Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi d'être devant vous ce matin, en tant que président de l'ADEME, ce bel outil au service des politiques publiques en matière d'énergie et d'environnement.
La moitié des quelque 1 000 salariés de l'Agence travaille en région, ce qui démontre son aptitude à articuler une pensée globale avec une action territoriale. Nous sommes l'établissement public au service de la transition énergétique et écologique. Par nos actions de recherches et d'innovation, de conseil, de communication, de soutiens techniques et financiers, nous accompagnons l'ensemble des acteurs – collectivités, entreprises, particuliers – vers des modes de consommation et de production plus durables.
Par nature, nous sommes donc tout particulièrement concernés par la réussite de la transition énergétique et par ce projet de loi. Depuis le lancement du débat national sur la transition énergétique, nous avons eu l'occasion d'interagir régulièrement avec le ministère et les autres parties prenantes. Nous sommes donc pleinement impliqués dans ce texte dont nous soutenons les ambitions dans les domaines qui nous concernent. Après vous avoir exposé notre vision du projet, des avancées qu'il permet et des perspectives qu'il ouvre, je répondrai volontiers à vos questions.
Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie vous ayant présenté le contexte et les motivations de ce projet de loi mardi soir, je me contenterai de vous en souligner les lignes de force, telles que nous les percevons.
L'objectif est de placer notre société sur une trajectoire permettant de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet en 2050, ce qui implique une diminution de 50 % de la consommation d'énergie et le déploiement massif des énergies renouvelables dans les territoires. Cet objectif ambitieux correspond aux préconisations de l'ADEME dans les scénarios prospectifs qu'elle a effectués pendant de longs mois, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Maîtriser sa consommation, c'est préserver l'environnement, mais c'est aussi avoir prise sur sa facture : l'économique, le social et l'environnemental sont liés. Au-delà de ses objectifs de long terme, le projet de loi vise à stimuler dès à présent les acteurs sur le terrain : il s'inspire des territoires, les conforte dans leurs démarches et généralise les bonnes pratiques. Comme nous le constatons tous les jours au travers des actions que nous menons, la transition énergétique ne se fait et ne se fera pas sans la mobilisation des territoires. Le débat national et ses déclinaisons régionales ont prouvé que la transition énergétique est déjà en marche dans les régions ; l'enjeu de ce texte est de l'accélérer, de la soutenir et de la généraliser. Il s'agit de créer les conditions d'une dynamique de son appropriation à tous les niveaux de la société, en saisissant toutes les opportunités technologiques mais aussi en essayant d'engager les actions nécessaires pour faire évoluer les comportements.
Les principes d'action et les objectifs sont posés. Leur mise en oeuvre nécessitera une grande mobilisation, tant dans l'écriture des textes réglementaires qui en découlent que dans les actions d'animation et d'accompagnement sur le terrain. Ce projet de loi est un élément central de la transition énergétique, mais il doit s'accompagner d'un plan d'action et de mobilisation et être complété par d'autres textes législatifs, tels que ceux relatifs à la décentralisation et le projet de loi de finances.
La fiscalité environnementale devra être l'un des leviers de la transition énergétique. Il faudra montrer qu'elle n'est pas une couche supplémentaire d'impôts mais qu'elle peut, si elle est redistribuée vers les ménages et les entreprises, se substituer à une part de la fiscalité qui pèse sur le travail et pénalise donc l'emploi. Elle permet également de réduire nos importations d'énergies fossiles, améliorant ainsi la balance commerciale de notre pays. Ce chantier alliant technicité et pédagogie fera prendre conscience à tous que la fiscalité écologique peut être synonyme de double dividende, écologique et économique.
Le droit à l'expérimentation est l'une des lignes de force, l'un des éléments centraux du texte. Ce projet de loi devrait donner de nouveaux droits à l'expérimentation, qu'il s'agisse d'urbanisme, de mobilité, de production ou consommation d'énergie, de modulation des droits de mutations, afin de soutenir l'innovation dans les territoires plutôt que de chercher à imposer dès à présent des mesures nationales. L'état d'esprit reste le même : stimuler et permettre plutôt que d'imposer ; évaluer avant de généraliser.
Les mesures envisagées pour faire évoluer nos modèles de gouvernance sont également essentielles. Il faut en effet revoir ces modèles, de manière à assurer une participation plus équilibrée de toutes les parties prenantes, notamment les collectivités, tant dans notre système énergétique que dans le développement de l'économie circulaire. La construction d'une société plus sobre et moins énergivore n'est envisageable que si la transition énergétique s'appuie sur cet objet social que sont les territoires, au premier rang desquels les régions. L'échelon territorial constitue le maillon élémentaire de cohérence fonctionnelle et opérationnelle. C'est à ce niveau que les différentes politiques d'urbanisme, d'environnement, de transport et de logement se conjuguent et entrent en interaction avec les préoccupations de santé, de qualité de vie, de culture, d'emplois et d'attractivité permettant de véritables approches transversales dans une logique de développement durable.
Pour poursuivre ces propos liminaires, ouvrons quelques perspectives. Au-delà des objectifs ambitieux mais nécessaires annoncés à l'heure où le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nous alerte une fois de plus sur l'évolution du changement climatique, il s'agira également de mettre en place des dispositifs de pilotage et d'évaluation permettant de suivre l'avancement de la transition énergétique voire de la réorienter en fonction des évolutions de contexte, des étapes, du chemin parcouru ou des difficultés rencontrées.
L'objectif de 50 % de réduction de la consommation d'énergie d'ici 2050 devra également être intégré dans toute la chaîne, depuis les missions des opérateurs de régulation et de distribution de l'énergie jusqu'au renforcement sur le terrain des plans climat-énergie territoriaux (PCET), l'outil qui aide les territoires à devenir des territoires à énergie positive, partisans de la croissance verte.
Permettre à chaque territoire d'agir, c'est également lui donner les moyens de connaître sa situation, notamment en matière de consommation énergétique. La création d'un véritable service public de la donnée énergétique, capable d'alimenter les décideurs aux différentes échelons de territoire, est nécessaire à la réussite de ce changement de modèle. Pour le chantier de la rénovation des bâtiments, nous aurions également intérêt à disposer réellement du service public de la performance énergétique de l'habitat prévu par la loi Brottes, car il permettrait d'organiser l'accompagnement de nos concitoyens dans ce domaine. Point n'est besoin d'insister sur l'urgence de ce chantier et je pourrai revenir sur les dispositifs qui commencent à se mettre en place dans le cadre des plateformes territoriales.
En ce qui concerne le financement de la transition énergétique, les principaux leviers ne seront pas forcément du ressort de cette loi : certaines mesures relèvent de la loi de finances tandis que d'autres, non législatives, doivent être débattues à la suite de la Conférence bancaire et financière pour le financement de la transition énergétique qui s'est tenue en juin dernier. Néanmoins, nous souhaitons que cette loi de programmation permette de tester des financements innovants. Si les possibilités de déroger au monopole bancaire ou de faire appel à un fonds de garantie ne suscitent pas l'adhésion de tous, en particulier celle des banques, nous ne pouvons en rester là : l'argent qualifié de disponible par les banques devra être effectivement mobilisé au service de la transition énergétique.
Rappelons que le coût de la transition énergétique – environ 25 milliards d'euros par an – n'est, en terme d'investissements, qu'à peine supérieur à celui de la « non-transition énergétique » car la consommation induit de très lourds investissements dans la production. Cet apparent surcoût de la transition énergétique – d'environ 5 milliards d'euros par an en moyenne – doit être considéré au regard des bénéfices induits : développement de l'emploi local pour rénover plutôt que d'aggraver notre déficit commercial en payant du pétrole ; dommages évités. Ne pas s'engager dans la transition énergétique coûterait quelque 150 milliards d'euros annuels à la France en 2050, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Enfin, répétons que la transition énergétique, un projet de société, ne peut se faire sans prise en compte de la question sociale. À cet égard, la création du chèque énergie participe au bouclier énergétique voulu par tous les membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Il faut désormais réfléchir à son contenu, à sa mise en place et à son mode de financement, compte tenu de l'état des finances publiques. Ce chèque doit permettre l'accès à l'énergie de tous les consommateurs, quel que soit leur mode de chauffage. Quel est le meilleur vecteur de financement ? Est-ce la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ? La question se pose au moment où nous voulons construire cette société plus sobre mais aussi plus équitable, chère au président Brottes.
Outre ces dispositifs à caractère transversal, le projet contient des mesures sectorielles relatives à l'efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables, comme celles qui visent à favoriser l'accélération de la rénovation et la mobilisation de la biomasse ou à mieux protéger la qualité de l'air. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions sur tous ces points.