Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 24 octobre 2012 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Vous m'avez interrogé, monsieur Poniatowski, sur les schémas d'une éventuelle intervention française au Sahel. Nous travaillons avec le ministre de la défense à différents scénarios pensés en fonction des forces africaines disponibles et des adversaires à affronter. Nous souhaitons être impliqués le moins possible, mais il est prématuré à ce stade de dire le rôle qui nous sera réservé. Le délai de 45 jours entre la première et la seconde résolution du Conseil de sécurité sert à des consultations visant à définir quel type d'opération serait choisi.

L'administration américaine a exprimé très fermement la nécessité de lutter contre les entreprises terroristes menées au Sahel mais, comme pour la Syrie, elle ne souhaite pas en dire davantage avant les élections, et elle demande que les modalités d'une éventuelle intervention armée soient précisées ; nous en sommes d'accord.

Je me rendrai prochainement en Libye, où j'ai été invité à prendre la parole devant le Congrès national. En matière de sécurité, de grandes marges de progression sont encore possibles dans ce pays où prospèrent des milices et qui, pour s'être doté d'un président et d'un premier ministre, n'a pas encore des institutions très assurées. Les armes y circulent en outre en nombre considérable ; Mouammar Kadhafi en avait accumulé bien davantage encore que nous ne l'imaginions.

Monsieur Rochebloine, nous avons interrogé les responsables qataris au sujet des allégations dont vous avez fait état, et leur réponse a été négative ; nos services ont confirmé, après vérification, qu'il n'en est rien.

Je pense que nous sommes tous d'accord ici sur le bilan des interventions menées par les États-Unis en Irak.

Le Président de la République et moi-même avons rencontré les familles des otages français détenus au Mali et le centre de crise du Quai d'Orsay est en contact régulier avec elles. Je n'ai pas l'impression qu'elles aient le sentiment d'être oubliées, car elles savent ce que nous faisons quotidiennement, mais elles sont extrêmement inquiètes, comme nous le serions tous en pareille situation. Nous voulons la libération des otages et nous agissons pour cela ; nous voulons aussi que le Mali soit libéré du terrorisme, et personne ne subordonnerait l'un de ces objectifs à l'autre.

La première plaque tournante du trafic de stupéfiant, monsieur Asensi, est la Guinée-Bissau. La drogue arrive sur les côtes d'Afrique de l'Ouest depuis l'Amérique du Sud et l'Amérique centrale ; une partie traverse ensuite le Sahel vers l'Afrique de l'Est, l'autre est acheminée vers l'Europe. Les sommes en jeu sont gigantesques. La France et les organisations internationales sont de plus en plus préoccupées par ce mal absolu.

Nous pensons tous que pour régler la question de l'Iran, l'option militaire, qui conduirait à un embrasement généralisé, n'est pas une solution. Nous travaillons à l'éviter, mais la France ne peut à elle seule contraindre les Iraniens. Les conséquences économiques, en particulier, d'une frappe militaire seraient redoutables.

La France est l'un des pays les plus engagés dans la défense des Palestiniens et nous entretenons des contacts réguliers avec M. Mahmoud Abbas ; peut-être nos déclarations devraient-elles être plus musclées mais, au-delà des mots, nous agissons.

Nous en sommes d'accord, monsieur Chauveau, il faut relancer la coopération avec le Mali. Pour ce qui est de la coopération militaire, c'est en train de se faire ; la coopération civile reprendra dès que les autorités maliennes auront achevé l'élaboration d'une Feuille de route , mais l'on peut commencer, non pas en se rendant au Nord du pays, ce qui serait irresponsable, mais en aidant les communes.

Vous vous interrogez, monsieur Loncle, sur le nombre de terroristes présents au Nord du Mali. Les chiffres que l'on m'a donnés varient en effet selon les sources, et ceux qu'avancent les spécialistes sont plus importants que ce que l'on m'avait dit quand j'ai pris mes fonctions. J'ai demandé aux services de vérifier les informations relatives à des flux de salafistes et de djihadistes parues dans la presse ; ils ne les corroborent pas pour le moment.

Peut-on négocier avec certaines des mouvances impliquées au Nord du Mali ? Il faut négocier, mais aux conditions que je vous ai dites : uniquement avec des interlocuteurs qui ne plaident pas, ou plus, en faveur de la sécession d'une partie du Mali, et qui récusent explicitement le terrorisme ou la violence. De nombreux Touaregs sont dans ces dispositions d'esprit, et nous pensons que certains éléments peuvent peut-être être récupérés dans d'autres organisations qui sont là par opportunisme.

Certains dirigeants, servant d'intermédiaires, sont par définition entre les deux parties. J'ai toutefois le sentiment, étayé par des éléments précis, qu'au-delà du rôle qu'ils se sont arrogé ou qui leur a été attribué, ils pensent pour certains que leur propre pays se sortira mieux de cette crise s'ils cultivent l'ambiguïté. La prudence s'impose donc.

Ce serait une grave erreur de faire expressément de la situation au Sahel le sujet central du voyage du Président de la République en Algérie. La question sera certes abordée, mais l'objectif de ce voyage est de traiter des relations économiques, culturelles et de visas entre l'Algérie et la France, non de faire changer qui que ce soit d'avis.

Qui décide de quoi en Iran ? Je ne pense pas, monsieur Cochet, qu'il faille s'intéresser particulièrement à M. Mahmoud Ahmadinejad – il n'est pas au centre du pouvoir, qu'exercent le Guide et ses aides, lesquels ne sont pas plus modérés que lui. M. Saïd Jalili, le négociateur en chef du dossier nucléaire iranien, joue un rôle grandissant dans l'appareil d'État. Et, quoiqu'il en soit, je ne pense pas que le pouvoir iranien s'inspire directement de ce que souhaite la population.

J'ai réduit le nombre de nos diplomates présents en Iran ; notre aperçu de ce qui s'y passe est de ce fait plus limité, mais je ne suis pas persuadé que maintenir sur place cinq diplomates supplémentaires nous donnerait accès aux secrets iraniens.

Il ne faut pas tenir mars 2013 pour une date précise, monsieur Giacobbi. Une intervention israélienne en Iran, pour les raisons que vous avez dites, serait plus compliquée que ne le furent les attaques contre Osirak et en Syrie. Plusieurs scénarios sont possibles. Il existe une différence d'appréciation entre les États-Unis et Israël au sujet du point de bascule. Pour Israël, ce moment est celui où les Iraniens seront capables de posséder l'arme nucléaire ; pour les États-Unis, c'est le moment où ils la posséderaient – le Président Obama a récemment déclaré qu'il ne laisserait pas les Iraniens avoir l'arme nucléaire.

M. Mariani s'est interrogé sur l'utilité de poursuivre les négociations avec l'Iran. Pour l'instant, il n'y a pas d'avancées, c'est vrai, alors même que les sanctions déjà prises coûtent 52 milliards de dollars à l'Iran chaque année. Comme dans toute crise de ce genre, si progrès il y a, ils auront malheureusement lieu au tout dernier moment. Je suis aussi dubitatif que vous l'êtes, mais je considère que nous devons utiliser tous les moyens : négociation et sanctions.

Oui, le délai est bref pour former une force africaine efficace ; c'est pourquoi je me suis gardé de fixer la date d'une intervention éventuelle. Des forces existent dans les pays voisins, mais les forces maliennes sont très faibles et nous devons en tenir compte.

M. Terrot s'est demandé si l'Algérie acceptera d'intervenir militairement. Si, déjà, elle contrôlait ses frontières, ce serait très utile.

Personne, monsieur Assouly, n'a d'argument miracle à faire valoir ; pour autant il ne faut pas renoncer à tout essayer. Quant aux manoeuvres conjointes américano-israéliennes, elles étaient prévues de longue date et il ne faut pas en tirer de conclusions particulières.

Madame Dagoma, je vous remercie de nous avoir permis de prendre connaissance des déclarations de M. Hervé Morin. C'est au moment du vote de la deuxième résolution du Conseil de sécurité que la feuille de route sera fixée. L'hypothèse d'assises nationales au Mali peut être interprétée diversement : si elles sont l'occasion pour le pouvoir de discuter avec les parties prenantes, c'est une bonne chose, mais si elles donnent l'occasion à l'opposition de renverser le Gouvernement, la situation n'aura guère progressé. Je comprends donc que le Président et le Premier ministre maliens se donnent le temps de la réflexion.

Vous vous demandez, M. Bacquet, au nom de quoi on peut interdire à l'Iran de se doter de l'arme atomique. La réponse est simple, elle tient aux obligations de Téhéran qui a signé le Traité de non prolifération et aux risques que, si l'on accepte que l'Iran ait l'arme nucléaire, non seulement il pourra s'en servir mais d'autres pays de la zone pourraient vouloir s'en doter ; on ne peut dire que cela assurerait la paix. Le raisonnement classique qui sous-tend la logique de la dissuasion ne vaut pas dans ce contexte précis, chacun en comprendra les raisons.

La coopération militaire entre la France et l'Algérie a été impossible pour l'instant, mais il n'est pas interdit de l'envisager ; j'en ai moi-même discuté avec le Président Bouteflika. J'ai lu que l'Algérie demanderait la signature d'un traité d'amitié avec la France ; c'est inexact. Le président Bouteflika ne le souhaite pas, car il sait que le terme serait source de débats sans fin. Ce que demandent les Algériens, c'est un partenariat.

Monsieur Baumel, des forces militaires existent au Sénégal, au Niger, au Tchad, en Mauritanie… Il est vrai aussi que l'engagement de certains pays est encore à affermir. Enfin, un plan d'urgence a bien été mis au point pour renforcer la sécurité de nos ressortissants en cas de crise grave.

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