Intervention de Corinne Bord

Réunion du 9 septembre 2014 à 18h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Corinne Bord, représentant l'Association des régions de France, ARF :

C'est la commission « Économie sociale et solidaire » de l'ARF, commission dont je suis membre, qui est compétente pour les relations avec les associations. Les régions – et c'est une spécificité – abordent en effet la question de la vie associative principalement à travers le prisme de l'économie. Je vais y revenir, après une mise au point qui répondra peut-être à votre interrogation sur l'autonomie laissée au projet associatif, monsieur le président.

Nous considérons les nombreuses associations avec lesquelles nous travaillons comme des partenaires dans la quasi-totalité des actions que nous menons – la construction faisant seule exception, d'ailleurs de manière non absolue –, mais nous entretenons avec elles des relations de deux sortes selon qu'elles sont à l'origine d'initiatives auxquelles nous apportons notre soutien – souvent parce qu'elles sont innovantes du point de vue social ou économique – ou qu'elles mettent en oeuvre nos politiques publiques en tant qu'opérateurs. Le lien contractuel ne peut être le même dans les deux cas, comme on a dû vous le dire déjà.

Dans le second cas, en tant qu'élus, nous considérons que les associations apportent une vision particulière, mais nous entendons qu'elles mettent en oeuvre la politique publique que nous avons définie en fonction de critères précis. Nous avons donc recours, à leur grand dam, à des outils tels que les conventions, les marchés publics ou les appels à projets. Nous estimons légitimement que c'est la meilleure formule pour bien servir les objectifs que nous voulons poursuivre, au service de l'intérêt général tel que nous l'entendons. Il faut trouver grâce à la discussion la solution qui concilie au mieux nos exigences respectives dans le cadre des textes juridiques en vigueur, qui ne sont pas toujours simples.

La définition de la subvention telle qu'elle est posée dans la loi relative à l'économie sociale et solidaire nous aidera, dans le premier cas, à organiser au mieux la collaboration en la sécurisant, répondant ainsi à un souci de nos services juridiques, et permettra au besoin d'introduire un peu plus de souplesse dans nos relations avec les associations.

La particularité de notre approche en termes d'économie sociale nous a conduits à soutenir fortement les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), pour relayer les appels à projets issus des ministères. Au même titre que les entreprises de l'économie sociale et solidaire et que les entreprises classiques, les associations travaillent à l'appui des projets économiques territoriaux. Cela mérite d'être souligné car on insiste en général avant tout sur leur rôle citoyen plutôt que sur leur rôle d'acteurs économiques. Or l'une de leurs revendications est d'être pleinement intégrées dans l'économie sociale et, dans un second temps, de voir l'économie sociale reconnue comme partie prenante du développement économique – vous avez tous eu connaissance des campagnes demandant que l'économie sociale ne relève plus du ministère des affaires sociales, mais de Bercy et qu'elle soit incluse, au niveau régional, dans le champ des affaires économiques et non plus dans celui des affaires sociales. Nous sommes donc en mesure de faire appel aux associations en tant qu'acteurs économiques. Cependant, leur contribution se heurte à certaines limites ou difficultés.

Celles-ci sont d'abord, bien évidemment, d'ordre financier. Nous constatons à travers les sollicitations que nous adressent les associations que les régions sont devenues pour elles le financeur ultime. À mesure que l'investissement de l'État a diminué, on a vu, dans les tours de table, s'effondrer à tour de rôle les autres partenaires et ne sont plus restées que nos collectivités qui, disposant encore d'une petite assise même si leur budget est contraint et en diminution, ont dû augmenter leur contribution pour compenser ce désengagement. Les régions finissent ainsi par être la dernière ressource au service de l'emploi et du service public, en particulier pour soutenir le secteur social – l'aide à domicile, notamment.

Lorsque nous faisons part aux associations de nos difficultés de financement et que nous leur opposons le fait qu'elles ne se situent pas dans notre coeur de compétences, elles rétorquent : « Vous nous tuez ! Si vous ne nous subventionnez plus, nous allons devoir mettre la clef sous la porte et licencier. » Ce sont des situations auxquelles nous sommes régulièrement confrontés et je voulais m'en faire ici l'écho.

Autre difficulté : l'affaissement des fonds propres des associations, que nous mesurons au nombre de demandes d'avances ou d'acomptes sur subvention qu'elles nous adressent. Dans la région Île-de-France, la contraction de leur trésorerie atteint des proportions catastrophiques. Lors des tours de table, ceux qui s'engagent se font rares et quand, au cours de l'année, intervient un gel sur tel ou tel poste, elles doivent tirer sur leurs fonds propres, déjà fortement entamés, ce qui les met encore plus en difficulté.

Pour remédier à l'insuffisance des subventions et à l'absence de ressources de fonctionnement pérennes, elles se lancent dans une course aux appels à projets qui permettent de couvrir pour celle-ci 10 % de ses frais, pour celle-là jusqu'à 30 ou 40 %. Stratégie très précaire car il suffit qu'elles ne soient pas retenues pour ruiner leur équilibre financier. De surcroît, cela suppose de consacrer un, voire deux permanents à la paperasserie, donc à des tâches bien éloignées du projet associatif en tant que tel. Il en faut même trois pour les aides du Fonds social européen, dont certaines me font savoir qu'elles ne les solliciteront plus faute de moyens, parce que cela exige des démarches trop complexes alors même que les délais de versement sont d'un an et demi. Cette ressource est ainsi bêtement perdue. La responsabilité de mobiliser ce fonds appartient aux régions, me direz-vous. Vaste sujet… J'indiquerai seulement que nous nous heurtons en la matière à de grandes difficultés.

Nous constatons également, je l'ai dit, des tensions liées aux outils contractuels mis en oeuvre. Dans certains secteurs, des pans entiers du mouvement associatif sont dans l'incapacité de répondre aux appels à projets. C'est le cas par exemple dans le domaine du sport, où l'écart se creuse entre fédérations d'amateurs et professionnels, ou encore dans le domaine du tourisme social, où le mouvement associatif a perdu toute une part de sa capacité d'intervention. Mais, qu'on l'accepte ou non, le rééquilibrage au sein du financement public entre subventions, d'une part, et marchés publics et appels à projets, d'autre part, est indispensable : quand nous avons choisi de mener une politique publique déterminée, il est légitime de vouloir qu'elle réponde aux critères que nous avons définis et le choix de l'outil juridique en découle tout naturellement.

La question du bénévolat également donne lieu à des constats inquiétants. Selon certaines statistiques, le nombre de bénévoles augmenterait. Nous observons en tout cas, pour notre part, qu'il y a peu de renouvellement dans les équipes dirigeantes des associations, en raison des difficultés auxquelles il se heurte. Lorsque nous organisons des réunions avec les associations à l'échelle régionale, donc avec des têtes de réseau, que voyons-nous ? Absence de parité, quasi-absence de trentenaires ou de quadragénaires et, corrélativement, surreprésentation des quinquagénaires et des retraités. La retraite fait vivre les associations et il conviendrait d'ailleurs de mesurer l'impact du recul de l'âge de départ sur leur fonctionnement…

Il y a de quoi s'interroger sur certains processus simples de démocratie. Tous les acteurs associatifs en témoignent : ceux qui ont fait longtemps vivre leur association ne trouvent pas de relève parmi les bénévoles quand ils souhaitent céder la place. Il y a là tout un travail de formation et d'accompagnement à mener. Se pose également le problème des heures de liberté : un quadragénaire ne dispose pas forcément d'une journée entière pour gérer une association, il ne peut s'y consacrer que le soir ou le week-end. La question du congé d'engagement bénévole, dont la création a été évoquée un temps, mériterait d'être reposée. Pour le financement de la formation, des solutions de type syndical ont été trouvées pour les associations employeuses mais, pour les associations sans salariés, cela se révèle plus difficile alors même que les règles qui régissent les demandes de subventions sont de plus en plus complexes. Il est essentiel de simplifier ces procédures. Nous, régions, pouvons nous engager dans cette voie, mais il n'en faut pas moins que les bénévoles soient formés.

Il importe également de travailler à la mutualisation. Nous essayons de la développer en Île-de-France comme dans d'autres régions. Nous encourageons les groupements d'employeurs permettant une mutualisation territorialisée des moyens, ne serait-ce que parce qu'une partie de la politique de l'emploi repose sur la capacité des associations à embaucher. Or il n'est pas facile pour un bénévole de soixante ou soixante-dix ans, qui tient son association à bout de bras, de créer un emploi. Il y a cependant un secteur qui tire bien son épingle du jeu, car il s'agit d'un secteur hybride : c'est celui de la culture.

Enfin, nous tenons à appeler votre attention sur un sujet qui est pour vous d'actualité. Nous considérons les associations comme des vecteurs d'innovation sociale – nous l'avons constaté en matière de petite enfance et nous le constatons aujourd'hui en matière d'aide à domicile. Selon nous, il faut désormais anticiper en travaillant à structurer l'emploi dans les services à la personne. Plus le personnel est professionnalisé, meilleur est le service qu'il rend, mais plus il est cher aussi, ce qui conduit à une sélection des bénéficiaires. La situation est similaire à cet égard à celle du secteur du logement où, avec la substitution de l'aide à la personne à l'aide à la pierre, on a perdu la maîtrise des prix. Nous devons donc arbitrer entre la solvabilisation de la demande, qui est souvent un puits sans fond, et le soutien à la structure du secteur économique en tant que tel, qui apparaît nécessaire. Puisque la loi sur l'adaptation au vieillissement est aujourd'hui en discussion, nous devons nous pencher sur ces questions, portées à notre connaissance par les associations qui relaient ainsi une demande sociale. Nous, régions, essayons de « penser » l'opérateur en même temps que le dispositif, ce qui n'est pas simple. Mais structurer la demande et l'offre de services et le champ des opérateurs économiques a son importance pour un territoire : ce sont l'emploi et la cohésion qui sont en jeu. La simple libéralisation ne saurait suffire, dans aucun secteur.

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