Audition de M. Stéphane Le Foll, Ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt 3
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 17 octobre 2012
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission des affaires européennes
La séance est ouverte à 16 h 50
Nous accueillons aujourd'hui M. Stéphane Le Foll, Ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
Je remercie nos collègues de la commission des affaires économiques qui assistent à cette audition et avec lesquels nous travaillons à un rapport sur la politique agricole commune (PAC) après 2013.
Alors que se tient demain un Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement, nous ne pouvons être davantage au coeur de l'actualité. L'ancien commissaire européen Antonio Vitorino, que nous auditionnions ce matin, nous a redit combien la PAC était un sujet complexe, sinon un sujet qui fâche dans les négociations européennes. Nous souhaitons participer activement aux réflexions sur la réforme en cours, notre objectif, monsieur le ministre, étant de vous aider dans cette dernière phase des négociations qui devraient se terminer l'année prochaine.
La réforme de la PAC est très largement liée à la nouvelle procédure de codécision et à l'avancement des négociations sur les perspectives financières de l'Union. Pouvez-vous nous rappeler les positions de la France dans ces négociations et nous indiquer les perspectives de calendrier ?
A l'issue de la conférence environnementale, l'agriculture a été expressément reconnue comme acteur de l'environnement. Une solution peut résider dans la feuille de route qui propose un verdissement ambitieux des aides du premier pilier. Qu'en est-il de ce verdissement ? Vous-même avez appelé au développement de nouveaux modèles agricoles. Quelle ambition pouvez-vous porter au niveau européen sur ce sujet ? Je suis de ceux qui estiment nécessaire de réorienter l'agriculture française vers des pratiques agronomiques et des modes de production plus respectueux de la ressource en eau, de la qualité des sols, la biodiversité et des emplois : les campagnes européennes doivent rester vivantes et nous devons pouvoir consommer des produits alimentaires de qualité, pourvoir à l'alimentation demeurant bien la mission première de l'agriculture. Nous attendons une impulsion politique forte en ce sens. Les négociations qui s'ouvrent, en particulier autour du plafonnement des aides, ne pourraient-elles être l'occasion de tendre vers une plus grande justice ? Le député européen José Bové a calculé que seulement 160 exploitations dans notre pays perçoivent le plafond d'aides de 300 000 euros. Si, comme il le propose, ce plafond était abaissé à 100 000 euros, il y en aurait trois mille. Au regard de la réalité économique de notre pays, ne devrions-nous pas militer en faveur d'un abaissement des plafonds qui profiterait à nos agriculteurs, mais aussi aux petits agriculteurs des pays d'Europe centrale entrés récemment dans l'Union et des pays du Sud de l'Union ?
En matière de régulation, les marges de manoeuvre sont étroites. La Commission européenne en reste en effet à sa ligne directrice habituelle qui est de laisser jouer les lois du marché. Pensez-vous parvenir à faire bouger les lignes ou un blocage total est-il à craindre sur ce sujet ? Élue d'une région montagneuse où l'élevage tient une place essentielle, je sais combien les petits producteurs laitiers sont inquiets. Pouvez-vous les rassurer ?
Le programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD), qui était aussi l'un des objectifs assignés à la PAC, est aujourd'hui menacé car il n'y a plus d'excédents. Pouvez-vous rassurer les associations caritatives ? Avec Pascal Canfin, Ministre chargé du développement, vous avez défendu à Rome, devant le comité de sécurité alimentaire (CSA) des Nations unies, la volonté d'assurer la sécurité alimentaire des pays du Sud. Quelles propositions faire au niveau européen pour éviter les flambées spéculatives ? Est-il possible à la fois de défendre une agriculture de qualité en Europe et de soutenir l'agriculture des pays du Sud ? Est-ce une utopie ? Les marges de manoeuvre sont étroites, le Conseil européen n'étant pas toujours convaincu de la nécessité de cette solidarité à l'égard des pays du Sud.
L'écologiste que je suis prête la plus grande attention au sujet des agrocarburants. Est-on toujours dans la même dynamique s'agissant des carburants de première génération ?
Enfin, la publication de l'étude du professeur Séralini a replacé la question des OGM sur le devant de la scène. Sont-ils toxiques ou non ? Comment évaluer leur toxicité ? Les consommateurs n'en sont pas demandeurs, ni En Europe ni dans les autres pays d'ailleurs. Le moratoire adopté par la France est-il toujours de mise ? Est-il susceptible d'être étendu dans d'autres pays européens ?
Tout d'abord, je vous remercie de m'avoir invité pour un échange autour de la réforme de la PAC.
Quel est le calendrier ? Il dépend de celui des négociations sur les perspectives financières de l'Union. Si tout se passe au conseil européen des 22 et 23 Novembre comme nous le souhaitons, à savoir qu'un cadre financier puisse être défini d'ici à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine, on peut envisager l'adoption de la réforme de la PAC au printemps 2013, sous présidence irlandaise. Les perspectives financières générales sont déterminantes car du budget européen global dépend bien sûr celui de la PAC. On ne peut pas, comme l'avait fait le gouvernement précédent, à la fois demander une baisse importante de la contribution française au budget européen et militer pour le maintien du budget de la PAC. Ce serait s'exposer à un procès en inconséquence de la part des autres pays et courir un grand risque de voir le budget de la PAC révisé à la baisse.
Nous avons cherché à trouver des alliés parmi les pays de l'Union attachés à la PAC afin d'être plusieurs à défendre, comme le propose la Commission, le maintien du budget de la PAC au niveau de 2013, soit 386 milliards d'euros pour la période 2014-2020. Nous sommes parvenus à un accord avec mon homologue allemande, Mme Ilse Aigner. C'est une avancée majeure. A l'occasion de la dernière réunion du Conseil de sécurité alimentaire de la FAO à Rome, nous avons trouvé un accord avec l'Espagne et l'Italie. Que, conformément au souhait du Président de la République, le Gouvernement français défende le principe d'un budget européen global ambitieux, à la hauteur des enjeux, porteur de croissance et de solidarité, est bien sûr de nature à nous aider. Pour obtenir le maintien du budget de la PAC, nous avons intérêt à ne pas opposer politique agricole et politique de cohésion. Si nous militions en faveur du maintien des moyens de la politique agricole tout en demandant une baisse drastique de ceux de la politique de cohésion, nous perdrions à coup sûr le soutien de beaucoup de pays, en particulier d'Europe centrale.
La réforme de la PAC comporte trois grands sujets et, tout d'abord, la convergence des aides.
La question se pose à l'échelle européenne tout d'abord. L'objectif est que les aides à l'hectare soient, à terme, sensiblement identiques dans tous les pays. Cela suppose des rattrapages car elles varient aujourd'hui fortement selon les pays et à l'intérieur d'un même pays. Cette convergence européenne exige des transferts entre anciens et nouveaux pays membres : les pays d'Europe centrale, où les aides sont encore nettement inférieures, souhaitent un rattrapage. Notre position est claire : nous sommes disposés à faire l'effort de solidarité nécessaire, mais nous refusons que notre contribution soit plus élevée que celle de l'Allemagne. Il est hors de question que la France se trouve pénalisée du fait de sa surface agricole. Avec un taux moyen d'aide d'environ 300 euros l'hectare, elle se situe dans la moyenne européenne. Mais comme elle a une surface agricole utile plus vaste que les autres pays, elle reçoit logiquement davantage au titre du premier pilier. L'enjeu de ce rattrapage est pour la France et l'Allemagne une contribution supplémentaire de quelque 250 millions d'euros par an.
Les aides devront également converger au niveau national. Il nous faudra donc sortir du mécanisme des références historiques qui a fait que dans notre pays, les aides varient en moyenne de 450 à 170 euros à l'hectare selon les lieux et les productions. Mais nous n'accepterons pas que le processus de convergence aboutisse à moins de moyens pour notre élevage et notre polyculture-élevage : leur défense est une priorité. Il ne s'agit ni de privilégier ni de stigmatiser une production par rapport à une autre. Nous avons besoin de grandes productions céréalières mais nous avons aussi besoin de transformer nos céréales pour garder la valeur ajoutée en France, et la production animale en est un moyen.
Dans cette perspective, nous proposerons de majorer le montant de l'aide sur les premiers hectares, et cette idée française est en train de progresser à l'échelle européenne. Cela permettra de protéger les exploitations les plus riches en emplois car ce sont les premiers hectares qui y contribuent le plus.
Nous avons pris le sujet par ce biais plutôt que par celui du plafonnement, sur lequel nous sommes en désaccord avec plusieurs pays, en particulier l'Allemagne. Celle-ci est opposée au plafonnement pour des raisons historiques liées à sa réunification. Si les aides étaient plafonnées, les grandes exploitations d'ex-Allemagne de l'Est connaîtraient en effet de sérieuses difficultés. En revanche, en Bavière, on serait tout à fait favorable à un plafonnement. Alors qu'en France, schématiquement, la gauche est plutôt favorable au plafonnement et la droite défavorable, c'est l'inverse en Allemagne. Pour ne pas nous heurter de front avec l'Allemagne, nous préférons défendre une logique de dégressivité des aides. C'est un axe stratégique sur lequel nous travaillons depuis que nous avons repris les négociations. J'espère que notre position prévaudra. Restera à voir comment la traduire sur le plan législatif. Tous les pays qui vont sortir du mécanisme des références historiques conviennent qu'il ne sera pas possible de parvenir à un montant uniforme d'aide à l'hectare en 2019, comme le demande la Commission. Pour ne pas aborder la négociation en position de fragilité, nous voulons que soit définitivement actée cette majoration de l'aide sur les premiers hectares. J'indique qu'il n'y a pas en France 160 exploitations qui perçoivent les aides au plafond, mais seulement une quarantaine.
Deuxième grand élément de la réforme de la PAC : le verdissement des aides. La France s'est clairement prononcée en faveur des propositions de la Commission pour le verdissement des aides du premier pilier. Depuis le début de la négociation, ce projet de verdissement pâlissait dangereusement. Au-delà de notre position de principe favorable au verdissement du premier pilier, nous avons cherché à voir comment avancer concrètement. Comme vous le savez, trois critères ont été posés : le maintien de prairies permanentes, la diversification des cultures, la préservation de surfaces d'intérêt écologique dont la Commission souhaiterait qu'elles atteignent 7 % des surfaces totales. Un débat est ouvert pour savoir ce que ces surfaces pourraient recouvrir, notamment si pourraient y être incluses les cultures de légumineuses et de protéagineux. Nous avons déjà décidé de porter ces surfaces de 3 % à 4 % en France en 2013. Que la France ait été ainsi moteur sur la question du verdissement a permis de progresser.
Troisième sujet, beaucoup plus compliqué et sur lequel la position française reçoit, hélas, moins d'écho : la régulation. Il faut revoir la proposition des filets de sécurité formulée par la Commission et réévaluer les prix à partir desquels ils seraient activés, en particulier pour l'élevage. La réalité des prix de marché doit être mieux prise en compte. Comme je l'ai annoncé lors du dernier Conseil européen et comme j'ai eu l'occasion d'en parler de nouveau la semaine dernière lors d'une rencontre bilatérale en Espagne, nous allons proposer un mécanisme de régulation pour la production laitière. En effet, dans l'hypothèse où les quotas seraient, comme prévu, totalement supprimés, il faudrait éviter qu'une augmentation de la production dans un pays donné ne déstabilise l'ensemble du marché. Lors d'un Conseil agricole récent, face aux excédents de production, la Pologne, l'Espagne, l'Italie et les pays baltes ont demandé que soient réactivées les restitutions à l'exportation pour le lait et la poudre de lait. Mieux vaudrait parvenir en amont à une meilleure coordination afin d'éviter d'avoir ainsi trop de lait sur le marché. Nous défendons l'idée d'une régulation à l'échelle européenne, mais il est vrai que sur ce sujet, nous sommes moins entendus. Nous butons vraiment sur une question idéologique. J'essaie de faire évoluer les positions pas à pas, sans brusquer personne car, sinon, le blocage serait assuré. Si nous obtenons un résultat pour le lait, peut-être y parviendrons-nous aussi pour d'autres productions.
J'en viens au programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD). A l'origine, celui-ci consistait à céder gratuitement des denrées agricoles en excédent aux associations caritatives, qui se chargeaient de les distribuer aux personnes dans le besoin. Comme au fil du temps ces surplus se sont réduits, les dons de produits ont été remplacés par une aide financière aux associations. Moins il y avait de stocks agricoles, plus il fallait mobiliser d'argent et plus le sujet devenait une question budgétaire, et non plus de politique agricole. L'Allemagne, qui, comme d'autres pays d'Europe du Nord, pour ne l'avoir jamais demandé ne bénéficie pas de ce programme, l'a contesté devant la Cour de justice européenne, dénonçant notamment que cette aide soit financée sur le budget de la PAC. La Cour lui a donné raison.
La Commission a réaffirmé son attachement à un programme d'aide pour les plus démunis, toutefois de nature différente et financé par un autre biais. Le budget de la PAC n'en serait plus le véhicule, mais celui de la politique de cohésion, en particulier le Fonds social européen. Il s'agirait en outre d'une aide plus globale en faveur de la lutte contre la pauvreté, incluant par exemple le logement et l'habillement. Cette perte de spécificité du PEAD inquiète les associations caritatives spécialisées dans l'aide alimentaire. Pouvoir manger à sa faim est en effet le préalable pour les personnes en grande difficulté. Comment chercher un travail ou aller au travail – de plus en plus de travailleurs pauvres sont contraints d'avoir recours à l'aide alimentaire – quand on a faim ? La France, l'Espagne et l'Italie souhaitent, à l'instar des associations, qu'on conserve un PEAD alimentaire spécifique, alors que la Commission, si elle souhaite bien conserver un plan d'aide aux plus démunis - nous lui en donnons acte - lui donne un autre objectif. Le débat sera vif. L'appui de tous les parlementaires, européens et nationaux, sera nécessaire. Nous pensons que question agricole et question alimentaire sont liées.
Sur les moyens de maîtriser la spéculation, un débat est ouvert en Europe. Mais du retard a été pris. La flambée du prix des céréales ne trouve pas son origine dans la spéculation mais d'abord dans les deux sécheresses qui ont frappé, l'une les États-Unis où la production de soja et de maïs a chuté de plus de 30 %, l'autre la Russie où la production céréalière a diminué de 15 %. La spéculation a accentué les désordres. Il faut empêcher qu'elle puisse ainsi amplifier les mouvements, à la hausse ou à la baisse, et que les volumes échangés et les prix deviennent totalement déconnectés de la réalité et de la valeur des marchés physiques. C'est l'objet d'une directive proposée par le commissaire au marché intérieur, Michel Barnier, que nous soutenons pleinement. Nous souhaitons une régulation des marchés agricoles afin d'éviter la spéculation qui les déstabilise, au détriment des agriculteurs européens mais aussi, et encore plus, des pays les plus pauvres.
Cela m'amène à la question des pays en développement. Hier à Rome, dans le cadre du Conseil de sécurité alimentaire de la FAO, la France avait pris l'initiative d'une réunion informelle à laquelle ont participé les ministres d'une vingtaine de pays sur la quarantaine présents, et visant à tirer les enseignements des mécanismes qui existent aujourd'hui pour assurer une meilleure gouvernance mondiale des marchés agricoles. Je pense notamment au Système d'information sur les marchés agricoles (AMIS), mis en place dans le cadre du G 20, destiné à assurer plus de transparence à ces marchés. La France, qui présidait l'AMIS, l'a mobilisé cet été pour apprécier l'ampleur de la crise céréalière et anticiper les évolutions. Nous avons également mobilisé le Forum de réaction rapide, lui aussi instauré par le G 20, et été en contact régulier avec l'ensemble des ministres de l'agriculture afin d'éviter que certains pays ne prennent des décisions qui auraient aggravé une situation déjà dégradée. Cela a fonctionné et beaucoup de pays, notamment d'Afrique, mais aussi le Japon, la Corée, le Brésil, ont salué cette action et pensent qu'il faut poursuivre dans cette voie d'une meilleure coordination des politiques agricoles.
Cette réunion à la FAO a aussi été pour moi l'occasion de mettre l'accent sur un autre sujet. Nous gaspillons 25 % à 30 % des produits alimentaires que nous consommons. Dans les pays en développement, c'est 25 % à 30 % de la production qui est perdue. Avant de songer à l'augmenter, il faudrait commencer par ne pas en perdre plus d'un quart ! Cela suppose des moyens de stockage et de transport adéquats, mais aussi des industries de transformation. Il faut donc investir dans ces domaines, cela a commencé. Des « réserves stratégiques prépositionnées » pour lutter contre la faim – un consensus s'est dégagé sur ce terme – pourraient être constituées. Le commissaire chargé à la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) de mettre en oeuvre de tels plans de stockage en Afrique de l'Ouest a exposé des exemples de ce qui pouvait être fait. On ne peut plus accepter qu'un quart à un tiers de la production soit perdu dans les pays en développement.
Nous en avons parlé avec Pascal Canfin : la France doit s'engager à la pointe du combat contre la faim. Le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde a régressé depuis dix ans, 870 millions contre un milliard il y a quelques années, mais le rythme de décroissance se ralentit. Nous devons donc rester pleinement mobilisés. Plusieurs pays sont favorables à la constitution de stocks stratégiques à l'échelle mondiale, quand d'autres s'y opposent fermement, au premier rang desquels les Etats-Unis. Le Brésil, l'Espagne, le Japon sont maintenant sur la même ligne que nous – le Japon par exemple constitue des stocks à la fois physiques et virtuels, ce qui est une piste intéressante. Il ne s'agit pas d'avoir une politique mondiale de gestion des stocks mais d'assurer une coordination des politiques de stockage dans chaque région du monde de façon à savoir à chaque instant quelles sont les réserves et comment les mobiliser en cas de besoin. La réunion informelle de Rome a été très positive. Le directeur général de la FAO a annoncé qu'une nouvelle réunion du même type serait organisée lors du prochain Conseil de sécurité alimentaire.
J'en viens aux agrocarburants. La France a été le premier pays à proposer une pause à hauteur de 7 % dans leur incorporation obligatoire. On en est aujourd'hui à 6,56 % dans notre pays. Suite à cette décision française, la Commission a proposé d'abaisser le pourcentage d'incorporation obligatoire de 10 % à 5 %. Dans le contexte actuel d'envolée du prix des céréales et d'augmentation de la demande de céréales et de protéines végétales, il ne nous paraît pas opportun d'en transformer davantage en agrocarburants. La FAO soutient notre position. Les discussions vont maintenant s'engager à l'échelon européen sur la base de la proposition de la Commission. Je regrette que certains commentateurs aient cru pouvoir interpréter une poignée de main que j'ai donnée à Xavier Beulin, président de la FNSEA, comme la marque d'un accord tacite entre le Gouvernement et Sofiproteol sur la question des agrocarburants, Xavier Beulin se trouvant être également le président de Sofiproteol. Il est normal qu'après une rencontre au ministère, je serre la main de mes interlocuteurs ! J'ai aussi serré celle des leaders du Modef, de la Coordination rurale, de la Confédération paysanne... Les agréments ont été renouvelés jusqu'en 2015 alors qu'ils devaient initialement l'être jusqu'en 2018. La défiscalisation sera encore totale en 2013, puis réduite en 2014 avant de prendre fin en 2015. L'orientation est donc sans ambiguïté, mais on ne peut supprimer d'un seul coup toute défiscalisation car ce serait risquer de porter atteinte à une filière qui a réalisé des investissements industriels et représente un nombre non négligeable d'emplois. Il faut faire preuve de responsabilité.
Si la transformation des plantes en agrocarburants de première génération est en concurrence directe avec la production alimentaire puisque dans les deux cas on utilise la graine, il en va différemment avec les agrocarburants de deuxième génération pour lesquels il s'agit de transformer la cellulose en éthanol. Cela ouvre des perspectives nouvelles. Si on devait aller au-delà de 7 % d'incorporation, ce serait avec des agrocarburants de deuxième génération. La position de la France est parfaitement claire : aussi n'ai-je pas bien compris les critiques qui nous ont été adressées.
Il faut savoir que les Etats-Unis transforment aujourd'hui 127 millions de tonnes de céréales en bioéthanol – quand la production céréalière totale de la France ne s'élève, elle, qu'a 65 millions de tonnes ! Si on arrêtait soudain outre-Atlantique de fabriquer du bioéthanol, 127 millions de tonnes supplémentaires de céréales se retrouveraient aussitôt sur le marché, avec les conséquences qu'on imagine facilement. Il faut donc là aussi être prudent. Mais l'objectif est clair : il n'est plus possible que production alimentaire et production agro-énergétique se concurrencent.
Je termine par les OGM. Après la publication de l'étude du professeur Séralini, j'ai immédiatement, avec Delphine Batho, Marisol Touraine et Benoît Hamon, saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) afin qu'elle évalue la validité du protocole scientifique suivi pour cette étude. L'Agence rendra son rapport très prochainement. S'il est établi que ce protocole est valide, nous avons décidé, avec le Premier ministre, que nous interdirions l'importation du maïs NK 603. Dans le cas contraire, il va de soi que nous ne l'interdirons pas. Mais en tout état de cause, nous allons demander que soient révisés les protocoles d'autorisation des OGM à l'échelle européenne. Je suis convaincu que nous trouverons un accord sur le sujet avec l'Allemagne. Il faut à la fois plus de transparence et un cadre beaucoup plus fiable.
Pour le reste, vous le savez, la France a institué un moratoire sur les OGM. Ceux-ci, mis au point par des firmes de produits phytosanitaires pour lesquelles ils constituent comme un prolongement de leurs herbicides et pesticides, sont aujourd'hui de deux types : les OGM résistants aux herbicides, et les OGM fabriquant eux-mêmes des pesticides, ce qui leur permet de se protéger seuls des parasites Avec un maïs OGM résistant aux herbicides, on peut pulvériser un champ d'herbicide : toutes les adventices disparaissent, tandis que le maïs seul résiste. C'est simple, même si ce n'est pas nécessairement meilleur marché. Mais cela empêche de s'orienter vers de nouveaux modes de production. Or, il existe aujourd'hui des méthodes alternatives, à la fois plus respectueuses de l'environnement et aussi performantes sur le plan économique, pour lutter contre les parasites et résoudre le problème de la compétition entre plante cultivée et adventices. On peut faire beaucoup mieux sur le plan écologique tout en faisant mieux sur le plan économique. Je vous invite à assister à la journée que le ministère de l'agriculture organise le 18 décembre prochain au Conseil économique, social et environnemental sur le thème des nouveaux modèles de production agricole. Une plate-forme contributive a été ouverte au ministère pour recenser tout ce qui se fait de nouveau sur le terrain en vue d'allier performance écologique et performance économique.
Je salue le ministre, sarthois et ancien député européen spécialiste des questions agricoles.
Dans le cadre de la réforme de la PAC, il serait intéressant que l'emploi puisse être pris en compte dans l'attribution future des aides. Pourrait-on par exemple tenir compte du nombre de personnes présentes sur les exploitations ?
Ma question principale concerne les négociations du cycle de Doha dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) – sujet sur lequel j'ai travaillé avec notre collègue Hervé Gaymard. Notre commission des affaires européennes avait adopté une résolution appelant à prendre en compte les questions de sécurité alimentaire et à lutter contre la volatilité des prix agricoles dans les négociations à l'OMC. Nous suggérions également que l'OMC réfléchisse à un mécanisme de compensation multilatérale entre pays excédentaires et pays déficitaires en vue d'une plus grande solidarité. Les pays déficitaires auraient pu obtenir des facilités de paiement dans une limite déterminée tandis que les pays excédentaires auraient été incités à ne pas laisser s'apprécier trop fortement leur monnaie et par leur consommation, à soutenir l'offre des premiers. Que pense la France d'un tel mécanisme ? De manière plus générale, quelles positions défend-elle aujourd'hui sur le cycle de Doha ?
Où en est-on concernant les droits de plantation, sujet qui me tient particulièrement à coeur et que vous n'avez pas abordé, monsieur le ministre ?
Vous avez insisté sur la promotion de l'agriculture biologique. Je crois savoir que vous souhaitez la mise en place d'une plate-forme « Produire autrement ».Où en est-on ?
Nous gaspillons trop de produits alimentaires et c'est dès le plus jeune âge qu'il faudrait éduquer nos enfants à ne pas gaspiller, avez-vous dit à Rome. Des campagnes de sensibilisation ne pourraient-elles pas être lancées en lien avec les collectivités locales dans les écoles, les collèges et les cantines scolaires ?
Vous avez évoqué la régulation dans le secteur du lait. Est-il envisageable à terme de constituer, dans le cadre de la PAC, des stocks alimentaires stratégiques pour limiter la volatilité des prix sur les marchés ?
Dans ma région, depuis quelques années, avec le réchauffement climatique, les cultures souffrent de plus en plus. Nous avons la chance de pouvoir irriguer avec l'eau d'un canal. Mais les investissements nécessaires sont tels que les travaux ne peuvent être menés à bien. L'Union européenne pourrait-elle accorder des aides ciblées pour de tels projets ?
Je vous félicite pour votre présentation brillante. Puisque votre homologue allemande est attentive aux attentes de la gauche dans son pays, on peut espérer que vous serez, vous, attentif, vous, à celles de la droite.
Plus sérieusement, je suis inquiet sur le budget de la PAC. Nous avons du mal à y voir clair à la lecture des communiqués de presse successifs. Le 8 octobre, on disait que vous aviez trouvé un accord avec Mme Aigner. Le 15, l'Allemagne faisait savoir que non. Et vous voilà de retour de Rome où vous avez sans doute, avec d'autres pays, préparé un nouvel « appel de Paris ». Vous souhaitez le maintien du budget de la PAC à son niveau actuel. J'en déduis donc que vous envisagez que la contribution de la France au budget européen puisse dépasser 1 % du PIB.
S'agissant du calendrier, une députée lettonne m'a alertée sur le fait que les pays où le niveau de référence des aides à l'hectare est particulièrement bas ne pourraient attendre l'horizon 2020 pour que soit atteinte la convergence. Peut-on envisager deux calendriers, dont l'un plus rapide pour les pays les moins bien dotés, comme la Lettonie ?
Vous souhaiteriez « primer », avez-vous dit, les premiers hectares. Tous ne seraient donc pas aidés. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ?
Il semble que certaines aides couplées pourraient subsister après 2013. Il existe déjà des couplages partiels pour la vache allaitante. D'autres dispositions semblables sont-elles envisageables ?
Enfin s'agissant de l'irrigation, j'ai bien noté, monsieur le ministre, que vous êtes favorable aux retenues de surface. Je ne peux que vous encourager à persévérer sur ce point. Il semble qu'à l'étranger, on prête davantage attention à d'autres revendications qui se font jour dans notre pays.
Je serai particulièrement attentif à votre réponse sur les droits de plantation qui intéressera au plus haut point ma circonscription.
Mes questions ont trait à l'emploi agricole. Bien qu'on assiste à une concentration des exploitations et que la productivité agricole augmente, les besoins budgétaires restent les mêmes. Où passent donc les sommes colossales de la PAC ? Ne sont-elles pas captées en aval par les industries de transformation et la grande distribution ? Les agriculteurs en reçoivent-ils vraiment leur part ?
Les reprises d'exploitation sont de plus en plus difficiles, en particulier dans l'élevage, secteur désavantagé par rapport à la céréaliculture. Beaucoup d'exploitations ne trouvent pas de repreneur et des cheptels entiers disparaissent. Il existe sans doute des marges de manoeuvre au niveau national. Il faudrait, au sein des dotations PAC, réserver des crédits pour faciliter les installations.
Comme j'ai eu l'occasion d'en parler récemment à la FNSEA, l'abaissement du seuil d'exonération des charges patronales sur les travailleurs saisonniers, que la Fédération critique vivement, n'aura aucun impact dans ma circonscription. En effet, on n'y emploie plus de travailleurs saisonniers dans un cadre normal. On y recourt à des entreprises de traite – il n'y a pas d'autre mot – de personnels étrangers rémunérés au tarif de leur pays d'origine. Ces personnels sont captifs, interdits de sortie, « encasernés » sur site, dans des Algeco où ils dorment et prennent tous leurs repas. Leur salaire dérisoire ne leur permettrait de toute façon pas de vivre dans un village français. Ils sont détachés pour quelques mois, dans le cadre de la directive relative au détachement des travailleurs. Les entreprises qui les emploient offrent une prestation de services et il n'y a donc pas de cotisations sociales à payer. La pratique, au départ cantonnée dans les régions fruitières du Sud, s'étend dans les régions viticoles. Qu'on ne me dise pas qu'à Pessac-Léognan où il n'y a presque que des crus classés, lesquels seront toujours achetés quel que soit leur prix, on y recourt pour améliorer la compétitivité ! Où va-t-on avec de telles pratiques ? J'ajoute qu'à Pauillac, une de ces sociétés avait loué des Sahraouis à des producteurs qui employaient par ailleurs des Marocains, ce qui a fini par une bataille rangée entre travailleurs. Devra-t-on en sus faire face à des troubles ethniques ? On ne peut continuer de fermer cyniquement les yeux. Il faut, en lien avec le ministère du travail, s'attaquer aux pratiques de ces sociétés.
J'assistais jeudi dernier au congrès européen de l'apiculture à Agen. Vous y avez été vivement applaudi, notamment pour avoir classé le frelon asiatique parmi les espèces envahissantes et nuisibles, et interdit l'emploi de l'insecticide Cruiser sur les cultures de soja. Quand sera-t-il interdit aussi pour le maïs ?
Vous avez raison, il faut développer de nouveaux modèles de production qui soient à la fois plus écologiques et efficaces sur le plan économique. L'une des clés de la performance économique des exploitations réside dans leur autosuffisance. Quid d'un plan Protéines dont il avait été question ? Nous importons aujourd'hui massivement du soja, pour beaucoup OGM. Ce pourrait donc être l'occasion de régler simultanément deux problèmes.
Qu'en sera-t-il des aides à l'exportation après la réforme de la PAC ? Les pays en développement sont de plus en plus nombreux à se plaindre d'une concurrence déloyale, comme je l'ai constaté lors d'une récente rencontre à Genève sur le commerce équitable dans le cadre de l'OMC. Les productions des pays africains notamment sont concurrencées par celles, largement subventionnées, de l'Union européenne ou des États-Unis.
Le PEAD, bien que représentant seulement 1 % du budget de la PAC, est une question politique fondamentale, et vous avez eu raison de la traiter comme telle. Créé en 1987, sur une idée de Coluche mise en pratique par Jacques Delors, c'est l'une des rares politiques européennes concrètes de solidarité clairement identifiées par les citoyens européens. Dix-huit millions de personnes dans dix-neuf États membres bénéficient aujourd'hui de ce programme. La France en est, après la Pologne et l'Italie, le troisième pays bénéficiaire, avec quatre millions de bénéficiaires pour un montant total de 78 millions d'euros. 25 % à 55 % des ressources des associations d'aide alimentaire comme les Restos du coeur, la Banque alimentaire, la Croix-Rouge, le Secours populaire…. proviennent du PEAD.
La forte mobilisation consécutive à la décision de la Cour de justice européenne avait permis d'obtenir un sursis en 2012 et 2013. Elle ne doit pas se relâcher. 80 % des eurodéputés se sont prononcés en faveur du maintien de ce programme. La plupart des gouvernements y sont favorables également et tous les gouvernements français ont jusqu'à présent oeuvré en ce sens. Il faut s'efforcer d'obtenir l'adhésion des États membres qui, depuis l'origine, sont réservés sur ce programme : l'Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la République tchèque. Peut-être la France pourrait-elle essayer de convaincre l'Allemagne qui connaît, comme les autres pays d'Europe, une forte montée de la précarité et de la pauvreté et où l'on dénombre aujourd'hui huit millions de travailleurs pauvres, qu'elle aurait intérêt non seulement à ce que ce programme soit maintenu mais même à y adhérer. En tout état de cause, le PEAD doit rester dans le cadre de la PAC.
La dérégulation des marchés crée des difficultés grandissantes aux producteurs. En Aquitaine et en particulier dans les Pyrénées-Atlantiques, les producteurs laitiers souffrent beaucoup, du fait notamment de la concurrence du lait espagnol. Confrontés à de graves difficultés à la fois économiques et sociales, ils s'apprêtent à lancer un mouvement de protestation : il faut donc vous attendre à être accueilli avec des protestations lors de votre déplacement vendredi ! Des négociations sont en cours avec l'ensemble de la filière, notamment pour mieux l'organiser et renforcer le poids des organisations de producteurs face aux industriels. Je ne suis pas certaine que cela suffise. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les mécanismes de régulation aujourd'hui en discussion pour le lait ?
A Marietta Karamanli, je répondrai que le cycle de Doha est aujourd'hui en panne totale et, pour ce que nous en savons, aucun pays ne souhaite sa reprise. L'Union européenne a en conséquence engagé des négociations bilatérales, lesquelles ne sont pas nécessairement plus bénéfiques ni pour l'agriculture ni pour le développement mondial. C'est tout le paradoxe. Les altermondialistes ont longtemps contesté le principe même de négociations multilatérales mais les rapports de force jouent davantage dans les négociations bilatérales.
Il faudrait dans ces négociations bilatérales intégrer le respect de la réciprocité et de certaines normes sociales et environnementales, qui peuvent sembler annexes aux questions commerciales mais leur sont directement liées. Comment faire pour que dans le commerce mondial soient respectés les accords internationaux, comme ceux de l'Organisation internationale du travail (OIT) en matière de travail, ou bien encore le protocole de Nagoya sur la biodiversité et les protocoles relatifs à la lutte contre le réchauffement climatique ? Comme j'ai eu l'occasion d'en discuter avec mon homologue philippin, on pourrait, avant tout accord d'échange portant par exemple sur l'huile de palme, exiger que le pays exportateur s'engage à ne plus laisser détruire les forêts primaires au profit de palmeraies. Les Philippins y seraient disposés car ils commencent à s'inquiéter de ne plus pouvoir vendre leurs produits à l'étranger, les consommateurs européens risquant de les boycotter. Il faut rebattre les cartes au niveau de l'OMC. Le directeur général de l'organisation, Pascal Lamy, n'y est d'ailleurs pas opposé. L'objectif des négociations ne peut pas être seulement de faciliter l'accès aux marchés et d'abaisser les tarifs douaniers, d'autant que le niveau des monnaies a beaucoup plus d'impact que les protections tarifaires ou douanières. Le travail que vous avez mené avec Hervé Gaymard pourra servir de base à notre réflexion.
Vous souhaiteriez que l'emploi soit pris en compte pour l'attribution des aides. Ce sont justement les premiers hectares qui contribuent le plus à l'emploi. En les aidant davantage, on est aussi plus efficace en termes d'emplois. Il ne serait pas envisageable en revanche aujourd'hui de basculer des aides à l'hectare sur des aides aux actifs car c'est inatteignable en négociation.
William Dumas m'a interrogé sur les droits de plantation. Sur ce sujet, nous avons engagé la bataille depuis mon entrée en fonction. De quatre grands pays producteurs défendant le rétablissement des droits, on est passé à onze, qui ont d'ailleurs signé une plate-forme commune pour refuser une libéralisation totale. Sans le maintien d'une maîtrise des plantations de vigne, il n'y aurait plus aucun outil de régulation. Et nous voulons qu'il y ait des droits de plantation non seulement pour les vins d'AOC (appellation d'origine contrôlée) et d'IGP (indication géographique protégée) mais aussi pour les vins de table. En effet, contrairement à ce qui avait pu être dit lors du bilan de santé en 2008, on sait bien que toute production non maîtrisée, fût-ce pour les seuls vins de table, finit par se retourner contre l'ensemble du marché viticole. Onze pays sont d'accord sur ce point, y compris l'Allemagne. C'est avec la Commission qu'a lieu la bataille. Il a été convenu qu'au prochain conseil européen, une question diverse serait posée sur ce sujet, portée par les onze pays.
« Produisons autrement », c'est toute la problématique de la couverture des sols, de la rotation des cultures, de la préservation de la biodiversité, de l'intensification des processus écologiques, de l'utilisation maximale du soleil et de la photosynthèse… Je vous invite à venir nombreux le 18 décembre au Conseil économique, social et environnemental : quantité de nouvelles techniques et méthodes culturales y seront présentées. Vous verrez comment par exemple au lieu de labourer, on peut laisser agir les vers de terre, pour le plus grand bénéfice des sols et des rendements. Dans les rotations, il faudra bien sûr intercaler des cultures de protéines végétales ou de céréales comme le méteil. Les protéagineux peuvent permettre aux exploitations, laitières notamment, d'être quasiment autosuffisantes. Dans la future loi d'orientation, nous lierons cette question à celle des groupements d'intérêt économique environnementaux qui permettront des actions collectives en ce sens.
Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, je suis tout à fait d'accord pour que des actions de sensibilisation et d'éducation soient menées à l'échelle des collectivités. Votre idée mérite d'être creusée On n'aurait jamais autrefois dans nos campagnes jeté un quignon de pain ! Ces habitudes se sont perdues. Mais en la matière, je crois davantage à l'incitation et à l'éducation qu'à la coercition.
J'en viens à l'irrigation. Il est difficile de convaincre sur ce sujet car beaucoup pensent qu'irriguer, c'est gaspiller de l'eau. Dès que Mme Auroi entend le mot « irrigation », elle pense maïs…
Le réchauffement climatique condamne certains modèles de production condamnés si on ne dispose pas d'eau en quantité suffisante.
Il ne s'agit plus du tout aujourd'hui d'irriguer pour maximiser la production. Dans le Sud-Ouest, et même jusqu'en Poitou-Charentes, les cultures souffrent désormais de la sécheresse. Même la production herbagère est sensible au manque d'eau. Nous avons confié une mission à votre collègue Philippe Martin, député du Gers, où des projets intéressants ont été conduits, pour réfléchir aux voies et moyens d'une irrigation responsable et économe de la ressource. On ne peut plus se permettre de gaspiller l'eau. Des critères d'aridité pourraient peut-être aussi être inclus dans la PAC.
Je dirais à M. Antoine Herth, que sur la question budgétaire, les communiqués de presse consécutifs ne se contredisent pas. Il y a un accord de base avec l'Allemagne sur le maintien du budget de la PAC à son niveau de 2013. Le texte du communiqué est disponible sur le site du ministère de l'agriculture allemand. Pas un iota n'en a été modifié. L'Espagne et l'Italie aussi sont d'accord : on a donc bien avancé. Cela remet-il en question le pourcentage de 1 % du PIB consacré au budget européen ? Non, car 970 milliards d'euros, c'est exactement ce qu'il faut pour obtenir 386 milliards d'euros pour la PAC. La seule chose qui a changé avec l'actuel Gouvernement est qu'il ne souhaite pas, lui, contrairement au gouvernement précédent, réduire drastiquement la contribution française.
Je cherche à mobiliser le maximum d'États favorables à la PAC car beaucoup défendent aujourd'hui plutôt la politique de cohésion. Il nous faut contrebalancer l'influence du Royaume-Uni qui milite pour une forte réduction du budget à la fois de la PAC et de l'Union européenne. A ceux qui pensent qu'une diminution des moyens de la PAC permettrait de dégager des crédits pour d'autres projets, je réponds que tel ne serait pas le cas, car les pays qui souhaitent voir réduit le budget de la PAC sont les plus eurosceptiques et les mêmes que ceux qui souhaiteraient voire réduit le budget de l'Union tout court.
En matière de convergence, on examine si une mesure spécifique de rattrapage, qui d'ailleurs ne coûterait pas très cher, ne serait pas possible pour les pays baltes. Je l'ai dit à leurs représentants lors de la réunion qui s'est tenue à Chypre.
La France n'est pas favorable à ce qu'on étende les aides à tous les hectares car seraient alors concernés aussi ceux plantés en vigne. S'il est des endroits où cela se justifierait sans doute, je me vois mal en défendre le principe pour les vignobles de Champagne ou du Bordelais, dont les viticulteurs vivent déjà très confortablement. Cela risquerait d'être mal compris. Nous en avons discuté avec la profession qui préfère que les mesures spécifiques à l'OCM viticole soient conservées.
Je suis favorable au maintien des aides couplées. Un découplage total serait catastrophique pour certaines productions, en particulier l'élevage. La Commission n'a d'ailleurs pas voulu prendre de risque : elle laisse les États libres de répartir comme ils le souhaitent l'enveloppe totale qui leur est allouée. Les sommes affectées aux aides couplées viendront en déduction des aides à l'hectare.
J'ai déjà répondu à Gilles Savary concernant les droits de plantation. J'ajoute, car cela concerne aussi la viticulture, que la France s'est mobilisée, seule au début, pour la défense de la dénomination « château », chère au Bordelais, que les viticulteurs américains demandent à pouvoir utiliser. Je ne suis pas radicalement opposé à ce qu'on autorise l'usage de cette appellation mais certainement pas sans contrepartie. N'importe quel vin ne doit pas pouvoir s'appeler « château » – même si les libertés parfois prises par le passé par certains viticulteurs bordelais ne nous facilite pas la tâche aujourd'hui ! Nous avons gagné une première bataille. Notre mobilisation n'y est pas étrangère. La Commission elle-même trouve maintenant à redire à la demande des Etats-Unis et a repoussé sa décision.
Pourquoi le niveau d'aides ne diminue-t-il pas, du moins en valeur absolue, en dépit des gains de productivité ? Au-delà de la productivité du travail, il faut tenir compte de toute la production non marchande de l'agriculture. Les conditions nouvelles dans lesquelles on demande aux agriculteurs de produire, et c'est légitime, apportent des exigences supplémentaires qu'il est tout aussi légitime de rémunérer. La politique agricole publique doit aujourd'hui concilier les attentes des producteurs, qui souhaitent des prix plutôt élevés, celles des consommateurs qui souhaitent des prix plutôt bas, et celles des citoyens qui souhaitent une nature préservée. Les aides à l'hectare sont le moyen de soutenir le revenu des agriculteurs qui ne pourrait être suffisant avec leurs seules productions. Si on intégrait le prix de tous les services que rend l'agriculture, le prix de vente des produits s'envolerait et le consommateur serait pénalisé. Donc, quelle que soit la productivité agricole, il y aura toujours besoin d'une politique publique de soutien aux agriculteurs.
Vous avez évoqué les difficultés d'installation pour les jeunes. Nous avons lancé des Assises de l'installation qui seront l'occasion de repenser les mécanismes d'aide. Des agriculteurs s'installent aujourd'hui hors du cadre traditionnel, certains d'ailleurs avec des projets économiques tout à fait viables, par exemple les circuits courts. L'objectif est que la réflexion aboutisse en septembre 2013, avant l'examen de la future loi d'orientation agricole.
S'agissant de l'emploi de travailleurs détachés, je partage la même préoccupation que vous. La directive en cause, qui autorise le détachement pour des durées de trois mois, ouvre des possibilités insensées. L'Allemagne en joue à fond avec les travailleurs des ex-pays de l'Est dans ses abattoirs et son industrie agro-alimentaire, ce qui pose de graves problèmes de compétitivité – qu'aucune diminution des charges sociales ne pourra résoudre, car nous ne pourrons jamais abaisser le coût du travail à un niveau aussi bas ! Les améliorations apportées à la fameuse directive « Services », dite directive Bolkestein, n'ont pas suffi.
Il faudrait saisir les instances européennes devant cette utilisation abusive de la directive relative au détachement, qui avait précédé la directive Bolkestein aujourd'hui détournée par ces entreprises de traite de travailleurs.
La directive relative au détachement sert de viatique juridique pour les pratiques scandaleuses que vous avez décrites.
Je précise à Germinal Peiro, que jusqu'à présent seule l'Italie a interdit l'emploi du Cruiser sur les cultures de maïs. J'ai demandé à l'ANSES, qui a validé l'étude ayant abouti à l'interdiction du Cruiser sur le colza, d'expertiser la décision italienne. Une décision d'interdiction serait plus facile à prendre aujourd'hui parce qu'il existe désormais des produits de substitution efficaces tout en étant beaucoup moins nocifs, notamment pour les abeilles. Je vais examiner cela de façon approfondie et prendrai les décisions qui s'imposent.
Un plan Protéines me paraît évident. Il ne nécessite pas d'aides supplémentaires. Il est possible, avec la diversification des cultures, de réserver des surfaces à la production de protéagineux. On pourra également utiliser des surfaces d'intérêt écologique pour produire des légumineuses. L'objectif de parvenir à une plus grande autonomie en protéines végétales est une priorité, d'autant qu'il va de pair avec celui d'une agriculture plus durable.
Les restitutions à l'exportation ne s'élèvent plus aujourd'hui en Europe qu'à 180 millions d'euros. Elles ne sont plus appliquées que pour le poulet et ne sont de surcroît activées qu'en cas de crise. L'Union européenne ne peut donc plus être accusée de déstabiliser les producteurs africains. Les pays d'Afrique sont aujourd'hui plutôt concurrencés par un pays comme le Brésil qui, sans pratiquer de restitutions à l'exportation, est extrêmement compétitif. La réforme de la PAC prévoit la disparition totale des restitutions en 2013. L'Union européenne fait d'ailleurs preuve, en la matière, de plus de vertu que les Etats-Unis qui continuent de subventionner largement leurs exportations. Il faudra beaucoup de doigté dans les négociations commerciales sur ce point et être attentif aussi aux enjeux de court terme.
Je suis d'accord avec Régis Juanico que le PEAD fait l'objet d'une vraie bataille. Elle n'est pas gagnée, car l'Allemagne est fortement opposée au maintien de ce programme. Il se trouve qu'elle n'en bénéficie pas. Disposant d'un système d'aide alimentaire organisé au niveau des Länder qui fonctionne très bien, elle ne comprend pas pourquoi il lui en serait imposé un autre à l'échelon européen. Nous avons mobilisé les associations caritatives françaises pour qu'elles mobilisent à leur tour leurs homologues allemandes. Nous allons essayer de faire évoluer l'un des pays de l'actuelle minorité de blocage. Nous avons pensé à la République tchèque, mais, je ne cache pas que ce ne sera pas facile.
Je reconnais, Nathalie Chabanne, que la situation est tendue sur le lait. Il est difficile de dire comment le marché va évoluer. Le prix de l'alimentation du bétail augmente du fait de l'envolée du prix des céréales – même si, il faut être honnête, beaucoup de producteurs laitiers produisent aussi des céréales. Nous ferons dans les prochaines semaines des propositions sur la contractualisation. Nous regarderons aussi dans le « paquet lait » les indices pris en compte pour le calcul des prix : il faudrait parvenir à un lissage permettant aux producteurs d'avoir une vision à plus long terme et éviter que les prix ne varient tous les mois. Le problème est complexe, car derrière les producteurs, il y a les transformateurs et derrière les transformateurs, des coopératives ou des industriels privés – lesquels sont en compétition. Quant aux contrats des coopératives, ils ne sont pas toujours à l'avantage des producteurs même quand ceux-ci sont coopérateurs. Nous ferons des propositions pour améliorer la situation des producteurs vis-à-vis des transformateurs. Une réunion aura lieu le 21 novembre sur l'organisation de la filière. La grande distribution, elle-même divisée sur le sujet, y sera associée. Le dialogue n'est pas productif s'il n'a lieu qu'entre producteurs et transformateurs. En effet, ces derniers disent qu'ils ne peuvent pas augmenter leur prix d'achat, la grande distribution refusant de payer plus cher les produits – à moins de pouvoir elle-même répercuter la hausse de prix, auquel cas c'est le consommateur qui paie. Le président de l'enseigne Système U est d'accord pour refonder le système : sa position sera un point de départ. Nous essaierons de mettre en place un mécanisme plus satisfaisant que ce qui existe aujourd'hui, en cherchant à concilier les intérêts de tous les acteurs de la filière.
Il sera difficile de revenir sur la suppression définitive des quotas laitiers en 2015. L'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark sont farouchement opposés à tout rétablissement, pour des raisons liées d'ailleurs non aux quotas eux-mêmes, mais au marché de ces quotas. Le prix d'achat des droits à produire dans ces grands pays producteurs de lait est monté jusqu'à deux euros le litre, ce qui y rendait impensable tout projet d'installation. Leurs exploitations laitières sont d'ailleurs lourdement endettées. Cela explique la bataille qu'ils ont menée pour le démantèlement des quotas. J'essaie, pour ma part, de parvenir à un « pacte de stabilité » sur le marché du lait. Un pays qui ferait n'importe quoi en matière de production laitière devrait pouvoir être sanctionné. Mais la bataille n'est pas gagnée.
Monsieur le ministre, merci de vos réponses détaillées. Nous en aurons certainement d'autres à vous poser prochainement.
La séance est levée à 18 h 40