Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, mon intervention portera sur trois points et je commencerai par une citation toujours contemporaine de Simone de Beauvoir, extraite de La Vieillesse – s’il n’a pas vieilli, le livre permet du moins de mesurer l’ampleur des changements intervenus depuis 1970 : « Cessons de tricher ; le sens de notre vie est en question dans l’avenir qui nous attend ; nous ne savons pas qui nous sommes, si nous ignorons qui nous serons : ce vieil homme, cette vieille femme, reconnaissons-nous en eux. Il le faut si nous voulons assumer dans sa totalité notre condition humaine. Du coup, nous n’accepterons plus avec indifférence le malheur du dernier âge, nous nous sentirons concernés : nous le sommes. »
En premier lieu, je souhaite dire à quel point nous sommes concernés par la situation des personnes qui se retrouvent, pour des raisons de sécurité, limitées dans leur liberté de circulation. De ce point de vue, le projet comporte des avancées, que nos débats permettront de conforter, sur l’organisation d’un droit de regard extérieur, qui me paraît une condition nécessaire chaque fois qu’une liberté est menacée. Le « malheur du dernier âge » renvoie à cette situation. Si toutes les personnes âgées n’y sont pas confrontées, nous nous devons d’organiser une telle disposition pour celles qui la subissent.
Le deuxième point sur lequel je voulais revenir, comme vient de le faire Bernadette Laclais, concerne la légitimité d’approches spécifiques et de regards particuliers. Mme Coutelle a fort bien développé l’approche spécifique en ce qui concerne les femmes, et, mon Dieu, c’est fort légitime puisque, plus l’âge avance, plus les femmes deviennent fortement majoritaires.
De la même façon, la situation des étrangers doit être considérée à l’aune de l’avancement dans l’âge, tout simplement parce que celui-ci a une incidence et sur les revenus et, parfois, sur les droits. Il est donc, de ce point de vue, me semble-t-il, parfaitement légitime, dans le cadre de ce projet et à l’instar de ce qu’a pu dire M. Jacquat, d’y revenir.
Nous disposons sur ce sujet, à travers le rapport d’information sur les chibanis, de toute une réflexion qu’a menée l’Assemblée et qui permet, me semble-t-il, de prendre des dispositions.
Le dernier point sur lequel je voulais revenir est l’article 55. C’est un article très technique, qui porte sur les juridictions d’aide sociale, les commissions départementales d’aide sociale et la commission centrale d’aide sociale. Nous sommes obligés de légiférer à ce propos, puisque le Conseil constitutionnel, par deux décisions, l’une du 25 mars 2011, et l’autre du 8 juin 2012, rendues sur saisine par voie de questions prioritaires de constitutionnalité, a contraint le législateur à modifier leur composition.
C’est l’occasion de revenir sur ces juridictions dont on parle très peu, si ce n’est dans un récent livre de Pierre Joxe, intitulé Soif de justice, qui a examiné l’ensemble des juridictions sociales, et pas simplement ces commissions départementales et centrale d’aide sociale.
L’auteur évoque la fameuse citation du professeur Imbert : « droits des pauvres, pauvres droits ». Et on peut se demander si, en matière de juridictions d’aide sociale, cette formule ne pourrait pas trouver à s’appliquer : juridictions des pauvres, pauvres juridictions. De ce point de vue, il est légitime que le Gouvernement, puisqu’il souhaite attendre les statistiques de l’année 2013 pour élaborer un nouveau schéma, nous demande une habilitation à légiférer par ordonnances.
Cette demande se justifie également au regard de la technicité des répartitions des compétences au sein de l’ordre administratif entre les juridictions administratives spécialisées que sont les CDAS et la CCAS et les juridictions administratives de droit commun que sont les tribunaux administratifs.
Il y a urgence à le faire, et, de ce point de vue, je vous livre un petit florilège rassemblé par Pierre Joxe. Il commence par le rapport du Conseil d’État de 2010, qui affirmait : « Une justiciabilité digne de ce nom n’est pas assurée en matière d’aide sociale ».
M. Belorgey, qui était président de la commission centrale d’aide sociale en 2007, évoquait « un bataillon hétéroclite de rapporteurs issus les uns du Conseil d’État, les autres de diverses administrations, d’autres encore des horizons les plus divers ». Et Jean-Michel Belorgey, qui n’a jamais eu la langue dans sa poche, écrivait à leur propos : « Certains de ces rapporteurs font merveille, d’autres sont des catastrophes ambulantes et se noient complètement dans les dossiers qu’ils sont supposés traiter lorsque surgit une difficulté. »
Le professeur Rials, dans son article de L’Actualité juridique consacré à ce rapport, concluait de la manière suivante : « Face à ce portrait peu idyllique de la juridiction, on espère que les justiciables ne lisent pas les revues juridiques ».
Eh bien, j’espère que lorsque les revues juridiques traiteront des nouvelles juridictions en matière d’aide sociale, nous aurons suffisamment de matière pour que les pauvres puissent lire avec satisfaction la façon dont les professeurs de droit rendront compte et de ces juridictions et de leur fonctionnement.
Sur ce point, quitte à dépasser de deux secondes le temps qui m’est imparti,…