L'audition débute à dix-huit heures cinquante.
Les collectivités territoriales sont devenues des partenaires majeurs des associations, dont elles soutiennent les initiatives qui permettent à plus ou moins grande échelle de tisser du lien social. Ensemble, elles travaillent à mettre en oeuvre des politiques publiques déterminées. Dans ce pas de deux institutionnel, les partenaires sont-ils vraiment égaux ? Leurs objectifs sont-ils toujours en harmonie ? Leurs relations se sont-elles transformées dans les années récentes ? Font-elles toujours une place suffisante à l'autonomie du projet associatif ?
C'est pour répondre à toutes ces questions, et certainement à bien d'autres encore, que nous avons le plaisir d'accueillir Mme Corinne Bord, conseillère régionale d'Île-de-France, qui représente l'Association des régions de France, et M. Jean-Marie Darmian, maire de Créon en Gironde de 1995 à 2014 et membre du bureau de l'Association des maires de France.
Mais, préalablement, madame, monsieur, je dois, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Corinne Bord et M. Jean-Marie Darmian prêtent serment)
C'est la commission « Économie sociale et solidaire » de l'ARF, commission dont je suis membre, qui est compétente pour les relations avec les associations. Les régions – et c'est une spécificité – abordent en effet la question de la vie associative principalement à travers le prisme de l'économie. Je vais y revenir, après une mise au point qui répondra peut-être à votre interrogation sur l'autonomie laissée au projet associatif, monsieur le président.
Nous considérons les nombreuses associations avec lesquelles nous travaillons comme des partenaires dans la quasi-totalité des actions que nous menons – la construction faisant seule exception, d'ailleurs de manière non absolue –, mais nous entretenons avec elles des relations de deux sortes selon qu'elles sont à l'origine d'initiatives auxquelles nous apportons notre soutien – souvent parce qu'elles sont innovantes du point de vue social ou économique – ou qu'elles mettent en oeuvre nos politiques publiques en tant qu'opérateurs. Le lien contractuel ne peut être le même dans les deux cas, comme on a dû vous le dire déjà.
Dans le second cas, en tant qu'élus, nous considérons que les associations apportent une vision particulière, mais nous entendons qu'elles mettent en oeuvre la politique publique que nous avons définie en fonction de critères précis. Nous avons donc recours, à leur grand dam, à des outils tels que les conventions, les marchés publics ou les appels à projets. Nous estimons légitimement que c'est la meilleure formule pour bien servir les objectifs que nous voulons poursuivre, au service de l'intérêt général tel que nous l'entendons. Il faut trouver grâce à la discussion la solution qui concilie au mieux nos exigences respectives dans le cadre des textes juridiques en vigueur, qui ne sont pas toujours simples.
La définition de la subvention telle qu'elle est posée dans la loi relative à l'économie sociale et solidaire nous aidera, dans le premier cas, à organiser au mieux la collaboration en la sécurisant, répondant ainsi à un souci de nos services juridiques, et permettra au besoin d'introduire un peu plus de souplesse dans nos relations avec les associations.
La particularité de notre approche en termes d'économie sociale nous a conduits à soutenir fortement les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), pour relayer les appels à projets issus des ministères. Au même titre que les entreprises de l'économie sociale et solidaire et que les entreprises classiques, les associations travaillent à l'appui des projets économiques territoriaux. Cela mérite d'être souligné car on insiste en général avant tout sur leur rôle citoyen plutôt que sur leur rôle d'acteurs économiques. Or l'une de leurs revendications est d'être pleinement intégrées dans l'économie sociale et, dans un second temps, de voir l'économie sociale reconnue comme partie prenante du développement économique – vous avez tous eu connaissance des campagnes demandant que l'économie sociale ne relève plus du ministère des affaires sociales, mais de Bercy et qu'elle soit incluse, au niveau régional, dans le champ des affaires économiques et non plus dans celui des affaires sociales. Nous sommes donc en mesure de faire appel aux associations en tant qu'acteurs économiques. Cependant, leur contribution se heurte à certaines limites ou difficultés.
Celles-ci sont d'abord, bien évidemment, d'ordre financier. Nous constatons à travers les sollicitations que nous adressent les associations que les régions sont devenues pour elles le financeur ultime. À mesure que l'investissement de l'État a diminué, on a vu, dans les tours de table, s'effondrer à tour de rôle les autres partenaires et ne sont plus restées que nos collectivités qui, disposant encore d'une petite assise même si leur budget est contraint et en diminution, ont dû augmenter leur contribution pour compenser ce désengagement. Les régions finissent ainsi par être la dernière ressource au service de l'emploi et du service public, en particulier pour soutenir le secteur social – l'aide à domicile, notamment.
Lorsque nous faisons part aux associations de nos difficultés de financement et que nous leur opposons le fait qu'elles ne se situent pas dans notre coeur de compétences, elles rétorquent : « Vous nous tuez ! Si vous ne nous subventionnez plus, nous allons devoir mettre la clef sous la porte et licencier. » Ce sont des situations auxquelles nous sommes régulièrement confrontés et je voulais m'en faire ici l'écho.
Autre difficulté : l'affaissement des fonds propres des associations, que nous mesurons au nombre de demandes d'avances ou d'acomptes sur subvention qu'elles nous adressent. Dans la région Île-de-France, la contraction de leur trésorerie atteint des proportions catastrophiques. Lors des tours de table, ceux qui s'engagent se font rares et quand, au cours de l'année, intervient un gel sur tel ou tel poste, elles doivent tirer sur leurs fonds propres, déjà fortement entamés, ce qui les met encore plus en difficulté.
Pour remédier à l'insuffisance des subventions et à l'absence de ressources de fonctionnement pérennes, elles se lancent dans une course aux appels à projets qui permettent de couvrir pour celle-ci 10 % de ses frais, pour celle-là jusqu'à 30 ou 40 %. Stratégie très précaire car il suffit qu'elles ne soient pas retenues pour ruiner leur équilibre financier. De surcroît, cela suppose de consacrer un, voire deux permanents à la paperasserie, donc à des tâches bien éloignées du projet associatif en tant que tel. Il en faut même trois pour les aides du Fonds social européen, dont certaines me font savoir qu'elles ne les solliciteront plus faute de moyens, parce que cela exige des démarches trop complexes alors même que les délais de versement sont d'un an et demi. Cette ressource est ainsi bêtement perdue. La responsabilité de mobiliser ce fonds appartient aux régions, me direz-vous. Vaste sujet… J'indiquerai seulement que nous nous heurtons en la matière à de grandes difficultés.
Nous constatons également, je l'ai dit, des tensions liées aux outils contractuels mis en oeuvre. Dans certains secteurs, des pans entiers du mouvement associatif sont dans l'incapacité de répondre aux appels à projets. C'est le cas par exemple dans le domaine du sport, où l'écart se creuse entre fédérations d'amateurs et professionnels, ou encore dans le domaine du tourisme social, où le mouvement associatif a perdu toute une part de sa capacité d'intervention. Mais, qu'on l'accepte ou non, le rééquilibrage au sein du financement public entre subventions, d'une part, et marchés publics et appels à projets, d'autre part, est indispensable : quand nous avons choisi de mener une politique publique déterminée, il est légitime de vouloir qu'elle réponde aux critères que nous avons définis et le choix de l'outil juridique en découle tout naturellement.
La question du bénévolat également donne lieu à des constats inquiétants. Selon certaines statistiques, le nombre de bénévoles augmenterait. Nous observons en tout cas, pour notre part, qu'il y a peu de renouvellement dans les équipes dirigeantes des associations, en raison des difficultés auxquelles il se heurte. Lorsque nous organisons des réunions avec les associations à l'échelle régionale, donc avec des têtes de réseau, que voyons-nous ? Absence de parité, quasi-absence de trentenaires ou de quadragénaires et, corrélativement, surreprésentation des quinquagénaires et des retraités. La retraite fait vivre les associations et il conviendrait d'ailleurs de mesurer l'impact du recul de l'âge de départ sur leur fonctionnement…
Il y a de quoi s'interroger sur certains processus simples de démocratie. Tous les acteurs associatifs en témoignent : ceux qui ont fait longtemps vivre leur association ne trouvent pas de relève parmi les bénévoles quand ils souhaitent céder la place. Il y a là tout un travail de formation et d'accompagnement à mener. Se pose également le problème des heures de liberté : un quadragénaire ne dispose pas forcément d'une journée entière pour gérer une association, il ne peut s'y consacrer que le soir ou le week-end. La question du congé d'engagement bénévole, dont la création a été évoquée un temps, mériterait d'être reposée. Pour le financement de la formation, des solutions de type syndical ont été trouvées pour les associations employeuses mais, pour les associations sans salariés, cela se révèle plus difficile alors même que les règles qui régissent les demandes de subventions sont de plus en plus complexes. Il est essentiel de simplifier ces procédures. Nous, régions, pouvons nous engager dans cette voie, mais il n'en faut pas moins que les bénévoles soient formés.
Il importe également de travailler à la mutualisation. Nous essayons de la développer en Île-de-France comme dans d'autres régions. Nous encourageons les groupements d'employeurs permettant une mutualisation territorialisée des moyens, ne serait-ce que parce qu'une partie de la politique de l'emploi repose sur la capacité des associations à embaucher. Or il n'est pas facile pour un bénévole de soixante ou soixante-dix ans, qui tient son association à bout de bras, de créer un emploi. Il y a cependant un secteur qui tire bien son épingle du jeu, car il s'agit d'un secteur hybride : c'est celui de la culture.
Enfin, nous tenons à appeler votre attention sur un sujet qui est pour vous d'actualité. Nous considérons les associations comme des vecteurs d'innovation sociale – nous l'avons constaté en matière de petite enfance et nous le constatons aujourd'hui en matière d'aide à domicile. Selon nous, il faut désormais anticiper en travaillant à structurer l'emploi dans les services à la personne. Plus le personnel est professionnalisé, meilleur est le service qu'il rend, mais plus il est cher aussi, ce qui conduit à une sélection des bénéficiaires. La situation est similaire à cet égard à celle du secteur du logement où, avec la substitution de l'aide à la personne à l'aide à la pierre, on a perdu la maîtrise des prix. Nous devons donc arbitrer entre la solvabilisation de la demande, qui est souvent un puits sans fond, et le soutien à la structure du secteur économique en tant que tel, qui apparaît nécessaire. Puisque la loi sur l'adaptation au vieillissement est aujourd'hui en discussion, nous devons nous pencher sur ces questions, portées à notre connaissance par les associations qui relaient ainsi une demande sociale. Nous, régions, essayons de « penser » l'opérateur en même temps que le dispositif, ce qui n'est pas simple. Mais structurer la demande et l'offre de services et le champ des opérateurs économiques a son importance pour un territoire : ce sont l'emploi et la cohésion qui sont en jeu. La simple libéralisation ne saurait suffire, dans aucun secteur.
Monsieur le président, je tiens d'abord à préciser que je ne suis plus maire. Étant opposé au cumul des mandats pour une trop longue durée, je me suis appliqué ce principe à moi-même : quarante ans de mandat, cela m'a paru suffisant.
L'AMF, par constitution, représente nos 36 000 communes et l'expérience dont je vais vous faire part touche sans doute une strate de la vie associative différente de celle dont il vient d'être question. Les associations constituent le tissu de proximité le plus important sur l'ensemble du territoire.
Selon une étude – que je vous invite à lire – parue au deuxième trimestre de cette année dans JurisAssociations, 49 % des ressources de l'ensemble des associations en France sont des ressources publiques : 12 % proviennent du bloc communal, 12 % du bloc départemental et 4 % des régions. À l'intérieur de ces premiers 12 %, la proportion des subventions – le mot a ici son importance et j'y reviendrai – s'élève à 25 %.
L'AMF s'est mobilisée en faveur du secteur associatif, à la demande de celui-ci mais surtout à la demande de Mme Fourneyron, alors ministre en charge de la vie associative, qui a tenu à ce que soient pris en compte les changements intervenus depuis la signature de la Charte des engagements réciproques de 2001 : dans le partenariat avec les associations, l'État n'est plus le seul acteur, les collectivités territoriales sont devenues parties prenantes. Pendant dix-huit mois, avec les autres organisations d'élus, l'AMF a ainsi travaillé avec les associations pour tenter de répondre à leurs attentes et à leurs inquiétudes.
Se pose tout d'abord pour elles la question de l'application de ce que j'appellerai le traité européen sur la concurrence libre et non faussée. Une grande part de leurs difficultés provient en effet de l'interprétation que font les institutions européennes de cette notion et de l'application qu'elles en font au statut des associations loi de 1901 en France, Bruxelles raisonnant davantage en termes de fondations que d'associations. Ce problème a donné lieu à la fameuse circulaire Fillon, qui a mis en alerte le monde associatif, ainsi qu'à deux lois, dont celle relative à l'économie sociale et solidaire, à l'élaboration de laquelle l'AMF a été associée. Cependant, je me limiterai ici à la question des relations entre associations et secteur marchand.
Pour donner la mesure de ce problème à l'échelle du bloc communal, je vais citer des cas très concrets dont j'ai eu personnellement connaissance en tant que maire. Une commune peut-elle continuer à subventionner un cinéma de proximité associatif lorsque existe dans son environnement immédiat un multiplexe ? Le cinéma associatif relève-t-il ou non du secteur marchand ? Un professeur de judo s'établissant dans une commune en tant qu'auto-entrepreneur dans une salle répondant aux normes d'accueil est-il un concurrent du club de judo qui rémunère ses professeurs ? Une personne donnant des cours de guitare concurrence-t-elle l'école de musique communale ou associative ? L'AMF a aussi été saisie de plusieurs recours posant la question de savoir si l'on devait continuer à subventionner une crèche parentale alors qu'une crèche privée, agréée par la caisse d'allocations familiales (CAF), rendait les mêmes services…
Je pourrais poursuivre l'énumération en mentionnant les coopératives, nombreuses en milieu rural, ou entrer dans le détail de tous ces problèmes sur lesquels les juristes de l'AMF ont dû se pencher. Il semblerait que la loi relative à l'économie sociale et solidaire ait permis d'en résoudre certains. Son élaboration a été très difficile et, nous le savons pour avoir participé à de nombreuses réunions préparatoires, elle a fait l'objet d'un travail très fin, mais son application est récente et nous devons attendre pour voir si ces difficultés sont résolues ou non.
Ensuite, inutile de le cacher, plusieurs points du projet de réforme territoriale suscitent une grande angoisse dans le monde associatif. J'ai récemment participé à un colloque sur les comités départementaux de sport : que vont-ils devenir si le conseil général ne dispose plus de la compétence générale en la matière ? Le sport doit-il renoncer à cet échelon d'organisation ? Le bloc communal, quant à lui, aide au fonctionnement des associations en vertu de cette même compétence générale et cela s'ajoute aux subventions versées par le département : cette possibilité de cumul va disparaître si on revient sur la clause de compétence générale. D'autre part, qui va réguler le partage des compétences dans les domaines de la culture, du sport et du tourisme ? Le bloc communal deviendra-t-il le seul financeur du système associatif, sachant que les montants en cause dépassent le milliard d'euros ? L'intercommunalité soutient le milieu associatif lorsque sa compétence le lui permet, mais il est certain qu'une éventuelle suppression des conseils généraux aurait de lourdes conséquences financières pour les collectivités du bloc communal.
J'en viens aux restrictions budgétaires qui vont aller crescendo pendant les trois prochaines années. Si l'on répercute la diminution de la dotation aux collectivités locales inscrite dans le budget pour 2014 sur la dotation pour subventions aux associations, on peut aller jusqu'à une baisse de 3 milliards d'euros ! Ainsi le conseil général de la Gironde, dont je suis le vice-président chargé des finances, a appliqué une baisse générale de 18 % à ses subventions aux associations, quelles qu'en soit l'objet social. L'inquiétude du bloc communal est donc de savoir qui compensera la disparition des dotations dans l'hypothèse où la réforme territoriale entrerait en vigueur.
Quelles sont nos propositions ?
L'AMF, l'ARF, l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) et, dans une bien moindre mesure, l'Assemblée des départements de France (ADF) ont rédigé une nouvelle Charte d'engagements réciproques qui peut se décliner aux niveaux régional, départemental et local. Mme Fourneyron en attendait qu'elle sécurise le partenariat entre collectivités et associations. L'essentiel de nos discussions a porté sur le choix entre le mot « subvention » et le mot « soutien ». Il était pour nous très important que le milieu associatif prenne conscience que la subvention n'est pas le seul moyen de le favoriser. Le soutien recouvre en effet la mise à disposition de locaux et la prise en charge de leur entretien et de leur fonctionnement, et le terme a donc une acception beaucoup plus large que celui de subvention. En outre, alors que la subvention est variable, le soutien est davantage à long terme : la mise à disposition d'un local permettra par exemple à un club de judo de perdurer même si la subvention dont il bénéficie baisse.
L'AMF constate que la Charte n'a été appliquée dans aucune région, aucun département, aucune commune de taille moyenne. J'ai rencontré il y a quatre mois le préfet de la Gironde pour insister sur la nécessité de la mettre en oeuvre : j'attends toujours. De leur côté, les associations réclament des conventions permettant l'établissement de rapports beaucoup plus fiables avec les collectivités territoriales, notamment avec le bloc communal, échelon de proximité dont elles ont un impérieux besoin. Dans le cadre de la Charte, elles ont demandé des plans de soutien d'une durée de trois ans, qui leur permettraient de créer des emplois durables alors qu'aujourd'hui tout peut être remis en cause chaque année.
L'AMF plaide pour le conventionnement. Il paraît utile, dans le respect des compétences respectives des collectivités et des associations, de lier le soutien à un conventionnement clair, qui éviterait aussi bien des observations de la Cour des comptes que le risque de conflits de personnes. La formule nous semble d'autant plus s'imposer que, dans cette période d'incertitudes, elle tranquilliserait les responsables associatifs.
La Charte insiste en faveur d'un statut du bénévole. Dans une commune, un bénévole responsable d'un club de football comptant 300 ou 400 licenciés a au moins autant d'importance sociale que le vingt-neuvième conseiller municipal. Or ces gens ne sont pas reconnus pour ce qu'ils font. Un poste en particulier devient très difficile : celui de trésorier. Les volontaires pour l'occuper se font de plus en plus rares car cela implique d'assumer des responsabilités de plus en plus lourdes, qu'il s'agisse des déclarations fiscales, de la déclaration de la TVA ou des exonérations de charges sur les manifestations.
Par ailleurs, il faudrait revoir les seuils. La réalisation d'un montant de recettes d'exploitation tirées d'une activité lucrative excédant 60 000 euros entraîne, comme vous le savez, la déchéance du statut d'association à but non lucratif. Or ce seuil est bas puisqu'il ne s'applique pas, contrairement à ce qu'on croit souvent dans le milieu associatif, à la seule subvention, mais au soutien, à savoir à l'ensemble des aides. Si on le maintient à ce niveau, je suis persuadé que, dans trois ans, bien des associations basculeront dans le secteur marchand alors même que la subvention dont elles bénéficient sera inférieure à 60 000 euros. Ce pourrait être le cas, par exemple, des crèches parentales qui, si l'on additionne la mise à disposition des locaux, la fourniture des fluides, la subvention même modique de la collectivité et celles de la CAF, dépassent ce montant.
Le législateur devrait élaborer une définition bien plus claire que celle qui est en vigueur du secteur non marchand. Il importe de préciser que certains secteurs associatifs – petite enfance, culture… – ne font pas partie du secteur concurrentiel. D'autre part, il conviendrait d'assouplir certaines règles, régissant par exemple la location de salles.
L'AMF soutient la proposition de la Charte visant à créer des maisons des associations comme il y a des maisons de services publics. Dès lors qu'on considère que les associations rendent un service public, elles devraient être regroupées au sein d'un lieu qui pourrait bénéficier du soutien du bloc communal. Il s'agirait de mutualiser des espaces au sein desquels la vie associative pourrait s'exprimer.
L'ARF a raison d'encourager les groupements d'employeurs associatifs, en particulier dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, pour laquelle de nombreux maires ont fait appel au système associatif mais en se heurtant chaque fois à l'obstacle des horaires, très parcellisés. Ainsi, quand vous demandez au club de judo de votre commune de prendre en charge une activité, celui-ci va déléguer quelqu'un pour seulement quatre heures par semaine, mais cela ne fait pas un emploi. Or, dans les territoires ruraux, on imagine mal cinq maires signer cinq contrats de quatre heures. Dans ma commune cependant, afin de proposer des activités de gymnastique rythmique, la fédération a créé un groupement d'employeurs et met des personnes agréées à la disposition de plusieurs municipalités, grâce à quoi les maires n'ont pas de déclaration d'emploi à faire. Il faut absolument développer ces groupements.
Enfin, il faudrait relancer l'apprentissage associatif à travers la coopération à l'école qui, jadis, favorisait la relève des bénévoles, et, dans les collèges et les lycées, à travers les foyers socio-éducatifs, actuellement en déshérence parce qu'on ne sait pas qui doit les financer – le ministère de l'éducation nationale, la collectivité territoriale concernée, les parents d'élèves ? Les instituteurs ont assuré cet apprentissage de la vie associative pendant des années, de même que de nombreux professeurs animant des clubs. Or ces structures doivent aujourd'hui vivre avec presque rien.
Je terminerai en vous encourageant vivement à peser de tout votre poids pour que la Charte d'engagements réciproques soit signée et appliquée, tant il est assuré qu'elle faciliterait les relations entre associations et collectivités territoriales.
Vos propositions, concrètes et très complètes, nous seront extrêmement utiles, notamment sur les moyens de mobiliser la jeunesse en faveur de la vie associative : il en va de la cohésion sociale.
Comment pensez-vous qu'il faille agir pour mettre en oeuvre la Charte d'engagements réciproques ?
À l'occasion d'un débat sur la simplification de ses procédures, en juin dernier, le conseil régional d'Île-de-France a décidé de commencer à appliquer la Charte dès cet automne en allant crescendo : en effet, de nombreuses politiques publiques sont concernées par ses dispositions, ce qui nous impose de revoir la quasi-totalité de nos délibérations ainsi que notre règlement financier. Nous travaillons donc avec les associations pour avancer pas à pas tout en tenant compte de leurs priorités. Nous comprenons d'autant mieux l'intérêt d'un conventionnement pluriannuel qu'aujourd'hui, nous passons quasiment une convention pour chaque subvention – celles-ci étant en général destinées à des têtes de réseau, les sommes en jeu sont importantes. Nous avons bien avancé en ce qui concerne le versement d'acomptes et d'avances de trésorerie. Nous progressons ainsi étape par étape dans la mise en oeuvre de cette Charte, qui est avant tout une question de volonté politique.
Je souhaite revenir sur la réforme des rythmes scolaires, que j'ai appliquée dans ma commune de quelque 6 000 habitants dès 2013, ce qui me donne un certain recul. Je me suis appuyé sur une association pivot, un centre social et culturel dont les permanents, qui connaissent bien le sujet, s'occupent de l'organisation des rythmes scolaires. Je me suis également appuyé sur la bibliothèque municipale et sur les associations sportives et culturelles. Nous avons beaucoup travaillé avec la région Picardie, qui a adopté un dispositif de soutien aux emplois d'avenir, mais aussi avec le département, afin de faciliter l'intégration de jeunes au dispositif, en particulier grâce à l'encadrement de professionnels.
J'ai constaté, dans ma ville, un gonflement des effectifs de certaines associations. Avez-vous relevé ce phénomène dans d'autres villes ? Quel est, en outre, le degré d'implication des associations dans la réforme des rythmes scolaires ?
Je confirme votre constat de distorsions entre le secteur associatif et le secteur privé et sur le risque de concurrence. Par exemple, si un professeur de danse crée une association, s'auto-emploie et exerce l'activité concernée, nous sommes dans l'embarras : devons-nous le subventionner ou non ? Quelles solutions préconisez-vous pour régler ces situations, délicates pour les élus ?
Enfin, au-delà d'un montant de 23 000 euros de subventions, la signature d'une convention d'objectifs est obligatoire. Quel est votre avis sur le niveau de ce seuil ?
Le projet de loi de réforme des collectivités territoriales prévoit la suppression de la clause générale de compétence pour les départements et les régions, mais le maintien d'une compétence partagée pour le tourisme – dont la région sera le chef de file –, pour la culture et pour le sport – sans chef de file dans ces deux derniers cas, pour le moment. Reste que la vie associative ne se résume pas au tourisme, à la culture et au sport. Aussi faut-il, selon vous, ajouter la vie associative aux domaines relevant de la compétence partagée ?
Nous souffrons, comme vous l'avez montré, d'une sorte de « darwinisme » associatif du fait de la course aux appels à projets. Ne peut-on renverser la problématique et inciter davantage à l'évaluation participative en s'appuyant, si l'on sanctuarise les priorités, sur la demande citoyenne, même si ce doit être plus difficile aux niveaux régional et départemental qu'au niveau du bloc communal ? Il faudrait orienter au mieux les associations, les élus conservant le monopole de la définition des politiques publiques, mais on conçoit trop souvent l'évaluation des politiques publiques suivant un format assez rigide et il est dommage de ne pas susciter à la base l'initiative associative au moment où l'on en déplore le déclin et l'éparpillement.
D'autre part, le volontariat civique senior, en lien avec le Haut Conseil de l'âge, peut avoir son intérêt pour la transmission de la « fibre associative » entre générations. Ne peut-on en effet inciter ce type de structures – je songe aussi aux conseils des aînés dans les communes – à stimuler la volonté associative qui fait défaut ?
Ne pensez-vous pas qu'il faudrait mieux valoriser ce qu'apporte le bloc communal aux associations locales, dont le soutien ne se résume pas en effet à la subvention ? Mais ce soutien peut parfois poser problème. Si les chambres régionales des comptes ne sont pour l'heure pas très « regardantes », elles commencent à le devenir et certaines associations portées à en prendre à leur aise et à privatiser une partie de leur activité pourraient connaître des difficultés. Or les maires sont parfois démunis devant de telles situations, même si l'AMF peut leur apporter une aide juridique.
Le danger d'impliquer les associations dans la réforme des rythmes scolaires tient en un mot, celui de « prestation ». Le code des impôts est formel : si l'association devient prestataire, elle entre ipso facto dans le secteur marchand. D'où l'importance d'un conventionnement clair qui atteste que l'association anime une activité à visée sociale, mais qu'elle n'est pas prestataire puisque vous définissez un prix fondé par exemple sur une convention collective. Toute participation associative dans le cadre de cette réforme doit être définie par une convention d'objectifs, faute de quoi des problèmes seront inévitables à terme. Ainsi la Cour des comptes a-t-elle pu signifier à certaines associations au volume d'activités très important qu'elles se livraient à une prestation de services, et non plus à du bénévolat. L'AMF devrait élaborer une convention type, même s'il peut suffire d'adapter la Charte d'engagements réciproques pour en faire une charte communale.
Ce serait sûrement une excellente chose d'ajouter la vie associative au nombre des domaines de compétence partagée dans le projet de loi de réforme territoriale.
Enfin, des initiatives intéressantes sont prises par certaines fédérations sportives pour le renouvellement du bénévolat. Celle de handball, par exemple, a mis en place des doubles bureaux ; ainsi, au moment du renouvellement, le second bureau peut prendre la place du premier en étant déjà formé aux tâches à accomplir. Dans ma commune, à chaque fois qu'une association double ainsi son bureau, la subvention qui lui est accordée est majorée. Nous savons du reste que le handball a un fonctionnement plutôt « citoyen ».
De nombreuses régions ont complété le dispositif des emplois d'avenir sur une quote-part contributive. Ainsi en Île-de-France : un projet ne peut être signé avec la région que s'il prévoit un contrat à durée indéterminée. Mais cela ne suffit pas à satisfaire notre souci d'assurer au jeune salarié d'une petite association un processus continu d'insertion, qui suppose un plan de formation bien conçu et des relations de travail formatrices, lui permettant d'évoluer. À cet égard, la formule du groupement d'employeurs paraît plus adaptée parce que l'entreprise, y compris dans le cadre associatif, se révèle plus structurante.
Ensuite, je note que les secteurs dans lesquels les régions interviennent sont bien plus nombreux que ceux précédemment mentionnés : à la culture, au sport et au tourisme, il faut ajouter l'environnement, la formation, la politique de la ville… Les collectivités de tous niveaux doivent pouvoir définir une politique publique et soutenir la vie associative dans chacun de ces secteurs. Rien ne serait pire en effet que de faire relever la vie associative de la compétence exclusive d'un niveau de collectivité, qui se retrouverait étouffé financièrement en même temps qu'on perdrait le bénéfice de liens intéressants.
Les acteurs associatifs, grâce à leur mode de fonctionnement, à leur proximité avec le terrain, à leur petite taille même, sont bien plus créatifs et réactifs que les structures régionales ne pourront jamais l'être. La vie associative ainsi entendue permet de faire émerger un modèle économique différent, à même de répondre à des attentes que nous n'aurions même pas identifiées. La région Île-de-France promeut par conséquent un appel à projets « Innovation sociale », la seule exigence imposée à la structure créée étant d'innover, en sus de dépendre de l'économie sociale. C'est pour nous un moyen de répondre à la demande sociale.
Le fait que la structure n'a pas d'équivalent ailleurs, qu'elle promeut de nouvelles pratiques sociales.
En effet, mais aussi au mode de financement, au modèle économique. Il faut bien trouver le moyen d'innover en matière sociale sachant qu'il n'existe pas de brevets dans ce domaine.
Il ne faudrait pas que le volontariat soit la porte par laquelle les jeunes entreraient dans le monde de l'emploi et par laquelle les seniors en sortiraient. Je rêve d'une grande agence qui traiterait de tous les volontariats, du service civique au volontariat senior en passant par le volontariat international et européen, qui relèvent aujourd'hui chacun d'une agence différente. Il reste beaucoup à faire en termes de mutualisation et d'économies.
Le terme « volontariat » est-il adapté ? À l'étranger, des volontaires civiques, dans le cadre du volontariat international en administration (VIA) ou en entreprise (VIE), sont des employés.
La rémunération d'un volontaire, dans une structure associative, n'est pas prise en compte dans la masse salariale ni dans les calculs de seuil. Reste qu'il faudrait réunir les conditions d'une continuité du volontariat tout au long de la vie.
Pour favoriser le bénévolat, il conviendrait de promouvoir les associations juniors et d'abaisser l'âge d'entrée dans la vie associative. Cela étant, le frein à l'engagement associatif, quand on a trente ou quarante ans, n'est pas lié à l'éducation mais au temps dont on dispose. La question se pose donc de consentir quelques heures d'allégement aux salariés désireux de s'engager dans une association, et de valoriser professionnellement cet engagement.
L'audition s'achève à dix-neuf heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.
Réunion du 9 septembre 2014 à 18 h 50
Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Pierre Aylagas, M. Alain Bocquet, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Françoise Dumas, Mme Hélène Geoffroy, M. Régis Juanico.
Excusés. – M. Jean-Luc Bleunven.
Assistaient également à la réunion. – Mme Martine Faure, M. Christophe Premat,