Vous savez que notre calendrier est extrêmement contraint, ce qui rend difficile la multiplication des auditions. Mais toute contribution des groupes politiques nous sera précieuse ; je souhaite que les parlementaires s'expriment le plus possible car leur parole est un élément essentiel de nos débats.
Vous vous interrogez sur le positionnement de la France, puissance régionale ou puissance globale. Mais lorsqu'elle intervient dans ses abords proches, comme elle l'a fait en Libye, la détermination avec laquelle la France agit a des répercussions bien au-delà du théâtre d'opérations : une opération régionale peut avoir un impact global. De même, maintenir une capacité d'intervention robuste donne un signal important, même si l'on n'intervient pas en tous points de la planète. Ce n'est parce que les opérations sont géographiquement limitées que leur impact l'est.
La commission du Livre blanc et les marins s'interrogent effectivement sur la dimension maritime de notre défense, sur les capacités nécessaires pour maintenir la présence française. Faut-il des navires aussi coûteux que le sont les frégates, ou des navires plus légers suffiraient-ils ? Des questions techniques se posent. Si l'exploration des nodules polymétalliques des grands fonds océaniques dont il était question lors de la renégociation du droit de la mer n'a rien donné à ce jour, il peut y avoir des réserves de gaz et de pétrole exploitables en certaines zones du domaine maritime français ; de même, la ressource halieutique doit être protégée. Toutes ces questions demandent la définition d'un équilibre entre des priorités concurrentes – autrement dit, il faut déterminer de manière raisonnable le meilleur retour sur investissement possible. La souveraineté nationale, elle, ne se négocie pas ; nous devons donc définir par quelles postures marquer qu'elle ne peut être mise en cause, et ce de manière réaliste - il va sans dire que pour assurer la surveillance effective de 11 millions de kilomètres carrés d'océans, il faudrait plus que toute la marine nationale ! –. Cet exercice appelle l'évaluation des moyens de la présence française dans les DOM-COM. Je donnerais un exemple : si la défense déploie des hélicoptères en Guyane, c'est faute d'hélicoptères de la sécurité intérieure en nombre suffisant, mais il en résulte que cinq Puma de l'armée de terre ne sont pas disponibles pour d'autres missions. Pourtant, il s'agit souvent de pallier l'insuffisance des moyens de communication sur les territoires, ce qui devrait être le rôle des forces de sécurité intérieure. Une réflexion s'impose pour trouver un équilibre.
La réflexion sur les nouveaux conflits est essentielle. Sur leurs sources, de nombreux éléments figurent dans le Livre blanc de 2008 ; ce travail n'est donc pas entièrement à refaire, mais on note des évolutions. Ainsi, on oppose souvent les guerres symétriques aux guerres asymétriques ; or, on se dirige sans doute vers un modèle hybride car les technologies se diffusent. Fort heureusement, l'affrontement de deux armées hypertechnologiques n'est pas l'hypothèse la plus vraisemblable pour l'instant. On doit s'attendre à des conflits mettant aux prises des armées classiques et des acteurs non étatiques disposant d'une grande fluidité de mouvement, difficiles à identifier parce que se fondant dans la population et dotés de capacités techniques constituant des menaces réelles. Cette hypothèse est envisagée dans la réflexion engagée sur les modèles de force. J'ajoute que ces conflits « hybrides » sont aussi des conflits civilo-militaires qui supposent la réponse orchestrée que j'évoquais précédemment : la capacité de la haute intensité ; la capacité de la stabilisation ; la capacité politique et développementale d'aider à construire un État capable de faire régner l'ordre et de protéger ses citoyens.