Le président de la République a été clair : la défense ne peut être une variable d'ajustement. La difficulté est de trouver le juste – et délicat – équilibre permettant de maintenir notre souveraineté dans ses différents volets : économique et financier d'une part, celui qui s'exprime par la défense d'autre part. Je souhaite, je vous l'ai dit, que le Livre blanc ait valeur pédagogique. J'aimerais donc que nous nous en tenions à un document de 120 pages ; sans espérer égaler le succès de Harry Potter, il me plairait que tous ceux que ces questions intéressent puissent le lire sans y consacrer trop de temps. C'est une manière de s'assurer que le Livre blanc remplit sa fonction citoyenne : nourrir le débat démocratique et contribuer à mobiliser les Français en faveur d'un projet auquel chacun pourra adhérer indépendamment de son appartenance politique. C'est à quoi nous devons viser, en usant d'arguments simples pour expliquer pourquoi une défense est nécessaire, et que si notre sécurité est bien meilleure qu'elle ne l'était pendant la guerre froide, nous devons nous garder de tout angélisme.
Peut-on accroître les marges de manoeuvre en révisant le fonctionnement interne des armées ? Toute gestion peut être améliorée et la Cour des comptes a ouvert quelques pistes, mais les économies possibles ne sont pas à la hauteur des réajustements nécessaires pour nous permettre de tenir nos engagements budgétaires globaux. Le cadre qui s'impose au ministère de la défense comme aux autres ministères, c'est celui des lois de finances.
La question de l'islamisme radical a été débattue au sein du premier groupe de travail ; peut-être faudra-t-il encore approfondir la réflexion. Je m'intéresse à cette question depuis longtemps et lorsque dans le passé j'ai dirigé le Centre d'analyses et de prévision du ministère des affaires étrangères, j'ai été frappé par l'approche très nuancée que les spécialistes ont de ces questions. On a parfois tendance à simplifier ; par exemple, les salafistes ne sont pas les Frères musulmans, tant s'en faut. Le passage à l'acte terroriste est le fait de groupes très minoritaires, que la DCRI s'emploie à identifier. Il faut donc s'assurer que ce service dispose de toutes les compétences nécessaires – linguistes et experts informaticiens –, et aussi analyser le phénomène dans ses dimensions extérieures et éventuellement intérieures.
Pour ce qui est de l'espace Schengen, je crois aux vertus de la pédagogie. Quand on parle à nos partenaires européens des problèmes tels qu'ils sont, sans emphase et avec réalisme, ils sont convaincus, et ils le sont aussi quand ils observent la situation sur leur propre territoire. Certes, les évolutions sont parfois plus lentes que nous le souhaiterions, et nous devons définir les moyens européens à mettre en oeuvre pour renforcer l'efficacité des contrôles - partage de données, coopération entre services. Mais ces questions doivent s'envisager à court, moyen et long termes. Y aura-t-il mutualisation des contrôles un jour ? Peut-être. Les esprits y sont-ils prêts ? Peut-être pas… Le Livre blanc peut ouvrir des pistes à ce sujet.
On ne peut passer d'une marine de haute technologie à une marine entièrement composée de bateaux beaucoup plus légers. Les deux flottes sont nécessaires, car elles répondent à des missions différentes. Il est exact que l'on n'a pas toujours besoin d'outils hypersophistiqués. Il reste à savoir si, étant donné les programmes déjà lancés, on parvient à dégager des marges de manoeuvre.
Sur un plan général, un Livre blanc doit être assez précis pour fixer des orientations claires et ne pas se prêter à des interprétations multiples, mais il n'a pas vocation à entrer dans le détail, dans ce qui relève de la loi de programmation militaire et de la responsabilité des ministres concernés. Le ferait-il qu'il serait dépassé à peine son encre sèche. Nous devons éviter cet écueil.
La cyberdéfense sera l'un des chapitres importants du Livre blanc. La cybercriminalité est une menace très sérieuse contre la sécurité nationale. Elle est sous-estimée par nos concitoyens, qui n'ont pas pleinement conscience de l'ampleur de notre dépendance aux réseaux électroniques de toutes sortes. Ils s'en rendent compte en cas de panne grave, telle celle qui a affecté le réseau de communication Orange, mais des attaques malveillantes sur des systèmes informatiques qui gèrent des réseaux d'importance vitale pourraient avoir des conséquences très graves et même létales. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) travaille à ces questions, et nous amplifierons la réflexion engagée par le précédent Livre blanc à ce sujet en prenant effectivement en compte la dimension industrielle. Nous avons la chance d'avoir des industriels bien positionnés en ce domaine et le SGDSN contribue à structurer l'industrie en structurant la demande ; les commandes de séries longues évitent l'émiettement, ce qui aide les industriels à consolider leurs exportations sur un marché rentable. Je l'ai indiqué, un incident survenu dans un centre de traitement dans un pays européen donné pouvant avoir des répercussions immédiates dans un autre pays, on peut imaginer construire, entre Européens, un dispositif défensif. Les industriels jugent cela possible et utile. L'interdépendance étant avérée – nous ne pouvons isoler nos réseaux -, il faut en faire un atout et non une vulnérabilité.
Je rappelle enfin que 700 millions d'euros sont alloués aux études amont de la recherche défense. Il faut continuer de faire travailler les bureaux d'études et déterminer comment calibrer et maintenir nos capacités. Notre responsabilité collective est de tenir compte des difficultés de court terme sans perdre de vue notre stratégie de long terme, c'est-à-dire sans rien faire d'irréversible. Si sacrifices il doit y avoir, ils ne doivent pas hypothéquer l'avenir de notre défense.