Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 23 octobre 2012 à 17h45
Commission des affaires européennes

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes :

Je vous remercie, madame la présidente, de votre invitation à rendre compte, devant la commission des affaires européennes, des conditions dans lesquelles le Conseil européen s'est déroulé et des conclusions auxquelles il a pu aboutir.

Votre sentiment que ce conseil constituait une transition entre le Conseil de réorientation de la politique de l'Union européenne des 28 et 29 juin derniers et le Conseil du mois de décembre prochain est juste. C'est ce dernier qui sera très décisif, puisque Herman Van Rompuy présentera véritablement sa feuille de route, le rapport présenté vendredi dernier n'étant qu'un rapport d'étape. Le Conseil européen de la fin de la semaine avait essentiellement trois objectifs : faire le point sur le plan de croissance arrêté lors du Conseil des 28 et 29 juin derniers ; faire le point également sur l'union bancaire et la supervision bancaire qui en est le premier pilier ; prendre connaissance des conclusions du rapport d'étape d'Herman Van Rompuy.

Premièrement, le plan de croissance de 120 milliards d'euros est composé de trois piliers : les fonds structurels non programmés, mobilisés pour 55 milliards ; la recapitalisation de la Banque européenne d'investissement pour 10 milliards ; la mobilisation de la première génération d'obligations de projets ou project bonds. Le Conseil a vérifié que le calendrier de mise en oeuvre de ce plan était bien respecté ; il l'est. Les 55 milliards d'euros de la Commission sont aujourd'hui disponibles, et la plupart des États, y compris la France, ont sollicité leur administration pour examiner les conditions permettant de mobiliser les fonds qui restent disponibles. Les règlements concernant les obligations de projets ont été pris – une première tranche de 100 millions d'euros sur 230 millions a été mobilisée plus particulièrement pour les transports. Le conseil d'administration de la Banque européenne d'investissement, réuni au mois de juillet, a pris un ensemble de décisions garantissant que le conseil des gouverneurs sera en situation, au mois de décembre prochain, de libérer a priori en une seule fois la totalité des 10 milliards de recapitalisation pour déclencher 60 milliards d'euros de prêts.

Le plan de croissance n'est pas un solde de tout compte, il est une première étape qui en appelle d'autres, lesquelles ont été évoquées au cours du Conseil européen. Ce sont d'abord les perspectives financières de l'Union européenne pour la période 2014-2020 : elles sont en cours de négociation et doivent faire l'objet d'un accord, normalement au mois de novembre prochain. Nous avons arrêté notre position sur ces perspectives financière et, quand la négociation sur les chiffres commencera, nous serons prêts. Nous nous sommes préparés de façon à nous mettre en situation d'obtenir ce que nous voulons : un équilibre entre un bon budget pour l'Union européenne et nos capacités à respecter nos engagements budgétaires. Ce que nous allons prélever sur le budget de l'État pour alimenter le budget de l'Union européenne représente des sommes non négligeables, et ce prélèvement peut obérer nos engagements en matière de déficit devant la Commission s'il est trop important. En même temps, nous voulons que l'Europe ait un bon budget pour pouvoir atteindre nos objectifs. La discussion interministérielle nous a permis de trouver cet équilibre.

En matière de volumes budgétaires, nos choix doivent nous permettre de maintenir un très haut niveau d'aides directes pour la politique agricole commune, dont nous ne souhaitons pas voir une nouvelle diminution des enveloppes. Nous avons indiqué notre disponibilité pour organiser, dans le cadre du premier pilier de la PAC, la convergence du dispositif d'aides directes, dans la progressivité pour éviter des effets de décrochage dont les agriculteurs auraient à subir les effets. Nous avons souhaité un bon niveau pour les fonds de cohésion, de manière à pouvoir faire reconnaître les régions en transition en France et faire des investissements structurants pour demain. Cela signifie que nous avons réaffirmé nos positions concernant le filet de sécurité allemand et le filet de sécurité inversé polonais. Le filet allemand, c'est la volonté des Allemands de bénéficier d'au moins deux tiers des sommes qu'ils recevaient dans le précédent cadre budgétaire pour les Länder est-allemands dont le PIB a progressé. Nous ne considérons pas cela comme très lisible. Nous avons affirmé notre préférence pour le filet de sécurité inversé, qui garantit que l'indexation des fonds de cohésion sur la progression du PIB dans un certain nombre de pays d'Europe de l'Est ne leur assurera pas une rente telle que notre propre capacité à bénéficier de fonds de cohésion en serait obérée.

Nous avons aussi indiqué, dans le cadre de cette négociation, notre souhait que les rabais consentis à certains États, dont un en particulier, soient contenus et maîtrisés, et que le budget de l'Union européenne puisse bénéficier de ressources propres. Dans cette perspective, le Conseil européen a acté la mise en place de la taxe sur les transactions financières dans le cadre d'une coopération renforcée à onze États. La lettre sera adressée à la Commission, ce qui devrait permettre, d'ici à la fin de l'année, de voir cette taxe sur les transactions financières suffisamment profilée pour avoir une chance d'être mise en oeuvre au début de l'année 2013. Nous souhaitons que cette TTF puisse alimenter, à terme et le plus vite possible, le budget de l'Union européenne.

L'ambition de croissance est relayée non seulement par les perspectives budgétaires, dont je viens d'indiquer quelle devait être l'équation aux yeux de la France, mais aussi par la politique industrielle. Nous avons la volonté de faire s'engager l'Union européenne dans une politique industrielle soutenant l'innovation, le transfert de technologies, la montée en gamme de nos produits. Nous avons engagé des discussions avec les Allemands pour mettre en oeuvre cette politique industrielle sur des filières d'excellence, en mobilisant les moyens de l'Union. C'est ainsi qu'a été constitué le groupe de travail sur l'électromobilité et que d'autres verront le jour demain. À cet effet, dans le cadre des cérémonies du cinquantième anniversaire du Traité de l'Élysée, nous travaillons à une déclaration commune définissant des sujets, notamment industriels et de politique énergétique, autour desquels nous pourrions renforcer notre coopération avec l'Allemagne.

Enfin, le Conseil européen a acté le principe du juste échange, qui n'est ni une remise en cause du libre-échange ni, contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là, la manifestation d'une tentation protectionniste de la France. Il s'agit simplement de faire en sorte que les pays dont les entreprises présentent leur candidature à nos marchés publics puissent ouvrir leurs marchés publics à nos propres entreprises. Cela signifie également que des critères de mieux-disant social et environnemental garantissent que des produits ne respectant pas nos normes ne viennent pas, sur son territoire, accentuer la désindustrialisation dont l'Union européenne est déjà la victime.

Deuxièmement, la remise en ordre de la finance. Certains d'entre vous s'étaient inquiétés, lors de séances précédentes, du risque de dissonance franco-allemande sur la question de la supervision bancaire et de l'union bancaire. Cette dissonance ne s'est pas faite entendre, un compromis a été trouvé sur des bases proches des propositions faites par la Commission et du souhait qu'avait exprimé la France d'une supervision des 6 000 banques de la zone euro par un superviseur européen adossé à la Banque centrale européenne. Je rappelle que la discussion avec les Allemands portait sur le point de savoir si nous allions procéder à la supervision de toutes les banques ou seulement à celle des banques systémiques, les caisses d'épargne et les banques populaires allemandes attachées aux Länder souhaitant échapper à la supervision intégrée.

Nous avons finalement trouvé un accord qui a fait l'objet d'un compromis au sein du Conseil européen : toutes les banques seront supervisées. Les textes législatifs mis en oeuvre par la Commission seront prêts et opérationnels avant la fin de l'année 2012 pour rendre cette supervision effective en 2013. Conformément aux propositions de la Commission, la mise en oeuvre de la supervision se fera en trois étapes : une première étape au premier semestre 2013, pour les banques des pays sous programme ou bénéficiant d'une assistance ; à partir du 1er juillet 2013 pour les banques systémiques ; à partir du 1er janvier 2014 pour toutes les banques de l'Union européenne. C'est ainsi qu'en quelques mois, nous rendrons opérationnelle la supervision de la totalité du système bancaire européen.

La mise en place de la supervision de toutes les banques est le préalable à deux autres dispositifs. D'une part, l'achèvement de l'union bancaire, qui appelle la mise en place de systèmes de résolution des crises bancaires et de garantie des dépôts. Deux textes ont été élaborés par la Commission en 2010 et en 2012, qui doivent permettre de mettre en oeuvre l'union bancaire dans son ensemble. Bien entendu, nous veillerons à ce que le calendrier soit respecté pour que l'union bancaire soit effective dans les meilleurs délais. D'autre part, la supervision bancaire est le préalable à la recapitalisation directe des banques par le mécanisme européen de stabilité. La Chancelière a confirmé, hier, son interprétation de cette recapitalisation en indiquant que les banques irlandaises pourraient bénéficier de cette recapitalisation. Les banques des pays bénéficiant d'une assistance ou d'une aide étant supervisées au premier semestre 2013, nous devrons veiller à ce que les banques espagnoles, qui relèvent de ce dispositif d'assistance depuis que l'Eurogroupe de juillet a décidé de mobiliser 100 milliards d'euros pour assurer leur recapitalisation, pourront bien bénéficier de la recapitalisation directe par le MES à compter du premier semestre 2013.

Troisièmement, le rapport d'étape de la feuille de route d'Herman Van Rompuy. On y trouve cette idée d'un projet de budget de la zone euro, présenté, selon les interlocuteurs, comme un budget d'amortissement des chocs conjoncturels, un budget d'accompagnement des réformes structurelles ou un budget destiné à financer des politiques nouvelles. Vous avez raison, madame la présidente, d'insister sur la destination à donner à ce budget avant que de le doter. Nous, Français, sommes désireux d'accompagner cette démarche mais en même temps prudents vis-à-vis du calendrier. Si nous acceptons qu'il soit mis en oeuvre avant que les négociations sur les perspectives financières 2014-2020 aient abouti, nous risquons d'inciter certains pays tentés par des coupes très importantes dans le budget de l'Union européenne à accentuer leur pression sous prétexte qu'un budget de la zone euro permettrait d'en amortir les effets. Le Premier ministre de Grande-Bretagne a ainsi prétendu que diminuer de 200 milliards le budget de l'Union européenne pour 2014-2020 n'aurait pas d'incidence pour les pays de la zone euro puisque, souhaitant un budget pour eux-mêmes, ils pourront y mettre ce que les autres ne veulent pas donner. Ne courons pas le risque de donner à ceux qui veulent couper le budget des armes pour le faire en ayant bonne conscience.

Le budget de la zone euro ne peut pas être considéré comme le seul instrument de mutualisation dont l'Europe a besoin pour renforcer sa solidarité. Il ne pourrait pas se substituer à la mutualisation de la dette à terme, dès lors que l'intégration des politiques budgétaires aurait été accomplie. De ce point de vue, je me réjouis que, dans le rapport d'Herman Van Rompuy, les émissions communes de dette de court terme ouvrent une perspective sur la mise en place, à terme, d'eurobonds, comme nous l'avions souhaité lors du Conseil européen du mois de juin.

Pour terminer, la conférence budgétaire interparlementaire résulte de la mise en oeuvre de l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. C'est une initiative parlementaire qui vous appartient désormais. Le Parlement européen et les parlements nationaux doivent parler ensemble pour mettre en oeuvre cette conférence interparlementaire. Si je vous disais comment procéder et à quelle date la tenir, vous pourriez légitimement me reprocher de vouloir remettre en cause les prérogatives souveraines du Parlement français et du Parlement européen, ce que je me garderai bien de faire par respect pour ces institutions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion