Intervention de Carlos Ghosn

Réunion du 10 septembre 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Carlos Ghosn, président-directeur général de Renault :

S'agissant des résultats du mois d'août que vous citez, ce sont des chiffres qu'il faut apprécier sur des périodes plus longues : il y a des cycles, certains constructeurs lancent de nouveaux véhicules, etc. Nous allons nous-même lancer une nouvelle Twingo : les carnets de commandes sont déjà très fournis et nous en attendons une hausse de nos parts de marché. Il faut donc plutôt regarder les chiffres à l'échelle d'une année entière.

Je ne nourris aucune inquiétude sur la pérennité de notre présence en France, qui se situe autour de 25 % des parts de marché : elle peut descendre à 22 %, remonter à 28 %. Je ne harcèle pas les commerciaux mois par mois, car il y a forcément des variations. La concurrence est forte, mais nous sommes très compétitifs, notamment grâce à notre très solide réseau de vente.

L'un des points essentiels pour réduire les écarts de compétitivité, c'est la diminution des charges qui pèsent sur les salaires : le mouvement est engagé, il va dans le bon sens, mais il faut continuer, car nous sommes loin du compte. Pour vous donner une idée des chiffres, le CICE rapportera 35 millions à Renault en 2013 ; l'accord de compétitivité que nous avons signé nous rapporte 500 millions en année pleine jusqu'en 2016 : il faut donc allier mesures globales et accords sociaux au sein de l'entreprise. Je souligne que cet accord de compétitivité avait été rendu possible par un accord national, à la suite duquel nous avions été les premiers à signer un accord d'entreprise : c'est bien un état d'esprit national favorable à la concertation qui nous avait permis de conclure cet accord.

La sous-traitance est essentielle pour un constructeur automobile : plus de 50 % du chiffre d'affaires est constitué d'achats ; une voiture est composée de 3 000 à 4 000 pièces, dont la plupart sont achetées. Nous prêtons donc une grande attention à nos sous-traitants, qui sont nombreux. Beaucoup de nos sous-traitants français rencontrent d'ailleurs un grand succès : ils sont forts en France, forts à l'étranger. Mais il faut, comme les grands groupes, qu'ils concluent des alliances ; nous essayons de les aider, notamment dans les secteurs très exposés à la concurrence internationale, à trouver des partenaires afin de développer la technologie et la compétitivité, tout en conservant l'identité de chacun. Bien sûr, c'est facile à dire, infiniment moins facile à faire. Nous consacrons, je vous l'assure, beaucoup de temps au développement de notre tissu de fournisseurs, notamment en France, qui reste pour nous une base de production essentielle.

Quant aux performances en matière de sécurité, la Twingo a reçu quatre étoiles : elle est donc très compétitive dans son segment. Je serai en essais avec les journalistes dès la semaine prochaine : elle semble déjà très appréciée, et sa sécurité n'a pas été considérée comme insuffisante. C'est une voiture très innovante, avec beaucoup de points forts.

Vous soulignez la grande réputation des voitures allemandes : en effet, les Allemands réussissent là où tous les autres – et pas seulement nous, mais aussi les Américains, les Japonais, les Coréens… – échouent jusqu'à maintenant ! Le segment premium est pour les Allemands une niche. Mais il ne faut pas voir cette situation comme un problème : c'est au contraire une formidable chance, puisque toute percée sur le très profitable segment du haut de gamme, où nous sommes peu présents, sera une très bonne nouvelle ! Nous allons ainsi présenter très prochainement, au salon de Paris, la nouvelle Espace, fruit d'une collaboration entre Renault, Nissan et Daimler. Jamais nous n'avions mis en commun nos savoir-faire de cette façon. Renault a créé le segment des monospaces, et je crois beaucoup à ce nouveau véhicule, qui sera de grande qualité. La nouvelle berline du segment D, pour laquelle nous avons beaucoup investi, arrivera bientôt également. Encore une fois, je suis très confiant : ce sont des opportunités à saisir.

La Tesla disposera certes de 500 kilomètres d'autonomie, mais à quel prix ! L'autonomie augmente avec la taille de la batterie, mais celle-ci pèse, et le confort de conduite finit par s'en ressentir : tout est question d'équilibre – et de marché. Nous voulons, nous, produire des voitures à des prix abordables : nous ne sommes pas les promoteurs de la voiture électrique dans l'absolu, mais les promoteurs de la voiture électrique populaire. Nos ingénieurs travaillent avec des très fortes contraintes de coûts : c'est pour cela que la Zoé est compétitive dans son segment. Bien sûr, ses performances pourraient être meilleures, mais elle serait beaucoup plus chère. La Tesla est donc un choix, qui n'est pas le nôtre.

L'euro est encore fort aujourd'hui, même s'il l'est moins que naguère. Toute baisse de son cours est plutôt une bonne nouvelle pour nous, naturellement, même si nous avons la chance de n'y être pas trop sensibles, puisque nous produisons et vendons en euros. Nissan dépend bien plus du cours du yen que Renault ne dépend du cours de l'euro. Nous sommes en fait beaucoup plus attentifs aux fluctuations des cours du rouble, de la livre turque, du peso argentin.

S'agissant des matières premières, cela dépend beaucoup de la taille de la voiture, mais elles représentent grosso modo 10 % à 20 % du coût d'un véhicule.

Nous sommes bien conscients que la voiture est parfois perçue comme une nuisance. C'est pourquoi nous développons notre stratégie « zéro émission ». Les voitures autonomes et connectées permettront en partie de répondre au problème de la congestion des villes : communiquant entre elles, elles pourront optimiser les trajets. Bien sûr, cela ne fait pas disparaître la nécessité de disposer d'infrastructures suffisantes, ce qui n'est pas le cas partout, par exemple en Amérique du Sud ou en Inde : il faut des routes de qualité, des périphériques autour des villes…

S'agissant des pièces détachées, nous sommes opposés à la libéralisation. Sans même mentionner les questions de qualité, de sécurité, l'enjeu économique est loin d'être négligeable pour les constructeurs – dont il ne faudrait pas oublier qu'ils ont financé, par leurs investissements, la conception de ces pièces.

Enfin, sur les voitures à hydrogène, nous nous intéressons bien sûr à cette technologie. Nous disposons de prototypes de voitures qui utilisent la pile à combustibles ; ils marchent très bien ; nous avons en ce domaine un accord avec Daimler et Ford. Mais les constructeurs ne se fixent pas tous le même calendrier. Voulons-nous commercialiser un modèle pour le vendre à deux cents, à mille exemplaires ? Quel sera le retour sur investissement ? L'Alliance compte vendre 80 000 voitures électriques par an : cela commence à être significatif, et nous sommes de loin les premiers en ce domaine.

La pile à combustible est une technologie très prometteuse, j'en suis convaincu. Mais où se fournir en hydrogène aujourd'hui en France ? L'installation des bornes électriques est lente, or elles ne coûtent que quelques milliers d'euros chacune ; une station d'hydrogène, c'est des centaines de milliers d'euros ! Il y aura des solutions, mais pas avant plusieurs années. D'autre part, ces voitures coûtent encore extrêmement cher. Nous sommes donc loin d'avoir atteint les conditions qui nous permettraient de les commercialiser en masse.

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