Intervention de Bruno Léchevin

Réunion du 11 septembre 2014 à 10h00
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Bruno Léchevin, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie :

Il semble utile et de bon goût de s'interroger sur l'évolution des missions du Médiateur national de l'énergie, sur sa transformation éventuelle en un Médiateur national de la transition énergétique. Jusqu'où doit-on aller ? Le Médiateur s'est installé au fil des ans dans le paysage énergétique français où il occupe un rôle central. Mais la donne et les approches ont changé, une complexité et des difficultés nouvelles apparaissent : incité à devenir un acteur de la transition énergétique, le consommateur devient parfois un producteur d'énergie et il est confronté aux problèmes de raccordements, de financement, etc. Qu'une instance publique puisse traiter tous les litiges qui apparaissent dans le cadre de cette transition énergétique, cela mérite réflexion. C'est au Parlement d'en décider, de fixer son cadre et ses limites.

Si je ne veux pas éluder les questions sur le budget de l'ADEME, je ne peux y apporter que les réponses que je connais. À ce jour et dans des circonstances pourtant extrêmement difficiles pour les finances publiques, le budget de l'ADEME est consolidé au même niveau que celui de cette année : 590 millions d'euros d'autorisations d'engagement. C'est une bonne nouvelle mais comment pourrait-il en être autrement au regard de la dynamique voulue par ce projet de loi ? Comme faire de l'ADEME l'opérateur essentiel du développement des politiques publiques liées à la transition énergétique si cela ne se traduit pas dans ses moyens financiers ?

Cependant, il a aussi été décidé un doublement du fonds chaleur, comme vous l'avez relevé. Comment est-ce conciliable avec un simple maintien des autorisations d'engagement ? Indépendamment du budget affecté à l'ADEME, il existe un fonds spécial de la transition énergétique, évoqué par la ministre à plusieurs reprises, qui est doté de 1,5 milliard d'euros. Une partie de ces moyens va financer des appels à projets et des dossiers suivis par l'ADEME, notamment dans le cadre du fonds chaleur. La dotation de ce dernier – environ 200 millions d'euros – devrait doubler en trois ans : 70 millions d'euros en 2015, 130 millions d'euros en 2016 et 200 millions en 2017.

C'est fondamental puisque, comme vous l'avez souligné, la conversion à la chaleur renouvelable est l'un des éléments essentiels nous permettant d'atteindre les objectifs de la transition énergétique. Le fonds chaleur a démontré toute son efficacité puisque sa contribution à la production d'énergie s'élève actuellement à 1,3 million de tonnes équivalent pétrole (TEP). Avec le doublement de sa dotation, nous pourrons atteindre les 4,5 millions de TEP qui sont tout à fait nécessaires au rééquilibrage du mix énergétique et donc au développement des énergies renouvelables, y compris dans le domaine de la chaleur.

À ce stade et en ces temps « maastrichtiens », je ne peux vous dire comment sera financé ce fonds spécial. Une commission de l'inspection générale a travaillé sur le sujet et elle va rendre ses conclusions ainsi que des propositions qui enrichiront le débat parlementaire. Une partie de cette enveloppe sera consacrée aux appels à projets « zéro gaspillage, zéro déchet » et « territoires à énergie positive » de l'ADEME.

Pour ce qui est des transports, on ne peut pas dire qu'ils fassent l'objet des plus grands développements du projet de loi. Nous avons du mal à trouver les politiques publiques innovantes qui nous permettront de réussir la transition énergétique dans ce secteur. Au-delà des opportunités technologiques – voiture propre, mobilité douce, développement des bornes de recharge –, il faut faire évoluer les comportements. La société va vers plus de services, on assiste au développement du covoiturage et de l'autopartage. Ce processus n'en est qu'à ses débuts et ne traduit pas les aspirations d'une seule génération. Grâce aux outils de communication disponibles, il est possible de le généraliser et d'offrir aux gens des services qui les aideront à se déplacer autrement. Il faut aussi inventer d'autres modèles, y compris dans l'urbanisme : la mobilité – et les émissions de gaz à effet de serre afférents – est liée à la densité des territoires, à la manière de lier l'urbain, le périurbain et le rural, etc.

Les scénarios de l'ADEME font une place importante au gaz que l'on aime surtout quand il est renouvelable. Le biogaz, l'un des éléments du rééquilibrage du mix énergétique et de la diminution des émissions de gaz à effet de serre, peut notamment être utilisé dans les transports collectifs en milieu rural.

Quant au service public de la rénovation énergétique dans le bâtiment, sa mission est de conseiller les consommateurs, qu'ils soient propriétaires ou locataires, et de les accompagner à toutes les étapes, du diagnostic énergétique à la mise en oeuvre des travaux d'amélioration des performances de leur logement. Ce service public de l'efficacité énergétique devra s'appuyer sur les plateformes territoriales de la rénovation énergétique que nous mettons progressivement en place avec les régions depuis l'an dernier : nous devrions atteindre et même dépasser notre objectif de 50 créations cette année, sachant qu'il en faudrait au moins 400 pour couvrir le pays. Elles seront chapeautées et accompagnées par le service public régional de l'efficacité énergétique. Fondées sur des expériences et des acquis divers, ces plateformes fonctionnent selon des modalités différentes qu'il faudra expertiser avant de les généraliser.

S'agissant des expérimentations, qui ont suscité plusieurs questions, il nous faut être subtils, intelligents et pertinents pour parvenir à les faire entrer dans le cadre : elles doivent être encadrées, à durée déterminée, et évaluées avant d'être généralisées. Peut-être ce nouveau modèle de société implique-t-il de faire évoluer la Constitution ? Nos valeurs fondamentales peuvent être enrichies sans être reniées ni dévoyées. Il faut gagner les esprits pour que ce travail soit initié, sans forcément être aussi ambitieux qu'on pourrait l'imaginer.

Les expérimentations doivent tenir compte des réalités et des spécificités, donc ne pas être verrouillées au niveau national : la climatologie des DOM n'est pas celle de la métropole. La loi doit fixer les conditions dans lesquelles les expérimentations vont se dérouler, en fixer les limites, le cadre, la durée.

Le fonds chaleur doit être envisagé sous cet angle et il faut rappeler que son plus gros dossier, d'un montant de 20 millions d'euros, porte sur un projet de climatisation à partir de l'eau de mer : le SWAC (sea water air conditioning) de La Réunion. À ce jour, le fonds chaleur a autant investi dans les DOM qu'en métropole, ce qui prouve que cette spécificité est prise en compte. Peut-être faut-il aller plus loin ? Vous êtes en contact avec nos équipes, notamment avec notre direction des DOM, pour le faire.

La création du chèque énergie me réjouit : c'est un combat de plusieurs années dans divers métiers et une conviction personnelle. Il ne doit pas seulement figurer dans le texte mais être financé dans la durée. Cela étant, la précarité énergétique doit aussi être traitée par l'amélioration de l'habitat : l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) a enfin trouvé une dynamique positive et son budget devrait être consolidé. Tout citoyen doit pouvoir devenir acteur de la transition énergétique, notamment en rénovant son habitat, mais l'urgence sociale est de s'occuper des factures d'énergie, notamment de chauffage. Les dispositifs sociaux ne sont pas à la hauteur des enjeux : le chèque énergie devrait fournir une aide moyenne de 250 euros minimum pour les 4 millions de précaires concernés, ce qui représente un montant global d'un milliard d'euros. Si l'on veut en faire un vrai bouclier énergétique, il faudra y mettre les moyens mais, compte tenu de l'état des finances publiques, qui doit payer ? Ce ne peut être que la collectivité, mais doit-elle le faire via le seul consommateur d'électricité ou via tous les consommateurs d'énergie ? Il faut donc revoir la CSPE et poser la question de son élargissement.

Lors de son prochain colloque, l'Observatoire de la précarité énergétique, piloté par l'ADEME, va publier des travaux sur la précarité énergétique, redéfinie en fonction d'une série de critères et non plus par l'unique paramètre habituellement retenu : le fait que 10 % du budget de la personne ou du foyer est dépensé en factures d'énergie. La précarité énergétique ne concerne pas le seul logement, mais s'étend à la mobilité et à la santé. Elle ne toucherait donc pas 4 millions de personnes comme l'indiquent les données de 2006, mais près de 20 % de la population.

Il faut donc traiter ce problème et ne pas avoir peur du financement. J'espère que nous n'aurons pas de mauvaise surprise et que la mesure inscrite dans la loi se traduira dans les faits. Cela étant, même si le dispositif créé est à la hauteur des enjeux, doté des financements adéquats, des moyens de trouver les gens et de les aider, il faudra beaucoup de temps, au moins dix-huit mois. Si l'on ne s'y met pas rapidement, il ne fonctionnera ni pour l'hiver prochain ni même pour le suivant.

Le chèque énergie pourrait être utilisé, voire abondé, pour l'achat d'un appareil électroménager plus performant. Il permettrait alors de traiter l'urgence sociale tout en participant à la réduction de la consommation d'énergie.

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