Madame la présidente, mesdames les ministres, mesdames les rapporteures, l’augmentation inexorable de la longévité des Françaises et des Français est souvent perçue comme un problème pour notre société et nos institutions. Bien au contraire, elle me semble être une chance pour notre pays, si nous nous donnons les moyens de pouvoir vieillir en bonne santé et dans un environnement favorable. Là est le défi majeur que nous devons relever. Aujourd’hui, 15,6 millions de Françaises et de Français, soit 24 % de la population, ont plus de 60 ans. Nous serons 21,4 millions en 2035, soit 31 %. En 2050, nous serons 11 millions de plus de 75 ans et le nombre de plus de 85 ans sera quatre fois plus élevé qu’aujourd’hui.
Mesdames les ministres, sept orientations nous semblent essentielles afin de définir une véritable stratégie nationale de prise en compte de l’augmentation de l’espérance de vie : établir un véritable programme de prévention de la dépendance ; garantir le financement de sa prise en charge ; développer tous les leviers de l’économie liée à cette longévité plus communément appelée « silver economy » ; définir précisément les principes et les moyens de la gouvernance de cette politique ; permettre le maintien à domicile des aînés le plus tard possible en proposant une nouvelle offre de logements adaptables et adaptés ; mieux accompagner les personnes âgées dans les établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes ; enfin, donner un véritable statut aux aidants, en particulier aux aidants familiaux, et leur permettre de vivre des moments de répit.
Mesdames les ministres, force est de constater que le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement que vous nous soumettez aujourd’hui est loin d’apporter tous les éclairages que nous attendions de ce texte et qu’il ne permet pas, à l’évidence, de mettre en place une politique suffisamment ambitieuse et solide pour être efficace à moyen et long terme. Il est, en premier lieu, choquant de constater que la question du financement de la prise en charge de la dépendance, et en particulier du reste à charge supporté par les familles, soit passée par pertes et profits. Plus question de la création d’une cinquième branche ni même d’un renforcement du rôle de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ! La gouvernance des politiques et la réforme de l’accompagnement en EHPAD sont aussi cruellement absentes.
Le périmètre budgétaire a, lui, fondu comme peau de chagrin : 645 millions d’euros, là où 2 milliards d’euros étaient attendus. Le financement de la prévention de la perte d’autonomie, fixé à 185 millions d’euros, n’est pas à la hauteur de l’enjeu majeur que représente ce domaine en termes de stabilisation des dépenses et donc de pérennité des équilibres de financement. Si un effort est noté en ce qui concerne l’adaptation de la société au vieillissement avec l’adaptation de 80 000 logements privés pour 40 millions d’euros, la dotation globale de 84 millions d’euros semble, là encore, très sous-évaluée par rapport aux nobles objectifs fixés. L’accompagnement de la perte d’autonomie se voit attribuer une ligne budgétaire de 460 millions d’euros. La revalorisation de l’APA à domicile pour 375 millions d’euros, soit plus de la moitié de l’enveloppe globale du projet de loi, est une bonne chose.
Mais nous notons que la problématique de la prise en charge des personnes dépendantes en EHPAD, qui génère un très haut niveau de reste à charge pour les familles, est renvoyée à un futur texte. Nous notons aussi que le même sort est réservé à la gouvernance, à un moment où les conseils généraux, qui assurent 70 % des 5,4 milliards d’euros que coûte l’APA, se retrouvent dans une situation financière catastrophique du fait du désengagement constant de l’État.
Nous sommes heureux, par contre, de voir apparaître une évocation au droit au répit des aidants. C’est un sujet qui nous préoccupe depuis de très nombreuses années et sur lequel nous nous sommes toujours trouvés confrontés au droit du travail. Je vous demanderai donc, mesdames les ministres, de nous expliquer plus précisément comment vous comptez contourner cette contrainte, afin de pouvoir mettre en place dans notre pays un véritable baluchon comme cela existe chez nos voisins, et d’ailleurs depuis très longtemps chez certains d’entre eux. Nous vous poserons la même question concernant le « volontariat civique senior ».
En conclusion, mesdames les ministres, permettez-moi de vous rappeler que de nombreux parlementaires se sont engagés depuis maintenant plus de dix ans derrière nos collègues Pascal Terrasse et Denis Jacquat, afin de convaincre les collectivités locales, en particulier les municipalités et les communautés de communes et d’agglomération, qu’il était important de s’investir dans une approche innovante de la prise en charge dans leur territoire de la nouvelle donne que représentait l’augmentation de l’espérance de vie. Ainsi est née en 2003 l’association « Vieillir en France », que j’ai l’honneur de présider depuis 2007 et qui a, durant de nombreuses années, labellisé les meilleurs projets des communes les plus engagées. Nous avons, ensuite, mis en place avec l’État, sous l’égide de Roselyne Bachelot et de Nora Berra, un partenariat qui a débouché sur la labellisation « Mieux vieillir, vieillir en France ».
Il y a deux ans, j’ai sollicité le ministère afin d’envisager de pérenniser cette opération qui a permis une véritable prise de conscience et a débouché sur de nombreuses réalisations et opérations qui apportent encore aujourd’hui la preuve de leur pertinence. Je vous renouvelle cette invitation et tiens par là même à vous assurer que la représentation nationale et les élus de terrain qui la composent sont conscients du formidable enjeu et de la formidable chance que représente la longévité pour notre société, à partir du moment où nous nous donnerons vraiment les moyens nécessaires à une vraie politique publique transversale sur ce sujet délicat.