes des questions d'énergie et d'environnement, au cours d'une table ronde sur « l'efficacité énergétique » ;

– des journalistes, un « point presse » ayant été organisé (au Centre de presse ukrainien de crise) ;

– des représentants de la communauté française ;

– des représentants de la « société civile » : je tiens en effet particulièrement, lors de mes déplacements dans de telles missions, à rencontrer ces représentants de la société civile, qui sont les plus à même de nous donner « le baromètre » de l'opinion publique dans le pays et leur appréciation des évolutions en cours.

Nous avons par ailleurs eu à Odessa des contacts et entretiens avec :

– le vice-gouverneur d'Odessa et l'adjoint au maire d'Odessa ;

– un jeune député, membre du Conseil régional, pressenti pour devenir peut-être le prochain gouverneur d'Odessa ;

– le directeur et des membres de l'Alliance française. Je profite de ce compte-rendu pour relayer leur appel à une aide financière, notamment via les « réserves parlementaires » ; il n'y a d'ailleurs pas que l'Alliance française d'Odessa qui rencontre des difficultés financières ;

– et là encore, bien entendu, des représentants de la société civile et des « activistes pro-Maïdan ». Il y a en effet des « pro-Maïdan » dans à peu près toutes les villes.

Par ailleurs, nous sommes, durant cette mission, restés en contact avec des membres de notre ambassade et notre ambassadeur, qui nous ont apporté des éléments d'information sur l'évolution de la situation en Ukraine.

Quels principaux enseignements pouvons-nous tirer, dans l'immédiat, de cette mission ?

Sans recenser toutes les problématiques évoquées, quelques premières impressions se dégagent, mes collègues me compléteront ensuite sur ce point :

– Il est primordial que le Président Petro Porochenko, élu le 25 mai dernier, dispose rapidement d'une majorité sur laquelle s'appuyer à la Rada. Pour cela, il faut que les élections législatives anticipées, prévues en principe le 26 octobre 2014, puissent effectivement avoir lieu. Si la condition d'amélioration de la situation dans l'Est du pays semblait, lors de notre mission, en voie de réalisation (reprise par les autorités ukrainiennes du contrôle de la ville de Slaviansk), il n'est pas acquis que la Rada accepte de se dissoudre … En effet, comme cela nous a été expliqué sur place, les conditions de dissolution par le Chef de l'État ne sont pas réunies. Or, il n'est pas évident que des députés élus en 2012 acceptent de « s'auto-dissoudre », d'autant plus que le système en place favorisait jusqu'à présent « l'achat de sièges », et que donc ces élections leur ont coûté sans doute parfois fort cher … De plus, il semble bien que certains craignent même pour leur vie s'ils prennent ce risque.

Nous avons beaucoup insisté, notamment auprès des représentants des ONG, sur la nécessité de maintenir une « pression » pour que ces élections puissent avoir lieu et je pense que la communauté internationale doit également rester vigilante sur ce point . Le Président Porochenko bénéficie actuellement d'une légitimité certaine, tant au niveau interne qu'international (du fait des bonnes conditions de tenue de l'élection présidentielle du 25 mai), mais cette légitimité ne durera pas s'il n'est pas en mesure de faire passer dans des délais suffisamment rapides les paquets de réformes attendues par la société civile, notamment en matière de lutte contre la corruption, véritablement institutionnalisée à tous les niveaux (accès à la santé, à l'éducation etc..) et dont souffre beaucoup la population.

– L'accord d'association signé avec l'Union européenne le 27 juin dernier permettra une véritable coopération avec l'Ukraine et comporte des dispositions dans de très nombreux domaines qui lui permettront, conformément à ses aspirations, de se rapprocher de l' Union. Il faudrait néanmoins pour cela qu'il soit ratifié, outre par les États membres, par l' Ukraine elle-même. Or, nous avons été informés, lors de cette mission, que cela n'était pas du tout acquis : il ne semble pas y avoir – jusqu'à présent – de majorité claire en ce sens à la Rada. Il convient néanmoins de rester optimistes : les députés devront demeurer disponibles durant l'été, en cas d'inscription à l'ordre du jour du projet de loi de ratification. À défaut, il devra être ratifié par l'Assemblée issue des élections anticipées, d'où l'importance également de la tenue rapide de ces élections.

– Nous avons dû, à plusieurs reprises, rappeler à nos amis ukrainiens qu'association et adhésion sont deux processus différents, car une certaine confusion persiste sur ce point, et pas seulement dans la population et parmi les ONG. Nous avons simultanément reçu le message qu'il ne fallait pas enlever à cet égard tout espoir à l'Ukraine et nous nous sommes donc positionnés sur la ligne suivante : mettons d'abord en oeuvre l'accord d'association, avec ses multiples potentialités, et lorsque ce sera fait, alors nous verrons, en fonction de la capacité de l'Union européenne à dépasser ses problèmes actuels. Si vous avez lu le discours de M. Juncker paru aujourd'hui, il a précisé qu'il n'y aurait pas de nouvelles adhésions dans les cinq ans à venir.

– De même, nous avons été interrogés à de nombreuses reprises sur la question de la livraison des Mistral à la Russie. Notre réponse a été qu'il s'agit d'un contrat conclu de longue date et qu'il est donc nécessaire pour la France de le mener à terme, mais qu'en tout état de cause ce n'est pas la livraison de ces deux navires qui sera susceptible d'influer sur l'issue de la crise entre la Russie et l'Ukraine. Cette livraison ne doit en aucun cas être interprétée comme une manifestation de soutien de la France à Vladimir Poutine.

Nos amis Ukrainiens ont semblé très sensibles au fait que nous leur assurions que la France et le peuple français avaient, dans cette crise, pris clairement le parti de l'Ukraine. Nous leur avons également expliqué que l'Allemagne n'a pas soutenu davantage l'Ukraine que ne l'a fait la France, contrairement à une idée qui semble répandue.

Eux-mêmes tenaient avant tout à nous faire passer le message suivant : contrairement à ce qu'affirme la propagande russe, il n'y a pas à l'heure actuelle de guerre civile en Ukraine, mais bien une guerre de la Russie contre l'Ukraine. Ils étaient visiblement inquiets de l'impact auprès des Français de cette propagande russe : nous avons donc pu les rassurer sur ce point. Nous leur avons néanmoins rappelé qu'il nous fallait maintenir le dialogue avec la Russie.

J'ajouterai que ce qui m'a frappée à Odessa, c'est que le tourisme est en souffrance et que des intérêts économiques sont en jeu, y compris pour les Ukrainiens, qui n'ont à cet égard eux-mêmes pas intérêt à ce que tout dialogue avec la Russie soit rompu.

Je souhaiterais maintenant passer la parole à mes collègues et d'abord à Rémi Pauvros, en sa qualité de président du groupe d'amitié France-Ukraine, pour qu'il complète ce premier compte-rendu.

Je souligne que lors de cette mission nous avons tous parlé de la façon la plus complémentaire possible, rappelant que nous représentions la diversité de l'échiquier politique. Et que nous devrons, dans le cadre du groupe « Proximité orientale », dialoguer aussi avec la Russie.

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