J’en viens au débat portant sur la question de l’attribution de la compétence au juge judiciaire que proposent certains : cela soulève un certain nombre de difficultés. Sur le plan pratique, la procédure judiciaire implique une assignation spécifique et une audience pour chaque instance dont le juge sera saisi afin de respecter le principe du contradictoire. Or on sait que le contournement du blocage passera notamment par la duplication des sites miroir, après blocage d’un premier site. Il ne serait donc pas possible d’obtenir une efficacité suffisante dans la traque de ces sites compte tenu des garanties procédurales inhérentes à toute procédure judiciaire, sauf à réduire ces garanties, ce qui ne serait évidemment pas acceptable.
Sur le plan des principes, le ministre l’a dit, le juge administratif est un juge des libertés. Les troubles à l’ordre public que l’expression sur internet peut engendrer exigent que la lutte contre les propos appelant au terrorisme dans la sphère numérique puisse relever également de la police administrative. Je le répète à chaque fois : pourquoi la police administrative pourrait-elle interdire une manifestation, pourquoi la police administrative pourrait-elle interdire un spectacle ou une réunion, pourquoi la police administrative pourrait-elle, dans des cas très exceptionnels, saisir un journal pour prévenir des troubles à l’ordre public, alors qu’elle ne pourrait pas le faire sur internet, simplement parce que c’est internet ? On ne peut raisonner d’un côté dans la sphère réelle parce que c’est la sphère réelle et, de l’autre, prétendre que ce n’est pas possible parce que cela relève de la sphère numérique. Nous voyons bien que nous sommes de moins en moins dans le côté virtuel quand on aborde ces sujets. Pour toutes ces raisons, je considère que le blocage des sites doit relever de l’autorité administrative.
Enfin, vous avez je crois parlé, monsieur Tardy, d’un « amendement de pacotille » que j’aurais présenté. Les garanties que nous avons mises en oeuvre, la subsidiarité et le fait que la première garantie sera de pouvoir contester la décision de blocage devant la juridiction administrative – garantie que vous ne pouvez pas minimiser, sauf à sous-entendre un certain nombre d’éléments sur lesquels nous vous écouterons –, le projet de loi a prévu une garantie supplémentaire : le contrôle de la liste des sites bloqués par une personnalité qualifiée qui, dans le texte du Gouvernement, était un magistrat de l’ordre judiciaire. Pour renforcer l’efficacité de cette nouvelle garantie, la commission des lois a adopté un amendement que j’avais présenté visant à confier expressément à la personnalité qualifiée un pouvoir de recommandation et à lui permettre de saisir la juridiction administrative lorsque l’autorité administrative ne suivra pas ses recommandations. Elle pourra saisir la juridiction administrative contre une décision de l’État et cette personne qualifiée serait non pas un magistrat, mais une personne désignée par la CNIL pour une durée de trois ans non renouvelable afin de garantir son indépendance. Le législateur met ainsi des garde-fous, comme c’est son rôle. En instaurant le principe de subsidiarité, en mettant en place la personnalité qualifiée et en permettant le recours systématique, nous érigeons un certain nombre de garde-fous qui permettent à cet article de loi d’être efficace.