Intervention de Carlos Ghosn

Réunion du 10 septembre 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Carlos Ghosn, président-directeur général de Renault :

À la différence des petites entreprises ou des entrepreneurs qui démarrent, les grands groupes n'ont aucun problème de financement. Nous sommes même dans une situation plutôt privilégiée aujourd'hui : non seulement l'accès aux capitaux est facile, mais les taux d'intérêt sont très bas. Par ailleurs, la crise de 2008 – qui restera probablement présente dans les esprits pour quelques années encore – nous a appris que l'endettement pouvait constituer un sérieux problème. Par conséquent, aujourd'hui, les entreprises se désendettent et veillent à disposer d'une trésorerie beaucoup plus élevée qu'auparavant. Tel est notamment le cas du groupe Renault qui, historiquement, avait toujours été endetté.

Les alliances sont très importantes. Dans l'industrie, la base de la compétitivité est l'identité : vous êtes compétitif lorsque vous vous battez pour votre équipe, votre entreprise votre communauté, votre ville ou votre pays. Si, au contraire, vous travaillez dans une entité dans laquelle vous ne vous reconnaissez pas ou qui vous est indifférente, vous n'avez pas envie de vous battre. Renforcer l'identité d'un groupe est donc essentiel pour la compétitivité. C'est pourquoi nous voulons à tout prix que Renault, Nissan, Avtovaz ou Dongfeng restent ce qu'ils sont. Si l'on commence à dire aux collaborateurs qu'ils font partie d'un grand groupe qu'ils ne connaissent pas et dont les intérêts leur paraissent étrangers, ils n'auront pas envie de fournir l'effort nécessaire pour être compétitifs.

Cependant, lorsque vous renforcez les identités, vous avez tendance à morceler l'entreprise en petites entités ou équipes, ce qui nuit aux économies d'échelle, autre élément indispensable à la compétitivité. En effet, dans le secteur automobile notamment, la taille vous donne un certain nombre de leviers – capacité à investir, commandes plus importantes qui vous placent dans des conditions plus favorables vis-à-vis de vos fournisseurs – permettant de mieux répondre aux besoins des consommateurs. Il existe donc une contradiction entre le renforcement des identités et les économies d'échelle. Les alliances sont la seule manière de résoudre cette équation : elles permettent à un groupe de conserver son identité tout en ayant des partenaires qui jouent avec lui, sans se confondre avec lui.

Ainsi, Renault vend actuellement 2,7 millions de voitures dans le monde, mais bénéficie de la taille d'un groupe qui en vendrait 8,3 millions grâce à son alliance avec Nissan : nous négocions des contrats à une échelle plus grande que celle de Renault. Sur nos plates-formes, nous produisons des véhicules pour Nissan ou pour Mercedes. La nouvelle Smart de Mercedes et la Twingo ont été développées par la même équipe de Renault. Celle-ci a donc reçu des investissements à la fois de Renault et de Mercedes. Lorsqu'elle a négocié avec les fournisseurs, elle a pu commander des pièces en plus grande quantité, les volumes nécessaires à la fabrication de la Smart s'ajoutant à ceux de la Twingo. Mais chaque groupe commercialise son propre modèle et conserve son identité, et cela se passe très bien.

Certes, il n'est pas toujours facile de faire travailler ensemble des équipes sans tomber dans le rapport de forces, a fortiori dans la durée. Mais les alliances sont le seul moyen de réunir les deux facteurs de compétitivité que sont l'identité – l'appartenance est à la base de la motivation et de l'engagement – et les économies d'échelle. Le groupe Renault s'est engagé dans cette voie depuis quinze ans et cela fonctionne très bien. Si j'ai un conseil à donner, c'est donc de ne pas procéder à des fusions dans lesquelles les collaborateurs risquent de se sentir perdus. De nombreuses fusions se sont soldées par des échecs patents dans l'industrie automobile : ce que vous gagnez en économies d'échelle, vous le perdez en motivation et en engagement. Au bout du compte, vous êtes perdant.

S'agissant des véhicules propres, nous misons beaucoup sur la voiture électrique. Nous sommes très fiers d'avoir été pionniers et d'être aujourd'hui le leader mondial en la matière. Il s'agit d'ailleurs d'une technologie qui continue de se développer : les batteries vont devenir de plus en plus petites et durables, l'autonomie va augmenter. Nous avons programmé plusieurs versions successives de Renault Zoé et de Nissan Leaf, chacune plus performante que la précédente.

Nous faisons certes beaucoup de promotion sur la voiture électrique, mais nous n'en oublions pas pour autant les autres technologies : nous développons des véhicules hybrides et des piles à combustibles ; comme je l'ai déjà indiqué, nous améliorons aussi les performances de nos moteurs diesel et à essence. Compte tenu de notre taille et de la multiplicité de nos marques, il est nécessaire que nous disposions de toutes ces technologies. Grâce à notre alliance avec Nissan, nous sommes l'un des principaux investisseurs en matière de recherche et développement dans le secteur automobile. Nous travaillons aussi avec Daimler et Ford dans certains domaines, notamment sur les piles à combustible. Nous avons ainsi l'échelle qui nous permet de ne faire l'impasse sur aucune technologie.

En tout cas, nous croyons très fortement à la voiture électrique, en France comme dans le reste du monde. L'équation environnementale n'est pas près d'être résolue, et il n'y a pas d'autre solution pour concilier le développement de l'industrie automobile avec la lutte contre le réchauffement climatique. Compte tenu des réglementations imposées par la Chine, par les États-Unis et, bientôt, par l'Union européenne, le parc automobile devra nécessairement compter à terme 20 à 25 % de véhicules « zéro émission » ou très proches de cette performance.

Relèvent des technologies « zéro émission » le véhicule électrique, qui est prêt, et la pile à combustible, qui est techniquement prête, mais pour laquelle la question de l'alimentation est loin d'être réglée. Il n'est déjà pas simple d'implanter des bornes électriques sur le territoire national. Je vous laisse donc imaginer les difficultés que soulèvera l'installation d'un système d'alimentation en hydrogène pour 100 000 à 200 000 voitures équipées d'une pile à combustible, non seulement en termes d'investissements, mais aussi de sécurité. Parmi les « véhicules propres » figurent en outre les plug-in hybrids, qui sont non pas des véhicules hybrides, mais des voitures essentiellement électriques dotées d'un petit moteur à essence qui leur donne une autonomie supérieure à 100 ou 200 kilomètres. Nous sommes présents sur tous ces créneaux.

Cela étant, l'innovation concerne non seulement la motorisation – c'est-à-dire la réduction des émissions de dioxyde de carbone et de la dépendance à l'égard du pétrole –, mais aussi et surtout l'utilisation de la voiture. D'esclave, la voiture va devenir partenaire : si, aujourd'hui, l'utilisateur commande tout, à l'avenir, la voiture va anticiper certains besoins. Ainsi, lorsque vous n'aurez pas envie de conduire, vous mettrez la voiture en mode autonome, et elle vous amènera à destination sans que vous ayez besoin d'intervenir. Nous développons aussi des prototypes qui prennent le pouls du conducteur, examine ses yeux…

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