Malheureusement, nous le savons tous, les réalités sont plus compliquées, et je voudrais citer le livre de votre ancien collègue, Jérôme Guedj. Son « Plaidoyer pour les vieux »prouve que l’on peut à la fois appeler un chat un chat et défendre avec amour et détermination une politique publique généreuse.
La prise en charge publique de la vieillesse, tout comme l’évolution démographique de notre société, n’est pas nouvelle. Dès le XVIIIe siècle s’est amorcée une transition démographique lente, mais décisive, qui va progressivement installer la prise en charge collective d’une vieillesse de plus en plus institutionnalisée. Cette prise en charge est essentiellement sanitaire. Mais le temps où la vieillesse était uniquement considérée au travers du prisme de la dépendance ou du dénuement est derrière nous. La politique initiée en 2001 a impulsé un véritable changement de paradigme.
Le projet de loi que nous présentons aujourd’hui avec Marisol Touraine emprunte la voie ouverte par Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d’État aux personnes âgées en 2001 et maintenant présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
Dans cette voie nous voulons aller encore plus loin : consolider et élargir les droits de la personne en perte d’autonomie – c’est l’accompagnement des bénéficiaires de l’APA et de leurs aidants – ; anticiper et prévenir la perte d’autonomie ; adapter la ville, le logement, les transports au vieillissement.
Je tiens à dire à Michèle Delaunay, que je vois parmi vous, qu’elle peut être fière du travail accompli et qu’elle restera une grande ministre des personnes âgées. Si nous sommes en voie d’adopter ce dont nos prédécesseurs – les siens, les miens, et ceux de Marisol Touraine – ont rêvé sans jamais aboutir, c’est aussi en grande partie grâce à son infatigable détermination. Elle a su mobiliser tous ceux qui avaient pensé l’adaptation de notre société au vieillissement, en particulier Luc Broussy, le Dr Aquino et notre rapporteure, Martine Pinville, dont les rapports ont nourri la concertation.
Car la loi sur le vieillissement est très attendue. Elle est attendue par ceux qui sont déjà vieux aujourd’hui, par ceux qui ne le sont pas encore mais s’inquiètent de leur vie à venir, par leurs familles, par les élus locaux et les professionnels.
Ce texte est essentiel, car il porte les valeurs d’égalité, de justice sociale, de solidarité et de respect de l’autre qui inspirent l’ensemble de nos politiques sociales. Essentiel, il l’est aussi car il porte sur un enjeu majeur et durable. Sur ce sujet, et malgré un contexte budgétaire contraint, nous avions le devoir d’avancer et nous le faisons. Essentiel, il l’est enfin car il crée à la fois des droits nouveaux dès sa promulgation et car il a la qualité de loi de programmation et d’orientation. C’est un texte qui porte loin.
C’est un texte très moderne, irrigué par une réflexion fine – qui d’ailleurs évoluera – à laquelle chacun peut contribuer : qu’est ce qu’avoir 65 ans, 80 ans ou plus de 90 ans aujourd’hui ? C’est un texte qui se glisse dans la fluidité de la vie.
En effet, la vieillesse n’arrive pas brutalement un beau matin du soixantième, soixante-dixième, ou quatre-vingtième anniversaire ; elle ne frappe pas à la porte le jour de votre retraite. Être vieux, ce n’est ni aller « du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit » – comme le chantait Brel – ni s’accrocher à une caricature du jeunisme. Si notre regard doit évoluer, il ne doit pas pour autant remplacer un stéréotype par un autre. Il ne faut pas infliger aux âgés ce que l’on inflige aux femmes : des images de magazine inatteignables.