Intervention de Carlos Ghosn

Réunion du 10 septembre 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Carlos Ghosn, président-directeur général de Renault :

Le CIR n'est pas la seule raison pour laquelle Renault localise ses activités de développement en France, mais il y contribue : lorsque nous avons le choix, l'existence du CIR nous aide à faire « basculer » davantage de projets du côté de la France.

Comment le groupe s'est-il sorti des différentes crises et quelle est notre stratégie pour l'avenir ? J'aborderai d'abord la situation en Europe, principal sujet d'intérêt. Le marché européen était sous tension pour des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles. Structurelles, parce que l'Europe est un marché mature : nous ne pensons pas que le taux de motorisation, actuellement de l'ordre de 500 véhicules pour 1 000 résidents, va évoluer de manière significative à l'avenir. À titre de comparaison, le taux de motorisation s'établit à 20 voitures pour 1 000 habitants en Inde, à 100 en Chine, à 200 au Brésil et à 300 en Russie. À l'autre extrême, il atteint près de 800 aux États-Unis. L'industrie automobile a donc tendance à concentrer son attention sur les pays dans lesquels la population est élevée et le taux de motorisation faible, et qui réalisent des investissements en matière d'infrastructures. L'Europe reste néanmoins un continent très important : elle continue à représenter plus de la moitié des ventes du groupe Renault ; c'est aussi le continent sur lequel nous avons le plus de compétences.

Au cours de la crise qui a débuté en 2008, tous les constructeurs automobiles ont été confrontés à une crise de liquidités majeure. L'État a joué un rôle essentiel : il a permis aux deux constructeurs français d'éviter cette crise en leur donnant accès à 3 milliards d'euros de liquidités chacun en 2009, au plus fort de la crise. Une fois le pic de la crise passé, nous avons remboursé cet emprunt très rapidement, en 2010 et 2011, en trois tranches de 1 milliard d'euros. Nous avons payé les intérêts afférents, ce qui a rapporté 350 millions d'euros à l'État. Il s'est agi d'une mesure « gagnant-gagnant » : l'État est intervenu rapidement pour nous aider dans un moment difficile ; nous avons eu les moyens de lui verser une rémunération pour ce prêt.

Mais nous avons traversé la crise pour une autre raison : Renault a su anticiper, être novateur. Nous avons eu le courage de nous positionner plus tôt que d'autres sur un certain nombre de terrains stratégiques pour l'avenir, ce qui était loin de faire l'unanimité : nous avons été critiqués pendant de nombreuses années sur ce point et continuons à l'être.

Nous avons mené une action de redressement sur le marché européen dès 2009, qui s'est amplifiée en 2013. Les deux piliers ont été l'innovation – le renouvellement des produits et de la technologie – et le dialogue social, qui nous a été très utile pour renforcer notre compétitivité. Nous nous sommes appuyés sur la longue tradition d'innovation de Renault en la matière. Dès le début de la crise, en 2009, nous avons signé avec les organisations syndicales un « contrat social de crise », qui avait pour objectif de sauvegarder 8 000 à 10 000 emplois menacés en France. Malheureusement, contrairement à ce que nous pensions, le marché européen a poursuivi sa chute au-delà de 2009, jusqu'en 2013. En 2012, le volume des ventes sur le marché européen s'est établi à 14 millions de véhicules, chiffre nettement inférieur aux 20 millions de véhicules que nous avions atteints en 2007 et en 2008. Le marché se rétablit petit à petit, mais il est encore très loin de son niveau d'avant la crise. Aux États-Unis, le marché automobile a chuté mais s'est aussi rétabli beaucoup plus rapidement : le volume des ventes automobiles a retrouvé son niveau d'avant la crise.

Nos usines françaises travaillant surtout pour le marché européen, l'effondrement de ce marché a eu des conséquences sur notre outil industriel : le taux d'utilisation de notre capacité de production est tombé à 60 %. Face à une telle situation, intenable à long terme, deux options se présentaient : soit réduire notre capacité de production en fermant des sites, soit tenter d'améliorer notre compétitivité tout en augmentant l'activité de nos sites. Nous avons, bien sûr, choisi la seconde option. L'accord de compétitivité a été signé le 13 mars 2013 par trois organisations syndicales sur quatre – CFDT, CFE-CGC et FO –, représentant 70 % du personnel. Nous avons pris l'engagement de conserver tous les sites et d'augmenter la production en France, en échange d'une participation de tous à l'amélioration de la compétitivité de l'entreprise. Nous nous sommes engagés, d'une part, à être sur une pente de production de 710 000 véhicules par an en France à la fin de l'année 2016 – soit une augmentation de 33 % par rapport à 2012 – et, d'autre part, à faire venir en France des productions de partenaires de Renault afin de garantir qu'il n'y ait pas de surprise, quels que soient les aléas du marché européen. Cela a été fait et l'accord fonctionne très bien : nous bénéficions d'une paix sociale qui nous permet de travailler de manière tout à fait constructive depuis sa signature. Les engagements pris par l'entreprise à moyen terme – jusqu'à la fin de l'année 2016 donc – donnent une visibilité à l'ensemble du personnel. Dans le même temps, cela permet à l'entreprise de renforcer sa compétitivité.

On nous attendait sur notre capacité à attirer des partenaires en France. Nissan a confié à l'usine Renault de Flins la production de sa nouvelle Micra, qui commencera à y être assemblée à la fin de l'année 2016. Il s'agissait à l'origine de 80 000 véhicules, devenus 132 000 après actualisation. Le site de Flins restera une usine Renault, mais il travaillera pour l'alliance : il produira à 50 % pour Renault et à 50 % pour Nissan. En juillet, nous avons annoncé la signature d'un projet avec un nouveau partenaire, Fiat, pour produire un véhicule utilitaire en France. En janvier, nous avons transféré à notre usine de Cléon la production de 65 000 boîtes de vitesses auparavant fabriquées au Portugal. Nous avons également investi 10 millions d'euros pour augmenter la capacité de production de l'usine de Batilly. Notre usine de Sandouville est prête à produire en série le véhicule utilitaire Trafic. Enfin, notre usine de Douai, elle aussi en pleine mutation, fabriquera bientôt le successeur de la Renault Espace, que vous aurez l'occasion de découvrir au Mondial de l'automobile à Paris.

Nous sommes entrés dans un cercle vertueux. Je le répète : nous avons pris des engagements pour rassurer l'ensemble de notre personnel – qui était, particulièrement en France, préoccupé par la question du maintien des sites et de l'activité – en échange d'un certain nombre d'engagements en matière d'amélioration de la compétitivité, qui ont été jugés tout à fait acceptables par des syndicats qui représentaient 70 % du personnel. Même si nous investissons massivement pour développer notre présence à l'étranger, notamment en Chine, nous réalisons 40 % de nos investissements industriels en France.

Nous nous sommes dotés d'un plan interne à l'entreprise, Drive the Change 2011-2016, qui est connu et partagé par l'ensemble du personnel. Nous nous y sommes fixé l'objectif d'atteindre un chiffre d'affaires de plus de 50 milliards d'euros en 2017 pour le groupe Renault stricto sensu, contre 41 milliards aujourd'hui, et une marge opérationnelle de 5 %, contre un peu plus de 3 % actuellement. Nous devons le faire en préservant l'équilibre financier : la trésorerie disponible – free cash flow – doit être positive chaque année, c'est-à-dire que nous nous interdisons de recourir à l'endettement pour développer l'entreprise.

Nous avons les moyens de tenir ces objectifs. La clé, ce sont les investissements en matière de produits. Vous connaissez déjà certains d'entre eux : la Clio IV, numéro un des ventes en France ; Captur, numéro un dans son segment non seulement en France mais en Europe ; Zoé, qui est produite à Flins, fer de lance de notre gamme « zéro émission ». Le développement de la voiture électrique n'en est qu'à ses débuts, mais il connaît une accélération partout dans le monde, notamment en Chine, où les autorités l'appuient massivement, mais aussi aux États-Unis, au Japon et en Europe du Nord, particulièrement en Norvège. Je remercie le gouvernement français de son appui sans faille en la matière et souhaite qu'il se poursuive. Il s'agit d'une technologique très prometteuse.

Le développement de la plate-forme « M0 », avec la Logan, la Sandero et le Duster – il s'agit de produits de technologie Renault, conçus dans notre Technocentre et fabriqués pour la plupart à Piteşti en Roumanie ; ils sont vendus sous la marque Dacia en Europe mais badgés Renault ailleurs dans le monde – nous permet de maintenir nos positions en Europe, mais constitue aussi le fer de lance de notre offensive à l'international. Nous sommes très fiers de cette gamme, que nous sommes les seuls à produire. Selon les statistiques du premier semestre de cette année, il s'agit de la gamme la plus profitable en Europe, devant toutes les gammes premium. Nous construisons des voitures à bas coûts – low cost – qui répondent aux besoins des clients. Ce sont des produits utiles et très profitables. En 2013, nous avons vendu plus d'un million de véhicules issus de la plate-forme « M0 », dans 111 pays.

Outre les produits et la technologie, le levier pour atteindre nos objectifs est l'extension géographique de notre gamme. En Russie, Renault est la première marque étrangère. L'alliance Avtovaz-Renault-Nissan y est le premier groupe automobile, avec une part de marché de 33 % actuellement, qui devrait atteindre plus de 40 % en 2016. Nous sommes à l'offensive au Brésil, où nous venons d'augmenter la capacité de notre usine, mais aussi en Inde et surtout en Chine, où nous avons annoncé un projet industriel : nous y construisons une usine d'une capacité de 150 000 voitures, à Wuhan. Si le groupe Renault conquiert en Chine une part de marché équivalente à celle qu'il détient à l'échelle mondiale, il y vendra 600 000 voitures. Nous nous sommes donc engagés dans une expansion très importante en Chine.

Le renouvellement et l'extension de notre gamme vont de pair avec une réduction des émissions de dioxyde de carbone. Selon les statistiques du secteur industriel, Renault a été le constructeur européen le plus performant de ce point de vue en 2013. Nous ne mettons donc pas tous nos oeufs dans le même panier : nous développons certes la voiture électrique, mais nous continuons aussi à améliorer les performances de nos moteurs diesel et à essence en matière de consommation de carburant et d'émissions de dioxyde de carbone.

La France est notre premier marché et continuera de l'être : nous y vendons plus de 550 000 voitures par an et y détenons une part de marché de 25 %. Nos marchés suivants sont, dans l'ordre, le Brésil – où notre part de marché s'établit à 6,6 % –, la Russie – où elle s'établit à 7,6 % –, l'Allemagne et l'Argentine. Si l'on considère nos dix principaux marchés, il existe un très bon équilibre entre les marchés européens, où Renault bénéficie d'une présence traditionnelle, et les marchés émergents, parmi lesquels nous pourrons bientôt compter, je l'espère, la Chine.

La stratégie d'alliance et de partenariat constitue le point fort de Renault. Nous avons réussi toutes les alliances et tous les partenariats que nous avons signés depuis 1999. Nous sommes le seul constructeur automobile dans ce cas, et c'est un motif de fierté. Pourtant, ces alliances et ces partenariats ont toujours été quelque peu critiqués : on a dit qu'ils étaient déséquilibrés, qu'ils ne fonctionneraient pas bien, qu'ils donneraient lieu à des conflits. Or, rien de tel ne s'est produit : quinze ans après, l'alliance Renault-Nissan est un modèle dans l'industrie automobile. Les deux entreprises travaillent en partenariat, sans s'inscrire dans un rapport de forces. Nous laissons de côté le fait que Nissan est un groupe de plus grande taille ou que la participation financière de Renault est plus élevée. Nous respectons les identités de chacun des deux groupes, qui sont très différentes : Renault est français et Nissan japonais. Les collaborateurs des deux entreprises sont très fiers de leur identité propre, mais cela ne les empêche nullement de travailler ensemble ni de développer des synergies. L'alliance Renault-Nissan est le quatrième constructeur mondial en volume de production, avec une pente très positive, et le troisième en chiffre d'affaires – sachant que Nissan, très présent en Chine, ne peut pas consolider les résultats de la joint venture qu'elle y a constitué et dont elle ne détient que 50 %, conformément aux règles imposées par les autorités chinoises.

Les partenariats de Renault ne se limitent pas à Nissan. Nous avons de plus en plus de coopérations avec le groupe Daimler : nous fabriquons des véhicules et des moteurs en commun ; Renault fournit à Daimler beaucoup de moteurs et de technologies, Daimler en fournissant de son côté aussi bien à Renault qu'à Nissan. Nous travaillons également avec Mitsubishi et avec Fiat. Nous continuons à développer des partenariats avec Avtovaz en Russie ou encore avec Ashok Leyland en Inde.

En conclusion, loin d'être une simple commodité, la voiture est un objet qui va se développer de plus en plus : les voitures « autonomes » et les voitures « connectées » arriveront sur le marché non pas dans quinze ans, mais dans un délai de deux à quatre ans. C'est un enjeu important pour nous. Même s'il convient évidemment d'être compétitif, tout n'est pas qu'une affaire de coût : il faut aussi imaginer la voiture de demain. Pour cela, nous avons besoin de beaucoup de technologie et d'ingénierie. La surface dont nous bénéficions grâce à notre alliance avec Nissan nous permet d'être présents sur toutes les technologies, de ne pas faire d'impasse et, souvent, d'être en avance ou en amont d'un certain nombre de développements importants. Ainsi, nous sommes très fiers d'être le leader mondial en matière de voiture « zéro émission ». De même, nous planifions d'être parmi les premiers à présenter des voitures connectées et autonomes, avant la fin de la décennie en cours.

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