Les conclusions que je vous propose portent sur le paquet législatif relatif au clonage des animaux d'élevage présenté par la Commission européenne en décembre dernier.
Le clonage animal n'est aujourd'hui pas pratiqué à des fins alimentaires dans l' Union européenne. Toutefois, cela ne signifie pas que les consommateurs européens ne consomment pas déjà des denrées issues de descendants d'animaux clonés ! Par exemple, en 2010, une enquête de l'Agence britannique de sécurité des aliments avait révélé que la viande de la progéniture d'une vache clonée aux États-Unis avait été consommée au Royaume-Uni.
Ce sujet du clonage n'est pas nouveau dans l'agenda européen. En 2008, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement visant à réviser le règlement relatif aux nouveaux aliments. Cette proposition comportait une disposition relative aux denrées issues d'animaux clonés, prévoyant que celles-ci soient soumises à une autorisation spécifique préalable avant de pouvoir être mises sur le marché. Alors que le clonage n'était pas au coeur de la proposition de règlement, ce sujet est rapidement devenu un point de blocage lors des négociations. En effet, le Parlement européen, très hostile au clonage, a amendé la proposition de règlement afin d'interdire la pratique du clonage ainsi que la mise sur le marché d'aliments issus d'animaux clonés et de leur descendance. Une procédure de conciliation s'est engagée entre les deux législateurs, mais a échoué en mars 2011 du fait de dissensions majeures sur la question de l'étiquetage obligatoire des denrées alimentaires issues de descendants d'animaux clonés.
Plus de deux ans après cet échec, la Commission européenne a présenté en décembre dernier un « paquet législatif » composé de trois textes : une proposition de règlement relative aux nouveaux aliments sur laquelle notre commission s'est déjà prononcée, une proposition de directive relative au clonage des animaux d'élevage et une proposition relative aux denrées alimentaires issues d'animaux clonés.
Le texte relatif au clonage des animaux d'élevage prévoit d'interdire provisoirement, pour une durée qui n'est toutefois pas précisée, le clonage des animaux des espèces bovine, porcine, ovine, caprine et équine élevés ou reproduits à des fins agricoles.
La proposition exclut explicitement d'autres motifs du champ d'application de la directive : la recherche, la production de médicaments, la conservation des races rares ou des espèces menacées, des manifestations culturelles et sportives. Les personnes auditionnées m'ont par exemple indiqué que le clonage était notamment pratiqué pour les chevaux de course.
La proposition interdit également la mise sur le marché, y compris à l'importation, d'animaux et d'embryons clonés. En revanche, elle n'interdit pas l'importation de matériel reproductif d'animaux clonés, afin de garantir, selon la Commission européenne, l'accès des éleveurs et des sélectionneurs à du matériel génétique compétitif.
Le deuxième texte interdit provisoirement la mise sur le marché de denrées alimentaires obtenues à partir d'animaux clonés.
Quels sont les dangers liés à la consommation d'aliments issus de clones ou de leurs descendants ?
Du seul point de vue de la sécurité alimentaire, rien n'indique aujourd'hui qu'il existe des différences entre la viande et le lait obtenus à partir d'animaux clonés ou de leur descendance et ceux issus d'animaux conçus de manière traditionnelle.
Si la consommation de denrées issues d'animaux clonés et de leurs descendants n' est pas un danger pour les humains, elle pose toutefois des questions éthiques liées au bien-être animal. En effet, lors de la gestation, les mères de substitution souffrent notamment de dysfonctionnements placentaires. Le syndrome du « gros veau » est particulièrement courant : le placenta et le foetus se développent de manière anormale, avec une taille et un poids très élevés et des organes hypertrophiés. Ces souffrances sont également importantes une fois les animaux nés, avec une mortalité très forte. À l'INRA par exemple, 30 % des veaux nés vivants meurent avant l'âge de trois mois. En revanche, après les premiers mois, les animaux survivants sont « normaux » : aucune différence en matière de santé n'apparaît par rapport aux animaux issus d'une reproduction naturelle. Le bien-être animal doit évidemment être pris en compte afin d'évaluer l'intérêt du clonage animal à des fins alimentaires.
Enfin, le clonage ne répond absolument pas aux attentes des consommateurs européens. Selon un rapport Eurobaromètre publié en 2008, 58 % des consommateurs européens seraient même fondamentalement opposés au clonage animal à des fins alimentaires.
Quels pays pratiquent le clonage à des fins agricoles aujourd'hui ?
Selon la Commission européenne, il n'existe pas en Europe de pratique de clonage à des fins alimentaires. Aucune demande d'autorisation de mise sur le marché de denrées alimentaires issues d'animaux clonés n'a jamais été introduite auprès de l'EFSA.
En revanche, le clonage d'animaux d'élevage est pratiqué sur le territoire d'États tiers, et notamment aux États-Unis, en Australie, au Brésil et au Canada.
Aux États-Unis, la « Food and Drug Administration » a déclaré en janvier 2008 qu' elle considérait les clones de bovins, de porcins et de caprins et leurs descendants totalement sûrs. L'administration américaine a instauré malgré cet avis un moratoire sur la viande issue d'animaux clonés, mais ce moratoire ne concerne pas les produits issus des descendants de clones. 1 100 clones de bovins existeraient actuellement aux États-Unis.
Le clonage est également pratiqué de manière certaine en Australie, en Argentine, au Brésil et au Canada, mais une grande opacité règne sur l'étendue de cette pratique, essentiellement due au comportement des quelques entreprises de biotechnologie clonant des animaux d'élevage.
Quel est le sens de la proposition de conclusions que je vous présente aujourd'hui ?
Je tiens à souligner l'hypocrisie de la proposition de la Commission européenne, qui ne répond pas au vrai problème avec ce paquet législatif.
En effet, la technique du clonage étant très coûteuse - le coût d'un clone de bovin est estimé à 25 000 dollars environ aux États-Unis -, les clones ne sont pas produits dans l'objectif d'obtenir de la viande ou du lait mais uniquement dans un objectif de reproduction.
La véritable question réside donc dans le problème des descendants de clones. Or, la proposition de la Commission européenne va moins loin que la position du Conseil de 2011, qui proposait la mise en oeuvre d'un système de traçabilité pour le matériel reproductif et les descendants d'animaux clonés, ainsi qu'un étiquetage de la viande fraîche issue des descendants de bovins clonés.
Légiférer sur les descendants d'animaux clonés est ambitieux mais nécessaire.
Contrairement aux OGM, que l'on peut déceler dans un produit dès lors que l'on connait la séquence de la modification génétique, il n'existe actuellement aucun moyen technique pour distinguer un clone ou ses descendants d'un animal issu de techniques classiques de reproduction.
L'identification des descendants de clones est donc possible dans l'Union européenne, où le système de traçabilité est déjà exigeant, mais est beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre pour les importations : une traçabilité complète des animaux clonés, de leur matériel reproductif et des denrées alimentaires obtenues à partir de ces animaux seraient des préalables nécessaires à la mise en oeuvre d'un tel étiquetage.
La mise en place d'une législation spécifique sur les descendants d'animaux clonés nécessiterait donc de repenser nos relations commerciales avec les partenaires commerciaux de l'Union européenne susceptibles de mettre des produits issus du clonage sur le marché. Des accords spécifiques pourraient être passés avec ces États tiers afin qu'ils garantissent de ne pas exporter de produits issus d'animaux clonés.
Il me semble évident que les très fortes réticences de la Commission européenne sur ce sujet sont directement liées aux négociations du traité de libre-échange avec les États-Unis. Notre commission avait déjà évoqué la question du clonage et la nécessité de respecter les préférences collectives des consommateurs européens lors de nos travaux sur le traité.
En matière de libre-échange, le risque de contentieux devant l'OMC est également une contrainte. Toutefois, selon un avis rendu par le service juridique du Conseil en 2011, une simple mesure d'étiquetage des descendants de clones pourrait être considérée comme légitime par l'OMC.
Enfin, je souhaite attirer votre attention sur la base juridique choisie par la Commission européenne pour ces deux propositions de directive. En effet, la proposition de directive relative à la technique du clonage est fondée sur l'article 43 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatif à l'agriculture. En revanche, la Commission européenne a choisi d'avoir recours pour la deuxième directive à la « clause de flexibilité ». Selon cette clause, lorsqu'une action correspond à un ou plusieurs objectifs du traité mais que le traité n'a pas prévu les pouvoirs d'action correspondant, le Conseil peut statuer à l' unanimité. Dans ce cas, le Parlement européen est simplement consulté via une procédure d'approbation : il ne peut pas amender la proposition de texte. Au vu des positions très fermes du Parlement européen contre le clonage, le choix de cette base juridique est évidemment très ambigu.
Je me permets d'ajouter que dans le programme proposé par M. Jean-Claude Juncker aujourd'hui, il a affirmé - je cite : « je ne sacrifierai pas les normes européennes de sécurité, de santé, les normes sociales, les normes de protection des données ou notre diversité culturelle sur l'autel du libre-échange. Notamment la sécurité alimentaire et la protection des données personnelles seront pour moi non-négociables ». C'est une déclaration, nous attendons les faits.