La commission spéciale a auditionné M. Bruno Léchevin, président de l'ADEME.
Nous accueillons M. Bruno Léchevin, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui va nous donner son avis sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et sur la place réservée à l'agence dans ce texte.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi d'être devant vous ce matin, en tant que président de l'ADEME, ce bel outil au service des politiques publiques en matière d'énergie et d'environnement.
La moitié des quelque 1 000 salariés de l'Agence travaille en région, ce qui démontre son aptitude à articuler une pensée globale avec une action territoriale. Nous sommes l'établissement public au service de la transition énergétique et écologique. Par nos actions de recherches et d'innovation, de conseil, de communication, de soutiens techniques et financiers, nous accompagnons l'ensemble des acteurs – collectivités, entreprises, particuliers – vers des modes de consommation et de production plus durables.
Par nature, nous sommes donc tout particulièrement concernés par la réussite de la transition énergétique et par ce projet de loi. Depuis le lancement du débat national sur la transition énergétique, nous avons eu l'occasion d'interagir régulièrement avec le ministère et les autres parties prenantes. Nous sommes donc pleinement impliqués dans ce texte dont nous soutenons les ambitions dans les domaines qui nous concernent. Après vous avoir exposé notre vision du projet, des avancées qu'il permet et des perspectives qu'il ouvre, je répondrai volontiers à vos questions.
Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie vous ayant présenté le contexte et les motivations de ce projet de loi mardi soir, je me contenterai de vous en souligner les lignes de force, telles que nous les percevons.
L'objectif est de placer notre société sur une trajectoire permettant de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet en 2050, ce qui implique une diminution de 50 % de la consommation d'énergie et le déploiement massif des énergies renouvelables dans les territoires. Cet objectif ambitieux correspond aux préconisations de l'ADEME dans les scénarios prospectifs qu'elle a effectués pendant de longs mois, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Maîtriser sa consommation, c'est préserver l'environnement, mais c'est aussi avoir prise sur sa facture : l'économique, le social et l'environnemental sont liés. Au-delà de ses objectifs de long terme, le projet de loi vise à stimuler dès à présent les acteurs sur le terrain : il s'inspire des territoires, les conforte dans leurs démarches et généralise les bonnes pratiques. Comme nous le constatons tous les jours au travers des actions que nous menons, la transition énergétique ne se fait et ne se fera pas sans la mobilisation des territoires. Le débat national et ses déclinaisons régionales ont prouvé que la transition énergétique est déjà en marche dans les régions ; l'enjeu de ce texte est de l'accélérer, de la soutenir et de la généraliser. Il s'agit de créer les conditions d'une dynamique de son appropriation à tous les niveaux de la société, en saisissant toutes les opportunités technologiques mais aussi en essayant d'engager les actions nécessaires pour faire évoluer les comportements.
Les principes d'action et les objectifs sont posés. Leur mise en oeuvre nécessitera une grande mobilisation, tant dans l'écriture des textes réglementaires qui en découlent que dans les actions d'animation et d'accompagnement sur le terrain. Ce projet de loi est un élément central de la transition énergétique, mais il doit s'accompagner d'un plan d'action et de mobilisation et être complété par d'autres textes législatifs, tels que ceux relatifs à la décentralisation et le projet de loi de finances.
La fiscalité environnementale devra être l'un des leviers de la transition énergétique. Il faudra montrer qu'elle n'est pas une couche supplémentaire d'impôts mais qu'elle peut, si elle est redistribuée vers les ménages et les entreprises, se substituer à une part de la fiscalité qui pèse sur le travail et pénalise donc l'emploi. Elle permet également de réduire nos importations d'énergies fossiles, améliorant ainsi la balance commerciale de notre pays. Ce chantier alliant technicité et pédagogie fera prendre conscience à tous que la fiscalité écologique peut être synonyme de double dividende, écologique et économique.
Le droit à l'expérimentation est l'une des lignes de force, l'un des éléments centraux du texte. Ce projet de loi devrait donner de nouveaux droits à l'expérimentation, qu'il s'agisse d'urbanisme, de mobilité, de production ou consommation d'énergie, de modulation des droits de mutations, afin de soutenir l'innovation dans les territoires plutôt que de chercher à imposer dès à présent des mesures nationales. L'état d'esprit reste le même : stimuler et permettre plutôt que d'imposer ; évaluer avant de généraliser.
Les mesures envisagées pour faire évoluer nos modèles de gouvernance sont également essentielles. Il faut en effet revoir ces modèles, de manière à assurer une participation plus équilibrée de toutes les parties prenantes, notamment les collectivités, tant dans notre système énergétique que dans le développement de l'économie circulaire. La construction d'une société plus sobre et moins énergivore n'est envisageable que si la transition énergétique s'appuie sur cet objet social que sont les territoires, au premier rang desquels les régions. L'échelon territorial constitue le maillon élémentaire de cohérence fonctionnelle et opérationnelle. C'est à ce niveau que les différentes politiques d'urbanisme, d'environnement, de transport et de logement se conjuguent et entrent en interaction avec les préoccupations de santé, de qualité de vie, de culture, d'emplois et d'attractivité permettant de véritables approches transversales dans une logique de développement durable.
Pour poursuivre ces propos liminaires, ouvrons quelques perspectives. Au-delà des objectifs ambitieux mais nécessaires annoncés à l'heure où le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nous alerte une fois de plus sur l'évolution du changement climatique, il s'agira également de mettre en place des dispositifs de pilotage et d'évaluation permettant de suivre l'avancement de la transition énergétique voire de la réorienter en fonction des évolutions de contexte, des étapes, du chemin parcouru ou des difficultés rencontrées.
L'objectif de 50 % de réduction de la consommation d'énergie d'ici 2050 devra également être intégré dans toute la chaîne, depuis les missions des opérateurs de régulation et de distribution de l'énergie jusqu'au renforcement sur le terrain des plans climat-énergie territoriaux (PCET), l'outil qui aide les territoires à devenir des territoires à énergie positive, partisans de la croissance verte.
Permettre à chaque territoire d'agir, c'est également lui donner les moyens de connaître sa situation, notamment en matière de consommation énergétique. La création d'un véritable service public de la donnée énergétique, capable d'alimenter les décideurs aux différentes échelons de territoire, est nécessaire à la réussite de ce changement de modèle. Pour le chantier de la rénovation des bâtiments, nous aurions également intérêt à disposer réellement du service public de la performance énergétique de l'habitat prévu par la loi Brottes, car il permettrait d'organiser l'accompagnement de nos concitoyens dans ce domaine. Point n'est besoin d'insister sur l'urgence de ce chantier et je pourrai revenir sur les dispositifs qui commencent à se mettre en place dans le cadre des plateformes territoriales.
En ce qui concerne le financement de la transition énergétique, les principaux leviers ne seront pas forcément du ressort de cette loi : certaines mesures relèvent de la loi de finances tandis que d'autres, non législatives, doivent être débattues à la suite de la Conférence bancaire et financière pour le financement de la transition énergétique qui s'est tenue en juin dernier. Néanmoins, nous souhaitons que cette loi de programmation permette de tester des financements innovants. Si les possibilités de déroger au monopole bancaire ou de faire appel à un fonds de garantie ne suscitent pas l'adhésion de tous, en particulier celle des banques, nous ne pouvons en rester là : l'argent qualifié de disponible par les banques devra être effectivement mobilisé au service de la transition énergétique.
Rappelons que le coût de la transition énergétique – environ 25 milliards d'euros par an – n'est, en terme d'investissements, qu'à peine supérieur à celui de la « non-transition énergétique » car la consommation induit de très lourds investissements dans la production. Cet apparent surcoût de la transition énergétique – d'environ 5 milliards d'euros par an en moyenne – doit être considéré au regard des bénéfices induits : développement de l'emploi local pour rénover plutôt que d'aggraver notre déficit commercial en payant du pétrole ; dommages évités. Ne pas s'engager dans la transition énergétique coûterait quelque 150 milliards d'euros annuels à la France en 2050, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Enfin, répétons que la transition énergétique, un projet de société, ne peut se faire sans prise en compte de la question sociale. À cet égard, la création du chèque énergie participe au bouclier énergétique voulu par tous les membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Il faut désormais réfléchir à son contenu, à sa mise en place et à son mode de financement, compte tenu de l'état des finances publiques. Ce chèque doit permettre l'accès à l'énergie de tous les consommateurs, quel que soit leur mode de chauffage. Quel est le meilleur vecteur de financement ? Est-ce la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ? La question se pose au moment où nous voulons construire cette société plus sobre mais aussi plus équitable, chère au président Brottes.
Outre ces dispositifs à caractère transversal, le projet contient des mesures sectorielles relatives à l'efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables, comme celles qui visent à favoriser l'accélération de la rénovation et la mobilisation de la biomasse ou à mieux protéger la qualité de l'air. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions sur tous ces points.
Monsieur Léchevin, je rappelle que vous avez été délégué général du Médiateur national de l'énergie et que vous avez fait un passage à la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Vous aurez le droit de vous écarter du sujet et, n'étant tenu à aucun devoir de réserve, de dire exactement ce que vous pensez.
Actuellement, les politiques nationales ne sont pas appliquées dans les zones non interconnectées (ZNI) – c'est-à-dire qui ne sont pas reliées au réseau électrique de la métropole – comme les outre-mer. Le fonds chaleur est l'un de ces nombreux dispositifs créés au niveau national qui ne sont absolument pas pertinents sur les territoires d'outre-mer. Qu'entendez-vous faire pour que les choses évoluent dans ce domaine ?
S'agissant du droit à l'expérimentation, pensez-vous qu'il doit être le même pour tous ou s'appliquer de manière différenciée dans les ZNI et dans l'Hexagone, sachant que certains territoires font l'objet de lois d'habilitation ?
Alors qu'il est souvent question du coût de la transition énergétique, je vous remercie, monsieur Léchevin, d'avoir dit ce qu'il nous en coûterait de ne pas nous engager dans cette voie.
Comme ma collègue, je voulais revenir sur le droit à l'expérimentation car je pense aussi qu'il faut stimuler et permettre plutôt que d'imposer. Puisque, par définition, l'expérimentation laisse la place à des initiatives différentes, pouvons-nous en donner une définition générale ?
Vous avez mentionné un service public de la donnée énergétique ou de la performance énergétique de l'habitat et avancé l'idée d'une plateforme territoriale qui pose la question de la gouvernance. Que signifie pour vous la notion de territoire ? Quelle est son échelle ? Quel type de gouvernance envisagez-vous ?
Sur la notion de droit à l'expérimentation, je vous invite à regarder son aspect constitutionnel. N'hésitez pas à interroger le Conseil constitutionnel, car M. Léchevin ne sait pas forcément ce que peut la loi en cette matière.
Le titre VIII du projet de loi contient quelques pistes d'expérimentation très encadrées. Si nous voulons que les territoires puissent prendre des initiatives sans être entravés par des règles à vocation nationale mais inadaptées à leur cas, il est important qu'ils puissent mener des expérimentations.
Une version antérieure du projet de loi prévoyait la mise en place d'un service public de l'efficacité énergétique au niveau régional auquel l'ADEME était particulièrement favorable. Comment imaginez-vous ce dispositif ? Comment envisagez-vous ses relations avec l'ADEME et avec les territoires ?
Le financement du chèque énergie repose presque totalement sur la contribution des consommateurs d'électricité et de gaz alors qu'il bénéficierait à tous les précaires énergétiques, y compris ceux qui se chauffent au moyen d'énergies fossiles. Quelle est votre réflexion dans ce domaine ? Pensez-vous qu'il serait pertinent d'étendre l'utilisation du chèque énergie à l'achat de matériels électroménagers plus performants en matière de consommation énergétique ?
Le service public de la donnée énergétique que vous évoquez n'est pas inscrit dans le texte, même si l'un des articles prévoit un meilleur accès aux données. Pensez-vous qu'il faudrait renforcer le texte pour le rendre plus lisible et avez-vous des suggestions en la matière ?
La ministre nous a indiqué que le montant du fonds chaleur serait doublé dans les trois ans à venir. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le rythme de cette augmentation ?
Si vous rêviez tout haut à la manière dont l'ADEME pourrait, dans le cadre de ce projet de loi, voir ses compétences élargies pour permettre de mieux mettre en oeuvre la transition énergétique, que proposeriez-vous d'ajouter dans ce texte ?
L'ADEME est déjà un acteur prépondérant de l'évolution nécessaire de notre mode de consommation. Nous avons convenu, y compris Mme la ministre, qu'il est nécessaire d'enrichir le titre VI sur les transports, en particulier par des mesures sur la mobilité dans les territoires ruraux. Sans aller jusqu'à rêver, avez-vous des propositions concrètes que nous pourrions introduire dans le texte, dans un délai extrêmement restreint ?
La manière dont nous allons définir le chèque énergie aura un effet sur son rôle. Que préconisez-vous ?
Le texte prévoit quelque 80 milliards d'euros d'engagements pour financer la transition énergétique par du crédit puisqu'il n'y a pas de ligne budgétaire. Avez-vous des propositions plus cadrées ?
L'un de nos collègues envisageait l'élargissement des compétences de l'ADEME. Avec quel budget ? Avant de repenser les missions, il faudrait peut-être parler des moyens de l'agence.
Le modèle de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d'énergie sur lequel a travaillé l'ADEME a été élaboré il y a deux ans, au début de cette discussion. Pensez-vous que nous allons atteindre les objectifs de 2020 ? Sinon, que faudrait-il faire pour accélérer la réussite des plans que vous avez développés ?
Comment est mesurée la performance énergétique, sachant que nos objectifs sont exprimés en énergie primaire, en réduction de gaz à effet de serre et en baisse de consommation ? Ne faut-il pas fixer d'autres objectifs ? La réglementation thermique 2012 n'en a pas prévu parce que nous nous faisions la guerre, entre partisans du gaz ou de l'électricité. Ne faut-il pas prévoir d'autres critères tels que les énergies primaires, les émissions de CO2, et la part en énergies renouvelables ?
Vos objectifs seront atteignables si nous faisons un gros effort dans le secteur du bâtiment mais la rénovation est en panne, notamment en raison de la jungle des aides. Signalons que l'aide au produit peut avoir des effets négatifs : les prix de certains produits augmentent et deviennent plus élevés qu'en Allemagne ou en Belgique. Ne faut-il pas privilégier les aides à des plans globaux de rénovation, organisées par territoires ?
Tous les produits sont certifiés et évalués par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Ne pensez-vous pas que cet organisme mélange les genres : recherche, évaluation, conseil, expertise, contrôle ? Nous devrions aborder ce sujet d'actualité.
Les allégations de performance ne devraient-elles pas figurer dans tous les contrats de prestations d'efficacité énergétique, notamment si se développent des plateformes de conseil à la rénovation au niveau régional ?
Monsieur Léchevin, vous avez insisté sur la nécessité de nous doter de dispositifs de pilotage et d'évaluation et de réfléchir au modèle de gouvernance. À l'UMP, nous plaidons pour la création d'un commissariat à la transition énergétique, rattaché au Premier ministre, qui permettrait notamment de concilier le respect d'objectifs nationaux votés par le Parlement et la nécessaire liberté des collectivités territoriales. Celles-ci conduisent des plans de développement d'énergie verte sans parfois se soucier des objectifs fixés par le législateur. Un tel commissariat pourrait aussi jouer un rôle dans l'information du grand public et l'octroi d'autorisations de nouvelles installations. Qu'en pensez-vous, sachant que cette création aurait des conséquences sur votre agence ?
La complexité de la fiscalité est telle que nos concitoyens craignent un contrôle fiscal une fois les travaux réalisés, ce qui freine la rénovation des logements. Ne pensez-vous pas que le service public de la performance énergétique devrait d'abord proposer des diagnostics gratuits ouvrant immédiatement droit à un aménagement fiscal, et ne pas seulement mesurer la performance des bâtiments ?
Ma première question portera sur le tiers financement qui rencontre, dites-vous, certaines difficultés. Quelle proposition estimez-vous la plus pertinente pour le développement de ce tiers financement ? L'application du monopole bancaire ne me semble pas une bonne solution – cela ne vous surprendra pas – mais je voulais avoir votre avis, eu égard aux discussions qui ont eu lieu notamment dans le cadre de la Conférence bancaire.
Pensez-vous qu'il est possible de diviser par deux la consommation d'énergie à l'horizon 2050 sans nuire à la qualité de la vie ?
Quel premier bilan tirez-vous de la création du guichet unique de la rénovation thermique et de l'efficacité énergétique ? À ma connaissance, le traitement des dossiers se heurte à des difficultés, ce qui est à la fois une très bonne et une mauvaise nouvelle : le dispositif fonctionne et nombre de nos concitoyens veulent effectuer des travaux de rénovation thermique mais, en cas d'embolie du système, ils n'y parviendront pas. Quels sont les moyens affectés ou nécessaires au fonctionnement de ce guichet unique ?
Les observateurs et parlementaires jugeront ce projet de loi sur deux points précis : la crédibilité des objectifs ; la corrélation entre les objectifs et les moyens.
Quant à l'ADEME, elle va être sollicitée sur deux volets particuliers : les économies d'énergie via les appels à projets « territoires à énergie positive » et les énergies renouvelables. Notons que la moitié des objectifs fixés dans ce domaine concernent la chaleur renouvelable, ce qui suppose une forte augmentation du fonds spécialisé de l'ADEME. Nous ne pouvons qu'approuver la décision de doubler la dotation de ce fonds chaleur, qui va passer de 200 millions d'euros à 400 millions d'euros.
Votre budget s'élève actuellement à 470 millions d'euros : 200 millions pour le fonds chaleur, 130 millions pour les déchets, le reste pour l'air, les transports et le bâtiment. Il n'est abondé que par la taxe générale sur les activités polluantes sur les déchets (TGAP) et n'est pas du tout alimenté par la fiscalité des produits énergétiques.
À quelques jours de la présentation du budget, personne ne croira que vous ignorez à quelle sauce vous allez être mangé. Je souhaiterais donc savoir très précisément comment vous ferez passer le fonds chaleur de 200 à 400 millions d'euros tout en finançant les appels à projets « territoires à énergie positive », dans le cadre de cette évolution budgétaire. Si vous n'y parvenez pas, cette loi sera accusée de se résumer à des objectifs ambitieux mais inatteignables.
L'accès aux données est essentiel pour que les collectivités locales puissent établir de manière assez fine des politiques envers les différents publics ciblés. Pourquoi serait-ce à l'ADEME de les collecter ou de les gérer puisque certains opérateurs tels que ERDF ou EDF en disposent déjà et peuvent les mettre à disposition de ceux qui en ont besoin, en premier lieu les collectivités, dans le respect des règles de confidentialité en vigueur ? Il n'est pas nécessaire d'avoir un intermédiaire de plus.
Monsieur Léchevin, votre expérience passée m'incite à vous poser une question à laquelle vous n'êtes pas obligé de répondre. Avec Jean Gaubert, nous avons évoqué hier un éventuel élargissement du périmètre des compétences du Médiateur national de l'énergie, notamment en cas de conflit sur les installations des énergies renouvelables. Qu'en pensez-vous ?
Il semble utile et de bon goût de s'interroger sur l'évolution des missions du Médiateur national de l'énergie, sur sa transformation éventuelle en un Médiateur national de la transition énergétique. Jusqu'où doit-on aller ? Le Médiateur s'est installé au fil des ans dans le paysage énergétique français où il occupe un rôle central. Mais la donne et les approches ont changé, une complexité et des difficultés nouvelles apparaissent : incité à devenir un acteur de la transition énergétique, le consommateur devient parfois un producteur d'énergie et il est confronté aux problèmes de raccordements, de financement, etc. Qu'une instance publique puisse traiter tous les litiges qui apparaissent dans le cadre de cette transition énergétique, cela mérite réflexion. C'est au Parlement d'en décider, de fixer son cadre et ses limites.
Si je ne veux pas éluder les questions sur le budget de l'ADEME, je ne peux y apporter que les réponses que je connais. À ce jour et dans des circonstances pourtant extrêmement difficiles pour les finances publiques, le budget de l'ADEME est consolidé au même niveau que celui de cette année : 590 millions d'euros d'autorisations d'engagement. C'est une bonne nouvelle mais comment pourrait-il en être autrement au regard de la dynamique voulue par ce projet de loi ? Comme faire de l'ADEME l'opérateur essentiel du développement des politiques publiques liées à la transition énergétique si cela ne se traduit pas dans ses moyens financiers ?
Cependant, il a aussi été décidé un doublement du fonds chaleur, comme vous l'avez relevé. Comment est-ce conciliable avec un simple maintien des autorisations d'engagement ? Indépendamment du budget affecté à l'ADEME, il existe un fonds spécial de la transition énergétique, évoqué par la ministre à plusieurs reprises, qui est doté de 1,5 milliard d'euros. Une partie de ces moyens va financer des appels à projets et des dossiers suivis par l'ADEME, notamment dans le cadre du fonds chaleur. La dotation de ce dernier – environ 200 millions d'euros – devrait doubler en trois ans : 70 millions d'euros en 2015, 130 millions d'euros en 2016 et 200 millions en 2017.
C'est fondamental puisque, comme vous l'avez souligné, la conversion à la chaleur renouvelable est l'un des éléments essentiels nous permettant d'atteindre les objectifs de la transition énergétique. Le fonds chaleur a démontré toute son efficacité puisque sa contribution à la production d'énergie s'élève actuellement à 1,3 million de tonnes équivalent pétrole (TEP). Avec le doublement de sa dotation, nous pourrons atteindre les 4,5 millions de TEP qui sont tout à fait nécessaires au rééquilibrage du mix énergétique et donc au développement des énergies renouvelables, y compris dans le domaine de la chaleur.
À ce stade et en ces temps « maastrichtiens », je ne peux vous dire comment sera financé ce fonds spécial. Une commission de l'inspection générale a travaillé sur le sujet et elle va rendre ses conclusions ainsi que des propositions qui enrichiront le débat parlementaire. Une partie de cette enveloppe sera consacrée aux appels à projets « zéro gaspillage, zéro déchet » et « territoires à énergie positive » de l'ADEME.
Pour ce qui est des transports, on ne peut pas dire qu'ils fassent l'objet des plus grands développements du projet de loi. Nous avons du mal à trouver les politiques publiques innovantes qui nous permettront de réussir la transition énergétique dans ce secteur. Au-delà des opportunités technologiques – voiture propre, mobilité douce, développement des bornes de recharge –, il faut faire évoluer les comportements. La société va vers plus de services, on assiste au développement du covoiturage et de l'autopartage. Ce processus n'en est qu'à ses débuts et ne traduit pas les aspirations d'une seule génération. Grâce aux outils de communication disponibles, il est possible de le généraliser et d'offrir aux gens des services qui les aideront à se déplacer autrement. Il faut aussi inventer d'autres modèles, y compris dans l'urbanisme : la mobilité – et les émissions de gaz à effet de serre afférents – est liée à la densité des territoires, à la manière de lier l'urbain, le périurbain et le rural, etc.
Les scénarios de l'ADEME font une place importante au gaz que l'on aime surtout quand il est renouvelable. Le biogaz, l'un des éléments du rééquilibrage du mix énergétique et de la diminution des émissions de gaz à effet de serre, peut notamment être utilisé dans les transports collectifs en milieu rural.
Quant au service public de la rénovation énergétique dans le bâtiment, sa mission est de conseiller les consommateurs, qu'ils soient propriétaires ou locataires, et de les accompagner à toutes les étapes, du diagnostic énergétique à la mise en oeuvre des travaux d'amélioration des performances de leur logement. Ce service public de l'efficacité énergétique devra s'appuyer sur les plateformes territoriales de la rénovation énergétique que nous mettons progressivement en place avec les régions depuis l'an dernier : nous devrions atteindre et même dépasser notre objectif de 50 créations cette année, sachant qu'il en faudrait au moins 400 pour couvrir le pays. Elles seront chapeautées et accompagnées par le service public régional de l'efficacité énergétique. Fondées sur des expériences et des acquis divers, ces plateformes fonctionnent selon des modalités différentes qu'il faudra expertiser avant de les généraliser.
S'agissant des expérimentations, qui ont suscité plusieurs questions, il nous faut être subtils, intelligents et pertinents pour parvenir à les faire entrer dans le cadre : elles doivent être encadrées, à durée déterminée, et évaluées avant d'être généralisées. Peut-être ce nouveau modèle de société implique-t-il de faire évoluer la Constitution ? Nos valeurs fondamentales peuvent être enrichies sans être reniées ni dévoyées. Il faut gagner les esprits pour que ce travail soit initié, sans forcément être aussi ambitieux qu'on pourrait l'imaginer.
Les expérimentations doivent tenir compte des réalités et des spécificités, donc ne pas être verrouillées au niveau national : la climatologie des DOM n'est pas celle de la métropole. La loi doit fixer les conditions dans lesquelles les expérimentations vont se dérouler, en fixer les limites, le cadre, la durée.
Le fonds chaleur doit être envisagé sous cet angle et il faut rappeler que son plus gros dossier, d'un montant de 20 millions d'euros, porte sur un projet de climatisation à partir de l'eau de mer : le SWAC (sea water air conditioning) de La Réunion. À ce jour, le fonds chaleur a autant investi dans les DOM qu'en métropole, ce qui prouve que cette spécificité est prise en compte. Peut-être faut-il aller plus loin ? Vous êtes en contact avec nos équipes, notamment avec notre direction des DOM, pour le faire.
La création du chèque énergie me réjouit : c'est un combat de plusieurs années dans divers métiers et une conviction personnelle. Il ne doit pas seulement figurer dans le texte mais être financé dans la durée. Cela étant, la précarité énergétique doit aussi être traitée par l'amélioration de l'habitat : l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) a enfin trouvé une dynamique positive et son budget devrait être consolidé. Tout citoyen doit pouvoir devenir acteur de la transition énergétique, notamment en rénovant son habitat, mais l'urgence sociale est de s'occuper des factures d'énergie, notamment de chauffage. Les dispositifs sociaux ne sont pas à la hauteur des enjeux : le chèque énergie devrait fournir une aide moyenne de 250 euros minimum pour les 4 millions de précaires concernés, ce qui représente un montant global d'un milliard d'euros. Si l'on veut en faire un vrai bouclier énergétique, il faudra y mettre les moyens mais, compte tenu de l'état des finances publiques, qui doit payer ? Ce ne peut être que la collectivité, mais doit-elle le faire via le seul consommateur d'électricité ou via tous les consommateurs d'énergie ? Il faut donc revoir la CSPE et poser la question de son élargissement.
Lors de son prochain colloque, l'Observatoire de la précarité énergétique, piloté par l'ADEME, va publier des travaux sur la précarité énergétique, redéfinie en fonction d'une série de critères et non plus par l'unique paramètre habituellement retenu : le fait que 10 % du budget de la personne ou du foyer est dépensé en factures d'énergie. La précarité énergétique ne concerne pas le seul logement, mais s'étend à la mobilité et à la santé. Elle ne toucherait donc pas 4 millions de personnes comme l'indiquent les données de 2006, mais près de 20 % de la population.
Il faut donc traiter ce problème et ne pas avoir peur du financement. J'espère que nous n'aurons pas de mauvaise surprise et que la mesure inscrite dans la loi se traduira dans les faits. Cela étant, même si le dispositif créé est à la hauteur des enjeux, doté des financements adéquats, des moyens de trouver les gens et de les aider, il faudra beaucoup de temps, au moins dix-huit mois. Si l'on ne s'y met pas rapidement, il ne fonctionnera ni pour l'hiver prochain ni même pour le suivant.
Le chèque énergie pourrait être utilisé, voire abondé, pour l'achat d'un appareil électroménager plus performant. Il permettrait alors de traiter l'urgence sociale tout en participant à la réduction de la consommation d'énergie.
À condition que ceux qui vendent ces produits n'en profitent pas pour augmenter les prix !
C'est toute la question des effets pervers des mesures adoptées.
La rénovation des bâtiments représente aussi un enjeu considérable, dont dépend la réalisation de nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de baisse de consommation. La situation n'est pas florissante, mais elle devrait s'améliorer grâce à la dynamique initiée depuis un an et aux mesures fiscales annoncées cet été. Il faut simplifier la jungle des aides. Les dispositions et les outils existent, à commencer par les plateformes territoriales de la rénovation énergétique et le service public de l'efficacité énergétique que j'ai déjà cités.
Ce chantier de longue haleine nous engage pour dix, vingt, voire trente ans : l'objectif est d'arriver à 500 000 logements rénovés en 2017. Il y a une volonté politique et un engagement de tous les acteurs, dont l'ADEME qui en a fait l'une de ses priorités et qui agit avec ses partenaires, les collectivités territoriales et les autres opérateurs de l'État.
Madame Duflot, nous avons fait une étude sur les modes de vie, résumée en huit pages que je vais vous envoyer. Elle démontre que la transition énergétique – et la baisse de la consommation d'énergie qui y est associée – doit se faire sans dégrader les modes de vie. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment mobiliser une société en lui promettant une dégradation de son mode de vie et en la plaçant dans une perspective de décroissance ? Ce n'est pas envisageable. La transition énergétique n'a de sens que si elle est désirable, et nous devons la rendre telle grâce à nos préconisations.
Nous sommes optimistes parce que nos scénarios n'intègrent pas le bénéfice d'éventuelles ruptures technologiques et retiennent des rythmes de croissance tout à fait réalistes. Si nous parvenons à mobiliser nos concitoyens et à rendre cette transition énergétique désirable, souhaitable et réalisable, nous démontrerons qu'il est possible de construire une société différente qui crée de l'emploi parce qu'innovante et inventive. Une croissance économique plus forte n'implique pas forcément une augmentation de la consommation d'énergie : au cours des dernières années, l'Allemagne et la Grande-Bretagne ont enregistré une croissance – faible, certes, en raison de la crise économique – tout en abaissant leur consommation d'énergie, ce qui montre une absence de corrélation entre ces deux paramètres.
Évidemment. Outre un complément écrit à mes réponses, je vous ferai parvenir notre sympathique publication de huit pages sur les modes de vie, dont on peut discuter avec ses voisins et avec ses concitoyens sur le territoire.
Votre document est-il en ligne sur le site de l'ADEME ?
Bruno Léchevin. Bien sûr, de même que l'étude développée qui fait quatre-vingts pages.
Les mesures incitatives, aussi brillantes et efficaces soient-elles, vont-elles suffire ? Ne faudrait-il pas les compléter par des dispositions réglementaires, voire coercitives ? L'incitation n'est perceptible qu'à ceux qui ont les moyens d'y répondre, alors que le coercitif et le réglementaire s'imposent à tous, y compris aux personnes morales.
Le réglementaire est utile ; l'incitatif est stimulant ; la conjugaison des deux permet d'atteindre le bon équilibre. Si la transition énergétique est un beau projet de société, on ne peut le réaliser par une approche coercitive et punitive. En revanche, au vu des limites de l'incitation, il faudra garder une approche réglementaire voire coercitive dans certains domaines.
À M. Denis Baupin, qui m'a demandé d'imaginer un possible élargissement des compétences de l'ADEME, je répondrai que je suis le moins bien placé pour le faire : il vous revient d'en décider. Ce que je sais, c'est qu'on attend beaucoup de l'ADEME et qu'on lui demandera d'en faire davantage avec un budget égal. Comme l'ensemble des opérateurs d'État, l'agence doit faire des efforts de productivité, apprendre à travailler mieux, plus simplement et plus rapidement sans dévoyer la qualité. Je mobilise l'ensemble des collaborateurs sur ces thématiques et je leur explique tous les jours qu'il vaut mieux être dans une structure qui risque d'être dépassée par les commandes que dans une entreprise qui s'interroge sur sa survie.
Le pays a besoin de l'ADEME et celle-ci doit être à ce rendez-vous. À nous de répondre au défi qui nous est lancé en fluidifiant nos manières d'intervenir. Tous les collaborateurs de l'ADEME sont dans cette dynamique. Que faudrait-il donner de plus ou de mieux à l'agence ? Il faut la consolider et la conforter en termes de moyens, de ressources et d'exigences pour qu'elle puisse être au service de la transition énergétique, avec les collectivités territoriales, nos concitoyens et les entreprises.
Membres présents ou excusés
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte
Réunion du jeudi 11 septembre 2014 à 10 heures
Présents. - M. Damien Abad, M. Bernard Accoyer, Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Ericka Bareigts, M. Philippe Bies, M. Christophe Bouillon, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Cécile Duflot, M. Daniel Fasquelle, M. Joël Giraud, M. Jean Launay, M. Jean-Luc Laurent, M. Alain Leboeuf, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Serge Letchimy, Mme Frédérique Massat, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, Mme Émilienne Poumirol, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Béatrice Santais, M. Stéphane Travert, Mme Catherine Troallic, M. Jean-Paul Tuaiva
Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Rémi Pauvros
Assistaient également à la réunion. - M. Michel Lesage, M. Hervé Pellois