Séance en hémicycle du 17 septembre 2014 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (nos 2110, 2173).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de deux heures cinquante-quatre minutes pour le groupe SRC, dont vingt-trois amendements sont en discussion, une heure trente-neuf minutes pour le groupe UMP, dont trente-sept amendements sont en discussion, une heure vingt-quatre minutes pour le groupe UDI, dont deux amendements sont en discussion, quarante-quatre minutes pour le groupe écologiste, dont vingt-quatre amendements sont en discussion, trente-neuf minutes pour le groupe RRDP, dont un amendement est en discussion, trente-six minutes pour le groupe GDR, qui n’a plus d’amendement en discussion et quatorze minutes pour les députés non inscrits, dont deux amendements sont en discussion.

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Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 95 à l’article 4.

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L’amendement no 95 n’étant pas défendu, la parole est à Mme Laure de La Raudière, pour soutenir l’amendement no 141 , qui a déjà été abordé lors de la séance précédente.

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Cet amendement tend à supprimer les alinéas 4 et 5, afin que la répression de la propagande terroriste continue de relever de la loi sur la presse. En effet, la propagande terroriste est, à mes yeux, d’un point de vue juridique, un abus de la liberté d’expression et doit être jugée comme tel.

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La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

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La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, pour donner l’avis du Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Myriam El Khomri, secrétaire d’état chargée de la politique de la ville

Je vous prie tout d’abord d’excuser Bernard Cazeneuve qui, en raison d’un empêchement, nous rejoindra à 22 heures trente.

L’avis du Gouvernement est également défavorable.

L’amendement no 141 n’est pas adopté.

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La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 36 .

Sur cet amendement no 36 , je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

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Cet article 4 a pour objet de soustraire au régime procédural de la loi de 1881 les délits de provocation aux actes de terrorisme et d’apologie d’actes de terrorisme, afin qu’ils figurent dans le code pénal. Cet amendement tend à ce que le délit d’apologie d’actes de terrorisme demeure sous l’empire de la loi de 1881, tandis que la provocation aux actes de terrorisme, elle, relèverait du code pénal.

En effet, il ne faut pas confondre la provocation et l’apologie. Le rapporteur souligne ainsi que l’apologie du terrorisme est « l’expression d’une opinion, certes potentiellement odieuse, mais qui n’incite pas directement à commettre une infraction ». L’article 4 incrimine d’ailleurs spécifiquement la provocation non publique, mais non pas l’apologie non publique.

Nous, Français, sommes les héritiers de bien des révoltes. Avant de renverser la monarchie, les futurs révolutionnaires de 1789 avaient publié leurs points de vue sur les changements à apporter à la société en utilisant les médias à la mode à l’époque – l’Encyclopédie et les pamphlets – grâce à une invention qui avait démultiplié la puissance de la diffusion des idées, à savoir l’imprimerie.

Il importe que la loi de 1881, qui protège la liberté d’expression, continue à s’appliquer aux délits d’apologie, et non de provocation au crime. À cet égard, la distinction entre l’apologie du terrorisme et d’autres délits d’apologie – relatifs aux crimes, aux crimes contre l’humanité et à la Shoah – ne se justifie pas.

Il y a fort à craindre que l’on assiste à un détricotage de la loi de 1881, qui est une loi majeure de la République. Les modifications récurrentes qui lui ont été apportées, parfois avec des intentions et des objectifs justes, ont eu pour conséquence de la fragiliser, d’autant plus qu’elle est parfois mal comprise par le juge européen.

En démocratie, le pouvoir considérable d’un gouvernement doit être contrebalancé par la garantie des libertés individuelles. De grâce, ne créez pas un nouveau délit d’opinion…

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…qui est un outil dangereux dans les mains d’un gouvernement démocratique et une arme atomique dans les mains d’un gouvernement autoritaire.

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Myriam El Khomri, secrétaire d’état chargée de la politique de la ville

Avis défavorable.

Il est procédé au scrutin.

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Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants: 17 Nombre de suffrages exprimés: 17 Majorité absolue: 9 Pour l’adoption: 4 contre: 13 (L’amendement no 36 n’est pas adopté.)

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Je suis saisi de deux amendements, nos 9 et 131 , pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 9 .

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Cet amendement a pour objet d’éviter que l’utilisation d’Internet soit une cause aggravante ; j’en ai d’ailleurs longuement parlé lors de mon intervention sur l’article 4.

La multiplication des cas où l’utilisation d’Internet est considérée comme une cause aggravante est un très mauvais signal. Nous l’avions signalé lors de la discussion du projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, à propos du harcèlement moral.

Faire d’internet une cause aggravante nous semble dénoter une confusion entre les potentialités de l’outil et l’audience réelle : si certains contenus d’internet sont bien sûr potentiellement accessibles de manière universelle, leur audience et leur impact peuvent être nettement plus limités que ceux d’un contenu imprimé ou d’une émission de télévision. Par ailleurs, un contenu en ligne peut être bien plus facilement retiré qu’un contenu imprimé, et la preuve peut être plus facilement conservée.

Enfin, l’apologie d’actes de terrorisme pourrait être sanctionnée de sept ans de prison, ce qui excède largement les peines prononcées actuellement pour réprimer ce délit.

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L’effet d’internet sur le recrutement des candidats au djihad et à la commission d’actes terroristes sur notre sol est aujourd’hui totalement avéré. On le voit bien dans l’actualité récente : c’est un moyen de radicalisation et de recrutement, qui accélère les départs au djihad. Internet agit comme une immense caisse de résonance.

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Vos dispositions ne changeront rien, les sites ne sont pas en France !

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Il n’est pas prouvé qu’internet soit en cause !

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Vous dites que ce n’est pas prouvé, mais tous les faits attestent que le recrutement se fait essentiellement par internet, qui constitue une caisse de résonance beaucoup plus importante pour des messages particulièrement dangereux de haine et de violence. C’est par le biais d’Internet qu’un certain nombre de jeunes, notamment ces jeunes filles de quatorze, quinze ou seize ans, sont sensibilisés. Vous dites que ce n’est pas avéré, mais moi je pense à cette jeune fille de quatorze ans – je dis bien : de quatorze ans –, habitant Argenteuil, qui a été recrutée sur internet en quelques semaines et qui est partie épouser un djihadiste en Syrie. Internet est certes un formidable espace de liberté d’expression, mais aussi un outil très efficace au service du djihad médiatique.

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Évoquer ici internet ne nous empêchera pas de parler des prisons lors de l’examen d’articles ultérieurs. Il est d’ailleurs prévu de renforcer les moyens de l’administration pénitentiaire, tout comme nous allons renforcer les moyens d’action sur internet, pour éviter la propagande et les recrutements dans le cadre de ce djihad médiatique.

Debut de section - Permalien
Myriam El Khomri, secrétaire d’état chargée de la politique de la ville

Madame la députée, internet constitue aujourd’hui le vecteur principal de la propagande, du recrutement et de l’incitation au terrorisme. Or, on le sait, ce média a pour effet de toucher un public plus large, plus facilement et plus longtemps que tout autre vecteur. Il permet à n’importe qui d’accéder aisément aux idées, aux cibles, aux modes opératoires, aux outils et aux armements indispensables à un passage à l’acte. Les terroristes eux-mêmes considèrent internet et les réseaux sociaux comme le prolongement de leur lutte sur le terrain. Pour toutes ces raisons, il est justifié de considérer que les provocations commises sur internet sont plus graves que celles commises par la voie de la presse traditionnelle. Il est faux d’en inférer une défiance du législateur envers internet. Le législateur a déjà retenu cette circonstance aggravante pour plusieurs infractions : le viol, le proxénétisme, la traite des êtres humains et la diffusion de procédés permettant la fabrication d’engins de destruction. Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

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Je voudrais ajouter un complément et une incise, qui, quoique n’ayant pas nécessairement un rapport direct avec le sujet, me semble importante et n’a pas encore été développée.

Tout d’abord, ce réseau planétaire qu’est internet présente une particularité, à savoir l’abolition des notions d’espace et de temps. Internet se caractérise en effet par l’instantanéité et l’absence de frontières, ce qui me conduit à partager les doutes que vous émettez sur la capacité technique de bloquer les sites étrangers.

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La seule possibilité en la matière a été mise en oeuvre par la Chine qui, pour protéger son univers, s’est procuré son propre système. C’est à mon sens la seule manière de faire, et encore n’est-elle pas fiable à 100 % ! En effet, s’il était possible d’exercer un tel contrôle, les pays baltes n’auraient pas connu d’attaques, pas plus que l’Iran n’en aurait subi de la part de Tsahal dans le domaine de la guerre électronique.

Cela étant dit, il ne faut pas non plus faire d’internet la seule cause de la propagande en faveur de ladite guerre sainte. Je suis étonné de l’attitude des familles concernées, qui me fait penser à celle de ces mères dont l’époux a violé sa progéniture, et qui viennent vous dire tout à coup en consultation qu’elles ne savaient rien, qu’elles découvrent les faits. Je suis étonné, je le répète, de l’attitude de ces familles qui, brutalement, se réveillent et découvrent que leur fille, préadolescente ou adolescente, va quitter le territoire national pour mener une aventure – car il s’agit bien de cela – extrêmement dangereuse, non seulement pour elle mais aussi pour autrui. Je suis très étonné de cette espèce de complaisance des familles à l’égard de leurs enfants.

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Ou alors, il faut considérer qu’elles ont mis en place des mécanismes de déni tellement forts qu’elles ne voient pas que leurs enfants glissent sur une pente extrêmement délétère. Je ne voudrais pas que le débat relatif à internet occulte ou édulcore la responsabilité des familles.

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Quand vous êtes parent, vous êtes responsable de vos enfants, sauf à considérer que vous admettez des signes culturels, cultuels, en faisant preuve d’une tolérance excessive. Comme je l’ai déjà dit hier, cela revient à perdre cette guerre sur le plan idéologique, car une guerre se gagne sur le terrain des idées et du vocabulaire.

Parler de « djihad », c’est reprendre le verbe, la parole de l’adversaire. Employons plutôt l’expression de « guerre sainte » : ce sera plus clair pour nos compatriotes. Nous composons la représentation nationale française, utilisons donc les mots du français, de façon que nos compatriotes sachent à quoi ils ont affaire.

Reconnaissons enfin la pusillanimité de certaines autorités religieuses autoproclamées qui, face aux caméras de télévision, ont bien du mal à condamner ces actes. L’islam étant pluriel, il nous faudra réfléchir sérieusement à nos rapports avec le wahhabisme, cet islam sunnite dévoyé qui est à l’oeuvre.

Cette guerre est en effet avant tout idéologique, madame la secrétaire d’État. Je le répète : il faut davantage responsabiliser les parents. Ce texte de loi, c’est l’une de ses faiblesses, ne tient pas compte de la responsabilité des parents, toujours présentés comme des victimes ou, au mieux, comme des lanceurs d’alerte qui découvriraient tout à coup une dérive sectaire de leur enfant. Nous sommes à cet égard trop tolérants et trop naïfs.

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Monsieur le président, permettez-moi à ce point du débat – il est vingt et ne heure quarante-cinq – d’appeler nos collègues à traiter les articles l’un après l’autre.

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Certes, les articles 4 et 9 étant liés, nous avons anticipé sur l’objet de ce dernier, mais cher monsieur Dhuicq, si nous sommes toujours très heureux d’assister à des consultations de psychanalyse dans l’hémicycle,…

Sourires

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…nous devrions tout de même en venir au fait et traiter véritablement le sujet tel qu’il est posé. Si vous donniez votre consultation lorsque nous serons parvenus à l’article auquel elle se rapporte…

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...nous gagnerions du temps et nos débats seraient plus clairs.

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Permettez-moi de rebondir sur le problème soulevé par Nicolas Dhuicq, qui présente au moins l’intérêt de pouvoir être traité sur le territoire national.

Examinons précisément le contexte. Nous traitons des faits dans lesquels un service de communication au public en ligne aura été utilisé. J’aurais d’ailleurs aimé pouvoir interroger le ministre de l’intérieur sur ce sujet. Comme l’a dit fort justement Christian Paul tout à l’heure, et nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 9, nous allons légiférer pour un très petit nombre de sites, 5 % peut-être d’entre eux seulement se trouvant en France. Les 95 % restants ne sont pas hébergés sur le territoire français, ce qui signifie que les dispositions que nous allons prendre ce soir ne seront alors pas applicables.

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Pour en revenir au sujet qui nous occupe, toutes les dispositions que vous prenez relatives à Internet seront, dans 95 % des cas, voire 97 % ou 98 %, peut-être même 100 % des cas le jour où votre texte entrera en vigueur, inapplicables, puisque les éditeurs s’organiseront pour que les données ne soient pas hébergées en France, ou utiliseront des techniques de cryptage des données ; nous aurons l’occasion d’y revenir. Telle est la réalité.

Nicolas Dhuicq a au moins le mérite sur ce sujet de pointer les éléments sur lesquels nous avons les moyens d’intervenir : les familles, qui vivent en France, puisqu’il s’agit bien ici de poursuivre les djihadistes français. L’ensemble du volet internet de ce texte est au contraire totalement inopérant.

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Monsieur le président, j’aimerais, si vous le permettez, défendre l’amendement no 131 , qui était en discussion commune avec l’amendement no 9 .

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En effet. Vous avez la parole pour le soutenir, cher collègue.

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Je vous remercie, monsieur le président. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 5 de l’article 4.

Madame la secrétaire d’État, j’aimerais tout d’abord revenir sur une question dont nous avons discuté très sérieusement tout à l’heure avec le ministre de l’intérieur, et sur laquelle nous ne sommes pas tombés d’accord : les circonstances aggravantes que le texte de loi prévoit lorsque les faits auront été commis grâce à l’utilisation d’un service de communication au public en ligne, autrement dit par le biais d’internet.

La position du Gouvernement et de certains de mes collègues s’appuie sur une idée vraie et une idée fausse. La difficulté tient à ce que le texte repose plutôt sur l’idée fausse.

L’idée vraie, c’est qu’Internet permet la diffusion permanente et réitérée, notamment grâce à des liens vers un certain nombre de contenus, d’informations et d’images susceptibles de servir la cause terroriste. Ce n’est un secret pour personne, et chacun a en mémoire des événements récents d’une extrême gravité. La question n’est pas de savoir si internet peut contribuer aujourd’hui à diffuser une propagande terroriste, car c’est une évidence.

L’idée fausse, en revanche, consiste à croire que le texte présenté ici donnera, au moyen des circonstances aggravantes qu’il prévoit, une efficacité particulière à la lutte qu’il convient de mener avec une détermination sans faille contre les mouvements terroristes. Cette lutte ne concernera d’ailleurs pas seulement les mouvements djihadistes, la nouvelle menace, particulièrement barbare, à laquelle nous sommes confrontés actuellement, mais l’ensemble des actes terroristes qui peuvent être commis aujourd’hui et dans les décennies à venir. Nous ne légiférons pas simplement en réaction à l’instant, ainsi que l’a rappelé le ministre, et je fais miens ses propos.

Cette idée fausse risque de circuler longtemps si nous ne la stoppons pas. Cette idée, c’est que l’arrivée d’internet constituerait en quelque sorte une rupture. C’est oublier que, depuis la fin du XIXo siècle, depuis la loi du 29 juillet 1881, qui concerne non seulement la liberté de la presse, mais aussi la liberté d’opinion, les idées, qu’elles soient progressistes, vertueuses, parfois dangereuses ou subversives, ont été diffusées au moyen de supports successifs. L’imprimerie, le livre en est un. On n’a pas prévu de circonstances aggravantes pour le livre, pas plus que pour la radiodiffusion, me semble-t-il, ou pour chaque évolution technologique qui a suivi.

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Quand la télévision est arrivée, média de masse à fort potentiel d’amplification capable de réunir cinq à dix millions de spectateurs devant le journal du soir, on n’a pas prévu de circonstances aggravantes. Pourquoi le ferions-nous aujourd’hui pour les réseaux numériques et internet ?

C’est cette idée qui me paraît fausse et stérile. Si la démonstration était faite que, pour quelques dizaines de sites, puisque l’essentiel se passe sur les réseaux sociaux, il valait la peine de prévoir des circonstances aggravantes et qu’il n’existait pas d’autres solutions, telles que l’aggravation des sanctions pénales, on pourrait peut-être avancer dans cette voie. Mais tel n’est pas le cas. La question ne porte pas sur l’appréciation du danger, car nous sommes unanimes sur ce point, ou à tout le moins, nos points de vue convergent-ils très largement convergents. Elle porte sur l’efficacité de la réponse prévue.

Il me semble que nous franchissons un peu trop vite la ligne jaune en modifiant la loi du 29 juillet 1881 ; on a parlé tout à l’heure d’exfiltration, pour reprendre le terme employé par Mme Bechtel, et je me permets de mettre en perspective les deux amendements, car le fait de prévoir des circonstances aggravantes ne va pas dans le bon sens, fait fi de ce que représentent aujourd’hui les réseaux numériques. Ce n’est pas un autre monde, c’est le nôtre, et dans ce monde-là, il faut en effet utiliser le droit, le durcir quand c’est nécessaire, à partir du contenu, à partir des agissements d’individus appartenant à des mouvements terroristes. Il ne faut pas céder à la facilité, au risque de créer des précédents sans vraiment atteindre le but recherché.

C’est précisément le risque que présente l’alinéa 5 de cet article, que mes collègues Patrick Bloche, Laurence Dumont, Corinne Erhel, Martine Martinel, Marie-Anne Chapdelaine, Gérard Sebaoun, Cécile Untermaier et moi-même vous proposons de supprimer.

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L’avis de la commission et du Gouvernement est également, je le suppose, défavorable à l’amendement no131  ?

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Myriam El Khomri, secrétaire d’état chargée de la politique de la ville

Avis défavorable en effet.

Les amendements nos 9 et 131 , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

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La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement no 10 .

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Il s’agit toujours de s’opposer aux circonstances aggravantes pour la provocation non publique par le biais d’internet. Nous proposons, à l’alinéa 5, de supprimer les mots : « au premier alinéa du I sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende et celles prévues ».

Nous sommes bien conscients que c’est un amendement de repli par rapport au précédent. Pour justifier l’aggravation des peines en matière de provocation et d’apologie au terrorisme, dès lors qu’elles ont été commises sur internet, le rapporteur indique : « Cette circonstance aggravante de commission par le moyen d’internet est justifiée par la publicité particulièrement étendue et rapide que cet outil de communication permet de donner aux messages véhiculés. »

L’argument d’une « publicité particulièrement étendue » tombe dès lors que les propos ne sont pas publics. L’aggravation des peines encourues n’a par conséquent plus aucune justification. C’est pourquoi cet amendement de repli tend à supprimer l’aggravation des peines pour la provocation non publique quand les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

J’ajouterai que, à l’instar du livre et d’autres moyens de diffusion des idées, internet, comme la langue d’Ésope, peut être la meilleure et la pire des choses : tout dépend de la façon dont on l’utilise. Toutes les dispositions qui ont été votées dans l’état d’esprit présidant aux dispositions proposées, par exemple au sujet de la pédophilie sur internet, n’ont malheureusement pas traité le sujet en profondeur : la Toile est une structure complexe, internet est un sujet complexe. Il me paraît hasardeux d’affirmer que par ces simples moyens juridiques et techniques on pourra éviter l’utilisation pernicieuse d’internet, sans compter que cela priverait de son usage tous ceux qui l’utilisent de manière tout à fait légale. La proposition que nous vous faisons me paraît donc acceptable.

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La provocation non publique sur internet existe, et elle est même susceptible de réunir une audience très importante. Certains forums privés comptent un grand nombre de membres, et l’effet démultiplicateur peut alors être puissant. L’application de la circonstance aggravante de commission sur internet apparaît donc justifiée même pour la provocation non publique. L’avis de la commission est par conséquent défavorable.

Debut de section - Permalien
Myriam El Khomri, secrétaire d’état chargée de la politique de la ville

Madame la députée, ainsi que je l’ai rappelé voilà quelques instants, internet est un vecteur utilisé massivement par les groupes terroristes et est devenu le vecteur principal de la propagande, du recrutement et de l’incitation au terrorisme.

La provocation au terrorisme peut résulter de propos tenus sur des réseaux sociaux dont l’accès, bien que non public, peut concerner un très grand nombre de personnes. Il est donc justifié de prévoir l’aggravation de la peine également dans ces circonstances et de renforcer ainsi son caractère dissuasif. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

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Permettez-moi d’apporter une petite précision : que ce soit sur internet, à la télévision ou dans le journal, sur un blog ou sur un compte Twitter, la diffamation reste la diffamation, un discours raciste reste un discours raciste. La possibilité de porter plainte demeure la même. Nous ne demandons pas une exception ; nous affirmons simplement qu’Internet est un média.

Si quelque chose vous heurte sur le Net, portez donc plainte ! Vous le pouvez, tout le monde le peut. Si quelque chose vous choque sur Twitter, dites-le ! Portez plainte, comme lorsque vous voyez des photos sur Paris Match qui ne vous plaisent pas !

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je ne pense à personne en particulier.

La diffamation est la même partout, on peut la traquer partout et elle est réprimée partout de la même façon.

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Qu’on applique les peines existantes avant d’essayer de les aggraver !

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Ils n’ont pas conscience que tout cela ne servira à rien !

L’amendement no 10 n’est pas adopté.

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La parole est à M. Meyer Habib, pour soutenir l’amendement no 125 .

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Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il se trouve que, tout à l’heure, avant la séance, je m’exprimais sur France 24 au sujet du « bon » et du « mauvais » terrorisme, s’agissant des Chiites et des Sunnites.

Nous avons tous été choqués par ces images terribles : au cours de manifestations qui ont eu lieu en juillet dernier, des drapeaux de la haine, comme ceux du Hamas, du Hezbollah ou du Djihad islamique ont été brandis en plein Paris.

La loi ne doit pas tolérer qu’on exhibe de tels emblèmes, qui font l’apologie de mouvements terroristes qui tuent nos enfants, nos femmes, qui menacent notre pays et l’Europe, de la même façon qu’on ne tolérerait pas qu’un drapeau orné d’une croix gammée soit brandi dans Paris. C’est ce même drapeau noir qu’on voit flotter sur ces fameuses vidéos où des journalistes sont égorgés comme des animaux.

Comme ces drapeaux, les armes factices que l’on exhibe au cours de ces mêmes manifestations ne sont ni plus ni moins que des appels à la haine, au meurtre, au soutien de mouvements terroristes. Il est tout à fait naturel que la loi punisse fermement tous ces emblèmes.

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Votre proposition mérite réflexion. Cependant la commission a repoussé cet amendement à ce stade de la discussion, considérant que le fait de déployer de tels drapeaux, à partir du moment où ils sont accompagnés de messages explicites, tombe déjà sous le coup de l’article 4. Voilà pourquoi la commission rejette cet amendement, mais la réflexion pourra être poursuivie au Sénat et dans le cadre de la CMP.

Debut de section - Permalien
Myriam El Khomri, secrétaire d’état chargée de la politique de la ville

Le Gouvernement partage votre préoccupation, monsieur le député : on ne peut pas accepter qu’à la faveur d’une manifestation des drapeaux et emblèmes d’organisations terroristes soit exhibés en France.

Mais cet amendement nous paraît inutile, voire susceptible d’affaiblir la répression. En effet, ces faits peuvent déjà être poursuivis du chef d’apologie du terrorisme, dès lors qu’ils tendent, au sens de la jurisprudence, à susciter, non pas l’entreprise criminelle, mais un mouvement d’opinion de nature à créer à son tour un état d’esprit susceptible de permettre la naissance de l’entreprise criminelle.

Exhiber au cours d’une manifestation le drapeau d’une organisation officiellement reconnue comme terroriste, c’est exprimer une forme d’appui ou de solidarité morale envers cette organisation et inciter le public à porter un jugement favorable à celle-ci, en particulier si, au cours de cette manifestation, sont également proférés ou exhibés des commentaires ou des écrits justifiant les actes perpétrés par ces organisations.

En outre, l’infraction envisagée serait plus faiblement réprimée que l’apologie du terrorisme puisque votre amendement ne prévoit qu’une peine d’un an d’emprisonnement, alors que l’apologie est actuellement punie de cinq ans d’emprisonnement.

Je vous propose donc, monsieur le député, de retirer votre amendement, faute de quoi nous émettrons un avis défavorable.

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J’ai écouté avec attention les arguments du rapporteur et de Mme la secrétaire d’État, mais force est de constater qu’en plein Paris des « Mort aux Juifs » ont été proférés, des magasins ont été vandalisés parce qu’appartenant à des Juifs et ces drapeaux ont été exhibés.

La loi a-t-elle été appliquée ? Ces gens ont-ils été arrêtés ? Ont-ils été condamnés ? Si cela avait été le cas, je n’aurais pas proposé cet amendement, mais tel n’a hélas pas été le cas.

Ces faits ont été filmés, je tiens les enregistrements vidéo à votre disposition. Il ne s’agit pas ici de droite ou de gauche : il s’agit de l’avenir de notre pays.

C’est ce drapeau noir qui flottait quand on a coupé la tête à ces malheureux journalistes. Il flotte à chaque fois, et il flottera encore. C’est ce même drapeau qui a été brandi dans des manifestations à Paris, le drapeau du Hezbollah, de ceux qui ont tué l’ambassadeur Delamare et les cinquante-six soldats français morts dans l’attentat du Drakkar il y a quelques années. Le drapeau de ceux qui ont tué nos soldats, notre ambassadeur est exhibé en plein Paris !

Le Hamas est un mouvement terroriste. La seule différence aujourd’hui entre le Hamas et le Daesh, c’est que les uns dissimulent leur visage quand ils se livrent à des exécutions publiques alors que les autres le font à visage découvert. La différence, c’est que le Daesh médiatise au maximum ses crimes. Mais le fond est le même.

Ces drapeaux ont été exhibés en plein Paris ! Il faut que nous soyons crédibles vis-à-vis de nos électeurs. La nation nous entend, nos débats sont publics. Il faut répondre à cette question sans tergiverser, sans considération partisane : est-il normal aujourd’hui que ces drapeaux soient exhibés à Paris ?

Madame la secrétaire d’État, ces drapeaux ont été exhibés à Paris il y a quelques semaines et s’il existe une loi qui réprime de tels faits, cette loi n’a pas été appliquée. Il y a donc manifestement une faille dans la législation.

C’est pourquoi, monsieur le président, je demande un scrutin public sur cet amendement.

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En avez-vous même seulement le droit ? Avez-vous la délégation de votre groupe ?

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En avez-vous même seulement le droit ? Avez-vous la délégation de votre groupe ?

Debut de section - Permalien
Myriam El Khomri, secrétaire d’état chargée de la politique de la ville

Sachez, monsieur le député, que depuis les manifestations qui ont eu lieu au début de l’été à Paris, les services de police enquêtent sur ces personnes et si ces personnes sont interpellées, ce que nous souhaitons tous ici, bien évidemment le droit s’appliquera.

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Il y a eu des dizaines d’interpellation : je vous invite à aller voir les peines qui ont été prononcées. Je ne veux pas être trop dur avec votre gouvernement, mais quand des propos inadmissibles ont été tenus à l’encontre de Mme Taubira, ils ont été sanctionnés, et c’est heureux. Sachant que la personne qui a commis ces dérapages a été condamnée à neuf mois de prison ferme, il serait normal que quelqu’un qui exhibe de tels drapeaux soit au moins condamné à de la prison ferme, et pas simplement à une peine avec sursis.

Il s’agit, au-delà de tout ce qui nous sépare, de dire si oui ou non cette loi apporte quelque chose. A-t-on oui ou non le droit d’exhiber des drapeaux de la haine à Paris, en France ? La réponse est évidemment non et je suis persuadé que chacun d’entre vous reconnaît au fond de lui que cela n’est pas acceptable.

Je ne vois pas comment on peut rejeter un tel amendement, qui ne ferait au pire que renforcer la législation existante.

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Sur l’amendement no 125 , je suis saisi par le groupe UDI d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Guillaume Larrivé.

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Je voudrais apporter le soutien du groupe de l’UMP à l’amendement de notre collègue Meyer Habib.

Nous croyons à la force des symboles. Depuis plusieurs jours nous débattons, de façon sérieuse, responsable et avec beaucoup de dignité, d’un texte extrêmement important. Nos compatriotes nous regardent, Meyer Habib a eu raison de le dire de manière solennelle. Ils ont été heurtés ces derniers mois par l’extrême violence, symbolique et parfois physique, de manifestations venues au coeur de la capitale de la France insulter au plus profond de leur être des dizaines de milliers de nos compatriotes.

L’Assemblée nationale a la possibilité aujourd’hui, au-delà des appartenances partisanes, d’inscrire solennellement dans le code pénal que le fait d’exhiber publiquement des symboles revendiqués par des groupes terroristes, tels que des drapeaux, est fermement puni.

Mme la secrétaire d’État s’est montrée assez ouverte tout à l’heure à cette idée. Il nous est arrivé de choisir, par un acte symbolique très fort, de conforter la nécessité de réprimer des faits qui sont perçus par tous comme profondément intolérables.

C’est pourquoi je pense, au nom du groupe de l’UMP, que nous avons le devoir de voter cet amendement, afin que l’ensemble de la communauté nationale, représentée sur tous ces bancs, affirme solennellement que l’on ne peut pas accepter qu’à Paris, Lyon, Marseille et dans nos provinces, des individus choisissent de brandir des symboles de haine. On ne peut pas accepter que le drapeau du Hezbollah soit brandi à Paris et dans nos provinces. Nous avons le devoir de le rappeler solennellement ici.

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Évitons tout faux débat : personne dans cet hémicycle ne défend le fait d’exhiber un drapeau du Daesh en France.

Ce drapeau est apparu pour la première fois en juillet, à Lille, avant d’être exhibé au cours des manifestations parisiennes. Comme Mme la secrétaire d’État vient de le rappeler, les services de renseignement sont mobilisés pour identifier les porteurs de ces drapeaux, ce qui peut demander du temps. L’enquête est en cours, comme cela a été rappelé par Mme la secrétaire d’État, et à partir du moment où leur identité sera établie, il y aura évidemment une suite judiciaire. En effet, tels que vous nous les avez décrits, les messages de haine de ces porteurs de drapeaux, tombent sous le coup de l’article 4 sanctionnant l’apologie du terrorisme.

Cet article va même plus loin que ce que vous proposez, puisqu’il punit de tels actes d’une peine de trois ans d’emprisonnement, alors que vous proposez un an d’emprisonnement.

Pas de faux débats : nous sommes évidemment pour la répression de l’exhibition de ce genre de drapeaux ou d’emblème. Nous considérons simplement que cela tombe déjà sous le coup de la loi et peut d’ores et déjà donner lieu à des poursuites judiciaires.

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Je voudrais d’abord rappeler à certains de nos collègues qu’il y a une différence entre les psychiatres et les psychanalystes. Il m’étonne toujours qu’on ait du mal en France à les distinguer.

S’agissant des couleurs nationales et des drapeaux, c’est une symbolique très forte. Elle est double. Lors de la mandature précédente, nous avions déjà dû voter une loi pour que le drapeau français soit respecté, pour que les couleurs de la France soient respectées, à la suite de gestes déplacés et dégradants par rapport à ces couleurs.

On ne peut s’ouvrir à l’autre qu’à partir du moment où on est fier de soi, fier de son histoire et fier de ce que l’on est. Je ne connais pas d’autre pays au monde qui ait si peu la fierté de ses couleurs, qui les dénigre aussi ostensiblement, et qui ait autant de difficulté par rapport à l’irruption dans l’espace public de drapeaux d’autres nationalités brandis par des citoyens français, ou censés être français. J’ai le sentiment que l’amendement de notre collègue prend en compte l’escalade en cours, tellement notre pays a de mal désormais à intégrer ses propres enfants dans la communauté nationale, dans le roman national et à transmettre cette fierté d’être française et français.

Ces gens arborent des drapeaux d’organisations qui appellent à la violence et à la haine de nos frères humains, sous prétexte de leur appartenance religieuse ou ethnique. Je ne comprends pas la différence de traitement entre ces couleurs et des symboles, des couleurs hérités de régimes nés pendant la Deuxième guerre mondiale.

Si nous sommes logiques avec nous-mêmes, il nous faut arrêter cette hypocrisie. Cette loi doit servir à quelque chose. Même si nous en soulevons les difficultés d’application et les imperfections – je pense encore une fois qu’elle ne va pas à la racine de problèmes qui sont avant tout de culture, d’enseignement et de respect de notre identité nationale, de fierté nationale – je ne comprendrais pas que des députés de la nation française rejettent cet amendement, qui a au moins le mérite de la clarté et de l’équilibre par rapport au rejet des idéologies de haine de nos frères humains.

Je ne comprends pas cette différence de traitement.

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Cet amendement suscite un grand débat.

Ce soir, on va nous demander de voter quantité d’amendements parfaitement inapplicables. Celui-ci est parfaitement applicable, puisqu’il concerne exclusivement le territoire français. J’aurais donc tendance à dire, pour la forme, et même si la disposition qu’il vise à introduire ne sera probablement jamais appliquée : « Pourquoi ne pas le voter ? »

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J’écoute avec attention ce qui est dit. Il y a quelques mois, à l’Assemblée nationale, une délégation libanaise a été invitée, à quelques mètres d’ici. Si la loi était appliquée, comment aurions-nous pu permettre que dans cette délégation, plusieurs membres du Hezbollah, mouvement terroriste, aient été accueillis à l’Assemblée nationale ?

J’ai écrit immédiatement au Président de l’Assemblée nationale, qui m’a répondu qu’il y avait eu une erreur. C’était une délégation libanaise, mais on sait qu’au sein du gouvernement libanais, aujourd’hui, on compte huit ministres du Hezbollah, d’un mouvement terroriste.

Si nous n’arrivons pas à adresser un message clair à nos compatriotes, nous faisons le lit des extrêmes et du Front national. C’est là le fond de la question. Le Front national a obtenu près de 25 % aux dernières élections. Si un amendement aussi simple, aussi clair, aussi évident pour tout le monde ne peut être voté, les gens vont dire : « Ce n’est pas possible ! »

Vous savez, il y a un an et quelques mois, j’étais dans une autre vie. Je suis chef d’entreprise. C’est un peu un hasard de la vie qui a fait que je me retrouve aujourd’hui parmi vous – avec beaucoup de fierté, parce que c’est un immense honneur que d’être député de la République. Je côtoie tous les jours des gens de tous bords : ils n’en peuvent plus, de la politique. Ils ont l’impression que c’est blanc bonnet et bonnet blanc et ne s’y retrouvent pas. Il faut leur adresser des messages clairs. A-t-on, oui ou non, le droit en France d’exhiber des drapeaux de mouvements terroristes ? La réponse est non. De même, on n’aurait jamais dû recevoir au sein de cet hémicycle une délégation du Hezbollah. De même – je ne sais pas si nous avons des élus des Verts ici – mais jamais une délégation du Hezbollah aurait-elle dû être invitée il y a quelques années à une université d’été des Verts.

Ce sont des attitudes absolument intolérables, inqualifiables. Si jamais des erreurs ont été commises, c’est le moment de les réparer.

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La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

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Je voudrais juste résumer les propos tenus en commission, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Parce que nous sommes tous sensibles aux arguments qui ont été développés et nous connaissons la sincérité de notre collègue.

Le rapporteur l’a excellemment dit, personne n’est favorable à ce que des drapeaux de groupes terroristes soient exhibés dans des manifestations. Simplement, nous avons une divergence : nous pensons que la loi aujourd’hui nous permet d’incriminer tout porteur d’étendard qui sera interprété comme faisant l’apologie du terrorisme. Vous nous dites que la loi risque de n’être pas appliquée : celle-ci comme une autre. C’est une question de discernement.

En outre, je me permets de dire qu’insérer dans un article tendant à condamner l’apologie du terrorisme un amendement visant à condamner l’apologie du terrorisme, cela paraît assez redondant.

Nous sommes fermes sur l’objectif, clairs dans l’expression, déterminés dans la volonté d’appliquer la loi. C’est la raison pour laquelle, effectivement, la commission a repoussé l’amendement, même si nous partageons votre volonté, et vous savez notre détermination.

Il est procédé au scrutin.

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Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants: 30 Nombre de suffrages exprimés: 30 Majorité absolue: 16 Pour l’adoption: 9 contre: 21 (L’amendement no 125 n’est pas adopté.)

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La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement no 11 .

L’amendement no 11 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.

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La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement no 12 .

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Il s’agit toujours de ne pas prévoir de comparution immédiate pour l’apologie du terrorisme, en insérant un alinéa qui, après le mot « politiques », ajoute au code de procédure pénale les mots : « , de délit d’apologie de terrorisme ».

En effet, l’article 397-6 du code de procédure pénale prévoit d’exclure du champ des procédures de convocation par procès-verbal et de comparution immédiate les délits de presse et les délits politiques. Or, le délit d’apologie des actes terroristes peut relever de ces deux catégories.

Comme le rapporteur l’a d’ailleurs souligné, l’apologie du terrorisme est l’expression d’une opinion, certes potentiellement odieuse, mais qui n’incite pas directement à commettre une infraction.

Dès lors, il semble que le recours à la comparution immédiate soit exclu. Or, l’étude d’impact et le rapport justifient l’article 4 du projet de loi par la nécessité de rendre possible le jugement d’apologie d’actes de terrorisme en comparution immédiate.

Cet amendement vise à préciser que la comparution immédiate sera bien exclue en cas d’apologie d’acte de terrorisme, afin d’éviter que ne soient jugés en comparution immédiate un éditeur de presse ou l’auteur d’un propos politique, si odieux soit-il.

L’amendement no 12 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.

L’article 4, amendé, est adopté.

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Après l’article 4, je suis saisi de deux amendements portant articles additionnels.

La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 58 .

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Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, vous venez d’essayer de démontrer votre volonté de mieux lutter contre l’apologie du terrorisme, suite à l’affaire des drapeaux.

Sur un autre sujet, nous allons vous en donner l’occasion, puisque nous considérons qu’il y a une lacune dans ce texte : nous notons en effet l’absence d’une infraction spécifique qui serait la consultation habituelle des sites faisant l’apologie du terrorisme ou incitant au terrorisme. Cet amendement a pour objet de combler cette lacune.

Il permettra d’incriminer les majeurs qui incitent les mineurs à s’y livrer, au chef de corruption de mineur, sur le fondement de l’article 227-22 du code pénal.

Ce délit permettrait, grâce au placement en garde à vue, de mesurer la dangerosité des internautes attirés par ces sites et d’entamer dès que possible – chacun reconnaîtra que c’est nécessaire et utile – un processus de désendoctrinement.

Enfin, il jouera évidemment un rôle dissuasif auprès des primo-consultants.

Il y aura un filtre à deux niveaux, afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté de communication et d’opinion, ce qui serait regrettable.

Le premier niveau de filtrage est constitué par la distinction entre la consultation simple et la consultation habituelle. Le second, par l’exclusion, en cas de consultation habituelle, des personnes qui y ont recours dans le cadre de leur profession, comme les personnels des services de renseignement ou les chercheurs universitaires.

Cet amendement constituait le coeur de la proposition de loi que j’avais cosignée avec mes collègues Larrivé et Ciotti en vue de créer ce délit, qui manque malheureusement dans votre texte.

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La commission a émis un avis défavorable. Incriminer le seul fait de consulter habituellement des sites faisant de la propagande terroriste paraît aller trop loin, au regard du principe de la nécessité des délits et des peines. Franchement, on peut lire des contenus de propagande terroriste sans nécessairement y adhérer ni envisager de commettre un acte terroriste. C’est important de le rappeler.

Néanmoins, les travaux de la commission ont permis de faire évoluer notre position. Nous en reparlerons dans quelques instants au sujet de l’article 5, relatif à l’entreprise terroriste individuelle : la consultation habituelle de tels sites fait partie de la liste des faits matériels qui, avec d’autres, prouvent l’intention terroriste.

Incriminer uniquement la consultation habituelle n’est pas raisonnable : on peut consulter ces sites sans nécessairement passer à l’acte et devenir terroriste. En revanche, la consultation habituelle constituera l’un des éléments matériels prouvant l’intention terroriste en cas d’entreprise individuelle.

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La parole est à M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Même avis.

L’amendement no 58 n’est pas adopté.

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La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 59 rectifié .

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Il s’agit d’un amendement d’Éric Ciotti qui a repris une disposition de la proposition tendant à lutter contre le djihadisme que j’évoquais tout à l’heure. Il s’agit de compléter la réponse pénale en direction des mineurs en prévoyant une peine alternative à la prison qui consisterait à suivre un stage de désendoctrinement.

Une telle solution existe déjà en matière de délits raciaux, les formations étant assurées en partenariat avec le CRIF et le Mémorial de la Shoah. Nous pensons cela très utile. Lorsque nous avons auditionné le juge Trévidic, celui-ci nous a confirmé qu’un jeune musulman endoctriné, « interpellé suffisamment tôt, reprend souvent une vie normale et abandonne ses velléités djihadistes qui ne correspondaient qu’à un moment particulier de sa vie et à une conjonction d’éléments qui ne se retrouvera plus ».

C’est la raison pour laquelle nous vous proposons cet amendement.

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En droit pénal des mineurs, il existe déjà des peines extrêmement diversifiées. Vous parlez de stages de déradicalisation. Je suis d’accord avec vous sur la nécessité d’imaginer de tels processus.

Il existe d’ailleurs, en droit pénal des mineurs, des stages d’instruction civique, qui peuvent s’apparenter à ce genre de peine.

Néanmoins, je voudrais appeler votre attention sur ce fait déjà mentionné hier par le ministre : quand il y a des signalements de la part des familles, il y a certes un volet judiciaire, mais il y a aussi une prise en compte individuelle du mineur, avec des réponses adaptées à chaque cas. Il y a notamment une prise en charge par la Protection judiciaire de la jeunesse, en vue de réinsérer dans notre République un certain nombre de jeunes.

Je crois donc que le droit pénal des mineurs permet déjà de répondre à ces situations.

L’amendement no 59 , repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.

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La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, inscrite sur l’article.

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Comme l’ont souligné de nombreux orateurs dans la discussion générale, nous arrivons ici à un article important. J’ai déjà indiqué que, lorsque nous avions auditionné les juges antiterroristes, dans la préparation de ce qui allait devenir la loi du 21 décembre 2012, ceux-ci n’avaient pas estimé utile de définir un délit individuel de terrorisme, que j’appellerai ainsi pour aller vite.

Le fait que les juges – et notamment le juge Trévidic – aient changé radicalement d’opinion en moins de dix-huit mois prouve la justesse des propos du ministre, lorsqu’il a dit qu’il pouvait arriver des événements tels qu’il fallait changer l’état du droit et qu’un droit auquel on se serait opposé à un moment devenait raisonnable. C’est une illustration tout à fait frappante que cette évolution des juges qui voient passer dans leur cabinet un certain nombre d’affaires terroristes et qui estiment maintenant que le délit individuel de préparation d’acte terroriste doit figurer dans le droit positif.

Le deuxième point, c’est la manière dont cette nouvelle incrimination peut être définie. À cet égard, le rapporteur a accompli un lourd travail, en liaison avec le Gouvernement, travail que je veux saluer ici et qui, tout en précision, doit permettre de satisfaire à un certain nombre de principes.

Le premier étant bien entendu celui de la légalité des délits et des peines : lorsqu’un délit est créé, il doit être défini de manière assez précise, pour ne pas laisser de place au flou et à l’indétermination, faute de quoi les canons des libertés publiques ne seraient pas respectés.

Pour ces motifs, le rapporteur a souhaité et le Gouvernement a accepté qu’il soit exigé un faisceau d’indices, faisceau qui, comme on l’a dit tout à l’heure, comprendra la consultation habituelle de sites à caractère terroriste. Il ne suffit cependant pas qu’il y ait plusieurs indices convergents. L’articulation doit être telle qu’elle ne laisse pas place à l’arbitraire et cette articulation est la suivante : il doit y avoir d’abord l’intention, ce qu’on appelle parfois le « dol moral », puis l’élément matériel. Et au sein même des éléments matériels qui, ajoutés à l’intention, pourront permettre ensemble de caractériser la nouvelle incrimination, il y a aussi un effet en cascade.

Il existe d’abord un premier élément matériel « en facteur commun » – si je puis dire – qui est indispensable et correspond au deuxième critère : le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui.

Nous avons débattu, notamment en commission, sur le fait de savoir si cette notion n’est pas trop large. Pour ma part, je me suis inquiétée de la mention du verbe « détenir » : il est en effet possible d’avoir hérité d’un couteau de cuisine de sa grand-mère sans que cela justifie à soi seul une incrimination mais à juste titre, on m’a fait observer que cette détention s’ajoute à d’autres critères inclus dans le faisceau d’indices que j’ai évoqué.

Tout d’abord, donc, l’intention, qui peut être matérialisée par un message menaçant – ce sera au juge d’apprécier –, ensuite, et nécessairement, le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou substances de nature à créer un danger pour autrui – bref, une arme ou ce qui pourrait en tenir lieu.

Enfin, et c’est un troisième point « au choix », si j’ose dire : d’autres éléments matériels figurant parmi un ensemble d’indices.

Il existe donc bien trois éléments : l’élément intentionnel, un premier élément matériel constant – s’être procuré ou posséder des armes, pour aller vite – et, enfin, au choix, si j’ose dire, un certain nombre de faits matériels figurant dans le « panier d’indices » – auquel nous ajouterons la consultation habituelle de sites, à laquelle le rapporteur vient de faire allusion.

Le juge devra donc recueillir trois « items » afin de caractériser ce que j’appellerai rapidement le délit individuel de terrorisme.

Le groupe majoritaire a donc considéré que le texte ainsi défini est nécessaire – car il répond à une actualité difficile – et suffisamment sécurisé.

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La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 60 .

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Cet amendement vise là encore à améliorer un texte qui demeure très perfectible. À ce propos, nous regrettons que si peu de nos amendements – aucun même – n’aient été adoptés.

Vous le savez bien, la définition retenue ne répond pas aux attentes des professionnels que nous avons comme vous auditionnés. Dans sa rédaction actuelle, la définition de cette infraction est beaucoup trop restreinte et risque de manquer son objectif, un projet terroriste étant manifeste à travers un faisceau d’indices, des facteurs multiples, la consultation de sites, l’acquisition de textes, de manuels, le repérage de cibles, la collecte de fonds, etc.

Cet amendement vise donc à étendre le champ visé par ce délit afin de répondre à la diversité des actes qui peuvent témoigner d’une entreprise terroriste individuelle. La création de ce nouveau délit est d’ailleurs positive : nous l’attendions depuis longtemps pour lutter contre les « loups solitaires », dont vous avez reconnu l’existence depuis peu.

Nous proposons donc, notamment, de mentionner les éléments suivants : recevoir un entraînement ou une formation au maniement des armes, consulter habituellement un ou plusieurs services de communication en ligne provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui.

Si cet amendement ne devait pas être adopté, nous proposerons un sous-amendement à l’amendement no 109 du rapporteur adopté par la commission dans le cadre de l’article 88. Cet amendement tend à ajouter un point d) à la liste de ces éléments matériels : « avoir séjourné à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ou dans une zone où sont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. »

Mais une telle rédaction vise uniquement le séjour déjà effectué à l’étranger et non la préparation d’un tel déplacement, tout l’intérêt de l’article 5 résultant pourtant de son caractère préventif, visant donc à éviter les attentats. C’est pourquoi nous souhaiterions, si notre amendement n’est pas adopté, que le soit au moins notre sous-amendement tendant à compléter comme suit ce nouveau point d) : « Ou entreprendre des démarches en vue de déplacements ayant cet objet », ce qui permettrait de couvrir les deux situations : la préparation d’un séjour et le séjour déjà effectué.

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Il s’agit là d’une discussion extrêmement importante et intéressante.

Votre amendement comporte deux points : la suppression de la hiérarchie entre les différents éléments matériels – il s’agit de situer au même plan le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui et les autres éléments matériels. Or, sur ce point-là, je suis en désaccord profond, pour deux raisons.

Tout d’abord, nous avons souhaité matérialiser l’intention terroriste par un fait extrêmement grave. Il ne s’agit pas d’une association de malfaiteurs mais d’une entreprise individuelle. De ce point de vue-là, il n’est pas possible de pénaliser uniquement une intention : il faut la prouver matériellement. Nous sommes face à une conscience individuelle dont il faut matérialiser l’intention, notamment, par un fait particulièrement grave. Nous avons donc souhaité que parmi ces faits matériels figure obligatoirement celui qui est le plus grave : le fait de détenir, rechercher, se procurer ou fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui. C’est important.

Ensuite, en plaçant l’ensemble des faits matériels sur un même plan, un certain nombre de dérives sont possibles. Si la hiérarchie faite entre ces différents éléments était mise à mal ou si disparaissait l’élément obligatoire – détenir ou de rechercher des armes et des explosifs – il serait possible d’incriminer une personne au chef d’entreprise individuelle de terrorisme parce qu’elle aurait été formée au maniement des armes – dans un club de tir par exemple – et aurait consulté un site terroriste.

Or, je considère que cela n’est pas suffisamment grave et que ces faits matériels-là ne sont pas suffisamment étayés pour caractériser l’intentionnalité d’un passage à l’acte. On peut en effet suivre des cours de tirs dans le cadre de ses loisirs, être formé au tir et, en même temps, consulter un certain nombre de sites par curiosité – fût-elle malsaine.

Encore une fois, cela ne me semble pas suffisant pour caractériser l’intentionnalité ou la matérialisation d’un passage à l’acte terroriste.

En outre, votre amendement vise à améliorer la rédaction de l’article 5 en proposant d’autres éléments matériels. Mais, vous y avez fait allusion, je vais moi-même proposer dans quelques instants un amendement no 109 , ayant le même objectif et prenant en compte un certain nombre de vos propositions, puisqu’il rajoute de nouveaux critères.

Pour ces deux raisons – le danger que représenteraient, en matière de libertés publiques, l’absence de hiérarchie et un désaccord sur les nouveaux critères proposés – la commission a donné un avis défavorable à votre amendement.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Même avis.

L’amendement no 60 n’est pas adopté.

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La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 108 rectifié .

L’amendement no 108 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté.

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La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 5 .

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L’alinéa 7 dispose que pour caractériser l’acte de terrorisme entre en ligne de compte le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui.

Par cet amendement, nous demandons que l’adjectif « grave » soit ajouté après le mot « danger » car la notion de danger simple est beaucoup trop vague et peut être appliquée à un nombre trop important d’objets et de substances.

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La commission a émis un avis défavorable à l’adoption de cet amendement, l’ajout du qualificatif « grave » ne semblant pas apporter d’éléments de précision supplémentaire mais, au contraire, une possible difficulté d’interprétation.

Je prends simplement un exemple : Alexandre Dhaussy, qui a tenté d’égorger, de tuer des militaires à La Défense, s’était procuré à cette fin des couteaux de cuisine. En soi, ce ne sont pas des « armes » pouvant représenter un danger « grave ». Pourtant, elles ont servi à attenter à la vie d’un certain nombre de personnes.

L’ajout du mot « grave » risque d’entraîner un flou supplémentaire.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Comme M. le rapporteur, je considère que cette précision est inutile dès lors que les actes de terrorisme visés par l’entreprise terroriste individuelle sont les plus graves : atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité de la personne, destruction par substance explosive ou incendiaire, terrorisme écologique… Il est donc évident que les objets ou substances destinés à commettre ces actes sont de nature à créer un danger grave pour autrui sans qu’il soit nécessaire de le préciser.

Ainsi, pour éviter d’alourdir la rédaction concernant l’incrimination et éviter le reproche d’une loi peu claire, le Gouvernement est-il défavorable à l’adoption de cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous prie de m’excuser mais je reste un peu sceptique.

Comment pouvez-vous affirmer que la caractérisation d’un danger « grave » serait floue alors que celle d’un danger – sans autre précision – ne le serait pas ?

Je vous remercie.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L’alinéa 7 doit être lu en liaison avec l’alinéa 6.

Personne, ni le Gouvernement, ni nous, n’affirmons par exemple que la détention d’un fusil de chasse dans un garage en Puisaye, dans ma circonscription, est susceptible d’entraîner son propriétaire devant un tribunal correctionnel ou une cour d’assises pour fait de terrorisme.

La détention d’objets ou de substances de nature à créer un danger pour autrui est incriminée lorsqu’elle est en relation intentionnelle avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.

Cela me paraît parfaitement cadré et ne justifie pas que nous perdions trop de temps.

L’amendement no 5 n’est pas adopté.

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Je suis saisi d’un amendement no 109 qui fait l’objet de trois sous-amendements, nos 146 , 150 et 147 .

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement.

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Cet amendement comporte un double objectif : améliorer la rédaction de cet article et compléter la liste des faits matériels.

Tout d’abord, afin de supprimer l’ambiguïté à l’alinéa 10 du terme « recevoir » – qui suppose la présence de deux personnes au moins alors que l’on vise une entreprise individuelle – nous proposons de substituer aux alinéas 10 à 13 les alinéas suivants : « b) S’entraîner ou se former au maniement des armes ou à toute forme de combat, à la fabrication ou à l’utilisation de substances explosives incendiaires, nucléaires, radiologiques ou biologiques ou chimiques ou au pilotage d’aéronefs ». Nous avons eu un débat sur ce dernier point mais nous nous sommes rendu compte que les drones sont considérés comme des aéronefs.

Ensuite, nous avons rajouté deux autres éléments matériels : « c) Consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne – je vous propose de supprimer « ou des messages émis par les voies de communications électroniques », comme il était initialement prévu –, si bien que le texte de ce point c) se poursuivrait comme suit : « ou détenir des documents provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, sauf lorsque la consultation ou la détention résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou a pour objet de servir de preuve en justice ; »

Enfin, autre élément matériel allant un peu dans le sens de l’amendement précédent : « d) avoir séjourné à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ou dans une zone où sont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. »

Outre que la rédaction de cet article sera ainsi plus fluide et plus cohérente, nous ajoutons donc des éléments matériels.

J’ai dit en commission le 22 juillet que nous devions continuer à travailler à ce sujet et c’est ce que nous avons fait, en liaison avec le parquet antiterroriste.

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Nous en venons aux sous-amendements. Les sous-amendements nos 146 et 150 sont identiques.

La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir le sous-amendement no 146 .

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Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps le sous-amendement no 147 puisque tous deux concernent l’alinéa 3.

L’article 5 permet de matérialiser l’intention d’une entreprise terroriste individuelle par deux éléments : d’une part, la possession d’un objet ou d’une substance dangereuse ; d’autre part, l’un des éléments figurant dans la liste prévue par l’amendement n°109 , notamment la consultation de sites provoquant ou faisant l’apologie d’un acte de terrorisme, sauf lorsque cette consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.

Cet amendement élargit également la matérialisation de l’intention terroriste à la détention de documents provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie, pour inclure notamment les livres. Il revient, de fait, à sanctionner cette consultation habituelle de sites ou cette possession d’ouvrages, en considérant qu’il s’agit d’actes préparatoires à la commission d’un acte terroriste. Or il ne nous semble pas que posséder un livre faisant l’apologie d’actes de terrorisme soit un élément suffisant pour matérialiser une intention terroriste.

Ce débat a déjà eu lieu au moment de l’affaire de Tarnac et l’on a bien vu, à l’époque, les effets pervers que pouvait avoir une telle conception des choses. Parce que l’on a retrouvé l’ouvrage L’insurrection qui vient lors de la saisie d’une bibliothèque – ouvrage auquel ni mes collègues, ni moi-même n’adhérons en rien – on en a conclu que leur possesseur pouvait être un dangereux terroriste. Aujourd’hui, la baudruche s’est beaucoup dégonflée… Voilà un exemple concret des effets pervers que pourrait avoir cette disposition. Cet alinéa fait par ailleurs appel à des notions floues, incertaines, voire contraires au principe de légalité et de proportionnalité. Ainsi, les notions de « consultation habituelle » ou d’ « exercice normal » – ou anormal ! – d’une profession sont mal définies et renvoient à des situations trop vagues.

Actuellement, seule la consultation d’images pédopornographiques peut être punie de deux ans de prison. Pénaliser la consultation de contenus idéologiques ou la possession d’ouvrages est une innovation qui pose de nombreuses questions, notamment en matière de constitutionnalité et de conventionnalité.

Le sous-amendement no 146 vise donc à supprimer l’alinéa 3, et le sous-amendement no 147 à supprimer le seul passage relatif à l’« apologie », afin de la distinguer de la provocation au terrorisme, comme nous l’avons fait dans les amendements précédents.

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La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir le sous-amendement no 150 .

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Je serai bref. « Le délit de consultation pose des problèmes constitutionnels liés à la proportionnalité des consultations ; il ne serait donc pas opérant ». Cette phrase a été prononcée le 12 juin 2014 dans cet hémicycle, par notre collègue Sébastien Pietrasanta, et Mme Marie-Françoise Bechtel avait alors tenu des propos identiques. Vous comprenez donc ce soir mon immense étonnement, quand je vous vois, monsieur le rapporteur, défendre aujourd’hui cette disposition.

Depuis 2012, nous observons, dans le domaine du numérique et d’internet, un certain nombre de reniements de la part du groupe SRC, si l’on excepte Christian Paul, peut-être à cause de son statut de « frondeur » – je salue d’ailleurs ses prises de position et je pense que nous tomberons d’accord sur l’article 9. Le groupe SRC, disais-je, s’est en partie renié par rapport à ses positions d’avant 2012 : le blocage administratif des sites en est un – nous aurons l’occasion d’y revenir – mais cet amendement bat tous les records, puisque c’est une volte-face complète qui a eu lieu en à peine trois mois. C’est très fort !

Je n’ai rien à ajouter à vos arguments, si ce n’est que la Constitution n’a pas changé depuis le 12 juin et que le problème reste le même. Je vous invite donc à appliquer vos arguments. Au vu de vos propos d’alors, j’imagine que vous soutiendrez sans aucun état d’âme mon sous-amendement, qui vise à supprimer l’alinéa 3 de cet article.

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Quel est l’avis de la commission sur les sous-amendements nos 146 , 147 et 150  ?

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Avis défavorable. Monsieur Tardy, il faut arrêter de tout mélanger et de faire preuve de mauvaise foi. Je viens de repousser, il y a un instant, l’amendement no 58 , qui tendait à pénaliser le seul fait de consulter des sites faisant de la propagande terroriste. Je reste sur ma position et je vous répète ce que j’ai déjà répondu à M. Goujon : il faut introduire une hiérarchie pour caractériser l’entreprise individuelle de terrorisme, et le seul fait de consulter un site faisant l’apologie du terrorisme ne suffit pas à caractériser une telle entreprise. Il faut que s’ajoute à cela un autre fait matériel particulièrement grave, à savoir le fait de détenir ou de se procurer des armes et des explosifs. C’est l’association des deux faits qui permet de matérialiser une intention terroriste, et non, comme j’ai pu l’entendre, le fait de posséder certains ouvrages dans sa bibliothèque ou de consulter régulièrement des sites. En revanche, lorsque le fait de se procurer une arme ou des explosifs se conjugue à la consultation de sites internet faisant l’apologie du terrorisme, il y a bien une intention terroriste.

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Le sous-amendement no 147 a déjà été défendu.

Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement no 109 et les trois sous-amendements dont il fait l’objet ?

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Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Le Gouvernement est favorable à l’amendement du rapporteur et défavorable aux trois sous-amendements.

Monsieur Tardy, je voudrais vous répondre sur deux points. D’abord, l’argument que vous venez à nouveau d’utiliser doit être qualifié comme ce qu’il est, à savoir un argument absolument politicien.

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Les propos que j’ai rapportés datent d’il y a trois mois, pas de deux ans !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je me suis déjà exprimé tout à l’heure sur ce sujet : nous sommes confrontés à un nouveau contexte, que nous regardons lucidement. À l’intérieur même de votre groupe, des positions divergentes s’expriment, vous le voyez bien. Essayer de faire une tambouille improbable avec tout cela, en y mettant de la politique petit bras, n’est pas nécessaire, compte tenu de la gravité du sujet que nous avons à traiter.

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Cela veut dire qu’en 2010 la pédopornographie était moins importante que le terrorisme. C’est honteux !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Ce n’est absolument pas ce que je dis. Nous sommes confrontés à un problème extrêmement grave. Un certain nombre de parlementaires, dont M. Larrivé, qui a présenté une proposition de loi que nous avons considérée de façon sérieuse, en reprenant certains de ses éléments dans notre texte, et qui est un député de votre groupe, appartient à une formation qui, au moment de la discussion du texte sur la pédopornographie, a pris certaines positions. Si vous voulez jouer à cela, nous pouvons y jouer sur tous les bancs, mais très franchement, ce n’est pas au niveau du débat ! J’espère que nous pourrons aborder le problème qui nous occupe avec une autre approche, selon une autre perspective et, si possible, en faisant un peu moins de politique politicienne et en élevant un peu plus le débat.

S’agissant, ensuite, de l’entreprise terroriste individuelle et de la consultation habituelle des sites, je veux, là aussi, apporter quelques précisions. La consultation habituelle des sites n’est pas pénalisée en elle-même : il s’agit d’un élément matériel parmi d’autres, dont l’acquisition ou la détention d’un moyen dangereux, nécessaire pour caractériser le délit d’entreprise terroriste individuelle. Aux éléments matériels doit par ailleurs s’ajouter un élément moral, démontrant l’existence d’un projet terroriste, d’une ferme résolution au passage à l’acte. D’une manière générale, il faut cesser de vouloir toujours simplifier davantage la définition de l’entreprise terroriste individuelle : nous avons eu soin, avec le président de la commission des lois et le rapporteur, d’aboutir à une rédaction suffisamment précise, qui respecte le principe de légalité des délits et des peines, et suffisamment large pour garantir l’adaptation du texte aux nouvelles formes de terrorisme.

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Je voterai l’article 5 et l’amendement no 109 de Sébastien Pietrasanta en me sentant tout à fait à l’aise, car nous faisons, techniquement, un bon travail législatif, et parce que les idées progressent : il n’y a pas de volte-face des uns ou des autres. La genèse de ce texte, on la connaît : en avril 2012, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le gouvernement de François Fillon a déposé un projet de loi qui n’a pu être débattu, parce que nous étions en fin de législature, et qui comportait déjà ce délit de consultation habituelle des sites internet faisant l’apologie du terrorisme. Nous avons été un certain nombre à défendre cette idée, notamment en 2012, lors de l’examen du projet de loi présenté par votre prédécesseur, monsieur le ministre. Puis nous avons travaillé collectivement ; lors des auditions, un certain nombre de juges nous ont appelés à définir précisément l’entreprise terroriste individuelle. Et nous avons compris avec le rapporteur, au sein de la commission des lois, que la meilleure manière de prendre en compte dans notre droit cette consultation habituelle des sites internet provoquant au terrorisme, ce n’était pas de la pénaliser directement, mais de considérer qu’elle était un indice de l’entreprise individuelle de terrorisme.

Nous nous retrouvons donc – et je le dis à notre excellent collègue Lionel Tardy –, au terme d’un débat technique, raisonnable, sérieux et responsable, bien au-delà des clivages partisans, puisque le code pénal, sur ces questions tellement importantes, n’a pas de couleur.

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Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Bravo !

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Me référant à l’alinéa « d) », et dans le cadre du débat sérieux, technique et responsable que vient de décrire notre collègue, je ne comprends pas pourquoi vous visez uniquement le séjour déjà effectué à l’étranger, et non la préparation d’un tel séjour. Pourquoi ne pas ajouter, parmi les critères retenus, le fait d’entreprendre des démarches en vue d’un tel déplacement ? Cela permettrait de traiter dans le même temps le problème des séjours à l’étranger et celui de leur préparation.

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J’aimerais une explication de la part de notre rapporteur, si ce n’est pas là lui faire dol : confirmez-vous que, pour vous, le fait de posséder un couteau de cuisine et le livre L’insurrection qui vient suffit à matérialiser une intention ? J’attends seulement un éclaircissement.

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Ce n’est pas l’objet de mon intervention, mais je vous invite, madame Attard, à lire le projet de loi : il faut d’abord une intention caractérisée, ensuite la détention d’une arme – fût-ce un couteau de cuisine, puisque nous avons, vous et moi, pris cet exemple –, et enfin un troisième élément matériel.

C’est sur cet élément matériel que je voudrais revenir. Il m’a semblé que M. Tardy faisait preuve de mauvaise foi, mais peut-être était-il tout simplement ignorant et n’a-t-il pas compris la portée du texte. Le rapporteur et le ministre ont bien expliqué qu’il ne s’agit en aucun cas de pénaliser directement la consultation des sites, mais d’en faire un faisceau d’indices, parmi au moins deux autres, pour arriver à trois.

Je saisis cette occasion pour remercier Guillaume Larrivé, avec qui nous avions travaillé sur le précédent projet de loi, et surtout sur la proposition de loi qu’il avait déposée et que notre commission avait examinée. Je le remercie d’avoir eu la bonne foi de reconnaître que du chemin a été parcouru de part et d’autre, et je pense qu’il ne m’en voudra pas de remarquer que davantage de chemin a été parcouru de la part de ceux qui, depuis le projet de loi Mercier, avaient proposé purement et simplement de criminaliser la consultation des sites à caractère terroriste, ce qui avait créé un véritable effroi dans le monde juridique…

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…que de la part de ceux qui, ayant refusé cette criminalisation pure et simple, pensent aujourd’hui qu’elle peut entrer indirectement dans un faisceau d’indices.

La réflexion, en tout cas, a cheminé, et nous sommes arrivés à un bon compromis, même si je ne pense pas, pour ma part, que moitié du chemin ait été fait de part et d’autre… Mais je répète qu’il s’agit d’un bon compromis.

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Une seule question : ai-je bien compris qu’il suffira de posséder une arme, de type couteau de cuisine, et de présenter l’un des caractères de la liste, pour entrer dans le cadre défini par M. le rapporteur ?

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Nous vous confirmons que vous n’avez pas bien compris !

Les sous-amendements identiques nos 146 et 150 ne sont pas adoptés.

Le sous-amendement no 147 n’est pas adopté.

L’amendement no 109 , tel qu’il a été rectifié, est adopté et les amendements nos 34 , 74 , 37 et 136 tombent.

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La parole est à M Philippe Gosselin, pour défendre l’amendement no 27 .

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Je me réjouis, comme beaucoup parmi nous, des pas qui ont été faits pour aboutir à un compromis. Je ne sais pas si les uns ont fait 25 %, 30 % ou 40 % du chemin, je pense que dans la démarche intellectuelle, nous sommes à 5050. Félicitons-nous de l’unanimité qui nous anime, et que cet article 5 permette de lutter contre l’apologie du terrorisme.

Nous devons être exemplaires. Nous le sommes sans doute par la forme d’unanimité qui existe sur ces bancs depuis lundi, mais nous devons aussi l’être par l’exemplarité des peines qui pourraient être prononcées. C’est pour cela que nous proposons, dans cet amendement, de doubler la durée de la peine d’emprisonnement encourue pour acte de terrorisme, en la portant à vingt ans.

Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai également l’amendement no 35 .

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Cet amendement double, quant à lui, le montant de l’amende encourue pour ces actes, la portant de 150 000 à 300 000 euros. Ces mesures permettraient de bien montrer que la peine est exemplaire et que nous avons tous unanimement envie de lutter contre ces « loups solitaires », qui sont enfin reconnus comme dangereux.

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Je souhaite appeler l’attention de M. Gosselin sur le fait que l’aggravation de l’échelle des peines proposée dans ces deux amendements est en incohérence par rapport au délit d’appartenance avec une association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste, punissable de dix ans d’emprisonnement.

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Il nous est proposé de retenir une peine encore plus sévère, ce qui ne serait pas cohérent dans l’échelle des peines. Ces amendements porteraient le quantum des peines au même niveau que la direction d’une association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste. Pour ces raisons, l’avis est défavorable sur ces deux amendements.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Même avis, pour les mêmes raisons.

L’amendement no 27 n’est pas adopté.

L’amendement no 35 n’est pas adopté.

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La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement no 85 .

L’amendement no 85 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.

L’article 5, amendé, est adopté.

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La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour soutenir l’amendement no 139 .

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Le groupe majoritaire accorde une réelle importance à cet amendement. Il a pour objet d’insérer dans une section du code pénal consacrée à la mise en péril des mineurs une disposition tendant à renforcer la protection des mineurs vis-à-vis de messages attentatoires à leur sécurité psychique, qui peuvent leur être proposés en lecture – ce peut être par exemple le cas de vidéos montrées sur des écrans de téléphones portables dans une cour de récréation, voire dans la rue ou tout autre lieu où se réunissent des mineurs – ou procurés par toute autre voie.

L’article 227-24 du code pénal punit aussi bien la fabrication que la diffusion par quelque moyen que ce soit de messages à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger. Il nous a semblé particulièrement opportun d’ajouter à ces éléments le cas de la diffusion de messages, notamment vidéos, comportant des images relatives à un acte terroriste tels que des sévices ou des exécutions. Il n’est malheureusement pas besoin de dire que l’actualité démontre l’utilité de cette précision.

L’amendement no 139 , accepté par le Gouvernement, est adopté.

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La parole est à Mme Isabelle Attard, première oratrice inscrite sur l’article.

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Je ne serai pas très longue. Monsieur le ministre, je tenais juste à vous féliciter d’avoir pensé à introduire un recours à un juge des référés dans cet article.

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J’espère que la remarque de notre collègue n’était pas ironique. Nous avons dit hier tout ce qu’il y avait à dire sur la protection des libertés que peut apporter un juge des référés. C’est donc tout ce que je dirai sur le présent article.

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La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement no 84 .

L’amendement no 84 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.

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La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement no 75 .

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L’article 6 permet au juge des référés de prononcer l’arrêt d’un service de communication au public en ligne qui ferait l’apologie du terrorisme ou provoquerait à l’accomplissement d’une action terroriste. S’agissant d’une procédure judiciaire, cette injonction se fait à l’encontre de la personne poursuivie, dont on peut penser qu’il s’agit de l’éditeur du service. Il faut donc le préciser, d’autant que ni les hébergeurs, ni les fournisseurs d’accès ne peuvent être responsables des contenus qu’ils hébergent ou dont ils permettent l’accès.

L’arrêt d’un service de communication au public en ligne ne peut donc être ordonné qu’à son éditeur, c’est le sens de cet amendement de précision.

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L’expression « arrêt de service », déjà utilisée à l’article 50-1 de la loi du 29 juillet 1881 et depuis qu’elle a été reprise par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, vise effectivement les éditeurs de service, mais cela n’est pas expressément spécifié. L’amendement apporte donc une précision qui me paraît justifiée. La commission a émis un avis favorable.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Le Gouvernement ne partage pas l’avis de la commission. Nous pensons que cet amendement est incohérent, il remet en cause le droit existant et prévoit des dispositions plus restrictives pour la lutte contre les sites internet provoquant aux actes de terrorisme que pour la lutte contre les sites illicites.

L’article 706-23 du code de procédure pénale n’est que le pendant en matière de terrorisme des dispositions générales de l’article 50-1 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, lesquelles ne limitent pas le champ de la demande en référé de blocage des sites internet.

Si cet amendement, qui n’est pas un amendement de précision, venait à être adopté, il en résulterait que pour un site pédopornographique ou raciste, le parquet pourrait demander au fournisseur d’accès internet ou aux hébergeurs d’en bloquer l’accès, mais pour les sites terroristes, le parquet ne pourrait adresser sa demande qu’aux éditeurs, c’est-à-dire aux personnes responsables qui, précisément, ont contribué à la création de ce contenu illicite et l’ont mis en ligne. Cela rendrait le référé judiciaire complètement inefficace. C’est la raison pour laquelle nous demandons à l’Assemblée de ne pas adopter cet amendement, et à celui qui l’a déposé, compte tenu de ces éléments, de bien vouloir le retirer.

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L’argumentation du ministre est fondée, et le groupe ne peut pas retenir cet amendement. De deux choses : soit il est évident que l’arrêt ne pourrait porter obligation que pour l’éditeur de service, c’est ce que j’ai cru comprendre dans la motivation qui a été donnée, et alors il serait inutile de le dire ; soit ce n’est pas évident, parce que ce n’est pas vrai, comme vient de le démontrer le ministre, notamment en ce qui concerne des sites pédopornographiques. Il n’y a pas de raison de faire deux poids, deux mesures.

De plus, la limitation à l’éditeur de services ne me paraît pas conforme à la directive européenne de 2004, transposée en droit français en 2005, qui retient une définition large de la responsabilité, notamment des obligations de surveillance pour les fournisseurs d’accès, les hébergeurs et les éditeurs ainsi que l’ensemble des opérateurs des services de communication en ligne. Nous y reviendrons lors des discussions sur l’article 9. Je propose donc que cet amendement ne soit pas retenu.

L’amendement no 75 est adopté.

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La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 110 .

L’amendement no 110 , accepté par le Gouvernement, est adopté.

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La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour soutenir l’amendement no 118 .

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Il s’agit d’un amendement de précision pour lequel je remercie notre collègue Cécile Untermaier, qui n’est pas là ce soir. Il vous est proposé de remplacer le mot « et » par le mot « ou », car la rédaction actuelle laisse à penser que pour l’arrêt d’un service de communication au public en ligne, il est nécessaire qu’une demande soit formulée à la fois par le ministère public et une personne physique ou morale. C’est naturellement l’un ou l’autre. Cet amendement de précision est donc fondé.

L’amendement no 118 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.

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La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 111 .

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Cet amendement a pour objet d’exclure l’application des règles dérogatoires prévues en matière terroriste au délit de provocation non publique au terrorisme. Les règles dérogatoires prévues en matière terroriste, à l’exception de la garde à vue de six jours et des perquisitions de nuit, ne s’appliqueraient que pour les délits de provocation publique et d’apologie, punis de cinq ans d’emprisonnement, et non pour les délits de provocation non publique au terrorisme.

L’amendement no 111 , accepté par le Gouvernement, est adopté.

L’article 6, amendé, est adopté.

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La parole est à M. Meyer Habib, pour soutenir l’amendement no 102 .

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Ce projet de loi a pour objet de prévenir le terrorisme. Il existe un phénomène extrêmement inquiétant : le djihadisme, qui est la forme presque unique de terrorisme chez nous en ce moment, concerne de plus en plus souvent des enfants mineurs qui quittent le domicile familial.

La lutte contre la radicalisation n’aboutira que si les parents sont pleinement associés à cette démarche, il faut les responsabiliser. L’objet de cet amendement est donc de responsabiliser davantage les parents. Aucun enfant ne naît raciste, antisémite ou djihadiste. Ils grandissent dans un cocon familial qui leur inculque des valeurs et une façon d’être.

Il est vrai que parfois, le rapporteur le rappelait hier, des parents sont dépassés par la radicalisation de leurs enfants. Tout récemment, des parents ont pris les devants et ont prévenu les autorités de la radicalisation de leurs enfants. Il va de soi qu’il faut prévoir ces cas de figure, et c’est pour cela que l’amendement dispose que le juge interviendra pour apprécier la situation.

L’objet de cet amendement est de suspendre les allocations familiales perçues non seulement pour l’enfant à charge djihadiste potentiel ayant commis des actes de terrorisme, mais aussi pour l’ensemble des enfants de la famille.

Exclamations sur les bancs du groupe SRC.

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Évidemment, certains diront qu’il s’agit d’une sanction collective, et qu’on ne peut pas punir toute une famille.

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Quel est notre objectif aujourd’hui ? Il faut que la loi dresse des barrières, et que les parents prennent leurs responsabilités. On ne peut pas en même temps bénéficier des largesses de la République et laisser la chair de sa chair violer ouvertement toutes les règles et les valeurs de la République.

À ceux qui s’inquiètent, et c’est normal, de la pénalisation des parents dans cet amendement, alors que dans certains cas, ils sont aussi victimes parce qu’ils sont dépassés par la radicalisation de leurs enfants, je réponds que cet amendement prévoit que le juge pourra décider du maintien, total ou partiel, des allocations familiales à la famille. J’ai entièrement confiance en la sagesse du juge pour apprécier la situation estimer au cas par cas. C’est pourquoi je vous demande de voter cet amendement.

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Monsieur Habib, je voudrais relever deux points. Tout d’abord, dans les faits, lorsqu’un mineur est en détention – puisque vous évoquez les mineurs condamnés pour acte de terrorisme – ils ne sont plus à la charge des parents. Donc les allocations tombent automatiquement.

Ensuite, je ne partage absolument pas les propos que vous venez de tenir sur le fait de suspendre les allocations familiales à l’ensemble de la famille, c’est-à-dire aussi celles perçues pour les autres enfants.

Il n’y a pas mieux pour radicaliser des enfants qui ne le sont pas encore ! Imaginez le message qu’enverrait la République en supprimant les allocations familiales à une famille entière parce que l’un de ses enfants a fauté lourdement ! On ne peut pas en rendre responsable la famille, et encore moins les autres enfants.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable à cet amendement.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Il est défavorable, pour deux raisons.

Premièrement, cet amendement n’est pas constitutionnel. Nous ne pouvons pas remettre en cause le bénéfice d’une allocation pour d’autres raisons que celles qui tiennent à l’objet pour lequel elle est versée, faute de quoi nous introduirions des disparités qui porteraient atteinte au principe d’égalité. Juridiquement, la mesure proposée n’est donc pas possible. Les conditions dans lesquelles il peut être procédé à la suspension du versement d’une allocation sont précisées par la loi : elles concernent notamment le fait de quitter le territoire national.

Deuxièmement, cet amendement vise à pénaliser la totalité des membres d’une famille, nonobstant leur participation à des actes terroristes. On le sait, grâce, notamment, à la plate-forme de signalement : lorsque certaines familles voient l’un de leurs membres s’apprêter à partir pour mener des opérations à caractère terroriste, elles se mobilisent fortement pour éviter que cela ne se produise. Or, si nous mettions en oeuvre l’amendement proposé, ces familles se trouveraient pénalisées.

L’amendement no 102 n’est pas adopté.

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Je suis saisi de deux amendements, nos 61 et 90 , pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 61 .

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J’ai bien entendu l’explication du ministre concernant les allocations familiales. J’en prends acte même si, sur le fond, j’approuve totalement la proposition de notre collègue Habib. L’une des raisons pour lesquelles une prestation peut être supprimée serait le départ à l’étranger : c’est exactement l’objet de l’amendement no 61 , qui tend à suspendre le bénéfice des prestations sociales pour ces individus, apprentis terroristes, qui se rendent à l’étranger pour commettre des actes terroristes.

Personne ne peut accepter, dans notre pays comme dans aucun autre, que des individus qui se sont détournés de façon aussi forte, brutale et grave des valeurs de la République puissent encore profiter de la solidarité nationale et de ces prestations financées par les revenus de tous les Français. Des dispositions de ce type existent d’ailleurs dans d’autres pays.

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La parole est à M. Meyer Habib, pour soutenir l’amendement no 90 .

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Nous avons déjà abordé cette question hier. En vertu du droit existant, les prestations sociales sont retirées à partir du moment où le bénéficiaire ne séjourne plus en France. Un projet de départ ne constitue pas un fondement suffisamment étayé pour suspendre une allocation.

Nous n’avons pas besoin d’adopter un amendement pour appliquer le droit existant. Je l’ai dit hier, monsieur Goujon, 115 prestations sociales ont déjà été suspendues au motif que leurs bénéficiaires séjournaient à l’étranger. Le droit actuel est appliqué, des instructions ont été données : la mesure en question est déjà mise en oeuvre.

Sur ce sujet, il faut éviter de vouloir en faire trop, de faire un effet de manche. Il n’y a pas de faux débat entre nous. Il est évidemment hors de question que l’État finance, à travers des prestations sociales ou par d’autres moyens, les séjours en Syrie pour faire le djihad. Mais le droit est le droit, les règles sont les règles. Dès lors que le séjour à l’étranger est avéré, même pour d’autres raisons que l’action terroriste, le bénéfice des prestations sociales est retiré.

Les amendements nos 61 et 90 , repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

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La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 62 portant article additionnel avant l’article 7.

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Les grands pays européens ont mis en place des initiatives locales de prévention de la radicalisation, qui associent des campagnes d’information et de sensibilisation, définissent des indicateurs locaux de radicalisation et mettent en place des accompagnements ciblés des sujets à risques, par une mobilisation très forte de tous les partenaires concernés.

Une sorte de « prevent act » à la française est aujourd’hui devenue nécessaire. L’amendement no 62 vise donc à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur les mesures de prévention mises en place en matière de terrorisme.

Les spécialistes recommandent de favoriser la diffusion, dans les médias, d’un « contre-discours » qui permettrait de lutter contre l’intégrisme avec les mêmes armes médiatiques. Le Royaume-Uni, l’Autriche, la Belgique et les Pays-Bas, notamment, ont mis en place de tels dispositifs.

L’amendement no 62 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.

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Je suis saisi de deux amendements à l’article 7.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 46 .

L’amendement no 46 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.

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L’amendement no 100 de M. Sébastien Pietrasanta est rédactionnel.

L’amendement no 100 , accepté par le Gouvernement, est adopté.

L’article 7, amendé, est adopté.

Les articles 7 bis et 8 sont successivement adoptés.

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La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 44 portant article additionnel avant l’article 9.

L’amendement no 44 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.

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Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 9.

La parole est à M. Lionel Tardy.

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Ce sera plus simple, monsieur le président de la commission, car j’ai beaucoup de feuilles !

Sourires.

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Mes soucis – mon malaise, dirais-je – devant le projet de loi se concentrent principalement sur cet article 9. J’y reviendrai lors de la défense de mes amendements. Cet article instaure ce contre quoi le parti socialiste s’était toujours opposé sous l’ère Sarkozy : le blocage administratif des sites.

En préambule, je souhaite préciser que je partage l’objectif de lutte contre le terrorisme. La France doit se donner les moyens de mener cette lutte et ne pas se priver de possibilités nouvelles. Le problème n’est pas là. Dans cet article 9, nous touchons à la liberté d’expression et aux limites techniques du projet de loi. Faut-il, une fois encore, faire reculer les libertés pour lutter contre le terrorisme ? Le meilleur exemple est celui de la NSA américaine qui, pour isoler des terroristes, finit par espionner toute la population.

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La France s’engage, à petits pas, dans cette direction. Vous me répondrez que vous avez pleine confiance dans les services de police, où travaillent des gens compétents. Moi aussi. Mais le problème n’est pas là non plus.

Les incertitudes techniques, les risques de surblocage et l’absence d’intervention d’un juge a priori font du blocage administratif un dispositif qui peut être dangereux pour ceux qui n’ont rien à voir avec le terrorisme, et totalement contre-productif dans la lutte contre ceux qui baignent dedans. Monsieur le ministre, vous êtes, je le sais, conscient de ces risques. Persévérer en disant « on verra bien » ne me paraît pas raisonnable.

Si le Conseil constitutionnel a estimé que cette mesure était acceptable de façon exceptionnelle pour lutter contre l’exploitation sexuelle des mineurs, cette exception serait-elle valable en matière de lutte contre le terrorisme ? La question mérite d’être posée, et je souhaite que le Conseil constitutionnel soit saisi.

Qui va décider du blocage ? Pour quels sites ? Suivant quels paramètres ? Les réponses à ces questions sont trop incertaines.

Comme je viens de le dire, le Gouvernement a opté, pour des raisons d’efficacité, et à rebours de la position historique des socialistes sur le sujet, pour le blocage administratif, au détriment du recours classique à un juge tel que la loi le prévoit déjà. C’est la méthode qui avait déjà été retenue dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, contre les contenus pédopornographiques. Lorsque la LOPPSI avait été adoptée, l’opposition socialiste avait saisi le Conseil constitutionnel, notamment sur la question du blocage sans juge. Parmi les députés signataires de la requête figuraient de nombreux poids lourds de l’actuelle majorité, dont un certain Manuel Valls, et vous également, monsieur le ministre de l’intérieur. Cette mesure de blocage administrative n’a jamais été mise en oeuvre, je le rappelle,…

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…faute de décret d’application. Les négociations entre les pouvoirs publics et les fournisseurs d’accès à internet – les FAI – avaient achoppé sur les questions du dédommagement et de la méthode du blocage. Dans l’étude d’impact du projet de loi, fournie lundi à la commission, on apprend que le décret d’application de la LOPPSI est quasiment finalisé et qu’un seul et même décret d’application serait envisagé pour les deux textes.

En l’état actuel du projet de loi, les FAI se verront communiquer par les services de renseignement, si ces derniers n’ont pas réussi à obtenir la suppression du contenu auprès de l’hébergeur ou de l’éditeur, une liste de sites à bloquer. Mais, trois ans après l’adoption de la LOPPSI 2, cette solution reste un véritable casse-tête, quelle que soit la solution utilisée. Laure de La Raudière l’a expliqué excellemment tout à l’heure.

Outre le risque de bloquer des sites qui ne devraient pas l’être, les dispositifs envisagés dans ce projet de loi sont très facilement contournables, que ce soit par les tenanciers des sites ou par leurs visiteurs. Ce risque était souligné dès 2011 dans le rapport sur la neutralité des réseaux de Corinne Erhel et Laure de La Raudière. Certaines pratiques de chiffrement, « notamment le chiffrement, présentent des risques pour la sécurité bien supérieurs à la défense des intérêts protégés, de manière inefficace, par le blocage ou le filtrage », écrivaient les députées. Je les rejoins.

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Sauf à vouloir interdire tous les sites sécurisés, notamment dans le domaine bancaire ou de la vente par internet, vous ne pourrez rien faire contre le chiffrement des données, seul garant de la sécurisation des transactions. On se mord donc la queue.

L’annonce du recours au blocage de sites a été fraîchement accueillie par les groupes de défense des libertés sur internet, mais aussi, plus surprenant, par le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, l’organisme chargé de la sécurité informatique de l’État.

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Il a fait part de ses réserves lors de son audition !

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Lors d’un colloque organisé le 10 septembre, le directeur de l’ANSSI, Guillaume Poupard, a expliqué être « très réservé sur ces mesures d’un point de vue technique », ainsi que l’a rapporté le site Nextinpact.

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Il a dit la même chose lors de son audition par la commission !

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Internet constitue un bon moyen de repérer et de suivre les candidats au djihad qui, très souvent, se font repérer en commettant des erreurs, ne pensant pas être surveillés. Le blocage risque donc de priver les services de police, au sens large, d’une partie de leurs moyens de surveillance. Cette critique a été formulée par le Conseil national du numérique dans son rapport du 15 juillet relatif au projet de loi. Le CNN estime que le blocage fait courir « le risque de pousser les réseaux terroristes à complexifier leurs techniques de clandestinité, en multipliant les couches de cryptage et en s’orientant vers des espaces moins visibles du réseau ».

Alors, vous aurez beau nous assurer qu’un arbitrage sera fait entre l’intérêt qu’ont les services à maintenir des sites en ligne, quitte à alerter les djihadistes de la mise sous surveillance de leur site, et le danger que font peser ces sites, notamment les sites de recrutement, sur les Français. L’inefficacité de ces mesures et leurs dommages collatéraux ne disparaîtront pas par enchantement.

M. Pietrasanta, rapporteur du texte, se félicitera sûrement d’avoir introduit des garde-fous qui n’étaient pas prévus dans le texte initial. À sa sortie du ministère de l’intérieur, le projet de loi prévoyait qu’un juge de l’ordre judiciaire contrôlerait a posteriori la liste fournie par les autorités, sans pouvoir de sanction. La commission des lois de l’Assemblée a remplacé ce juge par une personnalité qualifiée désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui aura un pouvoir de recommandation auprès de l’autorité administrative et pourra saisir le juge administratif si sa recommandation n’est pas suivie.

Un principe de subsidiarité a été introduit à l’article 9 en commission des lois. L’autorité administrative cherchera d’abord à faire supprimer le contenu auprès de l’hébergeur et de l’éditeur à la source avant de recourir au blocage au niveau des FAI : quelques mesurettes à la marge, mais le compte n’y est pas.

Que faire, me direz-vous ? La seule solution efficace et respectueuse des droits fondamentaux des citoyens pour faire disparaître un contenu illicite est de le supprimer directement à la source, là où il est hébergé. Et, si besoin, de faire comparaître son auteur devant un juge après une enquête de police.

Vous l’aurez compris, la difficulté est liée au fait que si le contenu illicite est hébergé à l’étranger, votre loi n’y pourra rien. Il serait au demeurant intéressant, monsieur le ministre, de connaître la proportion de sites terroristes hébergés en France et à l’étranger. Pour ma part, je pense que la fourchette se situe à environ 5 % de sites en France contre 95 % à l’étranger. Ce qui signifie que votre loi sera inefficace dans 95 % des cas.

De mon point de vue, il vaut mieux renforcer nos moyens de surveillance, ce qu’on appelle « se mettre dans le flux », plutôt que de procéder à des mesures de blocage administratif, lesquelles iront à l’encontre de l’objectif visé et des intérêts de nos concitoyens en termes d’efficacité.

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L’article 9 suscite nombre de critiques, l’une venant d’être exprimée par notre collègue Tardy; et beaucoup de députés, monsieur le ministre, sur tous les bancs, partagent ce qui vient d’être dit à l’instant. C’est du reste la position qui a été adoptée à l’unanimité par le Conseil national du numérique, instance créée par le Gouvernement et régulièrement consultée lorsque des projets de loi ou des politiques publiques concernent les enjeux numériques et les libertés. C’est également la position qui a été prise à l’unanimité par la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge numérique, au sein de notre Assemblée. Ces positions sont aussi partagées par de nombreux experts et par des magistrats, y compris celui qui a été cité à plusieurs reprises ce soir dans nos débats. Je mentionnerai du reste un extrait de son intervention devant le Conseil national du numérique.

La question est simple. Faut-il une mesure de police administrative pouvant être renvoyée devant le juge administratif, ou faut-il une décision préalable du juge judiciaire pouvant permettre de faire obstacle à des sites qui font l’apologie du terrorisme et qui veulent procéder à des recrutements ? Dans ce dernier cas, le ministère de l’intérieur, la puissance publique, par une procédure qui serait à préciser, peut saisir à la fois le parquet et par son intermédiaire le juge judiciaire, par exemple le juge des libertés.

Nous avons ainsi à faire ce soir le choix soit de maintenir l’article 9 soit de le supprimer, ce que je proposerai par mon amendement. Cet arbitrage doit prendre en compte un certain nombre de paramètres.

Le premier est bien sûr la question de l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme.

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Après avoir pris connaissance des travaux de la commission des lois, de vos propres déclarations, nous avons compris que 80 %, peut-être même 90 % des contenus incriminés se déploient sur les réseaux sociaux – Facebook, Twitter ou d’autres.

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Dans ce cas, la question posée n’est pas celle du blocage, mais celle du retrait de ces contenus par la coopération des réseaux sociaux. De ce point de vue, les modifications apportées en commission des lois par le rapporteur vont dans le bon sens s’agissant en quelque sorte de l’introduction de la subsidiarité du blocage et de la priorité au retrait. Jusque-là, nous pouvons être d’accord.

Pourquoi faisons-nous germer dans le pays une polémique sur l’article 9 alors qu’il s’agit en l’occurrence de quelques dizaines de site chaque année ? Non des milliers qui viendraient engorger les institutions judiciaires, mais quelques dizaines, pas davantage.

C’est la raison pour laquelle je voudrais porter à votre connaissance l’appréciation du juge Trévidic dont il a fait part lors des travaux du Conseil national du numérique. « Ces quelques sites de recrutement pourraient être bloqués en urgence, tout en restant dans le cadre de procédures judiciaires. Ces sites de sélection doivent être bloqués immédiatement » – sélection signifie recrutement. « La question des sites de propagande est plus problématique » – je pense qu’il est fait là allusion aux réseaux sociaux. « Le blocage de ces quelques sites officiels qui sont au nombre d’une dizaine peut se faire par référé. »

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« Ces sites seraient bloqués dans leur totalité. »

Évidemment, la question de la technique à laquelle on a recours se pose : « Les sites de propagande trop nombreux ne peuvent être tous traités par référé » – l’essentiel est sur les réseaux sociaux. « En cas de référé, c’est un juge civil qui sera chargé de rendre la décision – un juge spécialisé pourrait s’en charger. Les juges antiterroristes connaissent les sites en cause. »

Voilà une appréciation – qui en vaut certainement d’autres – sur l’efficacité du dispositif. Je reviendrai plus tard sur les effets collatéraux et les questions de surblocage. La question qui nous est posée – parce qu’il y va aussi de principes –, c’est de savoir s’il est utile de mettre fin à un principe ou plutôt à la défense par notre groupe de ce principe. Cela n’a rien de politicien, monsieur le ministre. Pendant dix ans, nous nous sommes battus avec beaucoup de celles et ceux qui sont présents ce soir en faveur du respect de ce principe,…

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…c’est-à-dire pour le recours au juge judiciaire en cas de demande de blocage d’un site, avec une procédure préalable qui peut être contradictoire – moins quand il s’agit d’un site hébergé dans des situations non coopératives. Si l’on veut ouvrir une brèche et mettre fin à ce principe que nous avons défendu sans relâche, y compris devant le Conseil constitutionnel,…

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…il faudrait faire la démonstration – permettez-moi d’inverser la charge de la preuve – que l’on ne peut pas faire autrement. Certes, il est vrai que la menace djihadiste sur internet est sans doute nouvelle par rapport à des combats menés il y a trois, cinq ou dix ans. Face à cette menace nouvelle, il faut une détermination particulière, mobiliser les services du ministère de la justice sans pour autant créer des dizaines de postes de magistrats. Nous avons souvent regretté au cours des années 2000 et encore récemment qu’il n’y ait pas davantage de magistrats spécialisés en matière de cybercriminalité.

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Oui, il faut davantage de magistrats et de policiers spécialisés en matière de cybercriminalité ou de cyberterrorisme. L’enjeu est là.

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C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de la mobilisation du Gouvernement, comme nous l’avions demandé au précédent.

Voilà les raisons pour lesquelles l’article 9 ne me paraît pas utile et c’est pour cela qu’avec un certain nombre de collègues du groupe SRC – Patrick Bloche, Corinne Erhel, Laurence Dumont première vice-présidente de l’Assemblée nationale, Marie-Anne Chapdelaine, membre de la commission des lois, Cécile Untermeier et d’autres –, nous avons souhaité vous exposer très sereinement, mais avec conviction notre point de vue sur ce débat lequel n’est pas le premier sur ces questions. Très franchement, je n’ai pas entendu jusqu’à présent de raisons valables d’oublier ce principe ou d’introduire une exception forte. Je ne les ai pas entendues dans la présentation du texte par le Gouvernement ni dans les travaux de la commission des lois. J’ai certes apprécié les amendements déposés par le rapporteur, mais je persiste à croire qu’il s’agit d’une erreur et je vous invite, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ne pas la commettre.

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La prévention et la répression du terrorisme doivent faire l’objet de nouvelles dispositions législatives et juridiques, tout le monde en est convaincu. Le projet de loi y répond et va permettre, n’ayons pas peur des mots, à la République et à ses valeurs universelles de protéger les siens.

Mais je m’interroge sur l’efficacité de l’article 9. Si la procédure proposée par ce dernier, en instaurant un dispositif permettant un blocage des sites internet, va participer à cette guerre que nous devons gagner, cela ne sera possible que si l’on peut être certain de l’efficacité sur le plan technique d’un tel dispositif. Les auditions des différents opérateurs, fournisseurs et prestataires qui seront associés à ce dispositif ont permis de relever un certain nombre de questions d’ordre technique. Ainsi, le délai de mise en oeuvre du blocage doit notamment être pris en compte.

De plus, il nous faut choisir la solution la plus efficace à déployer et à mettre en oeuvre. Si sur ce point, des questions pratiques existent comme le choix de blocage par nom d’hôte et de domaine ou par l’intermédiaire d’un filtrage par URL, il nous faut là encore choisir la solution la plus efficace. Il faut également veiller à ce que les solutions choisies ne bloquent pas de contenus légaux autres que ceux visés.

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En effet, que l’on parle d’un blocage IP, par routeur ou par nom de domaine ou par DPI, chaque méthode a ses contraintes et ses spécificités, toutes étant potentiellement contournables. Le dispositif que nous allons mettre en place exige que nous soyons le plus rationnels et proactifs possibles.

Pour conclure, je rappellerai que le dispositif proposé à l’article 9 est similaire au blocage des sites à caractère pédopornographique prévu par l’article 4 de la loi LOPPSI de 2011. Ce sont ces mêmes problématiques d’ordre technique qui ont empêché jusqu’à ce jour le décret d’application permettant sa mise en oeuvre.

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C’est ce que je disais tout à l’heure. Cela ne marche pas.

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Aussi, mes chers collègues, ce projet de loi, dont nul ne peut douter de la nécessité, doit éviter les écueils techniques qui en retarderaient l’application et l’efficacité. J’attends donc vos explications, monsieur le ministre.

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Je partage pleinement l’objectif de lutte contre le terrorisme. Cependant l’article 9 suscite de nombreuses questions – et nous avons été un certain nombre à vous en faire part – dans l’hémicycle ainsi qu’au sein de la société. Animée par un souci d’efficacité quant à l’applicabilité des mesures proposées, j’ai soulevé certaines de ces questions dans un rapport co-rédigé avec ma collègue Laure de la Raudière il y a trois ans. Nous y abordions la problématique de la neutralité de l’internet en insistant particulièrement sur les techniques de blocage de sites internet. C’est désormais un thème récurrent, et l’on ne pourra pas nous reprocher de ne pas être constants dans nos propos.

Il faut d’abord s’interroger sur la justification technique des mesures de blocage, sur leur efficacité réelle quant à la cible visée et sur les effets pervers qu’elles peuvent engendrer. Cette première interrogation est partagée par de nombreux experts dans le cadre du Conseil national du numérique, de la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge numérique – commission créée par l’Assemblée nationale voilà quelques mois – et par bon nombre d’acteurs du numérique et d’experts en sécurité.

Les différents dispositifs de blocage – par adresse IP, nom de domaine ou URL – sont complexes à mettre en oeuvre. Ils ne sont pas neutres et facilement contournables tant par les éditeurs que par les internautes. Les techniques d’anonymisation, de contournement ne sont pas si difficiles à utiliser et entraînent un certain nombre d’effets indésirables.

Les dispositifs de blocage peuvent générer du surblocage sur des sites qui ne sont pas concernés par la procédure de blocage et présenter une menace pour la résilience du réseau.

Par ailleurs, on s’en tient souvent, lorsqu’on évoque le nombre des opérateurs et fournisseurs d’accès à l’internet, aux quatre grands opérateurs. Or, il en existe d’autres, plus petits. Comment appliquer alors cette mesure, toujours dans un souci d’efficacité, d’une manière coordonnée, tout en conservant une certaine confidentialité sur les sites visés ?

La deuxième question, sur laquelle nous avons été nombreux à réagir, porte sur le recours préalable au juge judiciaire dans le cadre d’une procédure contradictoire. Cette question a notamment été soulevée par M. Christian Paul dans le cadre de la commission sur les droits et les libertés à l’ère du numérique. Il est proposé d’évaluer l’opportunité de désigner un juge spécialisé, habilité à traiter de ces questions et de ces plaintes, et d’instaurer la possibilité pour l’autorité administrative de saisir le juge des référés en cas de contenu manifestement odieux. Si j’ai bien compris – et vous m’indiquerez, je l’espère, s’il s’agit d’un élément important –, il peut s’agir de pouvoir convoquer rapidement les personnes concernées dans le cadre d’une procédure contradictoire.

Par ailleurs, l’espace complexe qu’est l’internet est aussi un espace fragile, qui repose sur la confiance. Cette valeur est en effet le fondement du numérique et du fonctionnement des réseaux, ainsi que de la communauté qui se construit autour de l’internet. Il nous faut donc – et c’est le fond du débat que nous avons eu jusqu’à présent – gérer l’équilibre entre les impératifs liés respectivement à la sécurité et aux droits fondamentaux.

Quant aux questions liées au blocage de sites, questions récurrentes qui apparaissent dans de nombreux textes de loi, elles se posent avec une acuité particulière à propos du texte que nous examinons. Le thème avait également été abordé lors de l’examen du texte relatif à la prostitution – Catherine Coutelle en parlera certainement. Comment, dans ce contexte, peut-on atteindre une objectivité quant aux données relatives au blocage ? De fait, on assiste parfois à un dialogue de sourds entre ceux qui affirment que les mesures de blocage administratif sont efficaces et ceux qui, comme nous, s’interrogent sur cette efficacité. Il importe de s’écouter et d’objectiver les données en vue d’atteindre la plus grande efficacité possible tout en évitant les éventuels effets pervers.

Il faut, enfin, s’interroger sur l’acceptabilité de ce dispositif au sein de la société et trouver à cet égard un point d’équilibre sans sacrifier l’efficacité.

Voilà trois ans que nous posons ces questions, aussi calmement que possible.

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Je comprends les interrogations de mes collègues quant à des mesures qui pourraient, de prime abord, apparaître comme attentatoires aux libertés fondamentales sur internet. Les pratiques de certains gouvernements amis, comme celui des États-Unis, rendent ces interrogations d’autant plus compréhensibles.

J’en reviendrai, pour ma part, au droit. De fait, j’ai interpellé tout à l’heure M. le ministre sur l’impérieuse nécessité de combattre le terrorisme avec les armes du droit. La question sous-jacente est en effet de savoir si l’on ne saisit pas l’occasion d’une loi nécessaire pour fragiliser un régime de libertés publiques auquel nous sommes très attachés dans notre pays et sur tous les bancs de cette assemblée, a fortiori à gauche. Je vous poserai donc des questions de droit, et vos réponses conditionneront mon vote sur cet article.

En premier lieu, la décision d’interdiction, qui est de nature administrative, a les caractères d’une décision exécutoire, donc susceptible d’être déférée en recours pour abus de pouvoir, voire en référé-liberté, devant une autorité administrative : le juge administratif qui décidera, dans le cadre de sa jurisprudence, s’il entend exercer un contrôle minimum ou maximum. Depuis des années s’est établie une tradition de construction de la défense des libertés publiques qui passe autant par le juge administratif que par le juge judiciaire.

Même si, en raison de certaines dispositions constitutionnelles, c’est, dans le domaine pénal, le juge judiciaire qui est protecteur de ces libertés, plus personne ne peut aujourd’hui prétendre que le juge administratif est « à la botte ». En matière de droit des étrangers, par exemple, la construction de la protection de la vie familiale face à la reconduite à la frontière au titre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme a été une oeuvre prétorienne accomplie par le juge administratif. On ne peut pas dire que les tribunaux administratifs et le Conseil d’État n’aient pas fait progresser les libertés publiques dans notre pays.

C’est une question d’honnêteté que de dire qu’il n’y a pas aujourd’hui de raisons de considérer que le juge judiciaire serait par essence plus protecteur des libertés que le juge administratif. L’arrêt Canal, par exemple, montre que le Conseil d’État était plus protecteur des libertés fondamentales en un temps où le juge judiciaire était plus à la botte du pouvoir politique – en l’espèce le régime gaulliste. Cette question est fondamentale, car ce qui trace la limite entre l’arbitraire et le droit n’est pas de savoir si la décision relève du juge administratif, mais si elle peut être déférée et susceptible de recours pour excès de pouvoir.

J’en viens à ma seconde question. Lorsque j’étais avocat, je traitais des affaires de droit de la presse et je crois me souvenir que l’interdiction de publications est prise par le ministère de l’intérieur, c’est-à-dire par l’autorité administrative, et que cette décision peut être déférée devant la juridiction administrative. Pensez-vous introduire avec l’article 9 une novation dans l’ordre juridique ? Si tel était le cas, internet ne serait pas considéré comme un mode de publication. Or, il s’agit bien évidemment un canal de diffusion des idées et d’un formidable espace de liberté et d’émancipation, mais aussi, techniquement, d’une forme de publication. Cela ressort-il, en droit, du régime juridique de la publication ? Dans l’affirmative, il serait normal, par homologie, que les interdictions de publication soient du ressort de l’autorité administrative, en l’espèce le ministère de l’intérieur, et le contrôle juridictionnel des interdictions de publication du ressort du juge administratif. Je le répète : créez-vous par là une innovation juridique ou vous inscrivez-vous dans la continuité, la tradition du régime français des interdictions de publication, fussent-elles temporaires ? Ce sont là des questions de droit.

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Je serai brève, car beaucoup de choses ont déjà été dites sur cet article. Je me contenterai ainsi de répondre à deux préoccupations.

La première est celle, légitime, des défenseurs des droits et libertés. À ce propos, je ne tiens pas compte du fait que l’opposition à cet article 9 peut provenir de sources différentes – de fait, nous avons tous reçu des messages de certains opérateurs, pour ne pas dire de lobbies – et je fais crédit aux défenseurs des libertés publiques du fait qu’ils se situent sur un tout autre créneau et défendent pour des raisons tout à fait différentes une vision distincte de celle qui sous-tend le projet de loi.

Pour ce qui est de l’opportunité de la mesure proposée, il faut faire preuve de bon sens. Il est en effet difficile de penser qu’une mesure – qui relève d’ailleurs du régime de la presse – de blocage des sites pédopornographiques serait acceptable, et que…

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Nous ne l’avons pas votée ! Elle a été déférée au Conseil constitutionnel par ce groupe !

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C’est le droit positif et j’ignore s’il faut continuer à la contester.

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Ce serait là des sauts de grenouille.

Je reprends mon raisonnement : comment pourrait-on considérer que le blocage proposé par le projet de loi ne serait quant à lui pas acceptable dans le droit positif pour des sites provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie ?

En deuxième lieu, le dispositif a été très travaillé, notamment par le rapporteur, qui a beaucoup précisé l’écriture de la loi dans ce domaine, et de nombreux acteurs ont été écoutés, notamment la commission numérique. Je ne dis pas que vos propos, cher collègue, ou ceux de Mme Erhel ne méritent pas d’être entendus, mais vient un moment où il faut faire un choix.

Ce qui sépare votre système de celui qu’a retenu le projet de loi est la réactivité de ce dernier : avec une procédure de police administrative garantie par une personnalité nommée par la CNIL et permettant de saisir immédiatement le juge des référés, il est possible de faire les choses en vingt-quatre heures, c’est-à-dire dans le délai laissé aux FAI hébergeurs qui n’auraient pas honoré les obligations de surveillance qui leur incombent de longue date au titre d’une directive européenne.

L’autre raison pour laquelle le juge judiciaire n’est sans doute pas la garantie souhaitable ici est qu’il évoque la répression. Or, il n’est pas ici question de répression, monsieur Cherki. Nous avons donc le choix entre un processus où l’on laisse les choses se dérouler et où le blocage intervient tardivement, avec un contrôle du juge judiciaire qui évoque davantage la répression que la police administrative, et un autre qui consiste à demander immédiatement aux FAI, hébergeurs et éditeurs de prendre leurs responsabilités et à prendre une mesure de police administrative qui est à la fois déférable et contrôlée.

On ne peut à la fois dire que les services ne tiennent pas nécessairement au blocage et que, lorsque c’est nécessaire, il faut différer les choses. C’est lorsque le blocage paraît nécessaire dans un environnement où il n’est pas toujours souhaitable d’y recourir – car, je le rappelle, la mesure est facultative – qu’il faut aller vite. D’où l’intérêt d’une mesure de nature administrative, et non pas judiciaire.

Pour ce qui est des objections techniques évoquées avec sérieux et compétence par Mme Chapdelaine, le fait que l’obstacle soit sérieux n’est pas une raison pour ne rien faire. Nous savons tous qu’il existe des sites miroirs et que les sites sont le plus souvent hébergés à l’étranger, ce qui ouvre la porte à des négociations possibles entre États. Enfin, les effets de la cryptologie sont difficilement maîtrisables. Cependant, si même nous n’agissions que sur une petite partie des sites, au moment décisif, lorsque cette action est nécessaire et que chacun la juge utile, on pourrait parvenir à une certaine efficacité sur des petits nombres.

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Du reste, si nous ne le faisions pas, on nous reprocherait ultérieurement notre inefficacité face à des affaires particulières, par exemple celui d’un jeune djihadiste qui se serait découvert comme tel par l’intermédiaire d’un site que l’on n’aurait pas pensé à fermer, en tout cas à réprimer à temps.

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Les éléments techniques doivent être pris en compte, mais la disposition proposée sera opérationnelle dans certains cas et il serait regrettable que nous ne nous soyons pas dotés d’un instrument juridique cadré et approprié.

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Il sera aussi opérationnel que la loi HADOPI !

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Il me semble revivre un débat que nous avons eu en novembre 2013 sur la loi visant à lutter contre le système prostitutionnel. Mme Maud Olivier, rapporteure de cette loi, et moi même souhaitions alors que l’article 1er permette de contrôler et d’arrêter la propagande des réseaux de traite d’être humains, avec les violences et les risques de mort y afférents, y compris pour des mineurs, et qu’une autorité administrative puisse intervenir rapidement.

Nous avions assisté aux mêmes débats : sans me prononcer sur le fond, je rappellerai qu’on nous a demandé de retirer notre article 1er et d’attendre. Il était alors également question des mesures de lutte contre la pédopornographie, pour lesquelles les décrets d’application n’étaient pas encore parus, et votre prédécesseur, monsieur le ministre – il s’agissait de M. Valls –, a alors déclaré qu’il avait créé au ministère de l’intérieur une commission chargée de travailler sur ce sujet et de rendre des conclusions en décembre 2013 ou janvier 2014.

Je vous pose donc cette question : une commission a-t-elle travaillé sur ce sujet au ministère de l’intérieur ? La loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel suit son cours ; la commission spéciale s’est tenue au Sénat et j’espère que le texte reviendra à l’Assemblée. J’aimerais qu’à cette occasion, nous ayons pu trancher la question puisque nous voyons bien que le débat revient pour les réseaux terroristes.

Je me permets aussi de vous dire, monsieur le ministre, que la même semaine où nous discutions de la prostitution, il y avait aussi la loi de programmation militaire et que le traitement avait été un peu différent : pour la cyberdéfense, le ministre de la défense avait réussi à faire adopter le blocage administratif. Je suis bien moins spécialiste de ces sujets que mes collègues, mais je pense que nous devrions avoir une position commune.

Nous sommes tous soucieux de lutter contre les réseaux.

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En l’occurrence, nous traitons du terrorisme, qui est un sujet grave et dont on voit bien que de nombreux jeunes sont victimes : des opérations de prévention doivent donc être menées pour contrer la propagande. Mais nous sommes soucieux de constater comment on peut recruter sur internet ; c’est pourquoi nous avions cherché à lutter contre cela en matière de prostitution.

Voilà ma question, monsieur le ministre : trouver une cohérence entre tous nos textes.

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Raison de plus pour qu’il y ait une seconde lecture rapidement !

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Monsieur le ministre, vous pouvez remarquer que, ce soir, je suis moins seule que lundi soir. Nous sommes nombreux, sur tous les bancs de cette assemblée, dans tous les groupes, à vous poser les mêmes questions.

La première est une question de principe de droit : peut-on se passer du juge judiciaire en matière de blocage de sites internet ?

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Vous êtes en train de systématiser le blocage administratif.

Je souhaite également poser à nouveau la question de la technique que vous utiliserez : ainsi que je vous l’ai déjà dit, les techniques sont soit inefficaces, soit attentatoires aux libertés publiques.

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On ne peut pas s’asseoir sur des principes de droit en se passant du juge judiciaire, tout cela pour avoir des systèmes totalement inefficaces ! Mme Chapdelaine a rappelé tout à l’heure les problèmes techniques, tandis que Mme Bechtel a dit : « On ne peut pas ne rien faire ! » C’est exactement le sens de mon intervention lundi soir : voilà un article de loi – que certains d’entre nous ne vont d’ailleurs pas voter – qui est non seulement totalement inefficace, mais qui s’assoit en outre sur des principes de notre droit !

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Je dirai en préalable qu’il n’y a pas ici ce soir celles et ceux qui sont pour les libertés sur internet et ceux qui sont contre et veulent absolument censurer le net : là n’est pas le débat.

Resituons, si vous le voulez bien, le débat dans son contexte. Ainsi que je l’ai dit en m’exprimant sur d’autres amendements, nous sommes dans une situation particulière. La propagande sur internet est utilisée massivement, elle est structurée, elle est organisée et elle est efficace, parce qu’elle permet de recruter des individus de manière importante, notamment des mineurs, à l’aide de vidéos, de sites, de blogs qui sont d’une efficacité redoutable.

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On me reproche à chaque fois de faire des procès d’intention, mais lorsqu’on prend des exemples concrets, comme le départ de ces jeunes filles radicalisées et recrutées sur internet extrêmement rapidement, on ne peut pas rester les bras croisés. Cela ne veut pas dire que l’on s’érige en censeur du net, mais que l’on se donne les moyens de répondre à cette attaque qu’est la mise en oeuvre du djihad médiatique, si redoutable en termes de recrutement et de propagande.

Sur la question de fond, plusieurs critiques ont été adressées au blocage des sites prévu par cet article 9 : certaines portent sur l’opportunité, d’autres sur l’autorité de décision – juge judiciaire ou juge administratif –, d’autres encore sur les garanties qui entourent cette décision. Sur l’opportunité du blocage, on peut entendre certaines critiques, relatives aux possibilités de contournement, aux surblocages, aux sites miroir ; mais ces difficultés ne sauraient justifier la passivité des pouvoirs publics face à des contenus odieux et dangereux et dont il est impératif d’empêcher l’accès aux internautes français.

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Que proposez-vous, monsieur Tardy ? Vous présentez un amendement de suppression de l’article 9. Selon moi, vous êtes donc passif sur cette question !

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Je l’ai dit lors de la discussion générale : contrôlez le flux, ce sera beaucoup plus rapide !

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Vous avez vous-même dit que l’on sera d’autant plus efficace que le contenu sera retiré par l’éditeur et l’hébergeur : nous avons introduit en commission des lois, par un amendement que j’ai porté car il n’était pas prévu dans le texte initial, cet élément subsidiaire qui permet plus d’efficacité.

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Monsieur Tardy, l’hébergeur et l’éditeur, ce sera efficace, c’est pour cela que nous saisissons simultanément les fournisseurs d’accès à internet, les FAI, qui pourront retirer…

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Ils pourront supprimer l’accès à ces sites en France ! Cela sera efficace car les mineurs dont nous parlions tout à l’heure ne vont pas prendre un billet d’avion tous les jours pour aller consulter un certain nombre de sites. L’objectif est donc bien de couper certains accès à internet.

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Pas besoin d’un billet d’avion pour consulter un site internet !

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Par ailleurs, concernant l’argument technique selon lequel ce serait compliqué, difficile et contournable : certes, c’est compliqué, c’est difficile et c’est contournable, mais il faut avoir un peu de volonté politique sur ce sujet ! On ne peut pas encore une fois rester les bras croisés !

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J’en viens au débat portant sur la question de l’attribution de la compétence au juge judiciaire que proposent certains : cela soulève un certain nombre de difficultés. Sur le plan pratique, la procédure judiciaire implique une assignation spécifique et une audience pour chaque instance dont le juge sera saisi afin de respecter le principe du contradictoire. Or on sait que le contournement du blocage passera notamment par la duplication des sites miroir, après blocage d’un premier site. Il ne serait donc pas possible d’obtenir une efficacité suffisante dans la traque de ces sites compte tenu des garanties procédurales inhérentes à toute procédure judiciaire, sauf à réduire ces garanties, ce qui ne serait évidemment pas acceptable.

Sur le plan des principes, le ministre l’a dit, le juge administratif est un juge des libertés. Les troubles à l’ordre public que l’expression sur internet peut engendrer exigent que la lutte contre les propos appelant au terrorisme dans la sphère numérique puisse relever également de la police administrative. Je le répète à chaque fois : pourquoi la police administrative pourrait-elle interdire une manifestation, pourquoi la police administrative pourrait-elle interdire un spectacle ou une réunion, pourquoi la police administrative pourrait-elle, dans des cas très exceptionnels, saisir un journal pour prévenir des troubles à l’ordre public, alors qu’elle ne pourrait pas le faire sur internet, simplement parce que c’est internet ? On ne peut raisonner d’un côté dans la sphère réelle parce que c’est la sphère réelle et, de l’autre, prétendre que ce n’est pas possible parce que cela relève de la sphère numérique. Nous voyons bien que nous sommes de moins en moins dans le côté virtuel quand on aborde ces sujets. Pour toutes ces raisons, je considère que le blocage des sites doit relever de l’autorité administrative.

Enfin, vous avez je crois parlé, monsieur Tardy, d’un « amendement de pacotille » que j’aurais présenté. Les garanties que nous avons mises en oeuvre, la subsidiarité et le fait que la première garantie sera de pouvoir contester la décision de blocage devant la juridiction administrative – garantie que vous ne pouvez pas minimiser, sauf à sous-entendre un certain nombre d’éléments sur lesquels nous vous écouterons –, le projet de loi a prévu une garantie supplémentaire : le contrôle de la liste des sites bloqués par une personnalité qualifiée qui, dans le texte du Gouvernement, était un magistrat de l’ordre judiciaire. Pour renforcer l’efficacité de cette nouvelle garantie, la commission des lois a adopté un amendement que j’avais présenté visant à confier expressément à la personnalité qualifiée un pouvoir de recommandation et à lui permettre de saisir la juridiction administrative lorsque l’autorité administrative ne suivra pas ses recommandations. Elle pourra saisir la juridiction administrative contre une décision de l’État et cette personne qualifiée serait non pas un magistrat, mais une personne désignée par la CNIL pour une durée de trois ans non renouvelable afin de garantir son indépendance. Le législateur met ainsi des garde-fous, comme c’est son rôle. En instaurant le principe de subsidiarité, en mettant en place la personnalité qualifiée et en permettant le recours systématique, nous érigeons un certain nombre de garde-fous qui permettent à cet article de loi d’être efficace.

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Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable à l’encontre de tous les amendements qui visent à supprimer tout ou partie de l’article, ou visent à en dénaturer la nature ou la portée.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des intervenants, quoi qu’ils aient exprimés sur ce sujet, pour la qualité de leur questionnement. Chacun dans cet hémicycle l’a rappelé, nous sommes tous rassemblés pour tenter de mettre en place des dispositifs efficaces de lutte contre le terrorisme.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je ne suis pas dans la suspicion, mais dans la recherche de la juste solution. Par conséquent, je souhaite que tous ceux qui s’interrogent sur les risques qui peuvent peser sur les libertés en raison du dispositif que nous présentons ou qui s’interrogent sur son efficacité puissent en retour, dès lors que nous sommes dans un état d’esprit qui consiste à atteindre un certain but, considérer que le Gouvernement, lorsqu’il présente ces dispositions, les présente avec le souci de protéger nos concitoyens les plus vulnérables, bien entendu dans un respect total, absolu des libertés publiques. Lorsque j’ai présenté ce texte, j’ai indiqué que cette volonté de préserver les libertés publiques à chaque alinéa de ce texte était non seulement mon objectif, mais mon obsession.

Je veux reprendre un par un chacun des arguments et des questionnements qui ont été développés pour tenter d’aller au bout du raisonnement avec vous, car un vote sur un article n’est rien d’autre que le point d’orgue d’une discussion lorsqu’elle a été bien conduite, dans le respect des positions de chacun. Je vais donc reprendre tous les arguments.

Premier argument : le juge judiciaire serait préférable au juge administratif lorsqu’il s’agit de statuer sur ces sujets ; il serait donc bien de laisser le juge judiciaire faire son oeuvre plutôt que de mettre en place une procédure qui conduirait le Gouvernement ou l’État à prendre une mesure de police administrative pour prévenir un risque, tout en laissant le soin au juge administratif de statuer en référé sur l’opportunité de la décision prise. En effet, dès lors qu’il s’agit d’une décision administrative, l’ordre constitutionnel et l’état du droit veulent que ce soit le juge administratif qui se prononce. On peut souhaiter qu’il en soit autrement, mais tel est l’ordre juridique et, sauf à modifier totalement la hiérarchie des normes dans notre pays et son contenu, je vois mal comment nous pouvons revenir sur cela.

Premier point : si c’est le juge administratif, c’est parce que nous avons fait le choix, compte tenu de l’urgence de certaines situations auxquelles nous sommes confrontés, de prendre une décision administrative qui, mécaniquement, mobilise le juge administratif en référé si la structure à laquelle cette décision s’applique la conteste rapidement, instantanément devant le juge. Le premier point donc sur lequel je voudrais insister, c’est que la mesure que nous proposons ne remet pas en cause les libertés puisqu’elle permet à celui qui fait l’objet de cette mesure de contester celle-ci et de voir sa liberté rétablie – pour peu qu’elle soit remise en cause : je reviendrai sur ce point car elle ne l’est pas – ou notre décision cassée devant le juge administratif sur le champ.

Deuxième point : ainsi que Pascal Cherki l’a dit – et il a raison –, le juge administratif est un juge des libertés. Je renvoie tous les parlementaires aux grandes décisions du juge administratif, le Conseil d’État – je pense notamment à l’arrêt Benjamin de 1933 et à l’arrêt Canal de 1962, ces grands arrêts du juge administratif statuant en dernière instance qui ont porté à leur paroxysme la passion qu’a le juge pour les libertés. Je le répète sincèrement parce que tel est l’état du droit. Considérer qu’il y aurait un juge judiciaire qui protégerait toujours les libertés publiques, et un juge administratif qui les enfreindrait systématiquement, n’est pas la réalité du droit ! Ce n’est pas la réalité que nous lègue la jurisprudence dans le temps long de l’histoire : tout cela n’est tout simplement pas l’état du droit en France !

Il y a toujours des magistrats de l’ordre judiciaire qui ont tendance à considérer que les libertés passent uniquement par leur truchement. Je le comprends. D’ailleurs, je ne dis pas que les décisions que ces juges prennent attentent aux libertés. Simplement, ces magistrats n’en ont pas le monopole : le juge administratif sait les défendre avec panache et grandeur.

Certains d’entre vous ont développé l’argument selon lequel le dispositif n’est pas efficace car le blocage intervient après que le juge administratif a statué, après que l’administration a décidé de prendre une mesure de police. Mais, si le blocage n’est pas efficace techniquement, il ne l’est pas davantage après que le juge judicaire a statué.

Exclamations sur les bancs du groupe UMP.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Laissez-moi poursuivre le raisonnement. Ce qui fait l’efficacité de la mesure ce sont des éléments techniques, entièrement indépendants et déconnectés de la nature du juge qui intervient.

Or si nous prenons cette décision, c’est pour prévenir. Je rappelle devant tous les parlementaires qu’en tant que ministre de l’intérieur, il est de ma responsabilité de répondre aux familles qui signalent tous les jours des jeunes ou moins jeunes qui basculent après s’être enfermés dans une relation exclusive de toute autre sur internet.

Que nous disent ceux que nous avons mobilisés sur ce sujet, par exemple au sein de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires dirigée par Serge Blisko, notamment Mme Donia Bouzar, qui fait un travail remarquable ? Que nous disent les familles que nous recevons ? Que nous dit par exemple Mme Myriam Rahim, restée seule avec sa petite fille de trois ans ? Qu’avant de partir, son mari s’est enfermé dans une relation exclusive de toute autre sur internet.

Toutes ces familles nous disent qu’elles voient leurs jeunes partir parce qu’avec la fréquentation de sites de propagande sur internet, ils basculent et s’autoradicalisent. Voilà, concrètement, le problème auquel je suis confronté.

Comment réagir efficacement à cela ? Aujourd’hui, je vois des sites qui expliquent comment cacher sa radicalisation à ses parents afin de pouvoir partir en Syrie sans qu’ils ne se rendent compte de rien. Je vois des sites qui glorifient le sham, le djihad en Syrie, l’engagement dans des groupes terroristes où l’on décapite, où l’on torture, où l’on assassine, où l’on exécute. Je vois des sites qui non seulement glorifient cela mais aussi expliquent les conditions dans lesquelles on peut s’engager et commettre des crimes. Je vois des parents qui me disent : « nos enfants fréquentent ces sites ; il faudrait arrêter cela parce que nous n’y arrivons pas et que nous avons peur qu’ils ne basculent. »

Que dois-je faire ? Attendre que le juge judiciaire déclenche l’action publique alors qu’il ne la déclenche jamais, ou très peu – nous vous donnerons les éléments statistiques à ce sujet ? Ou prendre une mesure administrative, destinée à me permettre d’engager une action de sensibilisation, dans le respect des libertés, puisque le juge administratif statuera en référé ? Vais-je prendre cette mesure tout en sachant que, comme l’a excellemment dit Marie-Françoise Bechtel, j’engage cette action de sensibilisation, alors que les hébergeurs ont refusé de retirer les éléments en cause ? Tel est le contexte auxquels nous sommes confrontés, et qui posent à tous les États une difficulté extrême.

On nous a demandé par ailleurs comment nous garantirons l’efficacité de ce blocage alors que les sites en France sont très peu nombreux. C’est là un argument juste. Cependant, tous les pays de l’Union européenne sont confrontés au même problème, et nous avons décidé d’agir ensemble et nous sommes engagés dans une action européenne très forte, qui nous conduit à travailler au sein de l’Union européenne avec les fournisseurs d’accès internet. La commissaire européenne et le coordinateur européen en charge de la lutte contre le terrorisme ont ainsi rencontré ces derniers pour leur expliquer ce que tous les pays de l’Union européenne s’apprêtent à faire, c’est-à-dire ce que nous proposons de faire.

Tous les ministres de l’intérieur et la commissaire européenne ont de plus décidé de rencontrer ensemble les fournisseurs d’accès internet, de sorte que ce que nous proposons de faire ici soit mis en place à l’échelle européenne.

Nous poursuivons également un travail avec les États-Unis qui, en dépit du premier amendement, commencent à évoluer sur ces sujets parce qu’ils voient bien le problème auquel ils sont confrontés.

Il existe donc bien un problème, qui résulte du fait que le sujet est international. C’est la raison pour laquelle nous essayons, sur le plan international, avec d’autres pays de l’Union européenne, de nous mobiliser pour faire en sorte que la responsabilité sur internet soit possible.

Enfin, je remercie tous les orateurs qui ont abordé la question des libertés, notamment ceux qui proposent des amendements de suppression de l’article 9. Ce sujet doit être traité en allant au fond des choses.

A partir du moment où le juge administratif intervient en référé, il se prononce en vertu de l’état de notre droit, très protecteur des libertés, sur la décision prise par l’administration. Nous sommes tout de même, reconnaissons-le, respectueux des principes fondamentaux du droit, quelle que soit notre sensibilité sur cette question. Or, sur ces sites de propagande, tous les jours, les libertés fondamentales sont remises en cause, attaquées, parce que ce que détestent le plus ces terroristes, ce sont les libertés auxquelles nous sommes viscéralement, fondamentalement attachés, en dépit des différences qui peuvent exister entre nous sur ce texte.

Ce que détestent le plus ces terroristes, c’est la démocratie dans ses principes. Ils savent que les libertés sont le principal obstacle à l’avènement de la terreur qu’ils veulent instaurer partout, en bafouant les libertés, en assassinant, en décapitant, en torturant, en s’en prenant au plus faible. Les libertés sont leurs ennemies. Les mesures que nous prenons sont là pour empêcher leurs discours liberticides, haineux, contraires à toutes les valeurs des droits de l’homme pour lesquelles nous nous sommes tous mobilisés, toujours, à travers l’Histoire, d’advenir.

Et il faudrait considérer que vouloir couper la possibilité d’accéder à ces discours est une forme de remise en cause des libertés fondamentales auxquelles nous tenons ! Au contraire, c’est l’un des moyens de les défendre toujours, longtemps, partout, pour faire en sorte que jamais nous ne soyons atteints dans nos valeurs.

Il ne s’agit pas de remettre en cause des libertés, en aucun cas.

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Regardez vos propos d’il y a deux ans ! Moi, je n’ai pas changé d’avis.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Ne nous situons pas à ce niveau, monsieur Tardy !

Considérez-vous, mesdames, messieurs, qu’un groupe qui, par l’appel à la haine, à l’assassinat, au crime, s’attaque à toutes les valeurs fondamentales, est un groupe qui défend les libertés fondamentales auxquelles nous sommes attachés ?

Considérez-vous que notre rôle est de défendre une liberté de proférer de tels propos, de diffuser cette haine ou d’appeler à ces crimes ? Cette liberté-là est pour moi un délit : elle doit être considérée comme telle et sanctionnée par le juge dès lors qu’elle est assumée par ceux qui professent ces propos.

Dire cela n’est en aucun cas attentatoire aux libertés publiques. C’est au contraire une manière d’assurer les libertés en tout point, à tout instant. Face aux dangers auxquels nous sommes confrontés, le seul combat pour la liberté qui vaille est celui qui consiste à nous protéger de ces discours de haine, qui visent à atteindre la République et la démocratie, partout en Europe et partout dans le monde, dans ses fondements. Tel est le débat qui préside à la présentation de l’article 9.

Applaudissements sur quelques bancs SRC et UMP.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 123 et 130 .

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 123 .

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le ministre, soyez assuré que tous ici, dans cet hémicycle, nous ne souhaitons qu’une chose : voter des mesures efficaces et lutter contre le terrorisme. Depuis trois nuits, nous nous sommes suffisamment exprimés pour que vous n’ayez aucun doute sur ce point – je partage entièrement les positions exprimées par Laure de La Raudière, Lionel Tardy, Christian Paul, Corinne Erhel, Marie-Anne Chapdelaine.

Au lieu de répéter l’avis de la commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique, à laquelle appartient notre collègue Sergio Coronado, que j’associe à mon intervention, je donnerai deux exemples, que j’espère pédagogiques.

Mon premier exemple est tiré d’un article de Net Impact de 2013, selon lequel le régulateur financier australien, l’Australian Securities and Investments Commission, a admis avoir fait surbloquer par erreur 250 000 sites, dont celui d’une université, alors qu’il n’en ciblait qu’un. Comment est-ce possible ? Il suffit que l’agence fédérale ou locale justifie d’une nécessité liée à « l’application du droit pénal et des lois imposant des sanctions pécuniaires ». A ce sujet, l’Electronic Frontier Foundation a demandé l’intervention du juge avant toute demande de blocage.

Mon second exemple traite de la Grande-Bretagne où de nombreux cas de surblocage, notamment du site Wikipédia, ont été enregistrés dans le cadre de la lutte contre les sites pédopornographiques.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il ne semble pas que la pédophilie ait reflué de façon notoire en Grande-Bretagne. Le seul élément positif que met en avant la police à propos du blocage, est une chute du nombre de vues mesurées. On peut supposer que le procédé n’empêche que les visites accidentelles, qui ne présentent aucun intérêt. Les visites intentionnelles, elles, se poursuivent, en utilisant des moyens de contournement.

Le seul résultat prévisible de l’article 9 est donc que les criminels apprendront à mieux se dissimuler. Est-ce vraiment notre objectif ?

Plusieurs questions se posent également. La liste des sites interdits…

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

…sera transmis aux 1 200 opérateurs déclarés auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP. Veut-on vraiment publier un annuaire du pire de la pédopornographie, de la provocation au terrorisme, certifié par le tampon de la République française ?

Monsieur le rapporteur, vous avez l’air sincèrement convaincu qu’il faille prendre l’avion pour consulter un site filtré. Et bien non, vous pouvez le faire de votre bureau et je vous expliquerai le moyen d’y arriver.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous ne nions pas, monsieur le ministre, l’existence de ces sites. Nous voulons simplement des mesures efficaces.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Lesquelles ?

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Nous demandons que le blocage soit décidé par un juge judiciaire. Pour cela, nous nous inspirons du dispositif retenu pour le blocage des sites illégaux, proposant des jeux d’argent en ligne via l’Autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL. Vous l’avez dit, vous l’avez répété, nous l’avons tous dit dans cet hémicycle, les sites illégaux sont un sujet grave. C’est pour cela qu’il faut faire adopter des mesures réalistes, faisables, efficaces. Nous évoquions tout à l’heure les décrets : ceux relatifs à la pédopornographie ne sont pas parus.

Tous ceux qui connaissent l’inefficacité de ce blocage administratif – juges antiterroristes, directeur de l’Agence nationale des systèmes d’information, journalistes, internautes, notamment – vont sourire. Et je ne veux pas, monsieur le ministre, que la représentation nationale se ridiculise par méconnaissance technique.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Madame Attard, vous dites qu’une intervention du juge judiciaire sera très efficace et que vous voulez justement des mesures efficaces. J’accède à ce raisonnement, mais je souhaiterais que vous indiquiez quelles sont ces mesures techniques efficaces. En effet, vous nous dites avoir en ces matières une compétence que d’autres – et peut-être moi-même – n’ont pas.

Puisque nous essayons de coproduire la loi ensemble, soyez donc gentille de me dire quelles sont les mesures techniques efficaces, après que le juge judiciaire sera intervenu, qui permettent de rendre absolument imparable le blocage des sites, ou tout autre dispositif qui permettrait d’éviter que les jeunes qui sont vulnérables face à ces sites de propagande ne basculent.

Dites-moi ce qu’il faut mettre en oeuvre, après l’intervention du juge judiciaire, qui soit techniquement fiable et imparable. Ouvert à toutes les propositions, je vous assure que nous examinerons très précisément l’efficacité des mesures que vous proposez. Si vous pouviez me répondre précisément, j’en serais ravi.

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La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement de suppression no 130.

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Monsieur le ministre, si nous voulons progresser, il faut éviter d’adresser critiquer à des arguments qui, à ma connaissance, ne sont qu’imaginaires. Je n’ai pas entendu ici mettre en doute la qualité de la jurisprudence du juge administratif par rapport à la qualité de la jurisprudence du juge judiciaire en matière de préservation des libertés.

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Simplement, leur rôle n’est pas le même. Ils n’ont pas la même fonction au sein de notre État de droit, ils n’interviennent pas dans les mêmes situations, et au même moment. Il n’existe pas de concours du meilleur garant des libertés ! J’ose espérer que dans l’État de droit, auquel nous sommes, vous et moi, attachés, ils sont, l’un comme l’autre, garants des libertés. Le juge judiciaire intervient par exemple en matière de voie de fait, et heureusement, car cela n’est pas inutile.

La question qui est posée est de savoir si l’on a affaire à une mesure préventive de police administrative, qui peut ensuite être contestée devant le juge, ou si l’on a affaire à une décision judiciaire, après le dépôt d’une plainte – le ministère de l’intérieur, en améliorant peut-être la procédure, est tout à fait fondé à y procéder.

Il y a surtout une question que vous, comme Mme Bechtel, ne nous avez pas posée. Pourquoi nous sommes-nous battus pendant très longtemps dans cet hémicycle pour défendre le principe du passage devant le juge judiciaire ? Pourquoi, de nouveau aujourd’hui, défendons-nous ce principe ? Pourquoi considérons-nous qu’y pratiquer une brèche nécessite d’avancer des justifications plus fortes que celle de régler le problème de quelques dizaines de sites ? Personne ne conteste l’extrême dangerosité de ces sites, mais nous pouvons le faire autrement.

Il existe des intérêts de caractère plus général, qui conduiraient, si l’on écoutait ceux qui les portent – et je pense notamment à des intérêts privés – à mettre en place des systèmes, non pas de police privée, comme l’a dit Mme de La Raudière,…

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… mais plutôt des autorités administratives, pas toujours indépendantes.

Pendant des semaines et des mois, nous avons débattu dans cet hémicycle du rôle de la Hadopi. Encore une fois, le sujet est de nature tout à fait différente. Mais l’une des raisons pour lesquelles nous nous sommes opposés à cette loi et à la création d’une telle autorité, c’est que nous considérions qu’un certain nombre de décisions devaient relever du juge, et que la garantie des libertés passait par une décision préalable, non par une décision administrative. Il est vrai que le référé-liberté existe depuis 2000, mais enfin, il existe quand même une différence de nature !

On assiste à une sorte d’érosion clandestine des principes, lorsqu’il s’agit de bonnes causes – j’ai parlé ce soir d’« impact systémique ». Mais il faut des raisons d’ordre essentiel pour renoncer à ces principes. Pour ma part, je ne considère pas qu’ils méritent d’être contournés.

Les critiques à caractère technique qui ont été exprimées sont fondées. La technique est neutre : qu’il s’agisse d’un site djihadiste, d’un site de proxénétisme d’un site de pédopornographie ou d’un site de paris en ligne clandestins, les adresses IP restent des adresses IP, les URL sont des URL. La neutralité, pour le coup, est là garantie non par le droit mais par la technologie.

Le Gouvernement serait bien inspiré de tenir compte des propositions alternatives qui émanent de l’ensemble des groupes, d’une instance consultative mise en place par le Gouvernement en 2012 et de la commission qui a été créée à l’Assemblée nationale. Ce qui a été dit ce soir ne doit pas mener à l’abandon du blocage. Celui-ci est techniquement difficile. Pour ma part, je n’émets pas d’avis définitif sur cette question et ne demande pas de renoncer au blocage. Je dis simplement que le Gouvernement doit s’équiper afin qu’il puisse y être procédé dans des conditions efficaces.

Personne, ici, n’a le monopole de la volonté de lutter contre le terrorisme. Il s’agit de le faire efficacement et dans le respect des principes qui participent de l’État de droit.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Le problème, monsieur Paul, c’est que je ne peux pas porter plainte en tant que ministre de l’intérieur. Je peux saisir le parquet qui, lui-même, peut déclencher l’action publique. Mais je n’ai pas la possibilité, juridiquement, de porter plainte.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je peux intervenir au titre de l’article 809 du code de procédure civile, lorsque j’ai un intérêt à agir. L’idée qu’il est tout à fait possible pour un ministère de porter plainte à tout moment ne correspond pas à la réalité de l’état du droit.

Par ailleurs, lorsque vous dites ne pas être opposé au blocage des sites a priori et être conscient des difficultés techniques, vous vous éloignez de l’argument développé jusqu’à présent, celui de l’inefficacité absolue du blocage administratif des sites. La question que vous posez est plutôt celle des modalités de l’encadrement de la disposition.

Mais encore une fois, je suis confronté à un problème très concret : au terme des procédures judiciaires, et au regard de l’ampleur du phénomène, il n’y a pas de sites extraordinairement dangereux en nombre. Je ne les ai pas !

Soit alors je considère qu’il n’existe pas de solution à ce problème, que nous ne pouvons agir en raison de la grande complexité technique et que la voie judiciaire est préférable, et nous ne faisons rien ; soit je décide de créer les conditions d’une sensibilisation, d’une responsabilisation des fournisseurs d’accès à internet, dans un cadre protecteur des libertés publiques avec l’intervention du juge administratif en référé. J’escompte alors de la démarche que j’engage, non pas qu’elle soit un bouleversement de ce qui prévaut sur internet en matière de liberté d’organisation, mais qu’elle permette de sensibiliser et de responsabiliser les acteurs.

Cela peut d’ailleurs se faire sans préjudice de la possibilité d’enclencher la procédure judiciaire par la suite. Les acteurs de la sphère judiciaire, eux aussi sensibilisés, pourront très bien, lorsque ce qui se passe sur internet relève de l’infraction pénale, prendre le relais par la voie judiciaire, nonobstant les démarches que j’aurai engagées sur le plan administratif. Il n’y a pas d’incompatibilité !

En présence d’un risque, je peux prendre en urgence des mesures de police administrative qui permettent de le prévenir efficacement. Cela n’empêche en rien l’ordre judiciaire de prendre le relais dans un second temps.

Voilà des arguments qui permettent une juste synthèse. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause les libertés auxquelles on tient sur internet, et auxquelles je tiens aussi, mais simplement de prévenir, dans le respect des principes de droit, le risque de basculement de ressortissants français en nombre vers le terrorisme, la mort et l’inhumanité.

La séance, suspendue le jeudi 18 septembre à zéro heure quarante, est reprise à zéro heure cinquante.

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La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion des amendements identiques nos 123 et 130 , sur lesquels le rapporteur comme le ministre ont émis un avis défavorable.

La parole est à Mme Laure de La Raudière.

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Monsieur le ministre, la réponse que vous avez apportée à Mme Attard me porterait à croire que vous avez été élevé chez les Jésuites ! Depuis le début de nos débats, je vous pose une question technique mais j’ai eu l’impression que vous demandiez à Mme Attard de vous apporter la réponse. Je me permets donc de vous la poser à nouveau : à quelle technique recourrez-vous pour réaliser ce blocage administratif ? Vous avez le choix entre des procédés inefficaces – le blocage IP, URL ou DNS – et un autre, attentatoire aux libertés, par l’inspection des contenus. Merci de bien vouloir éclairer la représentation nationale sur ce sujet.

La volonté politique, monsieur le rapporteur, si unie soit-elle dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, ne peut parfois rien sur la technique.

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Même s’il est tardif, ce débat est intéressant car il concerne l’avenir. Il est important car internet étant un système relativement nouveau par rapport aux autres modes de publication, sa régulation s’opère progressivement, en particulier à coup de lois diverses, par l’Assemblée nationale. Il est normal que nous restions très vigilants.

Je comprends les arguments de principe de notre collègue Christian Paul, traditionnels et récurrents dans notre sensibilité politique, et en vertu desquels nous préférerons toujours que l’autorité qui veut interdire sollicite l’autorisation du magistrat plutôt que ne soit prise une mesure préventive susceptible d’être déférée devant le juge. D’un point de vue philosophique, j’approuve cette conception et je ne pense pas qu’il y ait de désaccord entre nous.

En l’espèce, le ministre de l’intérieur a besoin de pouvoir interdire la publication d’un certain nombre de sites parce qu’ils représentent l’un des principaux vecteurs de l’organisation de l’auto-recrutement des personnes qui partent ensuite faire le djihad en Syrie ou ailleurs. Dès lors qu’en l’occurrence deux principes semblent s’opposer, une question se pose. J’en profite pour souligner que les arguments du ministre ne m’ont que moyennement convaincu : c’est justement contre les pires ennemis de la liberté que le droit trouve toute sa justification à s’appliquer, sans régime différencié. Cela étant, la question se trouve en pratique résolue grâce à la mesure du référé. Parallèlement à la cohérence du droit par rapport à l’ordre juridique se trouve l’efficience du droit. Dès lors que nous voulons concilier la défense des libertés publiques et l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, il ne faut pas que l’un prenne le pas sur l’autre.

Si une mesure préventive peut vous permettre d’être efficace mais que, par un simple recours pour excès de pouvoir, la procédure est retardée d’un an ou deux suite aux délais de la justice administrative, vous perdez sur le terrain des libertés. Le dispositif du référé, au contraire, du fait de la rapidité avec laquelle le juge doit se prononcer, permet que se rejoignent la volonté d’un contrôle a priori et la nécessité d’un contrôle a posteriori dans un instant presque fusionnel – vingt-quatre heures après.

Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous dis tout cela. Soyons très clairs, il n’y a aucun risque. Ce n’est pas par rapport aux sites terroristes que nous nourrissons des préventions. Si aucun responsable de ces sites ne déposera un recours juridique pour se dénoncer auprès des autorités judiciaires et de la police, le problème, en revanche, se posera quand nous serons confrontés à des sites qui pourront être qualifiés d’apologie du terrorisme par les services de police : si ces derniers auront raison dans 99 % des cas, ils pourront avoir tort ne serait-ce qu’une fois parce que nous serons alors dans la zone grise de la frontière avec la liberté d’expression.

C’est dans ce sens que la notion d’efficience entre en cause et que la question du référé, de mon point de vue, règle le problème. Le juge administratif se prononçant suffisamment tôt, il pourra réparer les éventuelles erreurs commises par l’autorité policière – qui peut en commettre, comme toute institution. Or, le tissu des libertés ne doit pas être déchiré.

Nos principes ne sont pas incompatibles avec l’article 9 à condition de bien nous entendre sur les termes car sinon nous pourrions donner le sentiment que nous sommes totalement opposés les uns aux autres alors que finalement le référé permet, dans le temps très rapproché du délai, de fusionner ces deux impératifs qui ne doivent pas être contradictoires : la lutte contre le terrorisme et la défense scrupuleuse des libertés, corollaire de l’absence de régime différencié.

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J’ai écouté, comme nous tous, ce débat avec beaucoup d’attention. Plus nous progressons dans la nuit, plus je suis convaincu de voter l’article 9, pour trois raisons.

La première est que notre groupe, qui en a débattu – vous aurez remarqué que des avis assez divers s’expriment, puisque nous n’avons pas de consigne de vote, pas plus que les autres groupes d’ailleurs –, a considéré voilà quelques mois qu’il serait important de proposer à notre Assemblée un dispositif fort similaire à celui retenu par le Gouvernement aujourd’hui. La proposition de loi que le groupe UMP avait choisi d’inscrire dans une niche en juin dernier tendait à instaurer un mécanisme très similaire de blocage par l’autorité administrative de l’accès à des sites éminemment dangereux, faisant l’apologie du terrorisme. Nous serons par conséquent cohérents en exprimant ce soir notre soutien à l’article 9 tel que le Gouvernement le présente.

La deuxième raison est d’ordre juridique. Sur ce plan, le dispositif respecte tous les principes bien connus de la police administrative sous le contrôle du juge en référé ou au fond.

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C’est un spécialiste de l’expulsion qui parle !

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Nous l’avons dit et répété depuis trois jours sur tous les tons : il n’est nul besoin de solliciter l’intervention du juge judiciaire en ces matières.

La troisième raison, enfin, est d’ordre technique. Certes, nous ne sommes pas tous des techniciens informatiques, et pour cause : nous sommes généralistes et chacun d’entre nous s’efforce de cultiver un entendement raisonnable, celui de l’honnête homme. Chacun aura donc compris qu’il n’existe évidemment aucune technique absolument imparable. Et pourtant, il faut avancer pas à pas et aussi – pardonnez ma franchise – imposer une forme de pression aux opérateurs d’internet. J’appartiens à une sensibilité plutôt libérale, au sens où l’entendaient Alexis de Tocqueville et Benjamin Constant.

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Buisson n’est guère proche de Tocqueville…

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Pourtant, je ne me résous pas à ce qu’on laisse la main invisible des opérateurs d’internet réguler ces questions. Je ne me résous pas non plus à ce que les fournisseurs d’accès, les hébergeurs ou les éditeurs nous disent que l’autorégulation suffira à leur permettre de retirer des contenus illicites. Je ne me résous pas, lorsque je reçois certains opérateurs comme d’autres l’ont fait, à trouver en deux ou trois clics sur un moteur de recherche bien connu des contenus vidéo absolument inacceptables.

Dès lors, je pense que la force de la loi pèsera comme une épée de Damoclès sur les opérateurs en les incitant à faire eux-mêmes le ménage. En réalité, ils ne se limitent pas au rôle de plombier reliant la tuyauterie d’internet à des contenus ; ils ont aussi une responsabilité. En adoptant l’article 9, nous les appellerons précisément ce soir à faire oeuvre de responsabilité.

Telles sont les raisons qui, je le crois sincèrement, doivent nous inciter à adopter ce dispositif même si, encore une fois, il n’est pas parfait.

Je conclurai en un mot : je crois tout aussi profondément, monsieur le ministre, que votre responsabilité, telle que vous l’avez engagée, consiste à étendre cet arsenal juridique aux plans européen et transatlantique. En effet, il ne s’agit pas là d’une simple question de droit national ; il faut aussi s’armer à l’échelle internationale.

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Vous m’avez posé plusieurs questions, monsieur le ministre, et je vais tâcher d’y répondre, même s’il est difficile de savoir par où commencer. Voici quelques pistes : s’en prendre aux auteurs des informations incriminées, supprimer les sites à la source, collaborer sur le plan international. La méthode que vous nous proposez dans cet article, monsieur le ministre, entraîne des effets secondaires infiniment plus graves que les effets positifs escomptés – lesquels ne se produiront pas. Ces effets secondaires peuvent notamment concerner la destruction de milliers d’emplois dépendant de sites internet viables.

Murmures sur les bancs du groupe SRC.

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Je n’exagère pas ! Commentez comme il vous plaira ; peu importe.

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J’ajoute qu’au plan technique, ce n’est pas compliqué ; c’est simplement techniquement inutile et infaisable.

Autre réflexion : vous indiquez ne pas pouvoir saisir la justice. M. Guéant l’a pourtant fait pour le site Copwatch !

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Je conclus : en matière de cybercriminalité, monsieur le ministre, deux approches sont possibles. Certes, je ne suis pas une spécialiste en la matière, loin s’en faut – chacun ici sait que je suis directrice de musée. En tant qu’élue de la nation, je me permets tout de même de formuler l’approche suivante : soit vous adoptez la méthode du blocage au moyen de digues de sable, soit vous préférez la méthode américaine qui consiste à assécher financièrement sans bloquer, de manière à infiltrer.

Enfin, monsieur le ministre, n’inversons pas les rôles : c’est bien à vous de faire la preuve de l’efficacité de cet article.

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Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

En effet, madame la députée, nous sommes intervenus concernant le site Copwatch parce que nous étions fondés en droit à le faire. Il s’agissait d’un site qui s’était attaqué à la police et concernant lequel la règle de droit en vigueur nous a permis d’agir comme nous l’avons fait. Une autre configuration nous en aurait empêché. Ainsi, vos propos corroborent parfaitement ce que j’indiquais tout à l’heure concernant la difficulté que nous avons d’accéder à la plainte, puisqu’il faut pour cela avoir toute légitimité à porter plainte en raison d’un intérêt à agir.

Pour conclure, je reprendrai les propos de M. Pascal Cherki et répondrai à Mme Laure de La Raudière, en tâchant de synthétiser nos échanges. M. Cherki a eu raison de rappeler – comme je le fais depuis trois jours à chaque alinéa de ce texte – la nécessité de protéger nos ressortissants et celle de préserver les libertés. Si, tel que nous l’avons conçu, le texte commence par demander le retrait aux hébergeurs, c’est précisément parce que nous pensons qu’ils peuvent, comme nous les y appelons, exercer leur responsabilité après que nous leur avons signalé le risque, afin que nous n’ayons pas à intervenir par la suite.

S’agissant d’une intervention au moyen d’une mesure de police administrative, là encore M. Cherki a rappelé à juste titre – et j’y tenais, car c’est important – qu’elle ne se fait qu’au terme de l’intervention d’une personnalité qualifiée et sous le contrôle du juge administratif capable d’intervenir à tout moment en référé, ce juge étant le juge des libertés, comme cela a justement été précisé. Voilà le cadre de notre action, que je souhaite rappeler alors que nous nous apprêtons à délibérer sur le contenu de l’article.

Mme de La Raudière m’a demandé quels sont les dispositifs de blocage. Comme vous le savez très bien, il existe trois techniques de blocage. La première consiste à bloquer non pas un site, mais un serveur identifié par son adresse IP, qui est en quelque sorte la plaque d’immatriculation de chaque terminal physique. Ce type de blocage est en effet très simple à mettre en oeuvre mais, à défaut de difficulté, il est susceptible de produire des effets collatéraux : il présente en effet l’inconvénient d’entraîner le risque de surblocage, comme vous l’avez signalé, car un même serveur héberge fréquemment plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de sites.

La deuxième technique consiste à intervenir sur le nom d’hôte ou le nom de domaine : c’est la technique dite DNS. Elle est la moins susceptible d’entraîner un risque de surblocage et a l’avantage de ne pas imposer d’investissement lourd aux fournisseurs d’accès. Elle n’oblige pas non plus a recourir à des moyens d’inspection des contenus. C’est donc cette méthode qui doit être privilégiée ; elle a d’ailleurs la préférence des fournisseurs d’accès.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Enfin il existe une troisième technique dont je dis très clairement à la représentation nationale que je ne souhaite pas qu’on l’utilise. Elle consiste à bloquer l’adresse universelle dite URL. C’est un dispositif très précis, avec un niveau de blocage extrêmement fin, mais il impose un filtrage préalable du contenu des communications. Il est connu sous le nom de deep packet inspection.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

En outre, cette technique est très onéreuse – son coût pour les fournisseurs d’accès serait de l’ordre de 140 millions d’euros – et peut considérablement perturber le trafic. Très intrusive, elle peut présenter des risques importants ; nous ne souhaitons donc pas l’utiliser.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Vous m’avez interrogé sur la nature des techniques de blocage ; je vous ai présenté les trois techniques qui existent et indiqué celle que nous préférons, car elle est la moins intrusive.

Cela étant, nous avons pleinement conscience qu’aucune de ces méthodes n’est tout à fait satisfaisante mais, encore une fois, nous ne souhaitons pas avoir recours à des techniques de blocage intrusives, ni altérer à aucun moment la fluidité des réseaux. Nous devons conserver une flexibilité technique afin d’adapter chaque décision de blocage aux différents sites, dont les caractéristiques varient de l’un à l’autre. Là encore, il s’agit d’une demande des fournisseurs d’accès à internet.

Nous ne souhaitons donc pas figer dans la loi telle ou telle méthode de blocage, même si je vous ai clairement indiqué celles auxquelles nous n’entendions pas avoir recours, en raison de notre volonté absolue d’éviter toute intrusion qui pourrait porter atteinte aux libertés ou à la vie privée. Pour nous adapter à l’évolution très rapide des technologies, nous avons, au cours de l’été, soumis un projet de décret aux fournisseurs d’accès à internet avec qui nous sommes en discussion. Nous attendons naturellement la finalisation du texte de loi pour achever ces discussions, ainsi que pour introduire des éléments concernant la subsidiarité et pour finaliser le décret concernant les sites pédopornographiques, de manière à disposer de l’ensemble des textes réglementaires – y compris pour les lois précédentes – et d’un dispositif maîtrisé au plan technologique, qui correspond à l’équilibre que nous voulons faire prévaloir.

En somme, les libertés publiques sont notre objectif et l’équilibre du texte y répond ; par ailleurs, connaissant les avantages et les inconvénients de chacune des techniques de blocage, nous privilégions les dispositifs les moins intrusifs ; enfin, puisque nous voulons travailler en lien avec les fournisseurs d’accès à internet parce que ce projet de loi vise à les responsabiliser, nous préparons avec eux le texte des dispositions réglementaires pour aboutir à un dispositif équilibré qui tienne compte de nombreuses préoccupations exprimées sur ces bancs.

Les amendements identiques nos 123 et 130 ne sont pas adoptés.

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Prochaine séance, ce matin, à neuf heures trente :

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification de l’accord établissant une association entre l’Union européenne et ses États membres d’une part, et l’Amérique centrale d’autre part ;

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ;

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière ;

Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique en vue d’améliorer le respect des obligations fiscales à l’échelle internationale et de mettre en oeuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite "loi FATCA") ;

Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur..

La séance est levée.

La séance est levée, le jeudi 18 septembre 2014, à une heure dix.

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly