Monsieur le président, je tiens d'abord à préciser que je ne suis plus maire. Étant opposé au cumul des mandats pour une trop longue durée, je me suis appliqué ce principe à moi-même : quarante ans de mandat, cela m'a paru suffisant.
L'AMF, par constitution, représente nos 36 000 communes et l'expérience dont je vais vous faire part touche sans doute une strate de la vie associative différente de celle dont il vient d'être question. Les associations constituent le tissu de proximité le plus important sur l'ensemble du territoire.
Selon une étude – que je vous invite à lire – parue au deuxième trimestre de cette année dans JurisAssociations, 49 % des ressources de l'ensemble des associations en France sont des ressources publiques : 12 % proviennent du bloc communal, 12 % du bloc départemental et 4 % des régions. À l'intérieur de ces premiers 12 %, la proportion des subventions – le mot a ici son importance et j'y reviendrai – s'élève à 25 %.
L'AMF s'est mobilisée en faveur du secteur associatif, à la demande de celui-ci mais surtout à la demande de Mme Fourneyron, alors ministre en charge de la vie associative, qui a tenu à ce que soient pris en compte les changements intervenus depuis la signature de la Charte des engagements réciproques de 2001 : dans le partenariat avec les associations, l'État n'est plus le seul acteur, les collectivités territoriales sont devenues parties prenantes. Pendant dix-huit mois, avec les autres organisations d'élus, l'AMF a ainsi travaillé avec les associations pour tenter de répondre à leurs attentes et à leurs inquiétudes.
Se pose tout d'abord pour elles la question de l'application de ce que j'appellerai le traité européen sur la concurrence libre et non faussée. Une grande part de leurs difficultés provient en effet de l'interprétation que font les institutions européennes de cette notion et de l'application qu'elles en font au statut des associations loi de 1901 en France, Bruxelles raisonnant davantage en termes de fondations que d'associations. Ce problème a donné lieu à la fameuse circulaire Fillon, qui a mis en alerte le monde associatif, ainsi qu'à deux lois, dont celle relative à l'économie sociale et solidaire, à l'élaboration de laquelle l'AMF a été associée. Cependant, je me limiterai ici à la question des relations entre associations et secteur marchand.
Pour donner la mesure de ce problème à l'échelle du bloc communal, je vais citer des cas très concrets dont j'ai eu personnellement connaissance en tant que maire. Une commune peut-elle continuer à subventionner un cinéma de proximité associatif lorsque existe dans son environnement immédiat un multiplexe ? Le cinéma associatif relève-t-il ou non du secteur marchand ? Un professeur de judo s'établissant dans une commune en tant qu'auto-entrepreneur dans une salle répondant aux normes d'accueil est-il un concurrent du club de judo qui rémunère ses professeurs ? Une personne donnant des cours de guitare concurrence-t-elle l'école de musique communale ou associative ? L'AMF a aussi été saisie de plusieurs recours posant la question de savoir si l'on devait continuer à subventionner une crèche parentale alors qu'une crèche privée, agréée par la caisse d'allocations familiales (CAF), rendait les mêmes services…
Je pourrais poursuivre l'énumération en mentionnant les coopératives, nombreuses en milieu rural, ou entrer dans le détail de tous ces problèmes sur lesquels les juristes de l'AMF ont dû se pencher. Il semblerait que la loi relative à l'économie sociale et solidaire ait permis d'en résoudre certains. Son élaboration a été très difficile et, nous le savons pour avoir participé à de nombreuses réunions préparatoires, elle a fait l'objet d'un travail très fin, mais son application est récente et nous devons attendre pour voir si ces difficultés sont résolues ou non.
Ensuite, inutile de le cacher, plusieurs points du projet de réforme territoriale suscitent une grande angoisse dans le monde associatif. J'ai récemment participé à un colloque sur les comités départementaux de sport : que vont-ils devenir si le conseil général ne dispose plus de la compétence générale en la matière ? Le sport doit-il renoncer à cet échelon d'organisation ? Le bloc communal, quant à lui, aide au fonctionnement des associations en vertu de cette même compétence générale et cela s'ajoute aux subventions versées par le département : cette possibilité de cumul va disparaître si on revient sur la clause de compétence générale. D'autre part, qui va réguler le partage des compétences dans les domaines de la culture, du sport et du tourisme ? Le bloc communal deviendra-t-il le seul financeur du système associatif, sachant que les montants en cause dépassent le milliard d'euros ? L'intercommunalité soutient le milieu associatif lorsque sa compétence le lui permet, mais il est certain qu'une éventuelle suppression des conseils généraux aurait de lourdes conséquences financières pour les collectivités du bloc communal.
J'en viens aux restrictions budgétaires qui vont aller crescendo pendant les trois prochaines années. Si l'on répercute la diminution de la dotation aux collectivités locales inscrite dans le budget pour 2014 sur la dotation pour subventions aux associations, on peut aller jusqu'à une baisse de 3 milliards d'euros ! Ainsi le conseil général de la Gironde, dont je suis le vice-président chargé des finances, a appliqué une baisse générale de 18 % à ses subventions aux associations, quelles qu'en soit l'objet social. L'inquiétude du bloc communal est donc de savoir qui compensera la disparition des dotations dans l'hypothèse où la réforme territoriale entrerait en vigueur.
Quelles sont nos propositions ?
L'AMF, l'ARF, l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) et, dans une bien moindre mesure, l'Assemblée des départements de France (ADF) ont rédigé une nouvelle Charte d'engagements réciproques qui peut se décliner aux niveaux régional, départemental et local. Mme Fourneyron en attendait qu'elle sécurise le partenariat entre collectivités et associations. L'essentiel de nos discussions a porté sur le choix entre le mot « subvention » et le mot « soutien ». Il était pour nous très important que le milieu associatif prenne conscience que la subvention n'est pas le seul moyen de le favoriser. Le soutien recouvre en effet la mise à disposition de locaux et la prise en charge de leur entretien et de leur fonctionnement, et le terme a donc une acception beaucoup plus large que celui de subvention. En outre, alors que la subvention est variable, le soutien est davantage à long terme : la mise à disposition d'un local permettra par exemple à un club de judo de perdurer même si la subvention dont il bénéficie baisse.
L'AMF constate que la Charte n'a été appliquée dans aucune région, aucun département, aucune commune de taille moyenne. J'ai rencontré il y a quatre mois le préfet de la Gironde pour insister sur la nécessité de la mettre en oeuvre : j'attends toujours. De leur côté, les associations réclament des conventions permettant l'établissement de rapports beaucoup plus fiables avec les collectivités territoriales, notamment avec le bloc communal, échelon de proximité dont elles ont un impérieux besoin. Dans le cadre de la Charte, elles ont demandé des plans de soutien d'une durée de trois ans, qui leur permettraient de créer des emplois durables alors qu'aujourd'hui tout peut être remis en cause chaque année.
L'AMF plaide pour le conventionnement. Il paraît utile, dans le respect des compétences respectives des collectivités et des associations, de lier le soutien à un conventionnement clair, qui éviterait aussi bien des observations de la Cour des comptes que le risque de conflits de personnes. La formule nous semble d'autant plus s'imposer que, dans cette période d'incertitudes, elle tranquilliserait les responsables associatifs.
La Charte insiste en faveur d'un statut du bénévole. Dans une commune, un bénévole responsable d'un club de football comptant 300 ou 400 licenciés a au moins autant d'importance sociale que le vingt-neuvième conseiller municipal. Or ces gens ne sont pas reconnus pour ce qu'ils font. Un poste en particulier devient très difficile : celui de trésorier. Les volontaires pour l'occuper se font de plus en plus rares car cela implique d'assumer des responsabilités de plus en plus lourdes, qu'il s'agisse des déclarations fiscales, de la déclaration de la TVA ou des exonérations de charges sur les manifestations.
Par ailleurs, il faudrait revoir les seuils. La réalisation d'un montant de recettes d'exploitation tirées d'une activité lucrative excédant 60 000 euros entraîne, comme vous le savez, la déchéance du statut d'association à but non lucratif. Or ce seuil est bas puisqu'il ne s'applique pas, contrairement à ce qu'on croit souvent dans le milieu associatif, à la seule subvention, mais au soutien, à savoir à l'ensemble des aides. Si on le maintient à ce niveau, je suis persuadé que, dans trois ans, bien des associations basculeront dans le secteur marchand alors même que la subvention dont elles bénéficient sera inférieure à 60 000 euros. Ce pourrait être le cas, par exemple, des crèches parentales qui, si l'on additionne la mise à disposition des locaux, la fourniture des fluides, la subvention même modique de la collectivité et celles de la CAF, dépassent ce montant.
Le législateur devrait élaborer une définition bien plus claire que celle qui est en vigueur du secteur non marchand. Il importe de préciser que certains secteurs associatifs – petite enfance, culture… – ne font pas partie du secteur concurrentiel. D'autre part, il conviendrait d'assouplir certaines règles, régissant par exemple la location de salles.
L'AMF soutient la proposition de la Charte visant à créer des maisons des associations comme il y a des maisons de services publics. Dès lors qu'on considère que les associations rendent un service public, elles devraient être regroupées au sein d'un lieu qui pourrait bénéficier du soutien du bloc communal. Il s'agirait de mutualiser des espaces au sein desquels la vie associative pourrait s'exprimer.
L'ARF a raison d'encourager les groupements d'employeurs associatifs, en particulier dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, pour laquelle de nombreux maires ont fait appel au système associatif mais en se heurtant chaque fois à l'obstacle des horaires, très parcellisés. Ainsi, quand vous demandez au club de judo de votre commune de prendre en charge une activité, celui-ci va déléguer quelqu'un pour seulement quatre heures par semaine, mais cela ne fait pas un emploi. Or, dans les territoires ruraux, on imagine mal cinq maires signer cinq contrats de quatre heures. Dans ma commune cependant, afin de proposer des activités de gymnastique rythmique, la fédération a créé un groupement d'employeurs et met des personnes agréées à la disposition de plusieurs municipalités, grâce à quoi les maires n'ont pas de déclaration d'emploi à faire. Il faut absolument développer ces groupements.
Enfin, il faudrait relancer l'apprentissage associatif à travers la coopération à l'école qui, jadis, favorisait la relève des bénévoles, et, dans les collèges et les lycées, à travers les foyers socio-éducatifs, actuellement en déshérence parce qu'on ne sait pas qui doit les financer – le ministère de l'éducation nationale, la collectivité territoriale concernée, les parents d'élèves ? Les instituteurs ont assuré cet apprentissage de la vie associative pendant des années, de même que de nombreux professeurs animant des clubs. Or ces structures doivent aujourd'hui vivre avec presque rien.
Je terminerai en vous encourageant vivement à peser de tout votre poids pour que la Charte d'engagements réciproques soit signée et appliquée, tant il est assuré qu'elle faciliterait les relations entre associations et collectivités territoriales.