Intervention de François-Michel Lambert

Séance en hémicycle du 21 juillet 2014 à 21h30
Économie sociale et solidaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois-Michel Lambert :

Madame la ministre, au nom du groupe écologiste, je tenais à vous remercier, ainsi que Valérie Fourneyron, qui vous a précédée, pour la qualité de votre écoute. Je tiens également à remercier tout particulièrement Benoît Hamon, qui a donné à ce texte une impulsion que vous avez su saisir, ainsi que les équipes des cabinets ministériels qui ont suivi son élaboration ainsi que le travail parlementaire. Ce projet de loi est historiquement le premier texte relatif à l’économie sociale et solidaire soumis au Parlement. La méthode retenue pour son élaboration ainsi que les auditions menées à l’Assemblée nationale par sept commissions – une première ! – permettent de dire que la très grande majorité des acteurs reconnaissent la qualité du texte.

L’économie sociale et solidaire, née au milieu du XIXe siècle, est un atout pour notre pays et un moteur pour l’emploi. La présente loi va nous permettre de réaliser un saut qualitatif et quantitatif dans un secteur très dynamique de notre économie. En effet, le nombre d’emplois de l’économie sociale et solidaire augmente en moyenne de 0,9 % par an depuis plus de douze ans, en dépit des crises et alors même que l’économie traditionnelle ne cesse de perdre des emplois, y compris ces dernières années. L’ESS a donc beaucoup mieux résisté. Elle représente aujourd’hui 10 % de l’activité et plus de 2,2 millions d’emplois. C’est aussi une économie ancrée dans les territoires, dans l’économie réelle, et qui fait appel à l’initiative citoyenne. Elle propose souvent des emplois non délocalisables, dont l’objectif premier n’est pas le profit mais bien de répondre aux besoins fondamentaux des citoyens, avec une gouvernance plus démocratique et une gestion spécifique qui privilégie l’investissement et la préservation de l’avenir, ainsi qu’une limitation de l’écart des salaires.

L’économie sociale et solidaire porte aussi un nouveau regard sur la richesse, en y intégrant des valeurs sociales, culturelles, spirituelles même : elle donne un nouveau sens à l’acte d’entreprendre, en ne limitant pas sa valeur à celle de la marchandise et de l’argent. Il est bon de le réaffirmer à cette tribune, tant la recherche avide de l’argent peut dévoyer les entreprises, et même les partis politiques les plus respectables. Tournée vers l’avenir, l’économie sociale et solidaire est un secteur où l’innovation technologique est fortement présente. Elle devrait apporter à l’activité économique dans son ensemble les ressorts qui lui manquent pour construire une société plus juste, plus solidaire, plus démocratique et, partant, plus humaine et plus stable. Les concepts de responsabilité sociale, d’innovation sociale, de circuit court, d’économie collaborative ou d’économie circulaire irriguent désormais une partie de la sphère lucrative. Ce phénomène va s’accélérer pour le bien de tous.

Les écologistes s’investissent depuis longtemps dans l’économie sociale et solidaire, dans des associations, des SCOP, dans leur organisation même ou au niveau régional. Un projet de loi avait été élaboré au début des années 2000 par Guy Hascoët, ancien député écologiste et secrétaire d’État dans le gouvernement de Lionel Jospin. Il est resté, hélas, dans les tiroirs après le changement de majorité en 2002. Dix ans dans un frigo ! Il était donc urgent de renforcer ce secteur en lui donnant les moyens juridiques qui lui manquaient. Les écologistes se félicitent que ce gouvernement ait tenu ses engagements avec un texte ambitieux et novateur.

Je veux rappeler quelques-unes des nombreuses innovations de ce texte. Il donne, par exemple, une définition inclusive de l’économie sociale et solidaire, qui vise à intégrer en son sein un champ large d’activités et de modes de fonctionnement. Les articles 1er et 2 vont clairement dans ce sens, tout en restant exigeants sur le fond, en fixant des limites précises. La diversité des acteurs est reconnue, puisque vont relever de l’ESS les acteurs historiques – associations, coopératives, mutuelles ou fondations – mais aussi les entreprises sociales qui auront fait le choix de respecter les principes fondateurs du secteur. L’économie sociale et solidaire ne se résume donc pas à un statut juridique. Certains éléments apportent une sécurisation juridique indispensable vis-à-vis des tiers, comme les prêteurs et les financeurs publics ou privés. Il était aussi important que ce texte définisse enfin ce qu’est une subvention.

La loi va également aider à la reprise d’une entreprise par les salariés. C’est, là aussi, un facteur d’innovation à la fois sociale et économique. Aujourd’hui, la reprise par les salariés est très difficile, dans la mesure où ils n’ont que peu de moyens pour réagir ou envisager de le faire. Ils seront désormais informés en amont. Le délai, deux mois, reste court : nous aurions préféré qu’il soit plus long, avec des moyens pour préparer le dossier de reprise ; cependant, le dispositif dans son ensemble paraît intéressant.

Un autre point fort de la loi a trait à l’épargne solidaire et à la reconnaissance des monnaies locales complémentaires. Les ajustements nécessaires ont été apportés lors du débat parlementaire pour permettre à l’ensemble des monnaies locales existantes d’être reconnues. Je remercie une nouvelle fois le Gouvernement pour sa capacité à travailler avec le Parlement et à intégrer ses propositions. Nous saluons aussi l’inscription dans la loi de la possibilité de co-construction des politiques publiques territoriales. Il s’agit là de véritables appels à initiatives.

La création des pôles territoriaux de coopération économique doit être saluée, car ils vont faire émerger des projets cohérents dans les territoires, dans le respect des valeurs de l’économie sociale et solidaire et en irriguant l’économie classique. Nous saluons aussi, à l’article 4, le renforcement des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, les CRESS, qui interviennent en co-existence avec les agences régionales de développement de l’ESS, sans que les unes n’empiètent sur les autres. En revanche, nous regrettons très profondément que les dispositions relatives à la reconnaissance des agences régionales de l’économie sociale et solidaire, qui avait été acquise lors de la deuxième lecture de la loi à l’Assemblée nationale, aient été retirées du texte issu de la CMP. Ces agences fonctionnent et ont une activité très positive pour les territoires. Nous perdons une occasion de le reconnaître, avec les avantages que cela aurait comporté. Nous approuvons le contenu de l’article 9 sur la promotion des achats publics socialement responsables.

Nous restons convaincus qu’il est nécessaire d’aller vers des clauses relatives au développement durable. Je pense à l’intégration de critères de l’économie circulaire, tels que l’économie de la fonctionnalité, le réemploi et la réutilisation. Il faudra bien que la commande publique, qui est un formidable levier d’action dans notre territoire et notre économie, les prenne un jour en compte. De même, inclure des critères de proximité favorisera le développement des circuits courts. À cet égard, nous nous réjouissons que l’article 49 relatif à la bonne gouvernance des éco-organismes prévoie que ces derniers doivent mettre à disposition une partie de leur collecte pour une réutilisation et non pour un recyclage simple.

De même, les dispositions sur le commerce équitable vont permettre d’engager une dynamique de développement, y compris entre pays du Nord. C’est d’ailleurs ce que demandaient les acteurs du secteur.

Nous aurions souhaité que l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » puisse être donné d’un commun accord entre les régions et les représentants de l’État. Ce n’est pas le choix qui a été fait.

Nous aurions souhaité un dispositif pour éviter que le label ESS permette à certains grands groupes de se donner une caution sociale non justifiée – pour éviter le social washing. Nous aurions également souhaité qu’un lien plus fort soit établi entre l’économie sociale et solidaire et l’environnement. Ces deux notions sont étroitement imbriquées et je ne doute pas qu’un jour proche, nous pourrons parler d’économie sociale, solidaire et environnementale.

Enfin, je rappelle que cette loi, qui est bienvenue, ne saurait pour autant dégager l’État de ses responsabilités, madame la ministre. Elle sera insuffisante si elle reste fermée sur elle-même, si elle ne s’inscrit pas dans l’ensemble des politiques publiques et budgétaires. Nous nous égarons si nous oublions que l’ESS est un moyen puissant de redémarrage de notre économie, en partant du terrain, des territoires.

Vous l’aurez compris, nous considérons que ce projet de loi est un bon texte et une très belle avancée. Nous, écologistes, l’attendions depuis plus de douze ans ! Alors, nous l’approuvons et nous le voterons. Mais cela a été bien long, et ce n’est pas faute d’avoir milité en sa faveur.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion