Tout d'abord, je vous remercie de m'avoir invité pour un échange autour de la réforme de la PAC.
Quel est le calendrier ? Il dépend de celui des négociations sur les perspectives financières de l'Union. Si tout se passe au conseil européen des 22 et 23 Novembre comme nous le souhaitons, à savoir qu'un cadre financier puisse être défini d'ici à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine, on peut envisager l'adoption de la réforme de la PAC au printemps 2013, sous présidence irlandaise. Les perspectives financières générales sont déterminantes car du budget européen global dépend bien sûr celui de la PAC. On ne peut pas, comme l'avait fait le gouvernement précédent, à la fois demander une baisse importante de la contribution française au budget européen et militer pour le maintien du budget de la PAC. Ce serait s'exposer à un procès en inconséquence de la part des autres pays et courir un grand risque de voir le budget de la PAC révisé à la baisse.
Nous avons cherché à trouver des alliés parmi les pays de l'Union attachés à la PAC afin d'être plusieurs à défendre, comme le propose la Commission, le maintien du budget de la PAC au niveau de 2013, soit 386 milliards d'euros pour la période 2014-2020. Nous sommes parvenus à un accord avec mon homologue allemande, Mme Ilse Aigner. C'est une avancée majeure. A l'occasion de la dernière réunion du Conseil de sécurité alimentaire de la FAO à Rome, nous avons trouvé un accord avec l'Espagne et l'Italie. Que, conformément au souhait du Président de la République, le Gouvernement français défende le principe d'un budget européen global ambitieux, à la hauteur des enjeux, porteur de croissance et de solidarité, est bien sûr de nature à nous aider. Pour obtenir le maintien du budget de la PAC, nous avons intérêt à ne pas opposer politique agricole et politique de cohésion. Si nous militions en faveur du maintien des moyens de la politique agricole tout en demandant une baisse drastique de ceux de la politique de cohésion, nous perdrions à coup sûr le soutien de beaucoup de pays, en particulier d'Europe centrale.
La réforme de la PAC comporte trois grands sujets et, tout d'abord, la convergence des aides.
La question se pose à l'échelle européenne tout d'abord. L'objectif est que les aides à l'hectare soient, à terme, sensiblement identiques dans tous les pays. Cela suppose des rattrapages car elles varient aujourd'hui fortement selon les pays et à l'intérieur d'un même pays. Cette convergence européenne exige des transferts entre anciens et nouveaux pays membres : les pays d'Europe centrale, où les aides sont encore nettement inférieures, souhaitent un rattrapage. Notre position est claire : nous sommes disposés à faire l'effort de solidarité nécessaire, mais nous refusons que notre contribution soit plus élevée que celle de l'Allemagne. Il est hors de question que la France se trouve pénalisée du fait de sa surface agricole. Avec un taux moyen d'aide d'environ 300 euros l'hectare, elle se situe dans la moyenne européenne. Mais comme elle a une surface agricole utile plus vaste que les autres pays, elle reçoit logiquement davantage au titre du premier pilier. L'enjeu de ce rattrapage est pour la France et l'Allemagne une contribution supplémentaire de quelque 250 millions d'euros par an.
Les aides devront également converger au niveau national. Il nous faudra donc sortir du mécanisme des références historiques qui a fait que dans notre pays, les aides varient en moyenne de 450 à 170 euros à l'hectare selon les lieux et les productions. Mais nous n'accepterons pas que le processus de convergence aboutisse à moins de moyens pour notre élevage et notre polyculture-élevage : leur défense est une priorité. Il ne s'agit ni de privilégier ni de stigmatiser une production par rapport à une autre. Nous avons besoin de grandes productions céréalières mais nous avons aussi besoin de transformer nos céréales pour garder la valeur ajoutée en France, et la production animale en est un moyen.
Dans cette perspective, nous proposerons de majorer le montant de l'aide sur les premiers hectares, et cette idée française est en train de progresser à l'échelle européenne. Cela permettra de protéger les exploitations les plus riches en emplois car ce sont les premiers hectares qui y contribuent le plus.
Nous avons pris le sujet par ce biais plutôt que par celui du plafonnement, sur lequel nous sommes en désaccord avec plusieurs pays, en particulier l'Allemagne. Celle-ci est opposée au plafonnement pour des raisons historiques liées à sa réunification. Si les aides étaient plafonnées, les grandes exploitations d'ex-Allemagne de l'Est connaîtraient en effet de sérieuses difficultés. En revanche, en Bavière, on serait tout à fait favorable à un plafonnement. Alors qu'en France, schématiquement, la gauche est plutôt favorable au plafonnement et la droite défavorable, c'est l'inverse en Allemagne. Pour ne pas nous heurter de front avec l'Allemagne, nous préférons défendre une logique de dégressivité des aides. C'est un axe stratégique sur lequel nous travaillons depuis que nous avons repris les négociations. J'espère que notre position prévaudra. Restera à voir comment la traduire sur le plan législatif. Tous les pays qui vont sortir du mécanisme des références historiques conviennent qu'il ne sera pas possible de parvenir à un montant uniforme d'aide à l'hectare en 2019, comme le demande la Commission. Pour ne pas aborder la négociation en position de fragilité, nous voulons que soit définitivement actée cette majoration de l'aide sur les premiers hectares. J'indique qu'il n'y a pas en France 160 exploitations qui perçoivent les aides au plafond, mais seulement une quarantaine.
Deuxième grand élément de la réforme de la PAC : le verdissement des aides. La France s'est clairement prononcée en faveur des propositions de la Commission pour le verdissement des aides du premier pilier. Depuis le début de la négociation, ce projet de verdissement pâlissait dangereusement. Au-delà de notre position de principe favorable au verdissement du premier pilier, nous avons cherché à voir comment avancer concrètement. Comme vous le savez, trois critères ont été posés : le maintien de prairies permanentes, la diversification des cultures, la préservation de surfaces d'intérêt écologique dont la Commission souhaiterait qu'elles atteignent 7 % des surfaces totales. Un débat est ouvert pour savoir ce que ces surfaces pourraient recouvrir, notamment si pourraient y être incluses les cultures de légumineuses et de protéagineux. Nous avons déjà décidé de porter ces surfaces de 3 % à 4 % en France en 2013. Que la France ait été ainsi moteur sur la question du verdissement a permis de progresser.
Troisième sujet, beaucoup plus compliqué et sur lequel la position française reçoit, hélas, moins d'écho : la régulation. Il faut revoir la proposition des filets de sécurité formulée par la Commission et réévaluer les prix à partir desquels ils seraient activés, en particulier pour l'élevage. La réalité des prix de marché doit être mieux prise en compte. Comme je l'ai annoncé lors du dernier Conseil européen et comme j'ai eu l'occasion d'en parler de nouveau la semaine dernière lors d'une rencontre bilatérale en Espagne, nous allons proposer un mécanisme de régulation pour la production laitière. En effet, dans l'hypothèse où les quotas seraient, comme prévu, totalement supprimés, il faudrait éviter qu'une augmentation de la production dans un pays donné ne déstabilise l'ensemble du marché. Lors d'un Conseil agricole récent, face aux excédents de production, la Pologne, l'Espagne, l'Italie et les pays baltes ont demandé que soient réactivées les restitutions à l'exportation pour le lait et la poudre de lait. Mieux vaudrait parvenir en amont à une meilleure coordination afin d'éviter d'avoir ainsi trop de lait sur le marché. Nous défendons l'idée d'une régulation à l'échelle européenne, mais il est vrai que sur ce sujet, nous sommes moins entendus. Nous butons vraiment sur une question idéologique. J'essaie de faire évoluer les positions pas à pas, sans brusquer personne car, sinon, le blocage serait assuré. Si nous obtenons un résultat pour le lait, peut-être y parviendrons-nous aussi pour d'autres productions.
J'en viens au programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD). A l'origine, celui-ci consistait à céder gratuitement des denrées agricoles en excédent aux associations caritatives, qui se chargeaient de les distribuer aux personnes dans le besoin. Comme au fil du temps ces surplus se sont réduits, les dons de produits ont été remplacés par une aide financière aux associations. Moins il y avait de stocks agricoles, plus il fallait mobiliser d'argent et plus le sujet devenait une question budgétaire, et non plus de politique agricole. L'Allemagne, qui, comme d'autres pays d'Europe du Nord, pour ne l'avoir jamais demandé ne bénéficie pas de ce programme, l'a contesté devant la Cour de justice européenne, dénonçant notamment que cette aide soit financée sur le budget de la PAC. La Cour lui a donné raison.
La Commission a réaffirmé son attachement à un programme d'aide pour les plus démunis, toutefois de nature différente et financé par un autre biais. Le budget de la PAC n'en serait plus le véhicule, mais celui de la politique de cohésion, en particulier le Fonds social européen. Il s'agirait en outre d'une aide plus globale en faveur de la lutte contre la pauvreté, incluant par exemple le logement et l'habillement. Cette perte de spécificité du PEAD inquiète les associations caritatives spécialisées dans l'aide alimentaire. Pouvoir manger à sa faim est en effet le préalable pour les personnes en grande difficulté. Comment chercher un travail ou aller au travail – de plus en plus de travailleurs pauvres sont contraints d'avoir recours à l'aide alimentaire – quand on a faim ? La France, l'Espagne et l'Italie souhaitent, à l'instar des associations, qu'on conserve un PEAD alimentaire spécifique, alors que la Commission, si elle souhaite bien conserver un plan d'aide aux plus démunis - nous lui en donnons acte - lui donne un autre objectif. Le débat sera vif. L'appui de tous les parlementaires, européens et nationaux, sera nécessaire. Nous pensons que question agricole et question alimentaire sont liées.
Sur les moyens de maîtriser la spéculation, un débat est ouvert en Europe. Mais du retard a été pris. La flambée du prix des céréales ne trouve pas son origine dans la spéculation mais d'abord dans les deux sécheresses qui ont frappé, l'une les États-Unis où la production de soja et de maïs a chuté de plus de 30 %, l'autre la Russie où la production céréalière a diminué de 15 %. La spéculation a accentué les désordres. Il faut empêcher qu'elle puisse ainsi amplifier les mouvements, à la hausse ou à la baisse, et que les volumes échangés et les prix deviennent totalement déconnectés de la réalité et de la valeur des marchés physiques. C'est l'objet d'une directive proposée par le commissaire au marché intérieur, Michel Barnier, que nous soutenons pleinement. Nous souhaitons une régulation des marchés agricoles afin d'éviter la spéculation qui les déstabilise, au détriment des agriculteurs européens mais aussi, et encore plus, des pays les plus pauvres.
Cela m'amène à la question des pays en développement. Hier à Rome, dans le cadre du Conseil de sécurité alimentaire de la FAO, la France avait pris l'initiative d'une réunion informelle à laquelle ont participé les ministres d'une vingtaine de pays sur la quarantaine présents, et visant à tirer les enseignements des mécanismes qui existent aujourd'hui pour assurer une meilleure gouvernance mondiale des marchés agricoles. Je pense notamment au Système d'information sur les marchés agricoles (AMIS), mis en place dans le cadre du G 20, destiné à assurer plus de transparence à ces marchés. La France, qui présidait l'AMIS, l'a mobilisé cet été pour apprécier l'ampleur de la crise céréalière et anticiper les évolutions. Nous avons également mobilisé le Forum de réaction rapide, lui aussi instauré par le G 20, et été en contact régulier avec l'ensemble des ministres de l'agriculture afin d'éviter que certains pays ne prennent des décisions qui auraient aggravé une situation déjà dégradée. Cela a fonctionné et beaucoup de pays, notamment d'Afrique, mais aussi le Japon, la Corée, le Brésil, ont salué cette action et pensent qu'il faut poursuivre dans cette voie d'une meilleure coordination des politiques agricoles.
Cette réunion à la FAO a aussi été pour moi l'occasion de mettre l'accent sur un autre sujet. Nous gaspillons 25 % à 30 % des produits alimentaires que nous consommons. Dans les pays en développement, c'est 25 % à 30 % de la production qui est perdue. Avant de songer à l'augmenter, il faudrait commencer par ne pas en perdre plus d'un quart ! Cela suppose des moyens de stockage et de transport adéquats, mais aussi des industries de transformation. Il faut donc investir dans ces domaines, cela a commencé. Des « réserves stratégiques prépositionnées » pour lutter contre la faim – un consensus s'est dégagé sur ce terme – pourraient être constituées. Le commissaire chargé à la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) de mettre en oeuvre de tels plans de stockage en Afrique de l'Ouest a exposé des exemples de ce qui pouvait être fait. On ne peut plus accepter qu'un quart à un tiers de la production soit perdu dans les pays en développement.
Nous en avons parlé avec Pascal Canfin : la France doit s'engager à la pointe du combat contre la faim. Le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde a régressé depuis dix ans, 870 millions contre un milliard il y a quelques années, mais le rythme de décroissance se ralentit. Nous devons donc rester pleinement mobilisés. Plusieurs pays sont favorables à la constitution de stocks stratégiques à l'échelle mondiale, quand d'autres s'y opposent fermement, au premier rang desquels les Etats-Unis. Le Brésil, l'Espagne, le Japon sont maintenant sur la même ligne que nous – le Japon par exemple constitue des stocks à la fois physiques et virtuels, ce qui est une piste intéressante. Il ne s'agit pas d'avoir une politique mondiale de gestion des stocks mais d'assurer une coordination des politiques de stockage dans chaque région du monde de façon à savoir à chaque instant quelles sont les réserves et comment les mobiliser en cas de besoin. La réunion informelle de Rome a été très positive. Le directeur général de la FAO a annoncé qu'une nouvelle réunion du même type serait organisée lors du prochain Conseil de sécurité alimentaire.
J'en viens aux agrocarburants. La France a été le premier pays à proposer une pause à hauteur de 7 % dans leur incorporation obligatoire. On en est aujourd'hui à 6,56 % dans notre pays. Suite à cette décision française, la Commission a proposé d'abaisser le pourcentage d'incorporation obligatoire de 10 % à 5 %. Dans le contexte actuel d'envolée du prix des céréales et d'augmentation de la demande de céréales et de protéines végétales, il ne nous paraît pas opportun d'en transformer davantage en agrocarburants. La FAO soutient notre position. Les discussions vont maintenant s'engager à l'échelon européen sur la base de la proposition de la Commission. Je regrette que certains commentateurs aient cru pouvoir interpréter une poignée de main que j'ai donnée à Xavier Beulin, président de la FNSEA, comme la marque d'un accord tacite entre le Gouvernement et Sofiproteol sur la question des agrocarburants, Xavier Beulin se trouvant être également le président de Sofiproteol. Il est normal qu'après une rencontre au ministère, je serre la main de mes interlocuteurs ! J'ai aussi serré celle des leaders du Modef, de la Coordination rurale, de la Confédération paysanne... Les agréments ont été renouvelés jusqu'en 2015 alors qu'ils devaient initialement l'être jusqu'en 2018. La défiscalisation sera encore totale en 2013, puis réduite en 2014 avant de prendre fin en 2015. L'orientation est donc sans ambiguïté, mais on ne peut supprimer d'un seul coup toute défiscalisation car ce serait risquer de porter atteinte à une filière qui a réalisé des investissements industriels et représente un nombre non négligeable d'emplois. Il faut faire preuve de responsabilité.
Si la transformation des plantes en agrocarburants de première génération est en concurrence directe avec la production alimentaire puisque dans les deux cas on utilise la graine, il en va différemment avec les agrocarburants de deuxième génération pour lesquels il s'agit de transformer la cellulose en éthanol. Cela ouvre des perspectives nouvelles. Si on devait aller au-delà de 7 % d'incorporation, ce serait avec des agrocarburants de deuxième génération. La position de la France est parfaitement claire : aussi n'ai-je pas bien compris les critiques qui nous ont été adressées.
Il faut savoir que les Etats-Unis transforment aujourd'hui 127 millions de tonnes de céréales en bioéthanol – quand la production céréalière totale de la France ne s'élève, elle, qu'a 65 millions de tonnes ! Si on arrêtait soudain outre-Atlantique de fabriquer du bioéthanol, 127 millions de tonnes supplémentaires de céréales se retrouveraient aussitôt sur le marché, avec les conséquences qu'on imagine facilement. Il faut donc là aussi être prudent. Mais l'objectif est clair : il n'est plus possible que production alimentaire et production agro-énergétique se concurrencent.
Je termine par les OGM. Après la publication de l'étude du professeur Séralini, j'ai immédiatement, avec Delphine Batho, Marisol Touraine et Benoît Hamon, saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) afin qu'elle évalue la validité du protocole scientifique suivi pour cette étude. L'Agence rendra son rapport très prochainement. S'il est établi que ce protocole est valide, nous avons décidé, avec le Premier ministre, que nous interdirions l'importation du maïs NK 603. Dans le cas contraire, il va de soi que nous ne l'interdirons pas. Mais en tout état de cause, nous allons demander que soient révisés les protocoles d'autorisation des OGM à l'échelle européenne. Je suis convaincu que nous trouverons un accord sur le sujet avec l'Allemagne. Il faut à la fois plus de transparence et un cadre beaucoup plus fiable.
Pour le reste, vous le savez, la France a institué un moratoire sur les OGM. Ceux-ci, mis au point par des firmes de produits phytosanitaires pour lesquelles ils constituent comme un prolongement de leurs herbicides et pesticides, sont aujourd'hui de deux types : les OGM résistants aux herbicides, et les OGM fabriquant eux-mêmes des pesticides, ce qui leur permet de se protéger seuls des parasites Avec un maïs OGM résistant aux herbicides, on peut pulvériser un champ d'herbicide : toutes les adventices disparaissent, tandis que le maïs seul résiste. C'est simple, même si ce n'est pas nécessairement meilleur marché. Mais cela empêche de s'orienter vers de nouveaux modes de production. Or, il existe aujourd'hui des méthodes alternatives, à la fois plus respectueuses de l'environnement et aussi performantes sur le plan économique, pour lutter contre les parasites et résoudre le problème de la compétition entre plante cultivée et adventices. On peut faire beaucoup mieux sur le plan écologique tout en faisant mieux sur le plan économique. Je vous invite à assister à la journée que le ministère de l'agriculture organise le 18 décembre prochain au Conseil économique, social et environnemental sur le thème des nouveaux modèles de production agricole. Une plate-forme contributive a été ouverte au ministère pour recenser tout ce qui se fait de nouveau sur le terrain en vue d'allier performance écologique et performance économique.