Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteure, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, ce projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement est une marche montante dans la prise en compte de la transition démographique.
Je tiens à remercier d’emblée Jean-Marc Ayrault, sans lequel cette loi n’aurait pas vu le jour, et l’actuel Premier ministre, Manuel Valls, qui a voulu qu’elle ouvre notre année parlementaire. Je salue, de la même manière, madame Paulette Guinchard qui, il y a dix ans, a mis en place l’allocation personnalisée d’autonomie, dont ce texte sera, en quelque sorte, le prolongement.
Défi social, sociétal, financier, économique et éthique, la transition démographique est aujourd’hui au point où en était la transition écologique du temps de René Dumont, en 1974, il y a quarante ans. Pourtant, à cette époque, les millions de baby-boomers qui vont porter la révolution de l’âge étaient déjà nés. Disons-le : la question la plus nouvelle aujourd’hui, le défi le plus radical, ce sont les vieux. Ce dernier mot est évidemment inadéquat ; il n’a d’autre objet que d’interpeller. Sortons du peloton ; sortons – enfin ! – l’âge et les âgés du seul médico-social où ils ne se reconnaissent pas – je devrais dire : où nous ne nous reconnaissons pas. Notre pays a la chance de se situer dans les cinq premiers en matière de longévité ; faisons en sorte qu’il soit aussi à l’avant-garde s’agissant de la prise en compte de ce défi ô combien transversal, et en passe d’être universel.
Fiscalité, macroéconomie, succession, patrimoine : j’invite tous ceux qui ont dépassé la page 40 du livre Le Capital au XXIe siècle, de Thomas Piketty, à mesurer avec lui le bouleversement radical que constitue la longévité, dans ce domaine comme dans tous les autres. Hériter à 70 ans ; se marier pour 70 ans, de préférence en une fois ; découvrir que l’on est plus isolé encore dans les villes que dans les campagnes ; savoir que les revenus sont la première cause d’inégalité, y compris en matière de prévention du vieillissement ; voir que celui de nos organes qui est, de très loin, celui qui définit le plus notre identité, c’est-à-dire le cerveau, est capable nous quitter avant tous les autres ; mesurer que, d’ici à 2050, le nombre de décès annuel va augmenter de 50 %, ramenant la mort au coeur de la vie des familles et de la société elle-même : voilà qui, l’air de rien, remet en question notre système politique, social et sanitaire, et bouscule pas mal notre condition d’homme.
Le projet de loi présenté aujourd’hui n’a pas mission de répondre à toutes ces questions. Cependant, il ouvre largement la voie de la transversalité, laquelle est nécessaire pour aborder la transition démographique de façon globale. Il apporte des réponses, toutes positives, au plus beau cadeau que nous a fait le XXe siècle : le doublement de l’espérance de vie.
Non, la perte d’autonomie n’est pas inéluctable : les décisions publiques comme les comportements individuels y peuvent quelque chose. La maladie d’Alzheimer elle-même peut être retardée. J’espère – et je crois – que la recherche permettra de la retarder encore plus.
Oui, nous avons la chance de pouvoir lier la révolution numérique et la révolution de l’âge, car la première est un outil – peut-être même le meilleur qui soit – permettant de remédier aux risques que comporte la seconde, dans la mesure où elle mêle lien social, protection et stimulation cognitive.
Oui, la longévité est une chance et non pas une charge. On dit toujours qu’il faudrait plus que la vie d’un homme pour recopier l’ensemble des partitions de Mozart, alors qu’il est mort à 35 ans. Eh bien, s’il était né 200 ans plus tard, avec les baby-boomers, il aurait fallu pas moins de trois vies d’hommes pour en faire autant.
Oui, c’est bien une troisième vie qui nous est offerte à l’issue de la vie professionnelle, une vie qu’il est question, non pas d’occuper, mais d’accomplir. Nous touchons là au trou noir de la pensée politique : la place et le rôle des âgés dans la société. Valoriser, favoriser ce rôle, donner la parole aux âgés pour qu’ils soient les premiers acteurs de cette transition démographique, tel est le sens du Haut conseil de l’âge.
Oui, la République a besoin des retraités, des valeurs dont ils sont porteurs, de l’énergie et de la créativité dont ils font preuve et qui n’attendent que d’être reconnues. Non, le redressement de notre pays ne se fera pas sans eux.
Non, la longévité n’est pas qu’une affaire de vieux ; elle est celle de tous les âges. « On m’a vu ce que vous êtes ; vous serez ce que je suis », disait Corneille. Réussir la transition démographique, c’est éviter la guerre des générations, que les âgés gagneront dans les urnes et les jeunes dans la révolte. Nous avons, autour de nous, des gens dans les deux camps : nous leur devons mieux que cette guerre ; nous leur devons la fraternité. Barack Obama a donné le signe d’une société post-raciale ; nous donnons aujourd’hui le départ d’une société sans barrière d’âge.
Oui, c’est la langue française elle-même qui doit sonner la fin de la démographie punitive, marquée par le mot « dépendance ». Non, nous ne sommes les « aînés » de personne, les « seniors » d’aucun club ; nous sommes âgés comme on est jeune. Nous sommes un groupe à la fois puissant – très puissant –, mais aussi misérable, par sa conscience de devoir bientôt s’endormir « du sommeil de la terre ».
Je ne parlerai donc pas des cent mesures de cette loi, ni même de ses quatre mesures phares ; nous en aurons l’occasion lors de l’examen des articles. Je veux cependant terminer par un voeu. Sur le terrain, auprès de maires de gauche, de droite ou du milieu, auprès des professionnels comme auprès du public, au cours de multiples séances de concertation, ce texte a rencontré une grande adhésion. Même si nous sommes dans un moment tendu et difficile pour nous tous, permettez-moi de formuler le souhait qu’il soit voté unanimement. Je crois, je suis sûre que, dans leur inquiétude, c’est cela que les Français attendent de nous.